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Après l’« accord du siècle », l’« accord du millénaire »

par Gilbert Achcar
Trump annonce son accord avec Netanyahu

Il y a plus de cinq ans, le 28 janvier 2020, Donald Trump, alors président pour un premier mandat, dévoilait son plan de paix pour la Palestine lors d’une cérémonie à la Maison Blanche à laquelle assistait le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu. Le plan avait été rédigé par le gendre de Trump, Jared Kushner. Au cours de sa campagne électorale, Trump s’était engagé à négocier ce qu’il avait alors appelé « l’accord du siècle » entre les Arabes et l’État d’Israël – une appellation à laquelle Netanyahu fit écho dans son éloge flatteur du président américain lors de l’événement.

Lundi dernier, l’autopromotion caractéristique de Trump et son narcissisme croissant ont refait surface lorsqu’il a décrit l’annonce du plan – co-écrit par Kushner et l’ancien Premier ministre britannique Tony Blair – comme « potentiellement l’un des grands jours de la civilisation », affirmant qu’il pourrait résoudre « des choses qui se passent depuis des centaines d’années et des milliers d’années ».

La vérité est que ce nouvel « Accord du millénaire », comme son prédécesseur, l’« Accord du siècle », ne résoudra finalement rien (voir « Palestine : reconnaître le peuple avant l’État », Contretemps, 24 septembre 2025). En stipulant : « Alors que le réaménagement de Gaza progresse et que le programme de réforme de l’Autorité palestinienne est fidèlement mis en œuvre, les conditions pourraient enfin être réunies pour une voie crédible vers l’autodétermination palestinienne et un État » (point 19), le plan reconnaît implicitement que, dans sa forme actuelle, il n’est pas fondé sur le droit du peuple palestinien à l’autodétermination. Au lieu de cela, il traite ce droit comme une simple possibilité (« pourraient »). D’ailleurs, Netanyahou n’a pas perdu de temps pour confirmer dans un entretien donné après l’annonce qu’il ne reconnaissait pas ce droit et qu’Israël « y résistera par la force ».

Cette base défectueuse rend le nouveau plan de Trump encore moins réaliste que celui qu’il a dévoilé il y a cinq ans. Alors que l’« Accord du siècle » initial proposait la création d’un État de Palestine comprenant des parties de la Cisjordanie et l’ensemble de la bande de Gaza, le nouveau plan appelle à l’imposition d’un mandat international sur l’enclave. Cette proposition fait écho aux mandats coloniaux établis après la Première Guerre mondiale et s’inspire de l’administration internationale mise en place au Kosovo en 1999. C’est précisément ce précédent qui explique l’implication de l’ancien Premier ministre britannique Tony Blair dans le projet d’administration de Gaza sous la direction de Trump. Blair a joué un rôle central dans la guerre du Kosovo et les décisions ultérieures concernant sa gouvernance.

Alors que le plan prévoit un retrait progressif de l’armée israélienne de Gaza, qui serait remplacée par une « force internationale de stabilisation » (un nom emprunté à la mission en Bosnie-Herzégovine), il précise que l’armée israélienne « remettra progressivement le territoire de Gaza qu’elle occupe à la FSI selon un accord qu’elles concluront avec l’autorité de transition,  jusqu’à ce qu’elle soit complètement retirée de Gaza, à l’exception d’une présence dans le périmètre de sécurité qui restera jusqu’à ce que Gaza soit correctement protégée de toute menace terroriste résurgente » (point 16).

En d’autres termes, même si le plan était mis en œuvre exactement comme prévu, l’armée israélienne conserverait le contrôle d’un « périmètre de sécurité » d’environ un kilomètre de profondeur à Gaza le long de la frontière avec l’État sioniste – soit une longueur d’environ 60 kilomètres. La construction de ce périmètre a commencé au début de l’invasion israélienne, clairement en prévision du maintien de son contrôle après tout retrait plus large du reste de Gaza.

En fin de compte, même si le Hamas accepte le plan Trump sous la pression des gouvernements arabes et musulmans qui l’ont approuvé (le mouvement n’avait pas encore annoncé sa position au moment de la rédaction de ces lignes) et que l’« Accord du millénaire » commence à être mis en œuvre, la voie à suivre restera escarpée et périlleuse – et aboutira probablement à une impasse complète. Le plan parviendrait à un fait accompli permanent, au cours duquel le contrôle israélien sur de grandes parties de la bande de Gaza serait renforcé. Israël invoquerait probablement la « menace terroriste » renouvelée – même les formes de résistance les plus élémentaires, qui ne manqueront pas de persister – comme prétexte pour maintenir son occupation d’une grande partie de Gaza, à l’image de son occupation de longue date de la Cisjordanie. Cette occupation-ci est officiellement considérée comme « temporaire » en vertu du droit international depuis 58 ans.

* Dernier ouvrage paru : Gaza, génocide annoncéUn tournant dans l’histoire mondiale.

Traduit de ma chronique hebdomadaire dans le quotidien de langue arabe, Al-Quds al-Arabi, basé à Londres. Cet article est d'abord paru en ligne le 30 septembre. Vous pouvez librement le reproduire en indiquant la source avec le lien correspondant.

 

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المؤلف - Auteur·es

Gilbert Achcar

Gilbert Achcar est professeur d'études du développement et des relations internationales à la SOAS, Université de Londres. Il est l'auteur, entre autres, de : le Marxisme d'Ernest Mandel (dir.) (PUF, Actuel Marx, Paris 1999), l'Orient incandescent : le Moyen-Orient au miroir marxiste (éditions Page Deux, Lausanne 2003), le Choc des barbaries : terrorismes et désordre mondial (2002 ; 3e édition, Syllepse, Paris 2017), les Arabes et la Shoah. La guerre israélo-arabe des récits (Sindbad, Actes Sud, Arles 2009), Le peuple veut. Une exploration radicale du soulèvement arabe (Sinbad, Actes Sud, Arles 2013), Marxisme, orientalisme, cosmopolitisme (Sinbad, Actes Sud, Arles 2015), Symptômes morbides, la rechute du soulèvement arabe (Sinbad, Actes Sud, Arles 2017).