Election législatives : perte de légitimité de la politique et lourde défaite de Die Linke

par Manuel Kellner

Bilan des élections législatives du 26 septembre. Il est temps de débattre dans Die Linke et dans la gauche en général comment, à moyen terme, on peut construire une gauche politique plus forte, plus enracinée dans les entreprises, dans les quartiers, dans les écoles, active et inspirante dans les mouvements sociaux, porteuse de projets concrets de mobilisation et d'action s'intégrant dans une perspective de changement social radical, pour briser le pouvoir du grand capital et de ses serviteurs politiques.

Les partis de la " grande coalition » du gouvernement d'Angela Merkel, la CDU/CSU (chrétiens conservateurs) et le SPD n`ont attiré qu'un quart de l'électorat chacun. La CDU/CSU a eu le plus mauvais résultat depuis toujours avec 24,1 % des voix (196 élus). Le SPD, lui, avec son candidat à la chancellerie Olaf Scholz, a pu regagner du terrain (il y a quelques semaines, il était passé en dessous des 15 % dans les sondages) en arrivant à la première place avec 25,7 % (206 députés). Donc, 75 % de l'électorat n'aura de toute façon pas voté pour le parti n° 1 du prochain gouvernement, quel qu'il soit. Les quelque 1,6 million de voix que les chrétiens conservateurs ont perdues au profit du SPD sont par ailleurs assez fortement liées au profil politique conservateur d'Olaf Scholz, un modéré de la génération des dirigeants sociaux-démocrates qui avaient fabriqué les contre-réformes de l'agenda 2010…

Chronologie de l'Allemagne depuis 2010 (Inprecor)

Avec la participation aux élections de 76 % (et 8,7 % de votes pour les petites formations qui ne seront pas représentées au Bundestag), le parlement allemand ne représentera même pas un tiers de l'électorat. La perte de légitimité démocratique qui en découle correspond à un processus amorcé depuis des années et qui s'accentue de plus en plus.

À l'extrême droite des partis au Bundestag, l'AfD ne peut pas être satisfait de ses pertes, qui l'amènent à 10,3 % (83 députés) et lui fait perdre le rang de plus grand parti d'opposition. Il est en plus déchiré par des querelles internes, une partie de ses membres et dirigeants voulant appuyer les corona-négationnistes et marcher avec des formations néonazies et une autre faire preuve de plus de sérieux vis-à-vis des milieux de la politique bourgeoise officielle. Néanmoins, ce parti reste un ennemi redoutable qui, dans de grandes parties de l'est de l'Allemagne, a encore surpassé la CDU en étant même devenu le parti le plus fort.

Les deux gagnants sont le parti des Verts obtenant avec 14,8 % (118 élus) son meilleur résultat (il y a quelques semaines il avait même dépassé la CDU/CSU en devenant le parti le plus fort dans les sondages), et le FDP libéral arrivant à 11,5 %, ce qui est assez spectaculaire (92 députés). Jusqu'à nouvel ordre, personne ne pense à un renouveau de la " grande coalition » avec la CDU/CSU comme partenaire junior du SPD. Ce sont deux options qui vont être discutées et négociées les prochaines semaines (ou mois) : soit une coalition du SPD avec les Verts et le FDP, soit la CDU/CSU avec ces mêmes deux partis, qui donc, de toute façon jouent un rôle important et très probablement participeront au prochain gouvernement. Le FDP étant contre plus d'impôts sur les gros revenus et les grosses fortune tout en voulant empêcher toute nouvelle dette publique, on voit mal comment un gouvernement commun pourrait financer les investissements promis par le SPD et les Verts dans l'infrastructure, les énergies renouvelables ou la communication électronique. Mais même s'il n'est pas facile d'imaginer les compromis à faire, étant donné que la CDU/CSU et son candidat à la chancellerie Armin Laschet sont vus comme les perdants de l'élection, une coalition " rouge-verte-jaune » semble la plus probable.

Le parti Die Linke (La Gauche) n'a même pas pu dépasser la barrière des 5 % en n'obtenant que 4,9 % des suffrages exprimés. S'il entre quand même au nouveau Bundestag avec 39 députés en proportion des voix obtenues, c'est à cause d'une spécificité de la loi électorale allemande, qui le permet aux partis qui gagnent au moins trois mandats locaux directs - et Die Linke en a gagné tout juste trois (dans des circonscriptions de Berlin et à Leipzig). Avec ce très mauvais résultat, Die Linke semble avoir consommé tout son crédit acquis depuis sa fondation. En 2009, il avait obtenu 11,9 % des voix, et cela semblait être un " bon début »…

À qui ou à quoi la faute ?

Les révolutionnaires et la gauche radicale anticapitaliste ont tendance à mettre ça dans le sac de l'opportunisme et de l'adaptation au parlementarisme (qui sont de vrais problèmes). Avec sa participation aux gouvernements régionaux appliquant une politique procapitaliste assez " normale », ce parti ne pouvait plus passer pour une force de révolte contre le règne du capital. Mais ce n'est pas si simple.

La majorité des gens plus ou moins prêts à voter pour Die Linke sont plutôt enclins à désirer une participation de ce parti au gouvernement, même au niveau fédéral, pour réaliser ne serait-ce qu'une petite partie de ses revendications sociales et écologiques. Ils trouvent même les positions du parti contre l'OTAN (assez virtuelles, en vérité) et contre toute intervention internationale de la Bundeswehr (là, assez réelles, car ses députés ont toujours voté en conformité avec ce principe) quelque peu trop radicales.

Il n'est donc pas facile de trouver une recette. Il ne serait pas honnête de dire que nous saurions à tout moment comment on peut gagner plus de voix. Parfois, il faut dire des choses impopulaires à haute voix, contre le courant. Prenons l'exemple des 600.000 voix que Die Linke a perdues au profit du SPD. C'était un effet de " vote utile » ou de " vote tactique » pour empêcher Armin Laschet de battre le SPD, ce qui semblait possible au cours des dernières journées avant les élections. Même dans des milieux très proches de nous, il y avait des gens qui trouvaient extrêmement difficile de voter pour Die Linke : le risque que la CDU/CSU gagnerait et le risque que Die Linke échouerait à franchir la barrière des 5 % semblaient tous les deux réels. Et contre un effet de " vote utile » pour le " moindre mal » dans des milieux plus larges, il n'est pas facile d'inventer un contrepoison.

Ceci dit, il est temps de débattre dans Die Linke et dans la gauche en général comment, à moyen terme, on peut construire une gauche politique plus forte, plus enracinée dans les entreprises, dans les quartiers, dans les écoles, active et inspirante dans les mouvements sociaux, porteuse de projets concrets de mobilisation et d'action s'intégrant dans une perspective de changement social radical, pour briser le pouvoir du grand capital et de ses serviteurs politiques. Parce que nous ne pouvons pas attendre 2025 !

Si nous prenons seulement la lutte contre la catastrophe climatique, le prochain gouvernement ce sera encore quatre années de perdues. Et la fenêtre du temps qui nous reste commence à se fermer. Soit la victoire des principes de la solidarité et de la responsabilité écologique, soit la fin de tout ce qui est resté civilisé sur la planète.

La victoire à Berlin, le jour même des élections, de l'initiative populaire pour l'expropriation des grandes sociétés immobilières (qui détiennent plus de 3.000 appartements) après une formidable campagne sur le terrain montre la voie à suivre.

* Manuel Kellner est membre de l'Internationale Sozialistische Organisation (ISO, Organisation socialiste internationale, section de la IVe Internationale en Allemagne) et rédacteur du mensuel SoZ-Sozialistische Zeitung.