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Un soutien indéfectible à l’Ukraine

par Fred Leplat

Alors que Trump n’intervient en Ukraine que pour défendre les intérêts étatsuniens, les Ukrainien·nes ne peuvent faire confiance qu’à elleux-mêmes pour face à l’invasion russe comme à leur gouvernement libéral.

L’Ukraine continue de résister héroïquement à la guerre d’annexion impérialiste menée par la Russie. Des espoirs ont été suscités par le sommet réunissant Trump et Poutine en Alaska, dans l’optique d’un cessez-le-feu. Mais depuis les jours précédant le sommet, la Russie a intensifié ses attaques contre l’Ukraine. Elle utilise davantage de drones et de missiles pour cibler des habitations civiles et des infrastructures, mais ne réalise cependant que des progrès limités sur le terrain. La Russie a également envoyé des drones dans l’espace aérien de la Pologne et de la Roumanie.

L’escalade des attaques contre les civil·es menées en août a incité Trump à menacer la Russie de sanctions plus sévères si elle n’acceptait pas un cessez-le-feu et n’entamait pas des négociations. Le sommet en Alaska s’est avéré un grand succès pour Poutine. Il n’a fait aucune concession, tandis que Trump lui accordait une légitimité internationale, malgré les mandats d’arrêt émis à son encontre par la Cour pénale internationale pour crimes de guerre et génocide.

Trump manipulé par Poutine ?

Trump s’est retourné contre l’Ukraine en suggérant qu’elle échange des territoires avec la Russie contre un accord de paix, ce qui signifie que l’Ukraine accepterait l’annexion russe du Donbass et de la Crimée. Trump laisse en même temps aux pays européens le soin d’acheter des armes aux États-Unis pour soutenir l’effort de guerre de l’Ukraine. Les droits de douane de 50 % imposés par les États-Unis à des pays comme l’Inde, qui achètent du pétrole russe, relèvent davantage du protectionnisme de Trump et de ses tentatives de diviser l’alliance pro-russe de pays comme la Chine que d’un soutien à l’Ukraine. N’ayant obtenu aucune concession de la part de Poutine, Trump se dit à présent en colère, et affirme avoir été « manipulé » par lui. Mais ces paroles n’ont pas effrayé Poutine.

Poutine a clairement indiqué que ses objectifs de guerre restaient inchangés : la reconnaissance par l’Ukraine des territoires occupés, la destitution de Zelensky, un veto sur l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN et une réduction drastique des forces armées ukrainiennes. Poutine a rejeté tout cessez-le-feu comme condition préalable à des négociations de paix. En réalité, il ne souhaite pas de négociations, car il espère affaiblir progressivement la résistance ukrainienne. Il a même proposé que Zelensky se rende à Moscou pour négocier. Outre le fait que cela constituerait une menace considérable pour la sécurité de Zelensky, cela serait considéré comme une capitulation de l’Ukraine.

La Russie estime qu’elle peut gagner la guerre grâce à l’importance de ses ressources et elle sait que l’Occident rechigne à soutenir l’Ukraine . L’Occident est divisé entre les pays qui souhaitent une fin rapide de la guerre afin de normaliser leurs relations commerciales avec la Russie et ceux qui souhaitent une guerre plus longue dans le but de l’affaiblir. C’est pourquoi l’aide, notamment militaire, n’a pas été fournie à l’Ukraine suffisamment rapidement en quantité satisfaisante.

Les États-Unis sont probablement le pays le plus désireux de normaliser leurs relations avec la Russie, non seulement parce que Trump admire en Poutine le « leader fort » d’extrême droite auquel il s’identifie, mais aussi pour favoriser les intérêts du capital américain. En effet, l’envoyé spécial américain Keith Kellogg s’est récemment rendu en Biélorussie, un allié clé de la Russie, pour rencontrer son président autoritaire Alexandre Loukachenko. Le résultat est la libération de certains prisonniers politiques en échange de l’autorisation accordée par les États-Unis à Boeing de fournir des pièces détachées à la compagnie aérienne biélorusse.

Après plus de trois ans de guerre, il n’est pas surprenant que de nombreux·ses Ukrainien·nes souhaitent négocier un accord de paix, mais Poutine n’est pas intéressé. Les Ukrainien·nes n’ont d’autre choix que de continuer à résister à l’invasion russe. S’ils veulent la paix, ils ne veulent pas pour autant capituler devant la Russie. Après plus de trois ans de guerre, la Russie n’a pas été en mesure d’atteindre ses objectifs de guerre initiaux, qu’elle espérait atteindre en quelques semaines. Cela démontre que la population ukrainienne continue de soutenir l’effort de guerre.

Attaques néolibérales

Mais le peuple ukrainien ne résiste pas seulement à la guerre d’annexion menée par la Russie, il résiste également aux attaques néolibérales de Zelensky.

En mai, le parlement ukrainien, la Rada, a voté en faveur d’un accord avec les États-Unis pour l’extraction et la fourniture de minéraux rares. Cette décision donne aux États-Unis de nouveaux leviers d’influence sur la situation économique et politique de l’Ukraine. Le gouvernement Zelensky attire des capitaux étrangers peu fiables plutôt que de nationaliser les industries stratégiques, d’introduire un impôt progressif et de lutter contre le marché noir.

