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L’Iran et l’Algérie dans la 3e guerre mondiale larvée

par Nace Aheddad
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Une 3e guerre mondiale larvée est installée. C’est le Moyen-Orient qui constitue, avec l’Ukraine, l’épicentre de cette tension mondiale. La clé de voute pour saisir la signification et la dynamique de cet échiquier guerrier est la crise du capitalisme mondial. Ça nous fait penser, d’un point de vue historique, aux crises qui ont engendré les guerres de 14-18 et de 39-45.

Rappel historique

Pour rappel, la Guerre de 14-18 est venue réguler l’impasse dans laquelle s’est engouffré le capitalisme sous domination, en ce temps-là, des empires coloniaux britannique et français. L’arrivée du capitalisme allemand, une nation concurrente qui a affiché un rythme de développement économique plus rapide, et en arrière-plan la montée du capitalisme américain et japonais, qui se combine avec la fin de l’empire Ottoman qui laissera l’univers arabe orphelin et une proie facile et un riche espace exploitable aux colonialisme britannique et français, bouleverse la donne. C’est donc l’Allemagne qui engage la guerre pour réorganiser le marché mondial et trouver un débouché pour son économie qui a connu un retard historique dans son développement.

La guerre a en effet tout réorganisé mais au profit du capitalisme américain qui sort vainqueur et, en Asie, au profit du capitalisme japonais. Seulement il fallait compter avec un « invité surprise » : Lénine et les bolchéviques en Russie. Lénine était contre les deux camps en guerre. Il annonce son propre camp, celui des travailleurs de tous les pays. Cette stratégie ouverte par Lénine trace la voie à d’autres pays pour leur émancipation : ça sera le mouvement d’indépendance des pays colonisés. L’étoile nord-africaine et plus tard le PPA et le mouvement national en Algérie, comme exemple parmi d’autres, sont nés dans ce sillage.

Cette sortie de guerre laisse la place à une autre crise qui ouvre la voie à une autre guerre : 39-45. À la veille de cette nouvelle guerre, l’homme politique et révolutionnaire russe L. Trotsky, acteur principal et compagnon de Lénine dans la stratégie d’octobre 1917, appelle, de son exil mexicain, les travailleurs du monde entier à tracer leur voie. Il comptait sur une nécessaire révolution politique anti bureaucratique en URSS, une révolution sociale dans le monde capitaliste et une révolution démocratique et nationale dans le monde colonisé. S’il avait eu raison dans ses pronostics sur l’imminence de la guerre, il s’est trompé sur les possibles révolutions souhaitées. C’est Staline qui gagne dans le front est. Ce sont les Américains qui consolident leur hégémonie sur le front ouest. Mais les peuples colonisés continuent leurs luttes pour l’indépendance. Les Algériens commençaient à prendre conscience de la nécessité de prendre les armes et en finir avec l’oppression qu’ils subissaient.

L’histoire ne se répète pas, mais il y a des analogies à faire pour comprendre la crise et la dynamique en cours. Les contradictions du capitalisme d’aujourd’hui sous hégémonie américaine et européenne, l’émergence en puissance du capitalisme chinois, mais aussi indien, russe, brésilien et à des degrés moindres, des sous-capitalismes turc, d’Afrique du Sud et pourquoi pas d’Iran, demandent à réorganiser cet univers. L’accès aux marchés, à une main d’œuvre corvéable, à l’énergie, à l’eau et aux terres rares, etc. restent en dernière instance l’enjeux de cette grande guerre qui s’annonce. La présence d’Israël dans cet engrenage n’a rien à voir avec Moïse, la « terre promise » ou l’Ancien Testament. Il est le porte-voix, ou le poste avancé des États-Unis, initialement placé dans cette zone géographique stratégique par les Britanniques. C’est, selon notre langage algérien, « Mesmar Jeha » (Le clou de Jaha) du capitalisme américain et européen.

