
Depuis le début de la guerre à grande échelle, en raison des bombardements russes, ce sont plus de 3 400 établissements d'enseignement ont été endommagés et 400 ont été complètement détruits. Parmi eux de nombreuses universités. Dans ces établissements, les conditions d’études des etudiant·es deviennent de plus en plus difficiles, notamment parce que les administrations universitaires ne procèdent pas aux réparations nécessaires. Cette question des réparations est une des préoccupations du syndicat étudiant Priama Diia qui exige que fenêtres et dortoirs soient réparés. Mais ce n’est pas la seule activité du syndicat qui agit sur de nombreuses autres questions en défense des intérêts des étudiant·es. Priama Diia, a récemment rejoint notre Réseau syndical international de solidarité et de luttes. Deux années après sa refondation, Ihor Vasyletsn, étudiant en master d'histoire à l’Université nationale de Lviv, membre de Priama Diia, a bien voulu répondre à nos questions. [Patrick Le Tréhondat]
Priama Diia a été refondé en février 2023. Peux-tu nous dire quelle est la situation de votre syndicat. Êtes-vous présent dans de nombreuses universités ?
À l'heure actuelle, nous comptons plus de 150 membres dans différentes villes d'Ukraine, principalement à Lviv et à Kyiv. C'est dans ces villes que nous sommes le plus actif·ves, y compris par des manifestations. À Lviv, nous sommes présent·es dans trois universités, à savoir l'université nationale de Lviv, l'université agricole nationale de Lviv et l'école polytechnique de Lviv. Pour ce qui est de Kyiv, nous sommes plus nombreux et nous couvrons les universités suivantes : KNU, KPI, NaUKMA, et plus récemment NAOMA. Tant à Lviv qu'à Kyiv, nous sommes généralement présent·es dans toutes les grandes universités.
Votre organisation a tenu deux congrès. Lors de votre dernier congrès, vous avez décidé d’une meilleure organisation interne. Peux-tu nous en parler ?
Lors du dernier congrès, nous avons adopté une nouvelle structuration parce que nous étions fatigué·es du chaos qui régnait au sein du syndicat. En effet, auparavant, tout fonctionnait sur la base de l'initiative, sans responsabilité, sans compte rendu, etc. Cela a peut-être fonctionné pendant un certain temps, mais au fur et à mesure que le syndicat se développait, il est devenu évident que nous avions besoin de personnes responsables pour certaines choses, comme les finances ou les médias. Nous avons créé des postes avec élection – des coordinateurs de différents départements, dont la tâche principale est d’animer les activités et d'en rendre compte. Bien entendu, comme nous n'aimons pas vraiment le système représentatif, ces postes visent uniquement à coordonner, mais pas à prendre des décisions pour les autres, ce qui signifie que les coordinateur·trices doivent toujours prendre leurs décisions avec les personnes concernées au sein de leur groupe de travail, qui peut comprendre n'importe quel membre du syndicat. Plus de six mois se sont écoulés et je peux dire que c'est un bon système, car il y a un travail actif dans les départements et pas de décisions unilatérales. Ce mépris pour les décisions unilatérales tient à deux choses : 1) nous n'aimons pas le système représentatif en tant qu'imitation de la démocratie 2) le syndicat comprend des personnes très diverses sur le plan politique, allant des apolitiques aux anarchistes-marxistes radicaux, et par conséquent, une décision unilatérale de quelqu'un·e peut conduire à une vague d'indignation, par exemple, dans le cas d'une publication étrange par le département des médias.
En 2024, des militants de Priama Diia ont été agressés plusieurs fois par l’extrême-droite. Peux-tu nous parler de la présence de l’extrême-droite dans les universités ? Avez-vous connu depuis d’autres problèmes ?
