La Population and Immigration Authority (Autorité de l’Etat civil et de l’immigration) refuse d’accorder des visas de travail aux employé·e·s des organisations non gouvernementales internationales opérant en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. Cela précisément au moment où la Cour internationale de justice est censée examiner si Israël respecte son ordonnance provisoire visant à garantir l’acheminement de l’aide humanitaire à Gaza.
L’explication tardive donnée aux ONG internationales est un réaménagement du processus de délivrance des visas, mené jusqu’à présent conjointement par l’Autorité de l’Etat Civil et de l’immigration et le ministère de la Protection sociale et des Affaires sociales.
Le ministère des Affaires sociales refuse depuis plusieurs mois déjà de remplir sa participation à l’accord, bien que celui-ci soit consigné dans une procédure écrite.
Quelque 160 ONG d’aide internationale opérant dans la bande de Gaza et en Cisjordanie (y compris Jérusalem-Est) sont enregistrées auprès du Département des relations internationales du ministère de la Protection sociale et des affaires sociales, qui est également chargé de renouveler chaque année leur statut d’organisation à but non lucratif.
Dans le passé, lorsque le service des visas n’a pas été assuré pour diverses raisons – par exemple, pendant la pandémie de Covid-19 – les visas ont été prolongés automatiquement. Cette fois-ci, cependant, l’autorité de l’immigration exige que les employée·s des ONG quittent le pays dès l’expiration de leur visa, même s’ils se sont correctement pliés à la loi.
Haaretz, qui s’est entretenu avec certains de ces employés, a déclaré qu’ils soupçonnaient que des motivations politiques se cachent derrière les complications bureaucratiques dans lesquelles ils se débattent.
Le refus d’accorder des visas à ces travailleurs humanitaires internationaux a perturbé les activités de dizaines d’organisations chargées d’apporter et de distribuer des soins médicaux, de la nourriture et de l’eau aux habitants de Gaza, dont la plupart souffrent de faim et de déshydratation aiguës.
Ces mesures bureaucratiques sapent également les efforts des ONG pour aider des dizaines de communautés palestiniennes de Cisjordanie qui ont été déplacées de force par la violence des colons et les pressions de l’administration civile et des Forces de défense israéliennes (FDI), ou qui doivent faire face à la violence des colons et aux pressions des autorités.
Des dizaines d’employés internationaux, pour la plupart des citoyens de pays occidentaux, ont été contraints de quitter leur emploi ou n’ont pas pu revenir de l’étranger dans leurs bureaux de Jérusalem-Est et de Ramallah. D’autres n’ont pas pu commencer à occuper leur nouveau poste dans le territoire palestinien. Certains ont décidé de rester à Jérusalem-Est ou en Cisjordanie, bien que leur visa ait expiré, mais leurs déplacements sont limités car ils vivent dans la crainte constante d’être expulsés.
Les règlements de l’Autorité de l’Etat civil et de l’immigration, mis à jour pour la dernière fois en 2013, concernant les ONG internationales (à l’exclusion des organisations des Nations unies), stipulent que les demandes de visa ne seront traitées que si elles sont accompagnées d’une approbation de principe écrite (appelée lettre de certification) du ministère de la Protection sociale et des Affaires sociales.
Les lettres de certification sont envoyées aux employés avant leur arrivée en Israël, qui entrent alors dans le pays avec un visa touristique et soumettent ensuite une demande de visa de travail à l’autorité d’immigration. Les ressortissants de pays ne pouvant bénéficier d’un visa touristique à l’entrée doivent soumettre l’approbation du ministère au consulat israélien de leur pays respectif.
Les personnes se trouvant déjà en Israël peuvent soumettre une nouvelle demande de lettre de certification du ministère environ un mois ou deux avant l’expiration de leur visa. Le ministère est alors censé envoyer la lettre dans un délai de 14 jours. La même procédure s’applique aux membres de la famille des travailleurs humanitaires internationaux, y compris les enfants dans les écoles et les jardins d’enfants.
Les demandes de lettre de certification soumises entre juillet et septembre 2023 n’ont reçu de réponse qu’en novembre de la même année. Bien que les travailleurs des ONG internationales aient déjà eu l’occasion de constater que le ministère retardait les procédures, ils étaient inquiets car leurs visas étaient sur le point d’expirer.
Début novembre, le ministère les a informés qu’en raison de l’état d’urgence et de la surcharge de travail du ministère, l’autorité chargée de l’immigration prolongerait automatiquement leurs visas jusqu’au 8 février 2024. Cette prolongation n’a pas été accordée aux personnes qui se trouvaient à l’étranger à ce moment-là, y compris celles qui sont parties en raison du déclenchement de la guerre.
