
Ce document a été adopté par la convention nationale de Solidarity, section de la IVe Internationale aux USA, de septembre 2025. Il se concentre sur les spécificités de la situation internationale actuelle, somme toute sombre, et qui semblent les plus importantes pour l’analyse et le travail.
La convention souligne le paragraphe suivant :
«En tant qu’internationalistes socialistes, notre perspective est une future « Palestine libre, de la rivière à la mer », avec égalité des droits et sécurité pour ses deux nations et pour tout son peuple – au sein d’un Moyen Orient libéré pour tous ses peuples, de l’Euphrate à l’Océan atlantique. Mais un tel futur est impossible si aujourd’hui la Palestine ne survit pas. Cette survie est la priorité absolue.»
Nous souhaiterions échanger sur ce qui serait nécessaire à la libération de la Palestine. Quelles évolutions seraient nécessaires en Palestine, au Moyen Orient et en Afrique du Nord, aux Etats Unis et en Israël ?
1) Au milieu du tourbillon chaotique et des zigzags des déclarations et diktats de Trump, ce qui ressort avant tout est le soutien continu des Etats Unis à la guerre génocidaire d’Israël contre Gaza et aux plans de Netanyahu visant à relocaliser en masse les habitants de la bande de Gaza, ainsi que des pogroms menés par les soldats-colons en Cisjordanie, ce qui traduit une volonté claire d’annexer et d’expulser plusieurs millions de palestiniens hors de leur territoire. Le monde entier est horrifié de constater que les États-Unis demeurent le plus gros pourvoyeur d’armes de destruction massive à Israël, ce qui suscite la désapprobation croissante d’une majorité de la population états-unienne. Alors que les sionistes chrétiens et nationalistes blancs exercent leur emprise sur le parti républicain, la complicité teintée de soumission du parti démocrate est particulièrement grotesque lorsqu’on voit qu’une majorité conséquente et croissante de sa base électorale reconnaît qu’Israël et les USA sont responsables de la famine à grande échelle touchant la population de Gaza, véritable outil de génocide contre une population sans défense.
Alors que l’intention manifeste de la coalition israélienne Netanyahu-extrême droite est de détruire la possibilité d’un futur viable pour le peuple palestinien en Palestine, le fait est que les palestinien·nes ne souhaitent pas partir ; et ils et elles n’ont nulle part où aller, comme en atteste l’absurdité des suggestions faites : déplacement « volontaire » des palestinien·nes en Indonésie ou en Ouganda, ou le placement de Gaza sous « administration » états-unienne pendant dix ans pour la transformer en complexe touristique de luxe international.
À la base de cette horreur, une réalité qui dure : le fait que l’impérialisme U.S., peu importe le parti au pouvoir et la période considérée, a toujours été d’une indifférence cynique à l’égard du sort de la Palestine et de son peuple. Leur seule stratégie impérative est la « stabilité » du Moyen Orient et la « sécurité » d’Israël. (Cela sous-tend l’imposture de ces trois dernières décennies qu’est le « processus de paix » sous l’égide des Etats-Unis, qui n’a jamais abouti à la paix, mais ceci nous éloigne de notre propos). La contradiction explosive aujourd’hui, qui a surgit depuis les événements atroces survenus le 7 octobre 2023 et qui se sont poursuivis depuis, consiste en ceci que l’indifférence impériale des États-Unis vis-à-vis de la Palestine mène à présent à sa destruction – au moment où la politique de Washington, que ce soit sous Biden ou Trump, a été de construire un nouvel « ordre » au Moyen Orient basé sur l’axe Israël, Arabie Saoudite, Égypte et monarchies pétrolières du Golfe. Construire cette « normalisation » et l’appeler paix reste leur but, en particulier avec l’énorme affaiblissement stratégique de l’Iran, mais des indices mènent à penser que des restrictions seront imposées à Israël afin de faciliter l’alliance régionale souhaitée.
