Philippe Poutou et Pauline Salingue était candidat·es dans l’Aude pour le Nouveau Front populaire. Une expérience originale pour des révolutionnaires !
Quel était l’enjeu de cette élection ?
L’enjeu national, empêcher l’extrême droite de diriger le pays, primait. Même si, la circonscription étant considérée comme perdue, l’idée était de tenter de prendre un point au RN en dégageant le candidat sortant, le facho du coin.
Il y avait aussi un enjeu bien local. L’Aude, comme les départements voisins, est largement dominée par l’extrême droite. Pourtant, Narbonne et Carcassonne sont historiquement des terres de gauche. L’Aude est l’un des départements les plus pauvres, marqué par un fort taux de chômage, une précarité supérieure à la moyenne, une grande faiblesse en termes de services publics de santé, d’éducation, de transports… Du coup, la lutte contre l’extrême droite est très liée à la dénonciation des souffrances sociales, des dégâts résultant des crises du capitalisme, car le succès du RN, ici comme dans le Nord ou l’Est, se nourrit de la misère, de la colère, du désespoir, et aussi des désillusions liées aux trahisons de la gauche.
Comment ça s’est passé ?
Nous étions plutôt inquiet·es de notre « parachutage » – dénoncé immédiatement par les macronistes, l’extrême droite et l’aile droite du PS – et des attaques relayées par les médias. Nous avons été rassuré·es par l’accueil des militant·es des différentes composantes du NFP. Une équipe unitaire, large, enthousiaste s’est mise en place en deux jours, rejointe par de nombreuses personnes, de réseaux associatifs ou de collectifs militants, mais souvent non organisées. Nous avons vécu concrètement un sursaut populaire. Le local de campagne était plein la plupart du temps, pour récupérer des tracts, des affiches, des autocollants… du jamais vu depuis très longtemps !
Les murs de Carcassonne et des villages ont été recouverts de nos affiches rouges, les pare-brises de voitures et les boites aux lettres se sont remplies de nos tracts, des équipes ont déambulé dans les rues, dans les marchés de Lézignan ou Carcassonne. Et ce fut la deuxième surprise avec l’accueil de la population, d’abord plutôt sceptique puis rapidement accueillante et chaleureuse. Nous avons bien senti, au fil des jours, que l’ambiance évoluait.
Pour le second tour, quelque chose a changé. Il y avait plus de discussions, plus de prises de conscience sur le danger du RN, sur la nécessaire solidarité face aux idées qui divisent les opprimé·es. La gauche militante existait à nouveau, cette « gauche » de terrain, déterminée, suscitait plus de respect et d’espoir. On semblait sortir d’un climat de résignation, on relevait la tête, on osait défendre haut et fort des idées fortes de la gauche, à savoir le partage des richesses, des revenus décents pour tou·tes, les services publics, l’égalité des droits, l’antiracisme, le féminisme, l’écologie… tout le contraire du candidat facho.
Nous avions 21 points de retard au soir du 1er tour sur le candidat sortant RN. Mais nous étions deuxièmes, devant le macroniste, très mécontent, et devant le candidat de Delga. Le 2e tour n’a pas offert de surprise mais, avec nos 38,7 % sur la circonscription et surtout nos 46,5 % sur Carcassonne, nous réalisons un résultat plus qu’honorable, un petit exploit. À noter que les trois RN sortants du département sont réélus, comme ceux des Pyrénées-Orientales et, dans l’Hérault et le Gard, quasiment toutes les circonscriptions sont RN. C’est dire l’ambiance et le défi qu’on avait devant nous.
Quelles sont les perspectives ?
La soirée électorale a été heureuse. D’abord parce qu’au niveau national le NFP est passé devant le RN. Ensuite parce que le fait marquant pour notre circonscription est la dynamique de la campagne, l’aventure humaine, les deux chouettes meetings à Marseillette avant le 1er tour (plus de 300 personnes) et à Carcassonne avant le second (plus de 500 personnes). Il y avait comme une fierté d’avoir tenté, de s’être battu, d’avoir ainsi fait entendre nos idées et notre programme de rupture, d’avoir dénoncé les idées d’extrême droite et macronistes, d’avoir même créé de l’inquiétude chez le candidat RN, qui n’a jamais arrêté de nous injurier. Même la presse régionale a changé de ton à notre égard. C’est un des effets de notre campagne.
L’élection passée, il s’agit de préserver et d’amplifier les acquis de cette aventure. Continuer, construire un cadre militant unitaire, ouvert à tou·tes, aux organisations et militant·es et sympathisant·es politiques, syndicalistes, associatifs… un cadre d’action au quotidien, lié aux mobilisations. C’est le défi ici comme partout, celui de reconstruire une gauche de combat, par en bas, en prenant nos affaires en main, en faisant de la politique nous-mêmes, pour ne pas laisser d’autres s’en occuper à notre place.
C’est à cette condition qu’on pourra véritablement combattre l’extrême droite et les politiques antisociales. La mobilisation de ces dernières semaines doit être mise en lien avec la bataille des retraites, et aussi les colères et révoltes dans les quartiers populaires et en Kanaky, avec les luttes environnementales comme à Sainte-Soline ou encore les luttes féministes et LGBTI. Grâce notamment à une jeunesse bien mobilisée, il y a de quoi espérer un renouveau des luttes, un changement de rapport de force. n
Le 9 juillet 2024
Philippe Poutou a été candidat du NPA à l’élection présidentielle en 2012, 2017 et 2022. Il est membre du NPA-L’Anticapitaliste et l’auteur de Un ouvrier, c’est là pour fermer sa gueule !, éditions Textuel, 2012 et, avec Julien Salingue et Béatrice Walylo, de Un “petit” candidat face aux “grands” médias, Libertalia, 2023.
Propos recueillis par Antoine Larrache.