Israël n’est pas le bienvenu à l’Eurovision

par Orwa Kadoura

Avec l’Eurovision à Malmö, la Suède est devenue un pays où Israël est autorisé à participer au concours, ce qui n’avait pas été le cas de la Russie après l’invasion de l’Ukraine par Poutine. En mai, de grandes manifestations de protestation contre l’Eurovision à Malmö auront lieu. Alex Fuentes, de Internationalen, a rencontré Orwa Kadoura, activiste palestinien bien connu et membre éminent du Parti de gauche à Malmö. 

 

Ce qui s’est passé – et se passe encore – à Gaza a fait réagir de nombreuses personnes. De grandes manifestations sont organisées en permanence, tant à l’étranger qu’en Suède. Vous êtes actif au sein du réseau Palestine à Malmö. Que se passe-t-il avant l’Eurovision en mai ? 

Comme vous le dites, avec tout ce qui se passe à Gaza, le génocide dont Israël est coupable, ainsi que le silence des dirigeants du monde, a conduit à un mouvement de protestation croissant contre les crimes d’Israël. Le réseau palestinien de Malmö a commencé à organiser une grande campagne contre la participation d’Israël à l’Eurovision. Nous organiserons deux grandes manifestations, les 9 et 11 mai à Malmö. Elles partiront de Stortorget à 15 heures et se dirigeront provisoirement vers Möllevångstorget. Je dis « provisoirement » parce que la destination finale de la manifestation peut changer en fonction de diverses circonstances. Le réseau palestinien a créé une plateforme sur les médias sociaux que nous appelons « Stop Israël ». Cette plateforme comprend plusieurs sous-protestations visant à mobiliser les gens pour la campagne et pour nos réunions ouvertes où nous fournissons des informations actualisées. En cours de route, différentes organisations et partis ont également rejoint la campagne et nous espérons que d’autres organisations se joindront à nous.  

La campagne « Empêchons Israël de participer au concours Eurovision de la chanson » existe depuis un certain temps. Mais il y a de gros intérêts financiers en jeu et le représentant d’Israël est attendu à la Malmö Arena en mai. Un certain nombre d’organisations font maintenant campagne contre la participation d’Israël à l’Eurovision. Quel est l’objectif de cette campagne ? 

L’objectif de la campagne est de se placer du bon côté de l’histoire, du côté des opprimé·es, c’est-à-dire de s’unir en solidarité avec la lutte du peuple palestinien pour la liberté et pour mettre fin au génocide israélien. C’est l’occasion de se dresser contre ce génocide et pour l’humanité. C’est l’occasion rêvée de faire pression sur Israël. 

Les médias bourgeois préfèrent parler de l’attentat perpétré par le Hamas le 7 octobre 2023 plutôt que de la tuerie israélienne à Gaza. L’auteur Kajsa Ekman écrit que « la violence de l’opprimé est qualifiée d’inhumaine, tandis que pour parler de la violence de l’oppresseur on dit qu’elle est “grande échelle” ». Qu’en pensez-vous ? 

Ce qui s’est passé le 7 octobre ne s’est pas produit dans le vide. Il est très clair que, dès le début, les grands médias se sont attachés à condamner la victime. Ils ont condamné les réfugié·es déplacé·es par l’occupation israélienne en 1948, sur la terre de mes parents et de mes grands-parents. Ils ont condamné celles et ceux qui sont assiégé·es depuis 17 ans, en oubliant l’histoire qui se cache derrière. Si vous acceptez ce que les médias ont dit, à savoir blâmer la victime, vous acceptez deux choses. Premièrement, Israël a le droit de se défendre, ce qu’il n’a pas au sens juridique strict. Une puissance occupante n’a pas le droit à l’autodéfense en vertu du droit international, ce dont les hommes politiques et les médias devraient être conscients. Le génocide et le nettoyage ethnique d’Israël ne sont pas de la légitime défense. 

Deuxièmement, en vertu du droit international, tous les peuples sous occupation ont le droit de se défendre et de résister. Lorsque les grandes puissances comme le Royaume-Uni et les États-Unis et les organismes internationaux comme l’ONU parlent de la Palestine, ils font référence à « la terre occupée de Palestine ». Il s’agit d’une reconnaissance de facto de la Palestine. La lutte du peuple palestinien a été et continue d’être une lutte pour la liberté, la justice et pour obtenir le droit légitime au retour dans une Palestine libérée. Il n’y a aucune différence entre le peuple palestinien et tout autre peuple dans le monde. 