L’analogie avec les deux guerres ? c’est qu’une troisième voie est possible et nécessaire

Dans cette logique de guerre mondiale larvée, il y a combinaison des deux enjeux à l’origine des deux guerres citées : une crise structurelle du capitalisme et son corollaire la montée de l’extrême droite avec sa dimension fasciste ou fascisante. En effet, l’influence de l’extrême droite en Europe, aux États-Unis, en Amérique latine, etc. ne cesse d’augmenter. C’est une tendance mondiale qui se manifeste différemment dans les différents contextes nationaux. Le danger est réel. En Russie, cela s’est déjà produit. Aux États-Unis, ce processus est en cours. En Europe occidentale, l’extrême droite monte avec ses succès électoraux, même si la transformation du pouvoir politique n’a pas encore eu lieu. L’absence d’un mouvement ouvrier fort, comme ce fut le cas dans les années 30, n’exclue pas le recours des classes dominantes à cette logique fascisante et barbare pour régler leurs contradictions.

Dans les pays dominés, au-delà de la légitimité de leur réaction qui relève de la légitime défense comme c’est le cas actuellement en Iran, l’absence d’équivalents aux mouvements indépendantistes pour contrecarrer la domination subie et la barbarie montante laisse la place à des forces rétrogrades voire obscurantistes pour mener les combats avec une structuration antidémocratique et autoritaire de la société. C’est une autre forme d’extrême droite qui, à terme, peut reproduire la même logique de fascisation.

Mais, il ne s’agit pas dans ce combat de mettre dos à dos les agresseurs et les agressés. À partir de ces enjeux stratégiques globaux et historiques, il y a des attitudes tactiques et transitoires à avoir. Aujourd’hui, il est évident de soutenir L’Iran. Quel que soit ce que nous pouvons penser de son régime – il appartient aux Iraniens et Iraniennes de décider pour leur avenir – il faut défendre et soutenir la souveraineté iranienne devant les agressions d’Israël et des Etats-Unis.

Au niveau de l’immédiateté des événements, la cause qui a rendu cette guerre inévitable est l’attaque d’Israël contre l’Iran ; attaque saluée par le président américain et les européens remerciant même Netanyahou de « faire le sale boulot ». Mais, il existe dans cette attaque une dimension personnelle de Netanyahou, une volonté de s’engager dans une guerre sans fin afin de sauver sa peau politiquement et juridiquement. Il ne vise pas à faire émerger un Proche-Orient démocratique comme le présente le fallacieux discours médiatique de la droite conservatrice, mais à semer le chaos pour empêcher l’émergence de tout État ou force structurée susceptible de résister dans l’environnement d’Israël.

Le prétexte invoqué pour cette attaque est de contrer une menace nucléaire iranienne. Or, Israël est lui-même un pays qui poursuit un programme nucléaire militaire secret et il est actuellement en train de promouvoir le plus grand massacre de masse du siècle. Il devrait donc être le dernier pays à pouvoir se prononcer sur les programmes nucléaires d’autres pays, et encore moins à utiliser cela comme prétexte pour mener des actions militaires contre eux. Au nom donc de quel principe on interdit à l’Iran, ou à n’importe quel autre pays, le droit de s’équiper du nucléaire et on se l’autorise à soi ? De toute évidence, tant que les armes nucléaires existent, la tentation de les utiliser subsiste, créant ainsi une menace réelle pour les habitants de toute la région. L’idéal est que toute la région soit exempte d’armes nucléaires. Mais l’histoire a prouvé qu’un équilibre de la terreur nucléaire peut également garantir que personne n’utilise ces armes.

Un choc à valeur symbolique, pas encore une guerre totale !

Maintenant que le Rubicon est franchi, il n’y a aucun retour en arrière. Une nouvelle période historique est engagée. Le rapport de force régional et mondial est désormais entré dans une nouvelle reconfiguration.

L’usage d’une de bombes contre les installations nucléaires iraniennes enterrées semble s’inscrire plus dans une logique d’effets spectaculaires et d’intimidation. Ces tonnages de projectiles, capables de détruire n’importe quel obstacle, ramènent le conflit à une militarisation obscène. Mais ces frappes ne suffisent pas à neutraliser d’un coup un système structuré depuis longtemps pour résister à ce genre d’agression. Ça ressemble plus un scénario à la « Tom Cruz » amplifiées par les médias et reliées par les réseaux sociaux. Elles ciblent l’opinion publique au niveau politique et psychologique.

Ce qui est recherché ici, c’est l’affirmation avec brutalité qu’aucune protection n’est possible, qu’aucun pays n’est à l’abri et hors d’atteinte. La surenchère militaire l’emporte sur toute considération de légitimité et de droit international. La sidération remplace la raison. La démonstration de force devient l’ultime objectif. La cible réelle n’est pas uniquement l’Iran, c’est l’opinion et l’imaginaire collectif régional et mondial. Ce qu’il faut briser ce n’est pas seulement la roche, c’est la conscience des peuples par l’idée que les bombes peuvent tomber sur nos têtes à tout moment, sans argument de légitimité, sans avertissement et sans retenue.

