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Lutte contre les licenciements à SEAT

par Diosdado Toledano
Entretien avec Diosdado Toledano. Entretien avec Diosdado Toledano par Miguel Riera qui a été publié par la revue Viejo Topo de février 2006. Traduit de l'espagnol par Ataulfo Riera pour La Gauche, organe du Parti ouvrier socialiste (POS-SAP, section belge de la IVe Internationale)Au mois de décembre dernier, la direction de SEAT Barcelone, appartenant au Groupe VW, a décidé de licencier avec l'accord des deux principaux syndicats quelque 660 travailleuses et travailleurs. Ces derniers se sont aussitôt organisés en Assemblée et se mobilisent activement pour exiger leur réintégration. Notre camarade Diosdado Toledano, membre de Revolta Global (section catalane de la IVe Internationale), fait partie de ces licenciés. Il a travaillé et milité syndicalement dans cette entreprise pendant près de 30 ans et joue un rôle très actif dans l'Assemblée des licenciés. Dans une interview à la revue " Viejo Topo », il livre son analyse sur le conflit en cours.

Viejo Topo : Existe-t-il une justification quelconque à ces 660 licenciements ?

Diosdado Toledano : Ces licenciements n'ont aucune justification. Les prétextes avancés par la direction ont été unanimement contestés et rejetés par les trois syndicats présents dans le Comité Intercentres (1) ; UGT, CCOO et CGT (2). En ce qui concerne les arguments économiques, on peut constater que de 1996 à 2004, l'entreprise a accumulé des bénéfices officiels qui, exprimés en pesetas, sont de l'ordre de 188 milliards. Mais la comptabilité réelle est tout autre car la direction a d'autres sources de bénéfices qui ne se reflètent pas dans la comptabilité officielle de l'entreprise.

 

Quelles autres sources ?

Diosdado Toledano : Une des plus connues est celle obtenue par l'achats de pièces détachées SEAT en Allemagne. Les entreprises qui fournissent ces pièces font partie ou sont contrôlées par le Groupe Volkswagen, ce qui fait que les prix d'achat ne sont pas dictés par la logique du marché mais par ce qui convient à la maison mère. C'est une manière de transférer des bénéfices d'une entreprise à l'autre. Il existe une autre manière qui est le paiement de " royalties » pour l'utilisation de technologies VW. Selon des sources syndicales reprises dans un article d'El Pais, rien qu'en 2004 les transferts via cette méthode se sont élevés à 442 millions d'euros.

 

Viejo Topo : La direction affirme pourtant que les ventes auraient diminué

Diosdado Toledano : C'est exact, et les programmes de production également. Mais il faut avoir de la rigueur ; une grande partie de la réduction du volume de production et des ventes obéit à des décisions stratégiques adoptées par la direction de VW. Elle a par exemple décidé d'abandonner la production de petits véhicules (du type Panda) qui selon elle ne donnaient pas assez de marges de bénéfices (bien qu'ils génèrent de l'emploi et saturaient la production) pour les substituer par des véhicules de gamme moyenne et haute qui ont une valeur ajoutée et donc des marges de profits plus élevés. Si en l'an 2000 on a produit quelque 519 000 véhicules et qu'en 2005 on est proche des 400 000, on peut certainement en déduire que la production a chuté de 20 %. Mais il y a une autre lecture si l'on intègre la marge des bénéfices réalisés grâce aux nouveaux modèles, et cette marge a connu une croissance de 20 % par rapport aux anciens modèles…

 

Viejo Topo : Tous les syndicats, à l'exception de la CGT, ont finalement signé l'accord sur les licenciements. Mais quel a été le rôle de la Generalitat (3) dans ce processus ?

Diosdado Toledano : La Generalitat et le Ministère de l'Industrie [de l'État espagnol] ont accordé des aides importantes à SEAT, que l'on estime à 147 millions d'euros rien qu'entre 2003 et 2004, des subsides divers pour la Recherche et le Développement, la formation, etc. Si nous prenons en compte les aides octroyées depuis 1993, ce sont des sommes astronomiques mais les diverses administrations se refusent à les dévoiler, certainement afin d'éviter des questions dérangeantes du genre " Que fait donc l'administration publique pour obliger la direction de SEAT et VW à respecter ses engagements de production, d'investissement et d'emploi ? ». Malgré la position de force qu'auraient pu adopter les autorités, dans la pratique, elle se sont mises à genoux devant la direction.

