
Le 29 septembre 1935, le Parti ouvrier d’unification marxiste (POUM) voit le jour, issu de la fusion de deux organisations communistes dissidentes, le Bloc ouvrier et paysan (BOC) et la Gauche communiste espagnole (ICE)1.
Le communisme dissident
Le BOC, la composante la plus importante du nouveau parti, a pour origine un groupe de militant·e·s de la CNT2 du début des années 1920. Ce groupe, connu sous le nom de « syndicalistes révolutionnaires » et dirigé par un enseignant d’origine aragonaise, Joaquín Maurín, était acquis à la révolution russe et entra en 1924 dans le Parti communiste espagnol (PCE) pour former sa Fédération communiste catalano-baléare (FCC-B). Compte tenu de ses origines et des conditions dans lesquelles il s’est formé, en pleine dictature de Primo de Rivera3, la FCC-B ne s’est jamais totalement intégrée au PCE.
À la veille de la République4, au niveau national, le Parti communiste était totalement désorganisé et ne comptait que quelques centaines de membres. La grande majorité de la FCC-B, soit environ deux cents militants, avait rompu avec le PCE en raison de sa bureaucratisation, de son orientation scissionniste dans les syndicats et du fait qu’il caractérisait la révolution à venir comme une « dictature démocratique des ouvriers et des paysans »5.
Le BOC a été créé en mars 1931 à partir de la fusion du FCC-B et du Partit Comunista Català. Ce dernier parti avait été fondé en 1928 par de jeunes militants, dont Jordi Arquer, certains issus du nationalisme de gauche, convaincus par la « résolution de la question nationale » en URSS, mais opposés au centralisme du PCE. L’organisation unifiée a conservé le nom de FCC-B jusqu’en 1932, date à laquelle, avec l’incorporation de dissident·e·s du PCE dans les Asturies, à Madrid et dans le Pays valencien, la Fédération communiste ibérique a été fondée. Le BOC a été créé comme une organisation à caractère plus large qui devait servir d’antichambre à la Fédération, conçue elle comme une organisation plus purement « communiste ». Mais dans la pratique, les deux organisations ne firent bientôt plus qu’une.
Le BOC fut le principal parti ouvrier en Catalogne dans les années qui précédèrent la guerre civile. Le nombre de ses militant·e·s passa de 700 environ au moment de sa fondation à près de 4 500 lorsqu’il fusionna avec l’ICE quatre ans plus tard. Cependant, son influence s’étendit considérablement malgré le nombre relativement faible de ses adhérent·e·s. Il disposait d’une base importante dans les districts locaux (comarcas) et joua un rôle moteur dans la mise sur pied d’une série de fronts d’unité syndicale. Son rôle dans la formation et la direction de l’Alliance ouvrière catalane à la fin de 1933 fut une autre preuve de l’influence du BOC. Maurín avait probablement raison lorsqu’il estima qu’à cette époque, le Bloc comptait environ 50 000 sympathisant·e·s.
La section espagnole de l’Opposition de gauche6 avait été fondée à Liège, en Belgique, en février 1930, par un groupe d’exilé·e·s conduit par le Basque Francisco García Lavid (Henri Lacroix). Dans les mois qui suivirent, les membres de ce groupe retournèrent en Espagne pour tirer parti de la nouvelle situation politique née de la chute de Primo de Rivera. Au début, les partisans de l’opposition dans le pays étaient peu nombreux, mais elle comptait dans ses rangs un certain nombre de cadres communistes très expérimentés, dont Andreu Nin et Juan Andrade. Nin avait séjourné en URSS entre 1921 et 1930, où il avait été secrétaire adjoint de l’Internationale syndicale rouge7 et avait rejoint l’Opposition de gauche, dirigée par Trotsky8. Andrade, comme Lacroix, avait été l’un des fondateurs du PCE. En 1932, le groupe trotskiste espagnol adopta le nom de Gauche communiste d’Espagne (ICE). Bien qu’elle n’ait jamais compté plus de quelques centaines de membres, l’ICE se distingua par sa capacité intellectuelle, son magazine Comunismo étant la publication marxiste la plus importante de l’époque.