Il y a eu des passages à tabac à Kyiv et à plusieurs autres occasions, et c'est un problème assez grave qui nous empêche de travailler activement dans les rues et à l'université. À Lviv, la situation est un peu meilleure, malgré la perception de Lviv comme un "bastion des radicaux de droite", nous n'avons généralement pas eu d'affrontements violents avec l'extrême droite, bien qu'ils soient venus à nos manifestations et événements, qu'ils aient écrit des demandes à l'administration pour nous refuser des locaux, et ainsi de suite, mais il s'agit plus d'une démangeaison désagréable que d'un véritable problème. Il y a eu un incident amusant lorsque nous distribuions des tracts et qu'un étudiant de droite a pris un tract, l'a déchiré agressivement et l'a jeté à la poubelle, mais ses amis ont commencé à se moquer de lui parce qu'ils ne comprenaient pas pourquoi il était si en colère contre le tract. En général, si vous ne les provoquez pas, si vous faites des choses "sociales", vous les remarquez à peine. L'extrême droite n'est pas du tout intéressée par la lutte pour les dortoirs ou les cantines, mais elle apparaît ici et là lorsqu'il s'agit de questions progressistes, sur les LGBTQIA+, par exemple. Il est également nécessaire de comprendre qui est d'extrême droite : il ne s'agit pas toujours d'hommes en bonne santé et gonflés à bloc, mais souvent d'écoliers ou d'étudiants de première année ayant des idées étranges sur la race aryenne.
Dans la dernière période, Priama Diia a organisé des luttes sur la question des réparations nécessaires dans les universités pour les étudiant·es. Quel bilan faites-vous de ces luttes ?
Je comprends pourquoi vous parlez des réparations dans les dortoirs. C'est un problème très répandu, de nombreux dortoirs sont dans un état catastrophique : cafards, tuyauterie et fenêtres vétustes, pas d'eau chaude, moisissures, etc. Les conditions sont presque celles d'une prison, même si c'est très bon marché. Il est trop tôt pour parler des résultats, car la lutte est toujours en cours, mais, par exemple, à LNU, un certain nombre d'étudiant·es ont rapporté que les réparations dans leurs blocs avaient été effectivement accélérées après notre action, mais nous n'avons pas encore réussi à créer un mouvement de masse. Au contraire, à Kyiv, à l'Académie nationale des arts et des sciences, la manifestation a été soutenue par de nombreux étudiant·es vivant dans des dortoirs, et nous pouvons déjà parler de succès, car nous avons réussi à gagner le cœur de nombreux·ses étudiant·es en organisant une manifestation autour de ces questions sociales.
Vous avez beaucoup insistez au cours de ces luttes sur la construction d’un contrôle étudiant. Notamment le contrôle sur les entreprises chargées des réparations. Vous avez également organisé un contrôle sur l'état des abris dans les universités. La question de l’auto-organisation démocratique des étudiant·es est également au cœur de la vision syndicale de Priama Diia. D’une certaine façon, vous ne mettez pas en avant seulement des revendications, mais vous cherchez le moyen que les étudiant·es soient des acteur·trices direct·es de leur mise en œuvre ?
Établir un contrôle, ou plutôt créer des groupes de travail pour le contrôle, est notre pratique habituelle afin de mener une campagne efficace, car après les manifestations, on peut nous promettre beaucoup, mais pour consolider le succès, nous devons également obtenir un droit légitime d'observer les nouveaux changements et d'y participer. Bien entendu, il s'agit également d'une question politique, car l'implication des étudiant·es dans la gestion de l'université est certainement importante en termes de vision politique, et l'université devrait être aussi démocratique et centrée sur les étudiant·es que possible.
Vous avez été également actif sur la question du harcèlement. Le 8 mars dernier, Priama Diia s’est mobilisé pour la journée des droits des femmes. Peux-tu nous parler de cet engagement féministe ?
L'Ukraine est un pays assez conservateur à bien des égards, et les cas de harcèlement, de violence sexuelle sont très courants, y compris à l'université, pour, par exemple, obtenir de bonnes notes ou réussir un examen. Et comme l'université est une structure bureaucratique où personne n'aime faire du bruit, ces cas sont généralement ignorés, même si tout le monde sait que cela existe. Dans de telles circonstances, notre tâche n'est pas de rester silencieux, mais de mettre en lumière tous ces cas, d'exiger des enquêtes et de lutter contre les auteurs. En outre, il existe un département anti-discrimination au sein du syndicat pour que les femmes se sentent à l'aise et en sécurité, et il traite également les plaintes en matière de discrimination dans universités.