 

Une chose est sûre : la coalition ICV-EUia (4), dont la présence dans le gouvernement tripartite est décisive, n'a pas utilisé tout son pouvoir de persuasion en défense des travailleurs et pour obliger à rejeter l'autorisation des licenciements présentée par la direction de SEAT. Par exemple en ouvrant une crise gouvernementale. Dans l'évaluation publique que ces partis ont donnée après la signature de l'accord, il n'y aucune condamnation explicite. D'autre part, lorsque la demande de SEAT a été faite, les syndicats avaient répondu avec une Plate-forme unitaire qui rassemblait tous les syndicats : UGT, CCOO et CGT. Mais l'UGT et le CCOO ont brisé ce front commun en quittant la plate-forme pour aller négocier les licenciements forcés. Dans le communiqué diffusé à ce moment là par l'UGT et la CCOO afin d'excuser leur changement d'attitude, ils reprochent aux autorités, c'est-à-dire au gouvernement tripartite, de ne pas avoir soutenu la position des travailleurs. Dans un tract des CCOO d'évaluation de l'accord, on accuse le Gouvernement de la Generalitat et les groupes parlementaires de lâcheté et de complicité avec la multinationale…

 

Viejo Topo : Mais alors, penses-tu que les syndicats ont signé l'accord par conviction que c'était la meilleure chose à faire ou parce qu'ils ont été forcés de l'avaler ?

Diosdado Toledano : Les syndicats qui ont signé l'accord sont les mêmes que ceux qui ont dit que le Groupe VW n'avait aucune raison objective de forcer un accord de cette sorte. De toute façon, le Groupe voulait faire une sorte de cas d'école, d'exemple devant servir aux relations sociales internes au Groupe lui-même…

 

Viejo Topo : Une sorte d'avertissement ?

Diosdado Toledano : Oui. La multinationale VW lance un message à usage interne. Elle frappe dans les " colonies » et prépare ainsi la justification pour lancer à l'avenir une grande offensive contre les salariés et la stabilité de l'emploi dans ses entreprises en Allemagne (5). Pour en revenir à l'évaluation de l'accord, CCOO et UGT le font de manière positive.

 

Viejo Topo : Il serait tout de même choquant de faire un bilan négatif de l'accord après l'avoir signé… D'où ma question de savoir s'ils ont signé à contre-cœur ?

Diosdado Toledano : Les syndicats signataires, UGT et CCOO évaluent positivement l'accord, mais la terrible réalité de ce qu'ils ont fait transparaît dans la manière, dans les reproches et le ton amer de cette même évaluation. S'il s'agissait d'un accord réellement positif, ils diraient plutôt ; " Regardez comme c'est bien, les travailleurs ont lutté, les autorités ont soutenu nos positions et nous avons obtenu un accord magnifique ». Mais ils ne peuvent dire cela. Ils avancent comme prétexte et excuse que " si nous n'étions pas parvenus à un accord, les autorités auraient émis une résolution avalisant encore plus de licenciements et dans des conditions pires ». Mais cette justification est indémontrable. A mon avis, puisque le gouvernement tripartite est une coalition, avec des contradictions potentielles et des faiblesses manifestes, il était improbable que les autorités auraient avalisé la suppression de 1 346 emplois, du moins dans les termes exigés au départ par la direction de SEAT. On peut facilement s'imaginer ce qui se serait passé si la Generalitat avait autorisé le licenciement de 1 346 travailleurs avec l'opposition frontale des deux grands syndicats. Le gouvernement tripartite n'aurait pas tenu une semaine face à un conflit social de cette envergure, il aurait éclaté.

 

Viejo Topo : Lorsque la signature de l'accord a été rendue publique, quelles ont été les premières réactions ?