 

Quel est, selon vous, le moteur du génocide en cours à Gaza ? 

C’est le plan d’occupation israélien de 1948, qui vise à rayer la Palestine de la carte. Lorsque Netanyahou a prononcé un discours à l’ONU le 22 septembre 2023, il a montré une carte d’Israël sans la Palestine, sans Gaza et sans la Cisjordanie. On peut affirmer sans risque de se tromper qu’il a activement planifié le nettoyage ethnique de Gaza, le nettoyage ethnique de la Cisjordanie et le nettoyage ethnique des Palestiniens. Il s’agit d’un plan délibéré. 

 

« Personne n’est libre tant que nous ne sommes pas tous libres », a déclaré Martin Luther King avant d’être assassiné. Cette phrase a été reprise aujourd’hui par la célèbre actrice américaine Susan Sarandon aux États-Unis et par le duo Medina, qui a terminé deuxième de la finale du Melodifestivalen à Stockholm. Dans le même temps, V Malmö déclare : « Liberté de tous les peuples - libération de tous les peuples ». Y a-t-il un fil conducteur ? 

Bien sûr qu’il y a un fil conducteur. Il s’agit du mouvement de libération des peuples. Lorsque les crises, les génocides et les nettoyages ethniques sont normalisés, le travail en faveur de l’égalité entre les hommes et les femmes ne doit pas être simplement mis en attente, il doit être prioritaire. Il s’agit de droits et de libertés fondamentaux. Le 10 décembre 1948, les Nations unies nouvellement créées ont adopté la Déclaration universelle des droits de l’homme, un guide mondial pour la liberté et l’égalité, qui vise à protéger les droits de chacun dans le monde. Ces droits constituent toujours la base de notre législation internationale en matière de droits de l’homme. Malheureusement, partout dans le monde, on tente de cacher cette réalité et de détourner l’attention du monde. 

 

Israël est accusé d’avoir transformé les attaques à Gaza en un véritable génocide, mais Netanyahu le nie. De nombreux habitants de Malmö sont d’origine palestinienne. Qu’est-ce qui motive les manifestations contre les horreurs qui se déroulent à Gaza ? 

Il s’agit d’un génocide, pas seulement d’une accusation. Israël a empêché la nourriture, l’eau et les médicaments d’entrer à Gaza. Les attaques et les bombardements d’Israël à Gaza durent maintenant depuis plus de six mois. Six mois au cours desquels plus de 32 000 Palestinien·nes ont été tué·es. En six mois, plus de 20 hôpitaux ont été bombardés, 85 % des maisons de Gaza ont été détruites, des membres du personnel de l’ONU et des journalistes ont été assassinés. L’ONU a publié un rapport montrant que 100 % des habitant·es de Gaza risquent de mourir de faim. Il s’agit d’un nettoyage ethnique, d’un génocide et de rien d’autre. Lorsque vous entendez et voyez ce qui se passe à Gaza, vous êtes effrayé et en colère, cela vous fait mal à l’âme. C’est ce qui pousse les gens à manifester leur dégoût. Les gens manifestent parce qu’ils sont en colère contre le silence complice du gouvernement suédois. Nous avons un gouvernement qui blâme les victimes et soutient les crimes de guerre d’Israël, le génocide, et appelle cela de l’autodéfense. Les manifestations populaires exigent que le gouvernement agisse contre l’horrible génocide israélien et demande un cessez-le-feu immédiat.

Je tiens également à dire que de nombreux Palestinien·nes descendent dans la rue pour protester. Beaucoup d’entre eux ont de la famille à Gaza, mais il y a aussi beaucoup de gens qui ne sont pas Palestinien·nes, des Suédois de toutes sortes, y compris beaucoup d’origine juive, qui font cause commune avec les Palestinien·nes. Il n’est pas nécessaire d’être Palestinien·ne pour manifester son soutien et sa solidarité avec la Palestine et le peuple palestinien, car il s’agit d’une lutte humaine pour la liberté. 

 

Certains descendants de l’Holocauste sont-ils passés du statut de victimes à celui de bourreaux ? 

