L'accord signé par le PSOE et Ciudadanos ne constitue pas un exemple de politique sociale-libérale, au sens d'une politique qui assure une dérégulation et la réduction des droits sociaux, au service des bénéfices des entreprises, en particulier du secteur financier, accompagnée de certaines mesures sociales dont l'objectif est d'éviter des situations de pauvreté aggravée et le risque d'explosions sociales. Il s'agit plutôt d'une politique néolibérale pure et dure, puisque les mesures sociales proposées sont de portée très limitée et se conforment aux exigences de la troïka.
En même temps, il n'est même pas sûr que la majorité de ces mesures puissent être appliquées, vu la volonté explicite des partis signataires de se conformer aux mandats de l'Union européenne qui annonce déjà un nouveau tour de vis concernant la réforme du travail et la réduction du déficit public - ce qui fait que toute politique de rétablissement des droits du travail et des acquis sociaux est incompatible avec la politique d'austérité. Le mépris manifesté par les signataires de l'accord face à la proposition défendue par Podemos de consacrer un budget de 96 milliards d'euros pour restaurer ces droits est une preuve supplémentaire de leur caractère.
Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas de mesures positives dans cet accord, comme par exemple, en matière de droits sociaux, le rétablissement de l'allocation chômage pour les plus de 52 ans selon un barème défini par les ressources du bénéficiaire et non par l'ensemble des revenus du foyer. Mais ces mesures sont des exceptions et le ton est donné par le flou entretenu et le maintien de l'essentiel des coupes réalisées non seulement par le gouvernement du Parti populaire mais déjà par les gouvernements précédents du PSOE. L'un des aspects les plus positifs de l'accord concerne la garantie constitutionnelle des droits sociaux fondamentaux... qui a peu de chances d'être menée à bon terme, sauf à engager un nouveau processus constituant qui exige de réunir une majorité renforcée en faveur de droits sociaux dignes de ce nom pour modifier la Constitution face à l'opposition du PP, de Ciudadanos et dans une large mesure du PSOE lui-même.
Synthèse et articles Inprecor
Pour des raisons de délais et de compétences, cet article n'aborde pas l'ensemble des questions sociales. Ne sont pas analysées, par exemple, les mesures concernant la santé, l'éducation, la conciliation entre vie personnelle et activité professionnelle. Pour ce qui est des indemnités de licenciement, il est clair que, contrairement aux déclarations des porte-parole du PSOE, Podemos ne mentait pas quand il dénonçait quelles allaient être réduites. Les différentes versions données par les signataires sur la portée de certaines questions (la suppression des députations provinciales et l'abrogation de la réforme du travail) montrent que sur ces thèmes le PSOE cherche à maquiller l'accord et Ciudadanos a raison de dire que ce qui compte, c'est ce qui est signé. À l'heure où cet article est écrit, on assiste à un scénario grotesque où des documents sont envoyés par le PSOE aux organisations de gauche avec lesquelles il était en pourparlers, qui relèvent de la pure rhétorique et ne font état que de changements cosmétiques par rapport à la rédaction initiale.
Politique de l'emploi
Du point de vue de la création et de la garantie d'un emploi digne, l'accord reconnaît l'efficacité faible, voire nulle, de l'énorme dépense que la politique de l'emploi génère en primes, exemptions et réductions de cotisation sociales (plus de la moitié des 7,3 milliards d'euros dépensés en " politiques actives d'emploi »), au bénéfice des entreprises, et qui, en outre, contribuent à réduire les recettes de la Sécurité sociale. L'accord stipule que ces fonds doivent être destinés à l'orientation et à la formation des personnes actives ou sans emploi, en particulier les chômeurs de longue durée. Pourtant c'est la même politique qui reste en vigueur quand on préconise l'encouragement à l'embauche des chômeurs de longue durée sans proposer d'autres mesures, plus efficaces et moins coûteuses pour la dépense publique, comme par exemple l'obligation d'embaucher ces personnes lors des procédures d'adjudication des marchés publics, en faisant figurer cette disposition dans ce qu'on appelle les clauses " sociales ».
