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Trump, Netanyahou et le prix Nobel de la paix

par Gilbert Achcar
Le 1er mai 2025. © Molly Riley / Official White House

Considérations sur le désir de Donald Trump d’obtenir le prix Nobel de la paix et sur sa désignation comme candidat par des experts hautement qualifiés, tels que Netanyahou.

La poursuite effrénée du prix Nobel de la paix par Donald Trump a suscité de nombreux commentaires dans les médias internationaux, d’autant plus que son obsession pour le prix s’est intensifiée depuis son retour à la Maison Blanche pour un second mandat. Cette fixation remonte à son premier mandat : elle était issue de sa jalousie pathologique envers Barack Obama, son prédécesseur. Elle a atteint un tel degré que Trump s’est récemment prévalu d’avoir joué un rôle décisif dans la négociation de la paix dans deux conflits majeurs, malgré la forte objection de l’une des parties impliquées dans chaque cas. 

Trump a ainsi affirmé avoir joué un rôle clé dans l’arrêt de la confrontation militaire qui a éclaté au printemps dernier entre l’Inde et le Pakistan, bien que l’Inde ait nié avec véhémence le mérite de Washington à cet égard. Toutefois, Asim Munir, le chef d’état-major de l’armée pakistanaise (dont la qualité de personne éprise de paix est tout à fait évidente), a proposé la candidature du président américain pour le prix Nobel. 

Trump a également prétendu avoir joué un rôle clé dans la fin de la guerre de douze jours entre Israël et l’Iran d’il y a deux mois. Cette affirmation est un comble de l’ironie : la guerre s’arrêta après que les États-Unis se furent joints à l’agression de l’État sioniste contre l’Iran. Téhéran a naturellement vu dans la prétention de Trump une blague de très mauvais goût. Un autre comble de l’ironie à ce propos est la nomination par Benyamin Netanyahou du président américain pour la prestigieuse récompense. 

Lors de la visite qu’il a effectuée à la Maison Blanche il y a quelques semaines, le premier ministre israélien – un homme bien connu pour son expertise inégalée dans l’instauration de la paix – a remis à Trump une copie de sa lettre au comité du prix Nobel. Dans ce document, il salue le « dévouement » du président américain « à promouvoir la paix, la sécurité et la stabilité dans le monde », en particulier au Moyen-Orient, où les efforts de Trump « ont apporté des changements spectaculaires et créé de nouvelles opportunités pour élargir le cercle de la paix et de la normalisation ». Netanyahou conclut sa lettre en affirmant : « Je ne connais personne qui mérite le prix Nobel de la paix plus que le président Trump ».

Afin que lectrices et lecteurs ne soient pas surpris par l’auto-nomination de Trump, ou par sa nomination par Munir et Netanyahou, il nous faut considérer l’illustre histoire du prix Nobel de la paix. Il a été décerné par le passé à Henry Kissinger (1973) et à Menahem Begin (1978), deux personnages peu reconnus par l’histoire pour leur dévouement à la paix. Barack Obama a reçu le prix en 2009, avant d’établir un record de frappes de drones et d’assassinats ciblés au cours de sa présidence. Pareillement, le premier ministre éthiopien Abiy Ahmed Ali a reçu le prix en 2019, avant de lancer un an après, dans la région du Tigré au nord de son pays, une guerre brutale qui a tué plus de 100 000 personnes (plus de 300 000, selon une étude universitaire) et entraîné le déplacement et la famine de millions de personnes. 

En gardant ce palmarès à l’esprit, il faut se demander si Donald Trump ne mérite pas, en effet, d’être nommé pour le prix Nobel de la paix, voire de l’obtenir. Son ferme soutien à la guerre génocidaire menée par l’armée sioniste à Gaza et son appel à déporter la population de l’enclave pour faire place au développement immobilier américain, deux exemples exceptionnels d’efforts pour l’instauration de la paix, ne méritent-ils pas d’être reconnus ? Et d’ailleurs, en suivant la même logique, pourquoi ne pas nommer Benyamin Netanyahou lui-même pour le vénérable prix ? Lançons donc une pétition internationale demandant au jury norvégien d’attribuer le prix Nobel de la paix au premier ministre israélien. 

Nous suivrions ainsi l’exemple du député suédois Erik Brandt, qui en 1939 avait envoyé une lettre au même comité nommant « le chancelier et Führer allemand Adolf Hitler ». Brandt argua que Hitler « plus que personne au monde a mérité cette récompense hautement respectée ». Bien que la lettre du député suédois ait été d’intention sarcastique, elle fut prise au sérieux par beaucoup à l’époque. Aujourd’hui, il n’y a pas trace d’ironie dans la nomination de Trump au prix Nobel de la paix par ses flatteurs. Les partisans de Netanyahou pourraient même prendre notre proposition au sérieux.

* Dernier ouvrage paru : Gaza, génocide annoncéUn tournant dans l’histoire mondiale.

Traduit de ma chronique hebdomadaire dans le quotidien de langue arabe, Al-Quds al-Arabi, basé à Londres. Cet article est d’abord paru en ligne le 19 août. Vous pouvez librement le reproduire en indiquant la source avec le lien correspondant.

 

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المؤلف - Auteur·es

Gilbert Achcar

Gilbert Achcar est professeur d'études du développement et des relations internationales à la SOAS, Université de Londres. Il est l'auteur, entre autres, de : le Marxisme d'Ernest Mandel (dir.) (PUF, Actuel Marx, Paris 1999), l'Orient incandescent : le Moyen-Orient au miroir marxiste (éditions Page Deux, Lausanne 2003), le Choc des barbaries : terrorismes et désordre mondial (2002 ; 3e édition, Syllepse, Paris 2017), les Arabes et la Shoah. La guerre israélo-arabe des récits (Sindbad, Actes Sud, Arles 2009), Le peuple veut. Une exploration radicale du soulèvement arabe (Sinbad, Actes Sud, Arles 2013), Marxisme, orientalisme, cosmopolitisme (Sinbad, Actes Sud, Arles 2015), Symptômes morbides, la rechute du soulèvement arabe (Sinbad, Actes Sud, Arles 2017).