Absolument. On le voit clairement dans les médias lorsque le gouvernement suédois condamne les victimes dans les débats et soutient le droit des bourreaux israéliens à la « légitime défense », par exemple lorsque l’on entend les libéraux et les conservateurs louer et défendre les atrocités commises par Israël. Il en va de même lorsque des décisions sont prises pour arrêter l’aide humanitaire et financière à l’UNRWA, lorsque nous voyons comment le Parlement européen vote contre la proposition de cessez-le-feu du Parti de gauche et lorsqu’il refuse de suspendre la coopération militaire avec Israël.

Cela donne une image claire de la façon dont ils ont été transformés de victimes en bourreaux. Malheureusement, une fausse image médiatique qui promeut « l’autodéfense » et dépeint les Palestinien·nes comme des terroristes. Rarement un contexte sérieux expliquant comment les Palestinien·nes ont été historiquement privés de territoires et de biens, comme s’il n’y avait jamais eu Al Nakba (la grande catastrophe de 1948), le vol de terres en Cisjordanie ou à Jérusalem. Ce sont des actes déplorables qui ne servent que la puissance occupante et son système d’apartheid. En tant que Palestinien, je dois défier, rejeter et combattre ce système. La lutte du peuple palestinien est une lutte pour la liberté, la justice et la réalisation du droit légitime au retour et à la libération. Tou·tes les Palestinien·tes ont le droit de résister à la puissance occupante. Ce n’est pas seulement un droit, c’est aussi un devoir, une obligation de résister et de se défendre. Ceux qui sont au pouvoir ferment les yeux sur cette réalité et rabaissent la lutte légitime du peuple palestinien. 

 

Le 25 février, l’une des plus grandes manifestations a eu lieu à Malmö, avec au moins 10 000 participants selon la police. La chasse aux sorcières contre Jamal El-Haj a été caractérisée d’islamophobie et de fausses accusations d’association avec le Hamas. Si l’on en croit la droite et l’extrême droite, Malmö est un bastion des islamistes et des partisans du Hamas. Que répondez-vous à cette affirmation ? 

En ce qui concerne Jamal El-Haj, il doit répondre de lui-même. Quant aux affirmations de la droite selon lesquelles Malmö est un bastion des islamistes et des partisans du Hamas, je ne suis pas surpris. C’est ainsi que la droite attaque les mouvements populaires qui luttent contre le racisme, l’injustice et l’occupation historique. Le Mouvement pour la liberté de la Palestine et les manifestations organisées à Malmö visent à obtenir un cessez-le-feu, à mettre fin au génocide et à l’occupation. Je peux le dire ainsi : les enfants qui sont assassiné·es à Gaza, jour après jour, ces enfants ne savent pas ce qu’est le Hamas. Les revendications de la droite visent à mettre un terme aux manifestations populaires. Elle cherche à vilipender les Palestiniens et à soutenir Israël, se rendant ainsi complice du génocide israélien en cours à Gaza et en Cisjordanie. 

 

Certains journalistes parlent déjà de possibles organisations « violentes » qui voudraient semer le trouble à Malmö à l’occasion des manifestations des 9 et 11 mai. Quelle est votre réponse à cela ? 

Nos manifestations seront pacifiques, pour la paix et le droit international. Nous tenons à ce que les manifestations soient pacifiques, car notre objectif est de faire connaître notre lutte commune. 

 

Propos recueillis par Alex Fuentes et publié par International.se en avril 2024.

 

Qui proteste contre l’Eurovision à Malmö ? 

Jusqu’à présent, les organisations suivantes se sont jointes à nous : BDS Suède, Extinction Rebellion Malmö, FalastinVision, Feminist Initiative, Fridays For Future - Malmö, For the Good of All, Group 194, Isolate Israel, Climate Action Skåne, Communist Party, Latinos for Palestine, Malmö Anti-Racist Association, Palestine Groups - Malmö, Palestinian Coordination Group Gothenburg-Borås, Palestinian Coordination Group in Southern Sweden, Proletären FF, Samidoun, Scientist Rebellion, Ship to Gaza, Socialist Politics - Skåne, Left Party - Malmö, Revolutionary Communist Party, Revolutionary Communist Youth, Young Left, and Victor Jara Association.