Les principales différences entre le BOC et les trotskistes résidaient dans leur relation avec le mouvement communiste international et dans certains aspects de leur stratégie politique en Espagne. Alors que les trotskistes considéraient que la dégénérescence du mouvement communiste avait une origine internationale, le BOC, du moins au départ, estimait qu’elle était le résultat d’une mauvaise direction au niveau national. Les trotskistes critiquaient la politique « confuse » du BOC : sa structure organisationnelle peu claire, son appel à la CNT à « prendre le pouvoir » en septembre 1931 et sa défense du « séparatisme » et de la création de « mouvements nationaux » dans les régions de l’État où la conscience nationale était faible. Alors que le BOC insistait sur la nécessité de mener à bien la « révolution démocratique », mais sous la direction du prolétariat, l’ICE considérait la lutte pour les revendications démocratiques comme purement transitoire.
L’Opposition de gauche internationale se considérait comme une « fraction » du mouvement communiste officiel et non comme un courant distinct. Mais compte tenu de la faiblesse du parti espagnol, Nin était partisan de l’intégration dans la FCC-B, sur laquelle il pensait pouvoir exercer une influence grâce à son vieil ami Maurín. L’optimisme de Nin se justifia au début de l’année 1931 lorsqu’il aida Maurín à rédiger les premières thèses politiques de la FCC-B et que celui-ci publia régulièrement ses articles dans la presse du Bloc. Cependant, lorsque Nin demanda officiellement à adhérer au BOC en mai 1931, sa demande fut rejetée et, quelques mois plus tard, un petit groupe de militants trotskistes travaillant au sein du BOC fut expulsé pour « activité fractionniste ». Dans sa presse, le BOC dénonça l’organisation trotskiste comme une secte fractionniste et insignifiante, « condamnée à vivre en marge du mouvement ouvrier », marginalité à partir de laquelle elle se limiterait à « suivre aveuglément » les positions indiquées par Trotsky. Ils étaient le « reflet exact du stalinisme », dont ils avaient copié les mêmes méthodes centralistes « mécaniques ». Même à la veille du mouvement d’octobre 19349, alors qu’il y avait déjà une collaboration entre les deux organisations au sein des Alliances ouvrières, les blocistes accusaient encore l’Opposition de gauche d’être « peut-être encore plus sectaire que le stalinisme lui-même ».
En opposition à cette critique du mouvement trotskiste en tant que tel, le BOC a toujours clairement souligné la différence qui, selon lui, existait entre Trotsky et ses partisans, dont les activités « nuisaient » souvent à son image. Le BOC défendait l’ancien leader bolchevique contre les calomnies staliniennes ; il le décrivait comme « le meilleur camarade de Lénine », « l’homme de la révolution d’octobre » [doté] « d’un tempérament extraordinaire de combattant de la cause communiste ».
À partir de 1933, les divergences entre les deux organisations s’estompèrent, ce qui permit un rapprochement progressif qui aboutit à leur fusion. D’une part, à la fin de 1932, le BOC clarifia sa position vis-à-vis du mouvement communiste international et adopta une position ouvertement antistalinienne. Maurín reconnut qu’il y avait eu une dégénérescence qui trouvait son origine dans le triomphe de la théorie du « socialisme dans un seul pays », théorie qui avait conduit le Komintern10 à se subordonner à l’État soviétique. Les principes fondamentaux qui sous-tendaient le communisme du BOC coïncidaient avec ceux déjà établis par les quatre premiers congrès de la CI, pendant la période marquée par l’influence de Lénine et Trotsky.
Reconnaissant la dégénérescence du Komintern, le BOC ne préconisait pas sa reconstruction à court terme, mais plutôt la coopération avec les « fortes minorités » existant dans de nombreux pays, qui voulaient revenir à la « tradition de Marx et Lénine ». Ces groupes, radicalisés par la crise économique, la montée du fascisme, l’échec de la social-démocratie au pouvoir et la dégénérescence de la révolution russe, avaient émergé au sein des partis socialistes et communistes, ou avaient rompu avec eux.