Il est évident que notre responsabilité immédiate, avec l’ensemble du mouvement de solidarité avec la Palestine, est de faire absolument tout notre possible pour mettre fin au génocide et au nettoyage ethnique. Certaines revendications sont essentielles : arrêt de l’aide U.S. à Israël, campagnes BDS ciblées (boycott/désinvestissement/sanctions), dénonciation des tactiques vicieuses de la machine pro-sioniste à faire du lobbying et à intimider aux États-Unis. Une nouvelle génération de jeunes militant·es palestinien·nes est le fer de lance du mouvement actuel, avec l’aide de militant·es des générations précédentes ainsi que d’allié·es stratégiques incluant une frange antisioniste grandissante de la population juive étatsunienne. Les campagnes BDS qui ciblent les multinationales complices (Maersk, Chevron, etc.) gagnent du terrain.
Sur le plan de la politique interne aux Etats-Unis, la criminalisation du mouvement de solidarité avec la Palestine fait également partie d’une attaque d’ampleur contre les droits démocratiques, les opinions discordantes, et les communautés immigrées. Les droits des étudiant·es et des personnels des universités sont une cible centrale, en utilisant l’arme de la fausse accusation d’« antisémitisme » contre quiconque remet en question les crimes d’Israël. De plus, les technologies israéliennes de surveillance de masse, de contrôle de la population et de répression contre les opposants, sont déjà utilisées dans des villes états-uniennes, dans le cadre de tactiques d’état policier.
En tant qu’internationalistes socialistes, notre perspective est une future « Palestine libre, de la rivière à la mer », avec égalité des droits et sécurité pour ses deux nations et pour tout son peuple – au sein d’un Moyen Orient libéré pour tous ses peuples, de l’Euphrate à l’Océan atlantique. Mais un tel futur est impossible si aujourd’hui la Palestine ne survit pas. Cette survie est la priorité absolue.
2) L’indifférence des impérialistes envers l’humanité est démontré de la même manière par la plus grande catastrophe et famine en cours que le monde ait connu, la guerre au Soudan entre deux factions de la contre-révolution militaire. On se souvient aujourd’hui à peine que les États-Unis, suite à l’inspirante révolte menée par la jeunesse en 2018-19 qui a renversé la dictature en place depuis plusieurs décennies, ont joué le rôle de médiateur dans le « compromis » qui était censé créer un gouvernement civil aux côtés de l’armée. Au lieu de cela, le commandement militaire a écarté les autorités civiles, puis s’est scindé en factions ennemies (l’armée officielle et les « Forces de Soutien Rapide ») qui à l’heure actuelle ont pratiquement détruit le pays. Différents régimes dont la Russie, la Chine, l’Arabie Saoudite et les Émirats Arabes Unis fournissent des armes à l’une ou l’autre faction dans le but d’obtenir l’accès au pétrole, au minerai et à des installations portuaires stratégiques du Soudan.
Pendant ce temps, le démantèlement de l’USAID par le gouvernement états-unien condamne des millions de personnes en Afrique et ailleurs à mourir de faim ou de maladies que l’on pourrait éviter, dont le Sida. Cela fait partie de la même soi-disant politique de réduction des coûts, purement idéologique, qui a détruit toutes les structures administratives qui fournissaient des services essentiels. En fin de compte, aucune vraie économie de moyens n’est réalisée, sans parler des dépenses effarantes qui seront nécessaires au rétablissement de ce qui est en train d’être détruit.
3) Solidarity participe avec d’autres groupes et militant·es de gauche au Réseau de Solidarité avec l’Ukraine, qui soutient le peuple ukrainien, la gauche et les syndicats indépendants contre la guerre impérialiste d’agression du gouvernement dictatorial de Poutine, dont l’invasion militaire de grande envergure lancée en février 2022.
En reconnaissant le très lourd tribut que l’Ukraine et son peuple, son territoire, son économie et son futur démographique paient dans cette guerre, nous comprenons que l’Ukraine continuera à se battre car capituler devant les objectifs de guerre de la Russie signifierait l’asservissement. Les circonvolutions des déclarations de Trump ne cachent pas réellement le chemin que prend la politique états-unienne : elle s’oriente vers la trahison de l’Ukraine et une sorte de « paix » imposée comprenant l’amputation sanglante du territoire ukrainien.
