
Le leader d’Anticapitalistas estime que le montage policier qui a cherché à l’impliquer dans la vente présumée de 40 kilos de cocaïne en 2016 visait à attaquer Podemos au moment clé de « la politique de changement » et annonce, dans une interview à elDiario.es, sa volonté d’engager une action en justice.
Miguel Urbán (né à Madrid en 1980) est un militant chevronné de la gauche antisystème. Ayant fait ses armes au sein du mouvement Okupa, membre historique d’Anticapitalistas, il voit ces jours-ci son nom faire de nouveau la une des journaux, ce à quoi il n’était plus habitué depuis la rupture de son parti avec Podemos en 2020, en raison de leur désaccord quant à la participation au gouvernement.
elDiario.es a révélé le 16 mai les détails d’une enquête secrète 1menée contre lui en 2016 par le parquet antidrogue, commanditée par de hauts dirigeants de la police et tentant de l’impliquer dans une opération de trafic de cocaïne au Venezuela destinée à financer illégalement Podemos, montée de toutes pièces. M. Urbán a accordé cette interview depuis São Paulo, où il s’est rendu pour présenter son livre Trumpismes. Néolibéraux et autoritaires.
Pourquoi vous, et quel était l’objectif de vous impliquer dans le trafic de drogue et le financement de Podemos ?
Je ne pense pas qu’on s’intéressait particulièrement à moi. Tout comme je ne pense pas qu’il y avait un intérêt particulier pour Iglesias, en tant que personne. Ce qu’ils voulaient, c’était détruire un collectif et détruire des idées. J’étais peut-être l’une des figures les plus reconnues d’Anticapitalistas et l’une des figures publiques les plus connues de Podemos. Mais enquêter sur moi était un prétexte pour enquêter sur Anticapitalistas et Podemos dans leur ensemble. Je pense qu’il est absurde de considérer que l’enquête me concernant était un prétexte pour enquêter sur Pablo [Iglesias] parce qu’il y avait déjà d’autres affaires le mettant en cause.
Pourquoi au premier semestre 2016 ?
C’est un moment clé pour la « politique du changement » [le renouvellement politique marqué par l’arrivée de nouveaux acteurs, comme Podemos à gauche et Ciudadanos à droite]. Je pense qu’ils ont eu peur lors des élections européennes, mais ils ont eu encore plus peur quand nous avons gagné à Madrid, à Barcelone, à Saragosse, à Cadix, à Valence, à Saint-Jacques-de-Compostelle, à Oviedo et à La Corogne. Là, il y en a qui se sont dit : « Ça peut devenir sérieux ». C’est là, je pense, qu’ils déclenchent cette opération folle. Elle coïncide avec les deux élections générales, celles de décembre 2015 et de juin 2016, où nous aurions pu dépasser le Parti socialiste. D’ailleurs, d’autres complots se construisent au cours de ces mois-là, comme le prétendu compte de Pablo Iglesias aux îles Grenadines ou le prétendu rapport PISA [affirmant que Podemos avait bénéficié de financements illégaux en provenance d’Iran et du Venezuela]. Ce sont des mois d’activité frénétique des bas-fonds de l’appareil d’État, liés aussi aux médias et au pouvoir économique pour essayer de nous empêcher à tout prix d’être la première force électorale du pays. C’était ça l’élément clé.
Qu’est-ce que cela fait de savoir qu’on a été la cible d’une enquête secrète tant d’années plus tard ?
Au début, j’étais très inquiet. La première chose que j’ai sue, c’est qu’on m’impliquait dans un trafic de drogue et que c’était pour cela que les comptes de Pablo Iglesias, entre autres, avaient été saisis. Je me suis demandé ce qu’ils avaient bien pu inventer. Lorsque l’on a pu avoir plus de détails sur l’affaire, on en a vu les aspects grossiers, comiques, voire surréalistes… La tension est redescendue un peu. Mais le plus angoissant, c’est ce que l’on ignore, pas ce que l’on sait.
C’était aussi une période très difficile pour moi sur le plan personnel. Ma mère était en train de mourir. Elle est décédée deux semaines après que j’ai eu les premières informations à ce sujet. Je traversais une période difficile depuis plusieurs semaines et tout se mélangeait. Je me sentais fragile. On se dit : « ces gens auraient pu foutre ma vie en l’air ». Et puis il y a l’impunité dont ils bénéficient : les auteurs ne sont pas n’importe qui. Dans l’appareil de sécurité de l’État, il y a beaucoup de fascistes, mais là il ne s’agissait pas du bas de l’échelle, c’étaient les chefs, avec tout ce que cela implique.
Ils cherchent à te fragiliser, que tu ne tentes plus rien, que tu sois paralysé, que tout ce que tu souhaites, c’est que cela passe. Cela génère des sentiments contradictoires. D’un côté, on se dit : « C’est arrivé il y a dix ans. Laissons tomber. Je ne veux pas remuer le couteau dans la plaie ». Parce qu’en fin de compte, cela fait mal. Mais on ne peut pas laisser tomber. Il faut en parler, il faut appuyer là où ça fait mal : nous avons un problème de démocratie dans notre pays. Ce n’est pas un groupe qui proposait de prendre le pouvoir de force qui a été attaqué. Podemos était un parti qui se présentait aux élections. Alors on se demande jusqu’où ils sont capables d’aller, jusqu’où ils auraient été capables d’aller.

Allez-vous engager une action en justice ?
Il faut qu’on évalue cela avec les camarades d’Anticapitalistas. J’ai discuté avec Iglesias de contacter les avocats de Podemos, impliqués dans l’affaire de l’Audiencia Nacional [sur l’espionnage de Podemos pendant le gouvernement du PP], pour voir si nous pouvions y être inclus. Mais cela doit être décidé collectivement par Anticapitalistas. La politique est un plaisir collectif. Je défendrai l’idée d’une action. On ne peut pas laisser passer ça.
Une telle situation peut-elle se reproduire ?
Évidemment. Les six de Saragosse [arrêtés dans le cadre d’une manifestation antifasciste en 2019] sont en prison depuis un an. Ces jeunes n’ont rien fait. Ils sont innocents et ils se mangent de la tôle. Quand on voit que la police a infiltré quelqu’un dans les mouvements sociaux de Madrid pendant 20 ans ; quand on voit qu’il y a des infiltrés dans les organisations écologistes, dans les mouvements de quartier, contre l’abattage d’arbres, dans des collectifs comme Distrito 14, des collectifs de quartier… Ce n’est pas que cela pourrait arriver, cela arrive.
Le problème des bas-fonds, comme de l’État, de l’appareil d’État… les failles démocratiques sont toujours là, les failles du régime de 1978 et les failles de notre démocratie libérale, dont on nous dit qu’elle est parfaite. Et ce n’est pas le cas. Toutes les idées ne sont pas autorisées. Pas le droit de protester, pas le droit à la dissidence. Nous avons des camarades de la CNT de Las Seis de la Suiza [des syndicalistes mobilisé·es contre le harcèlement subi par une travailleuse de cette pâtisserie] qui vont probablement aller en prison pour leur activité syndicale. C’est une véritable honte.
Il est naïf de penser que cela ne peut pas arriver, car c’est déjà là, c’est ce qui est grave, et c’est pourquoi je ne veux pas laisser passer. Ce n’était pas contre moi, mais contre des idées. Et cela continuera si nous ne faisons rien.
Le 20 mai 2025
Article traduit par Lauriane Misandro.
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« El invento bajo secreto de la Policía contra Podemos: Miguel Urbán y 40 kilos de coca en el pub Nueva Visión de Malasaña », Pedro Águeda.