Le gouvernement a décidé d’introduire une formation militaires pour les étudiant·es. En Europe de l’Ouest, je pense que des syndicats étudiants y seraient opposés en raison de leur sentiment « antimilitariste ». Quelle est la position de Priama Diia sur cette formation ?
Le syndicat n'a pas de position univoque sur cette question, certain·es considèrent qu'il s'agit d'une forme de discrimination, tandis que d'autres y voient une occasion d'acquérir de nouvelles compétences et de surmonter la division du travail. J'appartiens à cette dernière catégorie, mais je pense que si de tels cours sont introduits, ils devraient être de haute qualité afin de fournir de véritables connaissances et compétences, et pas seulement une "case à cocher" pour être envoyé à l'armée.
Vous développez également des activités culturelles : ciné-club, conférences sur des livres ou des sujets particuliers. Quel sens a pour vous ces activités ?
L'objectif est d'impliquer les étudiant·es à un moment quand il n'y a pas de campagne syndicale particulière. Pour l'instant, nous pouvons dire que nous avons atteint cet objectif, même si les personnes qui adhèrent aux événements culturels et au club de cinéma ne sont pas très intéressées par l'activisme ou la politique. D'un autre côté, ces événements rassemblent les anciens membres du syndicat et leur permettent de passer du temps ensemble, ce qui est une bonne chose.
Peux-tu nous parler du réseau étudiant international « Universities at war » dont vous êtes membres ?
Nous recevons des informations utiles de nos collègues de différents pays, de leurs recherches et de leurs travaux théoriques, ce qui nous motive à travailler. En outre, nous nous soutenons mutuellement, comme c'est le cas pour l'université Jagiellonian (Pologne)1.
Dans de nombreuses déclarations, Priama Diia affirme son soutien aux luttes étudiantes dans d’autres pays : Chili, Grève, Iran, Géorgie... le 27 décembre 2024, vous été les premiers à publier la lettre des étudiants de Serbie qui décrivait le mouvement auto-organisé des étudiants serbes. Plus récemment, c’est avec les étudiant·es américain·es que vous avez exprimé votre solidarité contre la politique de destruction des universités de Trump. Vous vivez dans un pays en guerre. Vous affrontez d’énormes difficultés. Pourquoi exprimer une solidarité internationaliste avec d’autres étudiant·es et prêter attention aux luttes dans d’autres pays ?
C'est important pour au moins deux raisons. Premièrement, nous montrons à nos étudiant·es comment les étudiant·es se battent à l'étranger, ce qui nous motive. Deuxièmement, c'est une question de solidarité, car aujourd'hui ils et elles sont en difficulté, et demain nous le serons, alors nous devons nous serrer les coudes.
Vous êtes également particulièrement liés aux étudiant·es polonais·es du syndicat Inicjatywa Pracownicza qui luttent aussi sur la question des dortoirs universitaires. Peux-tu nous parler la nature de vos relations ?
Nous restons en contact étroit, même au niveau personnel : beaucoup de nos membres se sont liés d'amitié, malgré la barrière de la langue. Cela nous permet de partager nos expériences, de demander et de se donner des conseils. Pour nous, il est très important d'apprendre à se connaître, car à bien des égards, nous sommes dans leurs pas, et en ayant des contacts étroits, nous pouvons en bénéficier pour nos campagnes, ce qui est très important.
Enfin, une question difficile que je pose à tous mes interlocuteur·trices ukrainien·nes. Comment vois-tu l’avenir de l’Ukraine ?
Tout ira de plus en plus mal. Je n'entrerai pas dans les détails, mais à mon avis, il n'y a aucun espoir d'un bon avenir pour l'Ukraine dans les années ou même les décennies à venir, à moins qu'une force politique progressiste n'émerge, capable d'unir un peuple déchiré par diverses contradictions. Notre syndicat peut être une première étape dans la formation d'un tel mouvement, mais il y a encore beaucoup de travail à faire pour la gauche en Ukraine, donc pour l'instant, mon point de vue est plutôt pessimiste.
Publié le 15 avril 2025 par Labour Solidarity

- 1
En Pologne, la lutte des étudiant·es polonais·es à l’Université Jagiellonian (Cravovie), animée par Inicjatywa Pracownicza, notamment pour leurs dortoirs, a été violemment réprimée. NdT.