Diosdado Toledano : Les travailleurs de l'entreprise ont répondu à l'unisson aux appels de mobilisations unitaires. Ils ont réagi comme il se doit face au fait que les deux principaux syndicats majoritaires de SEAT, UGT et CCOO, ont signé un accord qui rompt avec les engagements de la Plate-forme unitaire et acceptent pour la première fois dans l'histoire de SEAT le licenciement de travailleurs ayant des contrats fixes, indéterminés. Le sentiment d'impuissance s'était converti en rage et en indignation lorsque, à la veille des vacances de fin d'année, la direction avait distribué les lettres de licenciement. En dépit du climat de terreur, le souvenir encore frais des 46 travailleurs licenciés avant l'été, ceux de l'atelier numéro 8, malgré les menaces du personnel de l'encadrement, les travailleurs de toutes les équipes de pause ont paralysé la production le 23 décembre. Ce fut non seulement une grève de solidarité avec les licenciés, mais également un acte de rejet de l'accord et une exigence de démission des signataires. Quelle meilleure évaluation de l'accord auraient pu faire les travailleurs que cette grève ?

 

Nous avons eu ensuite plusieurs évaluations négatives de l'accord ; celles de la CGT, de Revolta Global, d'Augustin Moreno, représentant connu du secteur critique de CCOOO, qui a qualifié de nul et non avenu un accord de cette nature. Il y a également celles de Carlos Vallejo, membre d'Iniciative Per Catalunya et de CCOO pour lequel il est détaché auprès de la Confédération européenne des syndicats (CES) ainsi que celles du PSUC (6) et du PCE (7).

 

Viejo Topo : Quels ont été les critères employés pour la sélection des travailleurs licenciés ?

Diosdado Toledano : Les critères présentés par l'entreprise dans son Mémoire explicatif n'étaient pas crédibles. Les syndicats sont ensuite entrés en négociation pour la confection de la liste avec le prétexte d'éviter que la direction ne mette à la porte que des gens critiques, combatifs, des militants syndicaux. Dans mon cas, je leur ai publiquement déclaré que s'ils voulaient sauver quelques travailleurs en dépit d'autres, alors ils n'avaient pas à me favoriser, ils devaient me placer en tête de la liste parce que participer à la logique de la sélection des licenciés signifie tout bonnement détruire l'esprit du syndicalisme de classe, qui a comme principe la défense des intérêts de l'ensemble des salarié/es, sans exclusive ni discrimination.

 

Viejo Topo : Mais la liste a finalement été négociée…

Diosdado Toledano : Évidemment, si tu sauves un ami, tes proches, tes camarades de parti ou de syndicat, qui que ce soit, quelqu'un doit être choisi à la place de ceux que tu sauves. Ainsi, tu scelles le sort d'autres collègues. Cela a donné un résultat véritablement barbare, comme par exemple le fait que les femmes sont clairement discriminées dans cette liste. Alors que dans l'entreprise elles représentent 14 % des effectifs, elles sont 20,21 % dans la liste. Quant aux syndiqués, tandis que la CGT représente 7 % des affiliés, dans la liste ils sont 23 %. C'est une disproportion tellement évidente qu'elle démontre qu'il y a eu discrimination syndicale à l'encontre de la CGT. Ils ont également inclus dans la liste des collègues femmes en congé de maternité, des handicapés et des camarades malades, avec des maladies graves, des couples entiers, des travailleurs âgés de plus de 50 ans dont la reconversion sera très difficile. Sous la pression de la mobilisation, la direction a finalement accepté de réintégrer les collègues femmes en congé de maternité.

 

Viejo Topo : Licencier une personne qui est en congé est-ce légal ?

Diosdado Toledano : C'est un motif de plainte en annulation. Nous sommes sans aucun doute face à un accord politique entre l'entreprise et les syndicats, avec la bénédiction des autorités publiques. Mais dans notre système légal, tout accord doit respecter les lois et les normes en vigueur. C'est pour cela que, à côté de notre recours contre la Résolution de la Generalitat, nous avons également déposé plainte à la Magistrature Sociale pour atteinte aux droits fondamentaux des travailleuses et des travailleurs. Car c'est une liste qui reflète la profonde inhumanité du néolibéralisme, d'une direction qui utilise des méthodes de " nettoyage » employées par des régimes dictatoriaux.

 

Viejo Topo : Vous vous êtes mobilisés en tant que licenciés et organisés au sein d'une Assemblée. Comment cette lutte est-elle perçue par les collègues restés à SEAT ? Quelle solidarité attendez-vous d'eux ?