3) Nous soutenons la guerre d’indépendance nationale et de survie de l’Ukraine parce que nous sommes des anti-impérialistes conséquents. Cela ne fait pas de nous des soutiens de l’OTAN, même si nous reconnaissons bien à l’Ukraine le droit de se fournir en armes pour se défendre, d’où qu’elles viennent. Nous ne redirons pas ici ce que nous avons déjà amplement développé à ce sujet, y compris le parallèle entre le refus des sionistes israéliens de reconnaître la nation palestinienne et le refus de la Russie de reconnaître l’existence nationale de l’Ukraine.
Les signaux contradictoires que Trump envoie à Poutine et Zelensky sont dus en partie à son égomanie et son incohérence, en partie aux tensions entre le secteur traditionnel néoconservateur-militariste et le secteur chrétien-nationaliste de sa base MAGA (y compris les sympathies de ce dernier pour la politique d’extrême-droite et suprémaciste chrétienne de Poutine) et en partie à une stratégie internationale plus globale qui peut être difficile à cerner au milieu de ses brusques changements d’avis et de ses diatribes. L’exemple le plus récent, bien que maladroit, est d’imposer 50 % de droits de douane à l’Inde, un allié des Etats-Unis, pour avoir apparemment acheté du pétrole à la Russie. Ces droits de douane peuvent s’avérer éphémères mais prennent l’apparence de différents objectifs politiques : arracher des concessions commerciales à l’Inde, et aussi mettre la Chine en garde par rapport à ce que pourraient faire les Etats-Unis au cas où la Chine les défierait dans le Pacifique ou au sujet de Taïwan.
4) Derrière une bonne partie de la politique étrangère de Trump, qui semble chaotique, se trouve la volonté de contrer la Chine dans la compétition pour le contrôle de l’Asie, mais aussi de l’Afrique et de l’Amérique latine, pour laquelle la Chine est devenue la principale source d’investissement en capital et de développement d’infrastructures. Il est à noter que l’Amérique latine, qui a longtemps été « l’arrière-cour des Etats-Unis », ainsi que la région arctique, deviennent toutes les deux le théâtre d’intenses rivalités inter-impériales.
L’utilisation par Trump des droits de douane en guise d’arme politique, ainsi que les menaces de prendre le contrôle du Canal de Panama, du Groenland et du Canada (!) en sont autant d’indicateurs, même si ses élucubrations annexionnistes portent la marque de la folie.
Au-delà de leur illégalité, les droits de douane de Trump visent de façon flagrante à s’immiscer dans la procédure judiciaire du Brésil (le procès de Jair Bolsonaro, l’ami fasciste et fomenteur de coup d’état de Trump). Ils visent également à faire pression sur le Soudan du Sud et les gouvernements africains pour qu’ils acceptent de recevoir les personnes expulsées des Etats-Unis.
Le retour à un pur impérialisme colonial du 19e et du début du 20e siècle n’est pas réellement faisable sauf dans l’imagination de Trump, mais son hostilité envers les alliés de Washington membres de l’OTAN est une rupture radicale d’avec le système post-seconde guerre mondiale (salué comme étant un « ordre global fondé sur le droit international ») qui plaçait les Etats-Unis en situation d’hégémonie, mais en étant fortement liés à des partenaires européens subalternes.
L’expansion de l’OTAN qui a suivi la dissolution de l’Union Soviétique, accélérée par l’adhésion de la Suède et la Finlande après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, et à présent l’attitude changeante et ambivalente de Trump à l’égard de la défense européenne, stimulent l’augmentation considérable des dépenses militaires des principaux états européens. Tout cela crée de nouvelles réalités, de nouvelles rivalités, et de potentielles instabilités.
5) D’autres évolutions et conflits importants requièrent une attention et une analyse continue de la part de Solidarity et de nos partenaires de la QI, mais nous ne tenterons pas de les examiner ici. Il s’agit entre autres :
a) de la montée de régimes réactionnaires voire néofascistes et ses implications à la fois pour la politique états-unienne et internationale.
b) de nouveaux secteurs concurrentiels potentiellement explosifs comme la technologie des semi-conducteurs, la militarisation de l’espace, et les nouvelles méthodes de désinformation et de subversion de la politique.
c) de la dégradation terrifiante de la situation environnementale, avec des conséquences qui apparaissent chaque année et chaque jour, qui font l’objet d’analyses dans le manifeste écosocialiste de la QI et qui devront être régulièrement mises à jour.
Publié par Solidarity le 16 septembre 2025