
700 000 personnes ont signé le document qui a poussé le gouvernement espagnol à présenter une proposition. Les modalités précises qui permettront d’assurer son adoption sont encore en cours de négociation.
Le gouvernement espagnol négocie avec ses partenaires un processus de régularisation extraordinaire pour les immigrant·es. Les tenants et aboutissants de ce processus ont été révélés par El País, qui rapporte que la secrétaire d’État aux Migrations, Pilar Cancela, a rencontré mercredi différents groupes parlementaires pour leur présenter les grandes lignes de la proposition.
Selon cette source, la question à l’ordre du jour est de régulariser les immigré·es qui peuvent prouver qu’ils sont dans le pays depuis au moins un an, qui retirent leur demande s’ils sont demandeurs d’asile, qui n’ont pas de casier judiciaire, qui ne font pas l’objet d’une mesure d’expulsion et qui ne représentent pas un risque pour la sécurité nationale. Ils se verront attribuer un permis de séjour et de travail d’un an sans obligation de contrat préalable, à condition qu’ils puissent ensuite se mettre en conformité avec les règles de régularisation ordinaires en vigueur. Cela contraste, par exemple, avec la procedure de régularisation de 2005, lancée par José Luis Rodríguez Zapatero, qui exigeait dès le départ un contrat de travail.
Toutefois, toutes ces conditions devront encore être négociées afin d’obtenir une majorité parlementaire suffisante pour être approuvées. Le problème sera la position des Catalans de Junts et des Basques du PNV. Les premiers veulent en échange au moins la mise en œuvre de la délégation de compétence en matière d’immigration. Et les seconds ont jusqu’à présent défendu une régularisation subordonnée à l’existence de contrats de travail, conformément à la position du patronat basque.
La droite dans l’opposition, le Parti populaire, avait elle aussi déjà préconisé une procédure de régularisation des immigré.e.s, mais elle souhaite également la subordonner à l’existence de contrats de travail et raccourcir le délai proposé par le gouvernement. Selon El País, en dépit de ses déclarations défavorables, « le gouvernement compte sur une abstention sous la pression de l’Église et, surtout, des chefs d’entreprise (représentés par la Confédération espagnole des organisations patronales), principaux intéressés par la régularisation de travailleurs potentiels ».
Une nouvelle réglementation sur les étrangers est entrée en vigueur mardi
Cette mise en avant de la proposition de régularisation extraordinaire est considérée comme un contrepoids à l’entrée en vigueur, mardi, de la nouvelle réglementation sur les étrangers qui, selon le même journal, place « des milliers de travailleurs au bord de l’illégalité ».
Ce règlement réduit la durée nécessaire pour obtenir un permis de séjour de trois à deux ans, rendant celui-ci valable dans un premier temps pour un an, puis renouvelable pour quatre ans supplémentaires. Il instaure une « deuxième chance » pour les personnes qui ont déjà obtenu un permis de séjour mais l’ont perdu pour une raison quelconque, comme la perte de leur emploi, et ouvre de nouvelles possibilités de regroupement familial pour les proches de ressortissants espagnols.
D’autre part, les demandeurs d’asile qui souhaitent accéder à la régularisation par cette voie devront renoncer à leur demande d’asile ou avoir reçu une réponse négative, se retrouvant ainsi en situation irrégulière. Ils devront se trouver dans cette situation pendant les six mois précédant immédiatement la demande de régularisation et ne pourront recourir à cette option de légalisation que dans les 12 mois suivant l’entrée en vigueur du texte. Selon les experts, cela pourrait automatiquement mettre des milliers de personnes en situation irrégulière et affaiblir le statut de l’asile.
Sont également critiquées les restrictions du regroupement familial des ascendant.e.s (parents et beaux-parents) qui viennent d’entrer en vigueur. Ces personnes, si elles ont entre 65 et 80 ans, devront prouver qu’elles sont financièrement dépendantes du citoyen espagnol.
Les étudiant·e·s étranger·e·s pourront également travailler à temps partiel, jusqu’à 30 heures par semaine. Mais les emplois dans la recherche leurs sont interdits. Les mineur·e·s perdent également le droit d’obtenir un permis de séjour pour étudier.
