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Le Ghetto de Rafah comme le Ghetto de Varsovie

par Yorgos Mitralias

« Et maintenant, nous demandons : Comment pouvez-vous manger, dormir, vivre ? Combien coupables sentirez-vous dans vos cœurs si vous ne remuez pas ciel et terre pour courir à notre aide par les seuls moyens dont dispose notre peuple et le plus tôt possible ? (...) Pour l'amour de Dieu, faites quelque chose maintenant, et vite ». Cet appel à l’aide désespéré, cité par Saul Friedländer dans son monumental L’Allemagne nazie et les juifs1 ne date pas d’aujourd’hui et ne vient pas des Palestiniens de Gaza. Il a été lancé il y a 81 ans par le rabbin slovaque Michael Bar Weissmandl qui tentait de sauver les juifs de Slovaquie de la déportation -et de la mort- à Auschwitz en s’adressant à la direction sioniste en Palestine et aux gouvernants américains et britanniques.

Mais, ce n’était pas tout. Weissmandl dont les appels aux alliés de bombarder tant Auschwitz que les voies ferrées menant les juifs slovaques à Auschwitz, restaient sans réponse, n’a pas mâché ses mots quand il s’est adressé en des termes très durs à eux mais aussi à l’organisation sioniste en Palestine, qui s’abstenait systématiquement d’assister les juifs en Europe : « Et vous - nos frères de Palestine, de tous les pays libres, et vous ministres de tous ces pays - comment pouvez-vous demeurer muets devant ce grand meurtre ? Muets tandis que des milliers de milliers, à présent six millions de Juifs, étaient assassinés. Muets tandis que des dizaines de milliers sont encore assassinés ou en voie de l'être ? Leurs cœurs détruits vous implorent à l'aide tout en déplorant votre cruauté. Brutaux, vous êtes, et assassins aussi, à cause du sang-froid du silence dans lequel vous observez[7]. »

Si le brave Weissmandl va jusqu’à qualifier d’assassins, les sionistes et les gouvernants anglo-américains, qui refusent d’assister les victimes de la Shoah, alors comment qualifierait-il aujourd’hui les gouvernants actuels des pays comme les Etats-Unis, l’Allemagne, la France et tant d’autres qui ne se contentent pas de rester indifférents devant les souffrances palestiniennes, mais vont jusqu’à armer, financer et soutenir diplomatiquement le génocide de l’État d’Israël contre les Palestiniens de Gaza ?

On connait d’avance la réponse des intéressés, soutenus par la fine fleur des néofascistes et autres nostalgiques du Troisième Reich de pas le monde : Ce qui se passe à Gaza n’a rien à voir avec la Shoah, et toute comparaison relève du sacrilège et de …l’antisémitisme. Et pourtant, grâce aux efforts incessants et à l’inventivité perverse des successeurs politiques de ceux (Menahem Begin, Itshak Samir…) qu’Einstein appelait déjà en 1948 « fascistes » et « terroristes »2, les comparaisons s’imposent parce qu’elles crèvent les yeux. Comme par exemple, celle entre le Ghetto juif de Varsovie et le Ghetto palestinien de Rafah, appelé cyniquement… « Ville Humanitaire » ( !) que Netanyahou et ses complices sont en train de préparer pour y entasser 600.000 Gazaouis affamés et au bord de la mort . Et s’il y a quelques différences entre les deux ghettos, elles ne sont pas nécessairement en faveur du projet des criminels de guerre Israéliens : le ghetto de Rafah est déjà un champ de ruines, à la différence de celui de Varsovie qui a été détruit seulement à la fin et durant l’ écrasement de la révolte héroïque de ses derniers défenseurs. Pour le reste, même famine organisée et mêmes intentions et pratiques génocidaires des bourreaux suprémacistes qui n’ont pas peur de déshumaniser leurs victimes (juifs alors, palestiniens aujourd’hui) les qualifiant de « sous-hommes » ou d’« animaux sauvages » et des « blattes qu’il faut écraser»…