Réforme du travail
Malgré les déclarations du leader du PSOE, Pedro Sánchez, qui affirme que l'accord inclut l'abrogation de la réforme du travail du PP en 2012, il n'en est rien. Non seulement parce que cette formulation n'apparaît pas dans le texte, mais surtout parce que les aspects essentiels de cette réforme sont conservés, comme la spécification des motifs qui permettent aux patrons de modifier unilatéralement les conditions de travail en matière de mobilité de poste, classification professionnelle, flexibilité des horaires de travail et du montant du salaire, avec comme seul changement la limitation d'une réduction de salaire à " seulement » 5 %.
C'est la même argumentation qui est utilisée que celle du PP en 2012 : il faut autoriser les entreprises à une certaine flexibilité et à s'adapter pour répondre aux défis économiques et technologiques de sorte que " le licenciement soit le dernier outil d'ajustement », alors qu'il est évident que la flexibilité du travail n'a en rien réduit les licenciements. L'accord prévoit un dispositif de contrat à durée déterminée sans justification. Pour favoriser les emplois stables, au lieu de limiter les possibilités d'emploi temporaire, d'interdire les licenciements dans les entreprises qui font des bénéfices (" de convenance boursière ») et les fameux " licenciements objectifs », et de pénaliser plus fortement les licenciements abusifs, l'accord préconise des réductions de cotisations sociales, ce qui veut dire de nouveaux trous dans le budget de la Sécurité sociale.
Les rectifications du PSOE, obligé de prouver que les indemnités pour licenciement n'étaient pas réduites, ne concernent pas la réduction des indemnités pour licenciement abusif, déjà mise en œuvre par le gouvernement du PSOE en 2010, puis consolidée par le gouvernement du PP, ramenées de 45 à 33 jours par année d'ancienneté, avec un plafond de 24 mensualités au lieu de 33 précédemment.
L'accord affirme qu'est supprimée la priorité absolue accordée à la convention d'entreprise sur les conventions de niveau supérieur, mais, sauf pour la durée du travail et le salaire, la convention d'entreprise garde sa primauté. Le délai de prolongation de validité d'une convention au-delà de son échéance, en l'attente d'une renégociation, passe de 12 à 18 mois, mais n'est plus illimité comme c'était le cas avant la réforme de 2012. Au-delà de ce délai, les salariés nouvellement embauchés ne bénéficieront pas de la convention caduque et se verront appliquer les dispositions légales qui, en matière de salaire et de temps de travail notamment, sont très éloignées de celles des conventions collectives : salaire minimum interprofessionnel (SMI), semaine de 40 heures, etc.
L'accord préconise une recentralisation des négociations collectives (" le niveau provincial... doit être dépassé »), ce qui, vu la faible pression mobilisatrice des syndicats à l'échelle de l'État, s'accompagne d'une détérioration des contenus par rapport au niveau provincial. Au lieu d'affirmer la nécessité d'améliorer les conditions de travail par rapport à ce qu'impose la loi, l'accord dispose que les conventions doivent être des " mécanismes d'adaptation négociée aux besoins réels des entreprises ».
Dépendance
En matière de promotion de l'autonomie personnelle et de protection de la dépendance, le " pacte d'État » proposé revient à en limiter considérablement le contenu. Les seules références concrètes en la matière se limitent à " abroger l'augmentation du ticket modérateur et les incompatibilités introduites sous la précédente législature » et à " aborder l'intégration au régime général des aidants familiaux de personnes en situation de dépendance ».
Sur le premier point, alors que le montant du ticket modérateur peut atteindre 90 % pour les plus hauts revenus, avec en moyenne 20 % du total de la dépense, rien n'est dit sur le niveau de la réduction préconisée. Si la part à payer reste élevée, la prétendue protection universelle contre la dépendance et le déplacement de la prise en charge, du cadre familial vers les services sociaux, resteront illusoires. En effet, la grande majorité des personnes concernées choisissent d'assurer les soins et de percevoir l'aide dans le cadre familial, les soins étant assurés par les femmes du cercle familial ou par l'emploi de travailleuses à domicile, très souvent non déclarées et donc sans accès aux prestations de la Sécurité sociale.
