Nous reproduisons ici la chronique du journaliste Mohamed Bouhamidi parue dans le quotidien <i>Le Soir d'Algérie</i> du 17 décembre 2007.
Et Redouane savait par sa formation politique, par son identification socialiste, par son long passage au Parti socialiste des travailleurs après la clandestinité du Groupe communiste révolutionnaire, que les seuls vrais terrains des changements politiques restent les luttes sociales.
Bien sûr, Redouane ne faisait pas dans l'activisme syndical, dans l'adulation de l'action pour l'action. Il faisait des efforts permanents pour comprendre les mécanismes de mobilisation des travailleurs et d'organisation de leurs luttes. Dans deux conférences données récemment, il avait théorisé les conditions du succès pour les luttes syndicales autonomes en insistant particulièrement sur la notion de proximité de solidarité de ces luttes syndicales pour leur assurer succès, permanence et perspectives politiques. Dans son approche, Redouane cherchait les meilleures voies pour offrir à ce syndicalisme autonome et revendicatif ses chances culturelles de succès et les voies pour amener les travailleurs à la conscience de leur appartenance de classe et réussir à enraciner cette conscience à partir des données particulières qui sont les nôtres, car il n'y a pas de méthode ni de chemins prêts à l'emploi. Redouane allait constamment à la théorie pour éclairer sa pratique et revenait à la pratique pour éprouver les éléments de vérité de sa théorie : normal pour un militant passé par le PST dont les références marxistes sont publiques et officielles.
Et Redouane n'a pas accompli ce travail syndical dans un contexte facile. Rappelez-vous notre pays dominé par les luttes entre des identités massives qu'elles soient ethniques, linguistiques, religieuses ou culturelles. Là-dedans, il arrive pour dire nous sommes d'abord des travailleurs et c'est cela qui compte le plus et rien ne doit nous séparer dans notre lutte pour nos droits, pour nos salaires, pour nos carrières et nos conditions de travail.
Il fallait aller à contre-courant de cette thèse que toute lutte sociale doit être subordonnée au règlement de la question islamiste alors que seules ces luttes pouvaient et peuvent soustraire des dizaines de milliers de travailleurs à une idéologie négatrice de leur existence sociale.
Souvenez-vous aussi qu'en cette année 2003, rien ne semblait être en mesure de stopper la politique antisociale du pouvoir, rien si ce n'est ce Conseil des lycées d'Alger qui a ouvert la première brèche dans l'hégémonie du pouvoir et redonné de l'espoir et le désir de lutte à des centaines de milliers de travailleurs. Redouane a été un des plus grands militants pour la réémergence et l'affirmation des identités sociales.
Politiquement, ce travail était considérable pour le pays car la démocratie, et l'histoire nous l'enseigne sans aucune équivoque, ne peut naître si les identités sociales ne remplacent pas les identités culturelles, ethniques, linguistiques ou religieuses. Il serait plus juste d'écrire sans que la composante sociale de nos identités devienne dominante par rapport aux autres composantes (religions, ethnies, langues, nationalité, etc.).
Il faudra rendre cet hommage particulier à Redouane et à tous les autres militants qui se sont battus sur la base de l'appartenance sociale, d'avoir amené les pierres les plus solides pour la construction de cette démocratie, si nécessaire aux enseignants dans leur combat. Et ils auront l'immense avantage en se donnant des symboles d'être quasiment le premier secteur de l'Algérie post-indépendance à se doter d'une mémoire des luttes. Car, vous le savez, les mémoires ne peuvent fonctionner sans les symboles qui donnent sens et continuité. Et les symboles ne s'inventent ni se décrètent. Seuls les hommes qui se sont battus peuvent les choisir parmi ceux qu'ils ont adoptés comme chefs pour leurs qualités de chefs, dans les grands moments de la perte et de l'émotion.
Et hier, il me semble bien que des travailleurs ont élevé l'un des leurs à cette qualité de repère de leurs futurs combats.