L’Algérie sera-t-elle la prochaine « cible » ?

Après l’Iran, le tour de l’Algérie ! C’est le même questionnement que nous avons entendu après la chute du régime syrien ou encore après Kadhafi en Lybie. C’est un discours qui est soutenu dans certains médias internationaux, repris sur les réseaux sociaux par des Algériens adeptes des théories du complot. Derrière ce discours s’expriment, sans se cacher, des forces internationales et régionales cherchant à régler de vieux comptes avec le régime algérien ou tout simplement avec l’Algérie comme État-nation souverain.

Les comparaisons entre le régime algérien et les régimes iranien et syrien empruntent des raccourcis peu explicatif, tels que le rôle de l’armée au sein des institutions étatiques, au niveau interne ou encore l’isolement du régime et les mauvaises relations en cours avec la France, le Maroc et les pays du Sahel, au niveau externe.

Bien sûr, si cette guerre mondiale larvée se prolonge et s’internationalise dans un avenir proche, la région du sahel peut en effet s’embraser et entrainerait avec elle non pas l’Algérie à elle seule, mais tous les pays de la région.  Mais à l’état actuel des tensions diplomatiques, l’Algérie est plutôt dans un rôle stratégique pour l’équilibre de la région notamment du point de vue des intérêts du capitalisme européen, particulièrement français, que ça soit sur plan énergétique, militaire ou économique.

Dans ses rapports avec l’extérieur, c’est surtout la prudence qui prévaut. Les derniers communiqués du ministère des Affaires étrangères expriment « sa profonde préoccupation et son profond regret face aux développements dangereux observés dans l’agression israélienne contre la République islamique d’Iran » ; de même pour les bombes lancées par l’Iran sur le territoire du « frère qatari ». Cette position entre deux chaises caractérise toutes les hésitations et les ambiguïtés du régime algérien. Il laisse orpheline la population désarmée politiquement et idéologiquement, mais surtout totalement neutralisée.

Au niveau interne, il y a aussi de fortes différences entre la société algérienne et la société iranienne ou syrienne. Tabler sur une hétérogénéité sociale et identitaire entre les Algériens qui enclencherait un chaos, c’est méconnaitre l’histoire de la société.  Il y a une certaine homogénéité sociale et culturelle dans la société algérienne qui s’exprime comme une tendance lourde. Homogénéité qui s’est établie depuis le mouvement national et après l’indépendance.

Il n’y a pas en Algérie, sur le plan ethnico-racial et religieux, une crise ou une diversité identitaire comparativement à la grande diversité que connaît le tissu social et politique en Iran et en Syrie, qui pourrait être le levier d’une dissension. Les différentes révoltes que l’Algérie a connu depuis l’indépendance ont montré leur caractère politiques. En octobre 88, en 2001 et lors de la dernière grande révolte du « Hirak », c’est le bloc social autour de la bureaucratie militaire qui est la cible.   L’institution militaire qui détient les leviers du pouvoir en Algérie est vécue comme une caste de privilégiés mais qui reste ouverte aux enfants du peuple sans distinction régionale. Elle reste attractive par cette ouverture et la possible ascension sociale qu’elle offre aux jeunes diplômés et aux nouvelles générations. Les luttes de factions qui restent présentes dans cette entité militaire sont surtout l’expression d’un embourgeoisement inéluctable d’une partie de sa hiérarchie. D’où les crises récurrentes.

Sur le plan politique, les enjeux sécuritaires mondiaux et régionaux qui s’amplifient placent cette armée comme seule garante de la stabilité et de la défense de la nation. Lors du dernier Hirak, l’une des dissensions du mouvement était d’ailleurs ce slogan du FLN de 1956 « pouvoir civil contre le pouvoir militaire », vécu par les réformistes comme une volonté de détruire l’État !!!

Enfin, l’absence d’une opposition politique alternative au régime actuel, incite plutôt la société à la prudence, à la démission politique voire à la résignation. Cette guerre mondiale larvée à nos portes replace et renforce encore plus la centralité de l’armée dans le pouvoir algérien.

 Le 27 juin 2025