En juin, des manifestant·es ont protesté contre la saisie de la Maison des syndicats par la société privée KAMparitet et ont exigé qu’elle soit restituée à son propriétaire légitime, la Fédération des syndicats d’Ukraine.

En juillet, des manifestations de masse ont éclaté dans tout le pays contre le gouvernement Zelensky. Celui-ci a fait adopter à la hâte par la Rada une loi supprimant l’indépendance les unités anticorruption que sont le Bureau national anticorruption (NABU) et le Parquet spécialisé dans la lutte contre la corruption (SAPO). Les manifestations se sont poursuivies jusqu’à ce que Zelensky soit contraint de faire marche arrière en introduisant une nouvelle loi qui rétablissait l’indépendance du NABU et du SAPO.

Le 5 septembre, des centaines de manifestant·es se sont rassemblé·es sur la place de l’Indépendance, à Kiev, pour protester contre des projets de loi parlementaires qui imposeraient des sanctions pénales plus sévères aux soldats désobéissants. Cependant, l’expérience de ces dernières années montrent au contraire que les mesures punitives non seulement ne résolvent pas les problèmes, mais en créent de nouveaux. Une fois de plus, face aux mobilisations, le gouvernement a fait marche arrière et a supprimé certaines des mesures les plus sévères.

Les possibilités des masses ukrainiennes

Le fait que ces manifestations et protestations aient pu avoir lieu en Ukraine, alors que le pays est en guerre, montre à quel point la situation dans le pays est différente de celle de la Fédération de Russie. Là-bas, les manifestations contre le gouvernement ne sont pas tolérées.

Contrairement à la Russie et malgré les conditions de guerre, il existe une société civile dynamique en Ukraine. Une auto-organisation fournit un soutien aux autres citoyen·nes lorsque l’État est défaillant. Des organisations socialistes, syndicales et féministes indépendantes offrent une alternative au néolibéralisme de Zelensky. Les syndicalistes et les jeunes défendent leurs salaires, leurs droits et leurs conditions de travail contre les réformes néolibérales, la corruption et les oligarques, tout en assurant la défense de leur pays, tant sur le front qu’à l’arrière. Les Ukrainien·nes ne sont pas les pions de l’impérialisme occidental, malgré l’intérêt cynique évident de ce dernier à soutenir l’Ukraine.

L’impérialisme occidental souhaite manifestement une reconstruction capitaliste néolibérale de l’Ukraine. C’est notamment pour cela qu’il n’annule pas la dette ukrainienne. La Grande-Bretagne et d’autres pays pourraient prendre des mesures concrètes pour soutenir l’Ukraine, telles que la saisie des avoirs russes gelés, l’annulation des coupes dans l’aide étrangère, l’imposition de sanctions plus sévères contre le régime russe, la sanction des entreprises, telles que Seapeak, basée au Royaume-Uni, qui contournent les sanctions existantes, la prolongation de la protection des réfugié·es ukrainien·nes au-delà de 2026 et l’octroi de l’asile aux militant·es antiguerre russes et biélorusses. Cette dernière mesure pourrait devenir encore plus importante si les opposant·es russes et biélorusses qui vivent actuellement aux États-Unis sont menacés d’expulsion.

L’Occident profite de la guerre en Ukraine pour faire passer une remilitarisation de l’Europe avec le programme ReArmEurope de l’UE et la révision de la défense britannique. Si l’Ukraine doit recevoir toutes les armes et l’aide nécessaires pour résister à la Russie, cela ne doit pas nécessairement entraîner une augmentation massive des budgets militaires. Les ventes d’armes à des pays tels que le régime brutal saoudien ou le gouvernement génocidaire israélien devraient être immédiatement arrêtées. S’opposer au militarisme et aux guerres impérialistes ne signifie pas être pacifiste, car les pays devraient avoir le droit de se défendre contre les occupation et les annexions, y compris par des moyens militaires.

L’ordre établi après la Seconde Guerre mondiale est en train de changer, alors que nous entrons dans un nouveau monde multipolaire où l’impérialisme américain affronte de plus en plus directement la Russie et la Chine. Certaines personnes – même à gauche – se réjouissent de cette évolution. Elles critiquent à juste titre l’histoire de l’impérialisme occidental, mais considèrent la montée en puissance économique et militaire de la Russie et de la Chine comme un progrès. Elles partent du principe erroné que « l’ennemi de mon ennemi est mon ami ». Au contraire, la gauche doit s’ancrer dans l’internationalisme et l’anti-impérialisme, en soutenant les luttes de la classe ouvrière et les luttes démocratiques à l’échelle mondiale. La priorité doit être de donner la primeur aux personnes plutôt que de réduire la politique à des manœuvres géopolitiques entre gouvernements. L’Ukraine doit recevoir tout ce dont elle a besoin pour obtenir une paix juste.

Publié par Anti*capitalist Resistance le 20 septembre 2025, traduit par Lalla F. Colvin.