Sur le deuxième point, le terme " aborder » laisse dans le flou les conditions et les délais de rétablissement de la prise en charge par l'État de la convention spéciale passée avec la Sécurité sociale pour les aidants familiaux que le gouvernement Rajoy a supprimé.
Rien n'est dit par ailleurs sur l'annulation d'autres coupes dans le budget de la protection sociale qui, selon le XVIe rapport de l'Observatoire national de la dépendance présenté le 26 février, représentent 2,865 milliards d'euros, avec la suppression du seuil fixé entre l'État et les communautés autonomes et la réduction du niveau de protection minimum à la charge de l'État. Ces coupes ont conduit à ce que parmi les personnes reconnues comme dépendantes (1,2 million en décembre 2015, soit 2,5 % de la population), un tiers ne reçoivent pas de protection et pour les quelque 385 000 personnes en liste d'attente, 27 % relèvent des cas les plus sérieux (niveaux II et III) et au moins 125 000 sont décédées sans avoir pu percevoir de prestation. Ce rapport souligne que le Service d'aide aux personnes dépendantes représente un fort potentiel de création d'emplois et la seule prise en charge des personnes en liste d'attente permettrait la création de plus de 90 000 emplois directs, sans compter les emplois induits. Cela prouve que la satisfaction des besoins sociaux les plus urgents, qui ne peuvent pas attendre la signature d'un " pacte d'État », peut s'accompagner d'une réduction importante du chômage.
Retraites
Les signataires font d'abord référence au consensus réalisé lors de la signature du Pacte de Toledo... qui a permis toutes les coupes opérées depuis lors. Ils ne parlent pas d'abroger les nombreuses restrictions réalisées par les gouvernements de Zapatero puis de Rajoy : recul de l'âge de la retraite à 67 ans, extension de la durée servant au calcul du montant de la pension qui est passée de 15 à 25 années, allongement de 35 à 37 du nombre d'années nécessaires pour toucher une retraite à 100 % - ces deux seules dernières mesures ayant conduit, selon différentes études, à une réduction de 10 % du montant global des pensions -, réduction de la base de calcul des pensions en fonction de l'augmentation de l'espérance de vie à partir de 2019, générant automatiquement une baisse de 5 %, etc. etc. Avec ces restrictions dont les effets vont se faire sentir chaque jour davantage, le budget des pensions en février 2016 n'a augmenté que de 2,9 % par rapport à celui de février 2015, l'un des plus faibles de ces dernières années, avec une faible augmentation (1 %) du nombre de retraites et du niveau moyen des pensions (2,1 % pour les pensions de retraite).
L'accord fixe l'objectif concret du maintien du pouvoir d'achat des pensions mais sans préciser si leur revalorisation va être indexée sur l'évolution de l'indice des prix à la consommation, ce qui impliquerait d'abroger la loi qui a supprimé cette disposition en 2013. Si l'inflation repart, comme on peut s'y attendre, la revalorisation annuelle de 0,25 % va se traduire par une perte du pouvoir d'achat des retraités.
Même s'il ne le mentionne pas, l'accord prend implicitement acte de la mise à sec du Fonds de réserve, résultant de la baisse des recettes provoquée par la destruction massive d'emplois, l'abaissement de la base de cotisation due à la baisse des salaires, l'extension des cas de réduction et d'exemption des cotisations sociales patronales, sans compensation sous forme de dotations budgétaires de l'État. Il propose d'affecter des ressources fiscales au paiement des pensions, sans envisager l'augmentation des cotisations patronales et l'élargissement de leur base à la totalité de la valeur ajoutée, y compris les bénéfices de l'entreprise. Cette proposition d'augmentation des ressources par voie fiscale paraît d'autant moins crédible que les signataires affirment leur volonté de respecter la limitation du déficit budgétaire imposée par les institutions européennes et de ne pas augmenter les impôts.
Salaire minimum
La Charte sociale européenne propose que le salaire minimum soit équivalent à 60 % du salaire moyen. Pour se rapprocher de cet objectif, Rodriguez Zapatero s'était engagé à fixer à 600 euros le salaire minimum au cours de son premier mandat, objectif tenu, et à 800 euros en fin de deuxième législature.
