Cent jours après sa formation et la veille de la présentation du budget de l'État pour 2012, qui contient des réductions de dépenses sans précédent, la première grève générale contre les mesures d'austérité du gouvernement du Parti Populaire a été un succès.
► Deuxièmement parce que ceux d'en bas ont vécu cette journée de lutte comme un succès. Cette perception est une donnée politique de premier ordre. Et elle agit indépendamment des mensonges sur son suivi et des tentatives pour discréditer le mouvement lancées par le gouvernement et les médias de droite. Ce facteur subjectif, la sensation de force, est d'une grande importance pour l'avenir du mouvement. Des dizaines de milliers de militants sociaux et syndicaux ont vécu le 29 mars comme une nouvelle expérience de leur unité d'esprit, dans les piquets de grève et dans la rue. Une unité pour combattre.
► Le troisième indicateur de succès a été le réveil et la participation active de milliers d'étudiants. Des jeunes qui sont venus s'ajouter aux " vétérans » activistes des Indignés, la génération des chômeurs et précaires âgés de 25 à 35 ans, qui, pour leur part et avec différentes formes d'action et de relation avec le mouvement ouvrier et avec les centrales syndicales majoritaires, ont été, concrètement, un élément de revitalisation de la mobilisation.
► Quatrièmement et finalement, parce que le gouvernement lui-même et l'organisation patronale CEOE ont reconnu — malgré leur refus des évidences et leurs négations de la réalité — le succès de l'appel à la lutte, qui les a surpris. C'est dans ce cadre que l'éloquence du patron des patrons, Rosell, — qui a réếté sans cesse au lendemain de la grève qu'il " faut tourner la page, oublier la grève générale » — doit être comprise. Et s'il ne le faisait pas avec l'argent public, on pourrait apprécier l'humour absurde du présentateur du journal télévisé de Telemadrid — qui durant 24 heures n'a pu émettre et présentait seulement une photo fixe du bâtiment de la station émettrice — commençant à l'aube du 30 mars son reportage en disant textuellement : " La grève a été un échec, la normalité a régné dans les entreprises ». Cette fois la bataille pour disqualifier la grève a été perdue par la droite, car les témoins directs de ce qui s'est passé étaient trop nombreux.
Changement de vitesse
La réforme de travail est née avec force dans les urnes des élections législatives de novembre dernier, qui ont donné la majorité absolue au PP. Elle a été affaiblie dès les récentes élections dans les régions autonomes, en Andalousie et aux Asturies, et hier, le 29 mars, elle a perdu toute légitimité aux yeux de la majorité sociale dans les entreprises et dans les rues.
Les menaces de centaines de chefs d'entreprise qui ont exercé du chantage, menaçant leurs employés de licenciement s'ils rejoignaient la grève, n'ont servi à rien. Plus de 70 % de salarié-e-s ont fait grève. Une grande majorité de ceux qui n'ont pas pu le faire, saisis par la peur et la précarité, ont témoigné de leur soutien à la grève. Et, pour la première fois depuis de nombreuses années, d'importants contingents des 5 millions de chômeurs et chômeuses, qui ne peuvent pas faire grève n'ayant même pas un poste de travail, ont fait cause commune dans les rues avec ceux et celles qui ont encore un emploi.
Les mesures patronales et administratives sur les services publics minimaux, souvent décrétées et abusives, qui ont permis de confectionner des listes de salariés requis avec en premier lieu des militants syndicaux, n'ont servi à rien. La grève a paralysé les transports, une grande partie de l'enseignement et beaucoup de centres de santé. De même que n'a pas eu l'effet escompté le grand déploiement policier, qui a coloré en bleu et rempli les rues de bruits de sirènes dans une vaine tentative d'effrayer les passants, particulièrement les jeunes.
Nous avons vécu un épisode de la lutte des classes à l'état pur. Chaque " acteur » social s'est situé dans la confrontation en suivant une ligne connue. Les partisans de la déréglementation des finances, de l'économie et du travail, fermes défenseurs de la non intervention publique et de l'autorégulation patronale, se sont transformés en défenseurs expérimentés de la nécessité de réglementer la grève et la liberté d'information syndicale, ainsi que de l'intervention ferme des forces (publiques) de l'ordre. Voilà ce que signifie aujourd'hui le mot " libéral ». Tels sont les diktats des marchés.
Ce ne fut pas une grève générale civique, comme celle du 14 décembre 2008. Les trois millions de petits patrons et de professions libérales ne l'ont pas soutenu. Ce fut plus une grève de l'industrie que des services. Elle a été plus dure sur le littoral atlantique que dans d'autres lieux. Tout cela est certain, mais contrairement à la grève de 2010 contre le gouvernement de Zapatero, celle-ci a bénéficié du soutien majoritaire du peuple travailleur et ses aspirations ont été justes et légitimes aux yeux de la majorité sociale. Et elle a atteint tous les secteurs économiques, dans toutes les régions, du nord jusqu'au sud.
Ce fut une réussite des centrales syndicales majoritaires, qui ont appelé à la grève dans tout le pays en coïncidant avec l'appel anticipé, unilatéral, des syndicats CIGA en Galice, LAB et ELA en Euskadi, pour le 29 mars, la veille du nouveau coup de force parlementaire perpétré dans le budget contre les dépenses sociales. Cela a permis que la grève dans les régions autonomes soit encore plus forte.
Le futur immédiat
De nouvelles inconnues et des nouveaux défis se présentent maintenant pour le mouvement social.
► La première question à résoudre est de définir ce que nous exigeons du gouvernement. Il y a deux possibilités : demander le retrait inconditionnel et complet de l'avant-projet ou bien persister dans la ligne erronée et stérile qui vise " à réformer la réforme » par l'inclusion de quelques aspects de l'Accord pour l'emploi et la négociation collective (AENC II), avorté et déjà oublié même par ceux qui l'ont signé récemment, qui n'a pas de signification pour les centaines de milliers militants qui, hier, ont remporté la bataille de la mobilisation.
► La seconde question est comment continuer la lutte. Le gouvernement Rajoy-Merkel- Sarkozy ne va pas céder. Il faudra le briser. Le succès d'hier constitue un premier pas, mais la mobilisation doit être poursuivie jusqu'à devenir une pression insupportable pour le PP et le patronat (CEOE). Cela implique un agenda chargé de questions à résoudre : les formes de la lutte sectorielle et régionale, la construction de nouvelles formes d'organisation participative pour les travailleuses et les travailleurs au sein des grands syndicats et dans les entreprises, les alliances entre le mouvement ouvrier et les organisations sociales, le changement d'orientation politique et des alternatives économiques des directions syndicales, l'établissement de ponts entre la culture des Indignés (et en général du monde alternatif) et la culture du gros du mouvement ouvrier, la desectarisation de tous, l'identification et la reconnaissance mutuelle des différents secteurs qui forment le mouvement syndical lui-même. L'enjeu est trop grand pour continuer à ignorer que toutes et tous nous sommes nécessaires, indispensables. ■
Madrid, le 30 mars 2012
Synthèse sur l'Espagne
(® Inprecor)
* Manuel Garí, syndicaliste, est membre de la rédaction de la revue Viento Sur. Cet article est paru d'abord sur le site web de Viento Sur.
(Traduit de l'espagnol par JM)