Les aspects négatifs de la réglementation ont conduit les organisations Association pour les droits de l’homme en Espagne, la Coordination des quartiers et le réseau Extranjeristas en Red, une association d’avocats spécialisés dans le droit de l’immigration, à porter l’affaire devant la Cour suprême.
Elles souhaitent obtenir l’annulation des modifications concernant les demandeurs d’asile, la partie relative aux mineurs, et contestent la discrimination à l’égard des parents étrangers de ressortissants espagnols qui sont ressortissants de pays tiers.
Une deuxième procédure devant la même instance a été engagée par d’autres organisations, Andalucía Acoge, Cáritas, CEAR, Red Acoge et Servicio Jea, qui mettent l’accent sur l’incompatibilité entre la procédure de protection internationale et ce qui est désormais exigé des demandeurs d’asile.
L’Initiative législative populaire fait pression pour que des changements soient apportés
Une régularisation extraordinaire des immigrant·e·s ne figurait pas à l’ordre du jour des principaux partis espagnols, qui estimaient qu’elle n’était pas nécessaire, voire qu’elle violerait les règles en vigueur dans l’Union européenne. Ce qui a conduit à ce changement, c’est l’existence d’une Initiative législative populaire qui a recueilli près de 700 000 signatures et le soutien de 900 organisations et mouvements sociaux.
La force de la pétition à travers tout l’État espagnol a été telle que, à l’exception de Vox qui a maintenu son programme anti-immigration, tous les autres partis parlementaires l’ont acceptée. Sans grand enthousiasme dans la plupart des cas. La droite espagnole ne s’est pas laissée entraîner par l’extrême droite, non pas par mérite propre, mais parce que la Conférence épiscopale catholique s’est rangée du côté de l’ILP, affirmant que son adoption était un signe de « maturité démocratique » et soulignant que les immigrés « travaillent pour le bien commun ».
Les militants en première ligne pour l’ILP insistent désormais pour que la régularisation extraordinaire se concrétise immédiatement « afin de régler une fois pour toutes la situation des personnes qui vivent et travaillent dans ce pays », comme l’affirme à El Salto Edith Espínola, porte-parole de Regularización Ya, qui réclame également davantage de techniciens et d’infrastructures pour mener à bien ce processus.
Elle souligne toutefois : « Nous ne savons pas s’il s’agit d’une opération de marketing médiatique ou si le Congrès va réellement dans la bonne direction ».
La gauche face au processus
Pour sa part, la gauche extra-gouvernementale considère également avec prudence la proposition de régularisation extraordinaire du gouvernement. Le quotidien espagnol Público s’est entretenu avec des membres de la Gauche républicaine de Catalogne qui participent aux négociations et qui reconnaissent qu’il y a une « opportunité », mais qui restent « quelque peu sceptiques », indique le journal, ajoutant que le parti ne signera un accord que si les organisations promotrices de l’ILP sont d’accord.
Podemos est encore plus sceptique, rappelant que la forme choisie par l’exécutif implique que la loi passe devant le Parlement et risque d’être rejetée, alors qu’elle aurait pu être facilement adoptée par décret gouvernemental. C’est ce qu’a défendu la secrétaire générale de cette formation, Ione Belarra, lors d’une conférence de presse, où elle a exprimé sa crainte qu’il s’agisse davantage d’une mise en scène que d’une véritable volonté de changement, utilisant Junts et le PNV « comme excuse pour ne pas faire ce qu’ils ne veulent pas faire ». En effet, si le PSOE avait voulu changer la loi, a-t-elle insisté, il aurait pu le faire « dès le lendemain ».
Le parti a également précisé qu’il n’y avait aucune négociation en cours avec le gouvernement, mais qu’il était « grand temps » que celui-ci « réfléchisse à l’importance de ne pas maintenir dans cette situation d’exception démocratique des millions de personnes en Espagne, ce qui, en outre, constitue un terreau idéal pour l’exploitation du travail et toutes sortes de violations des droits humains ».
Publié le 23 mai 2025 par Esquerda.net (Portugal). Traduit pour ESSF par Pierre Vandevoorde avec l’aide de DeepLpro