En 1933, certains de ces groupes, dont le BOC, ont formé le Bureau international pour l’unité socialiste révolutionnaire (BIUSR). Pour les adhérents du Bureau, la Deuxième Internationale11 (socialiste) était « complètement consumée », tandis que la Troisième (le Komintern) avait « étranglé la démocratie interne » et, avec le mot d’ordre « socialisme dans un seul pays », avait « liquidé les intérêts de la révolution mondiale ». Mais avant de pouvoir envisager la création d’une nouvelle internationale, il fallait reconstruire les partis révolutionnaires dans tous les pays. Le Bureau proposa donc « de développer des actions internationales conjointes entre ses propres sections et d’autres sections révolutionnaires du mouvement ouvrier, afin de préparer la fondation d’une internationale reconstruite sur une base socialiste révolutionnaire ».
Vers l’unification
En 1933, l’ICE entra en crise, tant en raison de son conflit croissant avec le mouvement trotskiste international que de son absence de croissance. Elle comptait tout au plus 800 militant·e·s, principalement présent·e·s dans la région de Llerena (Estrémadure), à Madrid, à Séville et avec des noyaux du nord de l’État espagnol. En Catalogne, elle ne comptait qu’une douzaine d’affiliés.
En 1933, l’opposition trotskiste internationale abandonna son ambition d’être une fraction du mouvement communiste « officiel » à la suite de l’action désastreuse du parti allemand face à la montée des nazis. Dès lors, les trotskistes se déclarèrent en faveur de la construction d’une nouvelle « quatrième » internationale. Le fait que, un an auparavant, le groupe espagnol ait cessé de se définir comme une « opposition » pour se présenter comme une organisation indépendante, fut l’un des nombreux désaccords avec la direction du mouvement trotskiste. En conséquence, la direction internationale soutint Lacroix dans sa tentative de détrôner Nin de son poste de secrétaire général de l’ICE. L’expulsion de Lacroix pour détournement de fonds et sa tentative ultérieure de revenir au PCE, devant lequel il dénonça « la contre-révolution masquée [du] trotskisme », ne contribuèrent pas à améliorer les relations entre l’ICE et l’organisation internationale.
Ces relations se détériorèrent davantage en 1934, lorsque Trotsky plaida en faveur de l’intégration de ses partisans dans les partis socialistes afin d’influencer les nouveaux courants de gauche qui émergeaient en leur sein. L’ICE rejeta cette nouvelle orientation en raison de son expérience au sein de l’UGT12, où elle avait été régulièrement sanctionnée par la bureaucratie syndicale. En revanche, les trotskistes espagnols insistaient sur le fait que la « garantie de l’avenir » résidait dans le front unique et dans « l’indépendance organique de l’avant-garde du prolétariat » ; ils avaient appris ces principes de Trotsky et n’étaient pas prêts à y renoncer, « même au risque de devoir marcher séparément vers la victoire ».
Les événements d’octobre 1934 créèrent dans le mouvement ouvrier un climat très propice à l’unité. Pour le BOC et l’ICE, l’inexistence d’un parti révolutionnaire de masse était la cause principale de la défaite subie par les travailleurs. Pendant ce temps, au sein du Comité régional de l’Alliance ouvrière de Catalogne, Maurín et Nin avaient déjà retrouvé l’étroite collaboration qui les unissait depuis des années.
Dans ses publications, le BOC défendait la nécessité d’unifier tous les marxistes au sein d’un même parti, y compris le PCE. C’est en Catalogne, où la division entre les partis marxistes était la plus marquée, qu’une initiative de cette nature semblait la plus réalisable. De plus, comme l’a souligné Maurín, tant l’UGT que la CNT et, plus récemment, l’Alianza Obrera avaient été fondées en Catalogne, ce qui leur conférait un rôle de premier plan dans l’histoire du mouvement ouvrier ibérique. Ainsi, à l’initiative du BOC, entre février et avril 1935, trois réunions ont eu lieu entre les représentant·e·s de la Fédération catalane du PSOE, du Partit Comunista de Catalunya (PCE), de l’Union socialiste de Catalogne (social-démocrate), du Partit Català Proletari (indépendantiste), de l’ICE et du Bloque lui-même.
Il est rapidement apparu qu’il serait très difficile de parvenir à un accord. Les deux organisations socialistes ont plaidé en faveur d’une union préalable entre les groupes socialistes comme première étape vers une unification générale ultérieure. De leur côté, les communistes ont déclaré qu’une union politique devait être fondée sur le programme du Komintern. Finalement, d’un côté, il y avait le BOC et l’ICE et, de l’autre, les autres partis qui finirent par former le Partit Socialista Unificat de Catalunya en juillet 1936.