En janvier 2024, lorsque des employés d’ONG d’aide internationale ont demandé le renouvellement de leur visa, le ministère a refusé d’accorder la lettre nécessaire, tant aux employé·e·s basés à Jérusalem et en Cisjordanie qu’à ceux et celles qui se trouvaient à l’étranger.
Le ministère n’a fourni aucune explication et l’autorité de l’immigration a refusé de traiter les demandes de visa au motif qu’il n’y avait pas de lettre de certification du ministère. L’autorité de l’immigration a exigé que les travailleurs dont les visas expiraient quittent le pays avant le 8 février, date d’expiration des visas.
Un juge du tribunal administratif, qui examine les décisions de l’Autorité de l’Etat civil et de l’immigration concernant l’entrée, la sortie, le séjour et la résidence en Israël, a rejeté l’appel d’un haut fonctionnaire de l’une des ONG internationales.
Le rejet de l’appel était fondé sur le fait que l’autorité de l’immigration avait agi légalement en n’accordant pas de visa, car la demande du fonctionnaire n’était pas accompagnée de la lettre de certification du ministère. Le juge a ajouté qu’il n’était pas du ressort du tribunal administratif d’examiner les considérations du ministère.
Yotam Ben-Hillel, un avocat représentant un forum d’ONG internationales, a demandé l’intervention de la procureure générale Gali Baharav-Miara. Dans une lettre envoyée au procureur général la semaine dernière, Yotam Ben-Hillel a fait remarquer que plusieurs des personnes qui n’ont pas pu renouveler leur visa étaient des hauts fonctionnaires responsables des activités de leurs organisations respectives en Israël et dans les territoires.
«Ils ont le mandat – en ce qui concerne la direction de leur organisation – de représenter l’organisation dans toutes les relations avec les autorités israéliennes, les missions étrangères et d’autres organisations internationales résidant en Israël. Ils sont responsables de la collecte de fonds, de la coordination du transfert de l’aide humanitaire, y compris vers la bande de Gaza – par exemple, dans les domaines de la fourniture de nourriture, d’eau, d’installations sanitaires, d’hygiène et d’abris –, de la gestion du budget, et sont les signataires désignés auprès des banques en Israël et dans les territoires.»
Les réponses fournies à Haaretz par les différentes autorités sont révélatrices de la confusion bureaucratique qu’elles ont provoquée. Le porte-parole de l’Autorité de l’Etat civil et de l’immigration a répondu qu’il fallait contacter le coordinateur des activités gouvernementales dans les territoires au sein du ministère de la Défense et du ministère des Affaires sociales pour obtenir une réponse.
Le ministère des Affaires sociales a invoqué la «situation sécuritaire» après le 7 octobre pour justifier le transfert de responsabilité à un autre organe gouvernemental, tout en soulignant qu’il avait demandé à être déchargé de cette tâche bien avant le 7 octobre, parce qu’elle ne relevait pas de ses compétences.
Il a nié que cette décision ait été motivée par des considérations politiques et a indiqué que la question des visas pour les employés des ONG internationales avait été transférée au Conseil de sécurité nationale d’Israël (NSC) et qu’après consultation, il avait été décidé de transférer cette question au ministère des Affaires étrangères.
Le COGAT (coordinateur des activités gouvernementales dans les territoires, unité du ministère israélien de la Défense) a transmis ses questions au ministère des Affaires étrangères. Le ministère des Affaires étrangères a déclaré qu’il n’avait pas été invité à traiter la question des visas et qu’il ne s’attendait pas à ce que cette question lui soit transférée. Il a promis d’envoyer une réponse en bonne et due forme à Haaretz, mais aucune réponse n’a été reçue.
Le Conseil de sécurité nationale a déclaré que, contrairement à ce qui avait été affirmé, la question n’avait pas été transférée sous la responsabilité du NSC, mais que, le ministère des Affaires sociales affirmant qu’il ne disposait pas des outils nécessaires pour traiter cette question, le Conseil de sécurité coordonnait le travail de son personnel afin d’examiner une solution de remplacement appropriée.
Haaretz a également demandé aux ministères de la Justice et des Affaires étrangères s’ils ne craignaient pas que la Cour internationale de justice considère cela comme une violation des décisions de la Cour et comme la preuve qu’Israël ne fait pas d’efforts pour remplir ses obligations. Haaretz n’a pas reçu de réponse à ces questions.
Article publié par le quotidien Haaretz le 25 février 2024, traduction rédaction A l’Encontre.