Diosdado Toledano : Il est encore trop tôt pour avoir une idée plus précise de comment va être le processus de mobilisation pour la réintégration de tous les licenciés. Nous sommes à la mi-janvier et nous avons seulement réalisé deux assemblées. Mais il existe une conviction forte et très généralisée, reposant sur d'autres expériences de lutte contre des licenciements, que pour parvenir à la réintégration il est nécessaire de garantir une triple solidarité : interne à celle des licenciés eux-mêmes, entre ces derniers et l'ensemble des travailleurs des entreprises SEAT et entre tous ceux-là et l'ensemble de la classe salariée de Catalogne.

 

Le rôle joué par l'Assemblée des Licenciés est fondamental, la condition même de licencié permet de dépasser les frontières de l'affiliation syndicale, de renforcer l'unité interne, et d'être un exemple qui favorise la riposte unitaire de tous les autres, dans une lutte qui ne se terminera pas en un mois ni en trois mois. Il faut rechercher l'unité la plus large de l'ensemble des travailleurs en soutien à cette lutte.

 

Viejo Topo : Dans quelle mesure la signature de cet accord peut-elle se répercuter à l'ensemble du secteur industriel ?

Diosdado Toledano : Si nous n'évitons pas cela, ce genre d'accord pourrait devenir une référence dans les relations sociales de ce pays. Les déclarations de Fidalgo (secrétaire général de CCOO) sont très claires à ce sujet. En plus d'affirmer que l'accord était une solution " temporaire et positive » à la crise de SEAT, il a déclaré que du fait des conditions de compétitivité dans le secteur, plusieurs entreprises automobiles sont dans des situations similaires à celle de SEAT et qu'il fallait donc y appliquer des solution identiques. Fidalgo ouvre donc la porte à l'extension d'accord de type SEAT à d'autres entreprises. Et cela se déroule au moment même où l'on négocie une réforme du marché du travail, où le patronat et le gouvernement veulent " assouplir » les conditions de licenciements collectifs dans les grandes entreprises et réduire les indemnisations de licenciements. L'accord signé à SEAT est donc un ballon d'essai, un missile lancé contre les syndicats qui s'opposent à ces plans.

 

Enfin, l'accord signé à SEAT affecte un bastion du mouvement ouvrier des grandes entreprises, ce qui affaiblit encore plus la défense des conditions de travail pour les salariés dans les secteurs moins protégés et plus précarisés, dans les petites et moyennes entreprises.

 

Viejo Topo : Mais cette crise dont parle Fidalgo, est-elle réelle ? Tu expliquais tout à l'heure que la direction avait amassé d'importants bénéfices.

Diosdado Toledano : On ne peut pas parler de crise, et si on le fait, alors il faut parler de crise provoquée. Lorsque la direction du Groupe VW a commencé à dire qu'il y avait des problèmes dans ce Groupe, qu'il fallait réduire les coûts, ils étaient en pleine discussion sur les objectifs de production et leur répartition dans l'ensemble de leur usines pour les années à venir. A ce moment-là, la crainte que nous avions était " vont-ils délocaliser la production en appliquant le critère de rentabilité, c'est à dire produire là où mes coûts de production sont les plus bas et réduire ou éliminer la production là où ils sont plus élevés ? ». Avec cette logique, il aurait fallu démanteler la moitié de la production en Allemagne et la délocaliser vers d'autres entreprises du Groupe, ce qui se serait fait en faveur SEAT où les coûts globaux sont moitié moindre qu'en Allemagne… Mais, curieusement, les projets initiaux de VW de transférer des productions en Tchéquie, au Portugal et y compris en faveur de SEAT, sont abandonnés et à la place c'est l'offensive brutale de la direction du Groupe contre l'emploi à SEAT.

 

Il est facile d'en déduire qu'à travers la manipulation productive et commerciale, la direction du Groupe VW a transféré ses problèmes à SEAT, en recherchant un résultat bien déterminé. C'est pour cela que la " crise » de SEAT est, fondamentalement, une crise provoquée par la direction elle-même du Groupe VW. Il est vrai que la conjoncture économique frappe négativement le secteur automobile, mais cela n'explique en soi pas seulement les problèmes de SEAT.

 

Ce qui est important aujourd'hui, c'est de poursuivre la lutte. Avec mes camarades de l'Assemblée des Licencié/es, avec la solidarité des travailleurs de SEAT et des salarié/es solidaires de toute la Catalogne et d'Espagne, nous arracherons la réintégration de tous et toutes.

 

 

 

traducteur
Ataulfo Riera

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