Malgré l’échec du processus d’unification catalan, le BOC continua à proposer la création d’un parti unifié à l’échelle nationale. En revanche, la direction de l’ICE estimait que la création d’un tel parti n’était envisageable qu’en Catalogne, compte tenu de la force du BOC, mais que dans le reste de l’État, ses militant·e·s devaient adhérer au PSOE. Cependant, la majorité des membres de l’ICE rejetèrent la proposition de la direction et choisirent plutôt de former des sections du nouveau parti dans tout l’État.
Le nouveau parti
Le BOC et l’ICE sont parvenus à un accord définitif pour unifier les deux partis au début du mois de juillet 1935. Pour l’ICE, l’unification des deux partis s’était faite sur la base d’un programme qui intégrait « tous [les] principes fondamentaux » du trotskisme :
« [en ce qui concerne] le caractère international de la révolution prolétarienne, la condamnation de la théorie du socialisme dans un seul pays... la défense de l’URSS, mais avec le droit absolu de critiquer toutes les erreurs de la direction soviétique, l’affirmation de l’échec de la Deuxième et de la Troisième Internationale et de la nécessité de rétablir l’unité du mouvement ouvrier international sur une nouvelle base ».
Cependant, la réalité était plus proche de l’opinion exprimée publiquement par Nin, qui affirmait que l’unification avait été facilement réalisée car il n’existait pas de « divergences fondamentales » séparant les deux partis et qu’« aucune des deux parties n’avait fait de concessions importantes ».
L’idée du BOC avait toujours été de construire le parti révolutionnaire « à partir de la Catalogne vers l’extérieur », mais, dans la pratique, ce projet n’avait pas beaucoup avancé. L’unification avec l’ICE offrait au projet bloquiste l’opportunité de s’étendre à une série de noyaux dispersés sur tout le territoire espagnol. Elle intéressait également le BOC en raison du renforcement que représentait l’intégration de Nin à la direction du parti, une direction qui, jusqu’alors, dépendait trop de Maurín. De même, le parti unifié allait bénéficier de la présence dans ses rangs des membres de l’ICE, qui comptaient de nombreux militants expérimentés, dont la contribution allait rapidement se faire ressentir dans la presse du parti unifié.
En raison de la clandestinité dans laquelle se trouvaient encore les deux partis, le congrès d’unification ne fut qu’une réunion entre leurs dirigeant·e·s, qui se tint à Barcelone le dimanche 29 septembre au 24, rue Montserrat de Casanovas, domicile de Francesc de Cabo et Carlota Durany, militant·e·s de l’ICE. Le nouveau parti allait être régi selon les principes du centralisme démocratique, qui permettait la plus grande démocratie interne, mais pas l’existence de fractions organisées permanentes. L’autorité suprême allait émaner du congrès annuel du parti, au cours duquel seraient élus les 41 membres du Comité central et le secrétaire général. Compte tenu de l’impossibilité de tenir un véritable congrès à court terme, la réunion des dirigeant·e·s, s’arrogeant les fonctions du congrès, nomma un Comité central composé de 29 militant·e·s du BOC et de 12 de l’ICE. Un Comité exécutif de huit personnes fut également nommé. Maurín fut nommé secrétaire général et continua d’être directeur de La Batalla. Nin a pris le poste de directeur de La Nueva Era, la revue théorique du parti.
À la fin de 1934, Maurín avait affirmé que « la doctrine du futur grand parti révolutionnaire socialiste (communiste) (...) devait être (non) le marxisme et le léninisme interprétés par les épigones, mais le marxisme et le léninisme interprétés par notre prolétariat révolutionnaire », car « les transpositions mécaniques des expériences vécues dans certains pays à d’autres ont toujours des résultats désastreux ». Ainsi, la politique du POUM allait s’appuyer sur l’analyse développée par Maurín et exposée dans son livre Hacia la segunda revolución (Vers la deuxième révolution, 1935), qui définissait la phase que traversait la révolution espagnole comme « démocratique-socialiste ».