D’ailleurs, n’était-il pas Marek Edelman, le dernier dirigeant de la révolte du Ghetto de Varsovie, qui avait déjà qualifié Gaza tout entière de véritable ghetto, la comparant même avec celui de Varsovie, dont Edelman pouvait se targuer d’être -évidemment- bien meilleur connaisseur que les divers Netanyahou, Smotrich, Katz ou Gvir ? Un Marek Edelman qui s’est toujours déclaré solidaire des combattants Palestiniens car il avait tout prévu de l’inexorable dérive raciste et génocidaire de l’État sioniste et avertissait les Israéliens que « quand on veut vivre parmi des millions d'Arabes, il faut se mélanger à eux, laisser l'assimilation et les mariages mixtes faire leur travail»3.(3) Lui il savait…

Mais, les ressemblances ou plutôt les affinités entre ce qu’avaient fait subir aux Juifs les nazis, et ce que font subir maintenant aux Palestiniens les dirigeants israéliens sont légion. Par exemple, il a fallu quelques jours d’exploits macabres de la tristement célèbre Gaza Humanitarian Foundation pour que le monde entier qualifie de « Death Trap » (Piège Mortel) cette « structure » diabolique que le tandem Netanyahou-Trump ont inventé de toute pièce, pour remplacer les organisations humanitaires de l’ONU, UNRWA en tête, qu’eux-mêmes avaient préalablement détruit et interdit. Pourquoi « piège mortel » ? Mais, parce que, selon l’ONU et des centaines d’ONG humanitaires, ce Gaza Humanitarian Foundation ne sert que pour attirer les Palestiniens affamés dans des espaces de distribution d’aliments très étroites, bien délimitées et entourées de barbelés où ils sont piégés et deviennent des proies faciles pour les soldats israéliens qui leur tirent dessus, tuant jour après jour 60, 90 ou même 120 d’eux par jour, surtout des femmes et des enfants!

Ce « death trap » actuel fait évidemment penser à un autre, encore plus tristement célèbre « death trap », les chambres à gaz des camps d’extermination nazis, présentées aux déportéEs comme salles de douche ou de désinfection pour que les victimes y entrent sans soupçonner qu’elles vont y trouver une des morts les plus atroces. S’il y a une différence, c’est que tandis que ceux et celles qui entraient dans les chambres à gaz nazies ne savaient pas -sauf rares exceptions- ce qui les attendaient, les Palestiniens qui entrent dans les pièges mortels de la Fondation soit disant « humanitaire » des tueurs de Netanyahou et de Trump, savent d’avance ce qui les attend mais ils y vont car contraints, comme ils disent, de « choisir entre la mort par famine ou par balle ».

Toutefois, choisir sa mort a été souvent dans le passé un acte héroïque permettant aux victimes des barbaries fascistes et autres d’affirmer leur dignité humaine. Comme par exemple, l’ont fait mes compatriotes juifs de Corfou déportés à Auschwitz, dont le sacrifice nous rappelle opportunément Hermann Langbein dans son terrible Hommes et Femmes à Auschwitz, qui n’a pas de pareil dans la bibliographie de la Shoah : « Le 22 juillet 1944, quatre cents trente-cinq juifs déportés de Corfou et affectés aux Kommando spécial refusèrent de faire ce travail. Ils passèrent tous à la chambre à gaz. La chronique quotidienne établie par le musée d’Auschwitz note ce fait dont personne n’eut connaissance. Trop souvent, l’héroïsme demeurait ignoré à Auschwitz »4

Se souvenir de ces 435 juifs de Corfou et de leur ultime acte de résistance à l’inhumanité des bourreaux, à seulement quelques jours du 81e anniversaire de leur mort, ne nous parait pas étranger à l’esprit de ce texte…

Le 13 juillet 2025

 

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المؤلف - Auteur·es

Yorgos Mitralias

Yorgos Mitralias, journaliste retraité, ancien militant de la section grecque de la IVe Internationale et de Syriza, un des fondateurs et animateurs du Comité grec contre la dette, membre du réseau international CADTM, a animé le site EuropeansForBerniesMassMovement qui fournissait, surtout en anglais et en grec, des informations quotidiennes sur les actions des mouvements sociaux et de la gauche étatsunienne.