Mais à partir de 2010, avec l'acceptation des exigences de la troïka en matière de politique économique et sociale, l'augmentation du salaire minimum (SMI) est restée inférieure à l'inflation pour être finalement gelée en 2012. Le gouvernement du PP a fait de même en 2014 puis a appliqué une hausse de 0,5 % en 2015 et de 1 % en 2016 (salaire versé en 14 mensualités de 655 euros). Le SMI n'atteint donc pas 40 % du salaire moyen et se trouve bien en deçà de celui de la majorité des États européens au PIB par habitant comparable.
L'accord se limite à une augmentation de 1 % du SMI pour 2016, soit pratiquement ce qu'avait décidé le gouvernement du PP. Même si ce n'est pas clair, cette augmentation s'ajouterait à celle déjà approuvée et aurait pour objectif de " restaurer le pouvoir d'achat du salaire minimum qui a régressé de 4,1 % ces dernières années ». Pour les prochaines années, la progression du salaire minimum dépendrait de celles de la productivité et de la compétitivité.
Dans ce domaine, l'accord s'éloigne radicalement des propositions de l'UGT et des Commissions ouvrières qui, en novembre 2015 exigeaient du gouvernement du PP qu'il relève le SMI de 11 % en 2016 (à 720 euros) et de 11 % en 2017 (à 800 euros), ce qui permettrait de réaliser l'engagement de Zapatero cinq ans après et porter le SMI au niveau de 60 % du salaire moyen. Les syndicats plus radicaux réclament un salaire minimum supérieur. La CGT exigeait 1 000 euros dès 2007, le LAB demande 1 200 euros et ELA son doublement. Avec l'accord, la simple récupération du pouvoir d'achat du SMI s'étalerait sur une longue période. La fixation du SMI à un niveau décent a encore plus d'importance que par le passé : un nombre croissant de salaires étant proches du SMI, si celui-ci augmentait réllement cela permettrait une progression généralisée des salaires les plus bas.
Pauvreté et urgence sociale
Le " plan de choc » pour combattre l'exclusion sociale, la pauvreté salariale et la pauvreté des enfantsserait doté de 7 milliards d'euros pour financer un Revenu minimum vital et un Complément salarial garanti. C'est clairement insuffisant puisque les Commissions ouvrières et l'UGT ont chiffré à 11 milliards d'euros leur plan pour assurer un revenu minimum au 1,8 million de foyers (et 2,1 millions de bénéficiaires) dont les revenus étaient estimés inférieurs à 6 000 euros annuels en 2015, alors que ce plan lui-même se limitait à un revenu de 426 euros mensuels, bien en dessous du seuil de pauvreté. Et l'accord ne chiffre même pas ce revenu minimum mensuel.
Au lieu de fixer le SMI à un niveau décent, l'accord propose de subventionner les bas salaires par des dotations budgétaires publiques avec un Complément salarial garanti, sous la forme d'un crédit d'impôt qui compléterait les revenus salariaux, en fonction des revenus de la " personne principale » et de sa situation de famille. Cela conduit à réduire les coûts salariaux pour les entreprises et à normaliser les bas salaires dotés de ce complément. Cela contribuerait à renforcer la baisse subie par le salaire réel ces dernières années. Selon les estimations de Thomson Reuters dans un article publié par le Financial Times, " les Espagnols ont perdu le quart de leur salaire réel » depuis 2007, autrement dit le salaire nominal corrigé de l'inflation a reculé de 25 %. Ce chiffre considérable est confirmé par la Banque d'Espagne qui, dans son Bulletin économique de février 2014 soulignait que la baisse réelle des salaires était le double de ce qu'indiquaient les statistiques, puisque la crise économique a détruit un plus grand nombre d'emplois des salariés les moins qualifiés et les moins anciens, qui étaient aussi ceux dont les salaires étaient les plus bas. De ce fait constate la Banque d'Espagne, " l'évolution agrégée des salaires » s'est vue gonflée artificiellement par la baisse du nombre des plus bas salaires. ■
* Mikel de la Fuente est membre du conseil de rédaction de la revue Viento Sur. Cet article a été publié par le site web de la revue Viento Sur (Traduit de l'espagnol par Inprecor)