La gauche socialiste
Dans les mois qui ont précédé le début de la guerre civile, l’appel à la création d’un « grand parti révolutionnaire » restait au cœur du discours du POUM. Pour atteindre son objectif de devenir un parti d’envergure nationale, il était essentiel que le POUM rallie au moins une partie de la gauche du PSOE qui, depuis fin 1933, défendait une politique « révolutionnaire ». Le fait que la presse du secteur le plus important de cette gauche, la Fédération des jeunes socialistes (FJS), se montrait en phase tant avec Trotsky qu’avec le BOC, faisait que cela ne paraissait pas si improbable.
Après les événements d’octobre 1934, la FJS défendit la nécessité de « bolchéviser » le mouvement socialiste, dans le but de centraliser la structure du parti et d’évacuer les « réformistes » de tous les postes de direction. Elle rejeta également toute nouvelle alliance avec les Républicains et se déclara en faveur du retrait de la Deuxième Internationale. La question de la « reconstruction internationale » du mouvement ouvrier ne pouvait être abordée que « sur la base de la tradition de la Révolution russe ».
Cependant, les divergences entre le POUM et la FJS sont apparues clairement dans un échange de lettres entre son secrétaire général, Santiago Carrillo, et Maurín, publiées en juillet et septembre 1935. Carrillo réitéra sa conviction que le futur grand parti bolchevique espagnol allait se construire au sein du PSOE et appela le BOC à s’intégrer au parti afin de renforcer la gauche dans sa lutte contre les réformistes. Maurín, en réponse, réaffirma la conviction du BOC que cela était impossible tant que deux tendances irréconciliables coexistaient au sein du PSOE. Pour Maurín, le problème n’était pas d’ordre numérique, puisque cela n’avait pas préoccupé Lénine en 1917, mais d’ordre idéologique. L’unité était indispensable, mais il fallait la réaliser sur une base révolutionnaire et non pas au sein de tel ou tel des partis ouvriers existants.
Les espoirs qu’avait le POUM d’attirer les jeunes socialistes furent vains. Le mouvement communiste officiel, revitalisé après le virage front-populiste13 et, surtout, après son appel à former un Parti unique du prolétariat, allait s’avérer beaucoup plus séduisant pour la FJS que l’orthodoxie marxiste révolutionnaire du POUM, ce qui conduisit à la fondation, aux côtés de la Jeunesse communiste, de la Jeunesse socialiste unifiée (JSU) dans les mois qui précédèrent la guerre civile. La création de la JSU allait être décisive pour fournir au stalinisme une base de masse pendant la guerre civile.
En revanche, le dirigeant de la gauche socialiste, Francisco Largo Caballero, semblait plus ouvert à la réalisation de l’unité politique des marxistes. Et en avril 1936, le dirigeant de l’UGT proposa même à Maurín que le POUM et le PSOE fusionnent. Mais la possibilité que cela se produise était réduite en raison de la manière dont le POUM abordait la question de l’unification. Dans le même temps, Maurín reprocha aux « unificateurs socialistes » leur idée de former un parti où tout le monde aurait sa place, ce qui, selon lui, « confond ce que doit être un parti révolutionnaire avec les partis sociaux-démocrates ou travaillistes ». Il n’est pas surprenant que le comité exécutif du POUM ait rejeté la proposition de Largo Caballero.
À la fin du mois de mai 1936, le POUM était déjà convaincu que les deux tendances du PSOE ne différaient pas beaucoup l’une de l’autre. Toutes deux étaient d’accord avec la politique du Front populaire, favorables au maintien du PSOE dans la Deuxième Internationale, soutenaient la Société des Nations14, avaient voté en faveur d’Azaña15 pour le poste de premier ministre et acceptaient la suspension permanente des garanties constitutionnelles que le gouvernement maintenait en vigueur. La frustration du POUM face aux revirements et aux contorsions de la gauche socialiste, en particulier de son dirigeant, s’est reflétée dans un article du Basque José Luis Arenillas, ancien militant de l’ICE, qui regrettait qu’une partie aussi importante de la classe ouvrière continue de croire au « mythe de Largo Caballero », dont la création avait constitué une véritable « absurdité antimarxiste ».
Le « véritable parti communiste »
En juillet 1936, à la veille de la guerre civile16, le POUM comptait environ 6 000 membres, mais sa présence géographique restait inégale. Le nouveau parti était présent dans plus de quatre cents localités, dont près de 75 % en Catalogne. La force du parti en Catalogne résidait dans les districts, notamment à Gérone et Lleida, où il disposait d’une importante base paysanne. Il existait également des groupes importants dans les villes de Gérone, Lérida, Manresa, Reus, Sabadell, Tarragone et Terrassa, ainsi que dans des localités d’une certaine importance telles que Figueres, Olot, Sitges et Vilanova i la Geltrú. De plus, les syndicats influencés par le POUM, la Fédération ouvrière d’unité syndicale, fondée en Catalogne en mai 1936, regroupaient environ 50 000 membres.
En dehors de la Catalogne, les zones où le POUM était implanté étaient celles où le BOC avait eu une présence plus importante : les provinces de Castelló, Valence et l’est de l’Aragon. Dans le reste du pays, le nouveau parti hérita des noyaux de l’ICE et de certains du BOC (Asturies). Avant la guerre civile, le POUM affirmait disposer de sections dans presque tout l’État espagnol. Sa presse rendait compte de la croissance du parti, notamment dans le Pays valencien, à Madrid et en Galice, en plus de la Catalogne. En tant que « seul défenseur de la révolution socialiste au sein de notre prolétariat », le POUM était optimiste quant à sa capacité à poursuivre son expansion. Selon sa presse, le parti était « la grande préoccupation de la bourgeoisie », comme l’avaient été les bolcheviks en 1917.
Le nouveau parti se présentait comme « le véritable Parti communiste de Catalogne et d’Espagne ». Pour Maurín, le parti bolchevique de Lénine était le modèle, mais :
« un parti ne peut être une copie, une imitation, une adaptation. Il doit avoir sa propre vie... (et) pour cela, ses racines doivent s’enfoncer profondément dans le sol du pays où il existe.
[Ce serait la tâche d’un tel parti]... de fusionner l’intérêt d’une classe avec l’intérêt général d’un peuple, avec l’intérêt de toute une nation ou de diverses nations reliées par un même État : voilà le secret de tout mouvement révolutionnaire d’envergure historique ».
Paru dans Vientosur n° 198, traduit par Traduit pour ESSF par Pierre Vandevoorde
- 1
Izquierda Comunista de España
- 2
Confederación Nacional del Trabajo, principale confédération syndicale anarcho-syndicaliste espagnole, fondée en 1910.
- 3
Dictature militaire établie en Espagne de 1923 à 1930 par le général Miguel Primo de Rivera.
- 4
La Seconde République espagnole, proclamée en avril 1931 après la chute de la monarchie.
- 5
La « dictature démocratique des ouvriers et des paysans » fut présentée comme étant la phase à venir de la révolution russe par Lénine avant 1917.
- 6
Courant organisé par Léon Trotsky après son expulsion de l’Union soviétique en 1929, contestant la direction stalinienne du mouvement communiste international.
- 7
Organisation syndicale internationale créée en 1921 par l’Internationale communiste pour coordonner l’action des syndicats révolutionnaires.
- 8
Nin n’a jamais été le « secrétaire de Trotsky » contrairement à ce qu’affirment de nombreuses sources.
- 9
Insurrection ouvrière d’octobre 1934 en Espagne, principalement dans les Asturies et en Catalogne, réprimée par le gouvernement de droite.
- 10
Internationale communiste, organisation internationale des partis communistes fondée en 1919.
- 11
Internationale socialiste, organisation fondée en 1889 regroupant les partis socialistes et sociaux-démocrates.
- 12
Unión General de Trabajadores, confédération syndicale proche du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE).
- 13
Stratégie adoptée par l’Internationale communiste en 1935, préconisant des alliances avec les partis socialistes et républicains contre le fascisme.
- 14
Organisation internationale créée en 1920 après la Première Guerre mondiale pour maintenir la paix, dissoute en 1946 et remplacée par l’ONU.
- 15
Manuel Azaña, président de la Seconde République espagnole de 1936 à 1939.
- 16
La guerre civile espagnole (1936-1939), déclenchée par le coup d’État militaire du général Franco contre la République.