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En Algérie, le régime n’arrive plus à masquer la désertion électorale

par Samir Larabi
Abdelmadjid Tebboune avec Antony Blinken, secrétaire d’État des États-Unis (mars 2022). © U.S. Department of State from United States

Le président algérien Abdelmadjid Tebboune a été officiellement réélu le 7 septembre dernier pour un second mandat avec… 94,65 % des voix. L’autorité électorale a bien tenté de maquiller un taux de participation historiquement bas, mais la crise de légitimité du régime est patente.   

Le président Abdelmadjid Tebboune avait annoncé, dans un communiqué rendu public le jeudi 21 mars 2024, la tenue d’une élection présidentielle anticipée le 7 septembre 2024. Devant la confusion liée au caractère anticipé de ce scrutin et le choix de la date, l’APS (Algérie Presse Service – l’agence de presse officielle, NDLR) avait avancé des explications liées à la « géopolitique » et à des « menaces extérieures ». Quelques jours plus tard, A. Tebboune réduisait la chose à des considérations « techniques », sans donner plus de détails ou d’explications politiques. Le choix de la date du début de la collecte des parrainages et de la campagne électorale, en pleine période des grandes chaleurs, a été considéré par plusieurs observateurs et acteurs politiques, comme une volonté délibérée de fermer le jeu politique à l’occasion de ces élections.

Après la fin de la campagne de collecte des parrainages, l’Autorité nationale indépendante des élections (ANIE) a retenu uniquement trois candidatures pour l’élection présidentielle du 7 septembre. Il s’agissait du président sortant Abdelmadjid Tebboune, de Youcef Aouchiche du FFS (Front des forces socialistes) et de Rachid Hassani du MSP (Mouvement pour la société et la paix) après que ce dernier a liquidé son mentor Abderreazk Makri. Ces trois candidatures correspondent aux trois grandes « tendances » politiques importantes en Algérie. Le cheveu dans la soupe de la campagne de récolte de parrainages était la secrétaire générale du Parti des travailleurs (PT), Louisa Hanoune. Cette dernière a compris les raisons des blocages de ses parrainages par l’ANIE et a décidé de se retirer de la course. C’était le signe avant-coureur d’une élection pas très « catholique ».

Une campagne « sans aucun enjeu » aux yeux des masses

La campagne électorale a été fade et sans aucun enjeu aux yeux des masses. Pour répondre aux aspirations de ces dernières, on aurait eu besoin d’une vraie campagne politique contre l’autoritarisme ambiant et la crise sociale qui touche des pans importants de la société algérienne. La campagne en elle-même n’aurait pas changé fondamentalement les rapports de forces, mais elle aurait été très utile pour les luttes organisées de demain.

Lors de cette campagne, des syndicats, des associations, des organisations de masse et des imams ont affiché publiquement leur soutien au président sortant, malgré la loi interdisant ce genre de pratique. Mais l’ANIE a fermé les yeux devant ces dépassements inadmissibles. Même les deux autres candidats n’ont pas dénoncé publiquement ces dépassements lors des meetings et des passages dans les principaux médias. Cette campagne a également été marquée par un cycle d’arrestations de plusieurs acteurs politiques et de scénarios basés sur la théorie du complot. La stratégie du pouvoir politique pour faire augmenter le taux de participation en jouant sur la « peur » n’a pas atteint les objectifs escomptés. Au contraire, ils n’ont fait que renforcer le camp de l’abstention.

Un taux de participation qui ne tient pas la route

Un simple recoupement d’informations permet de se rendre compte que les taux de participation annoncés par l’ANIE le jour du scrutin ne correspondent pas à la réalité. Ils ne correspondent pas non plus si on compare les totaux avec ceux de la présidentielle du 12 décembre 2019, les résultats de l’ANIE ne résistent pas à un raisonnement scientifique de base. En effet, le 7 septembre 2024, le taux de participation à 17 heures était de 26,45 %. Le taux de participation lors des élections présidentielles de 2019 à la même heure était de 33 %. Le taux de participation de 2024 est plus faible de sept points comparativement à 2019, année caractérisée par un boycott très actif et des millions de personnes dans la rue.

Le taux de participation des élections du 7 septembre annoncé par l’ANIE à 17 heures a plus que doublé en l’espace de quatre heures, comme si nous étions devant un grand sursaut populaire mobilisant plus de deux millions d’électeurs. Le jour du scrutin, le président de l’ANIE annonce ce qu’il désigne comme la « moyenne du taux de participation » estimé à 48,03 %... Un nouveau « concept », méconnu des statisticiens et des spécialistes des élections. « Probablement soucieux de masquer l’ampleur de la désaffection populaire, Mohamed Charfi, le président de l’ANIE, avait pris quelques libertés avec la transparence en annonçant une “moyenne de taux de participation” de 48,03 %, basée sur les taux de participation dans les wilayas (départements) divisés par leur nombre, 58. Le taux de participation est, en réalité, probablement inférieur à 25 % si l’on rapporte le nombre de suffrages exprimés, 5 630 196, aux 24 351 551 inscrit·es sur les listes (le nombre de bulletins nuls ou blancs n’ayant pas été donné) », affirme un quotidien étranger1.

Un « cadeau empoisonné »

Le lendemain de l’annonce des résultats, les directions de campagne des trois candidats ont signé un communiqué pour dénoncer et remettre en cause les chiffres dit « provisoires » du premier responsable de l’ANIE. C’est la première fois dans l’histoire des élections présidentielles que le vainqueur remet en cause les chiffres de sa propre victoire électorale. Mais il n’a pas déposé de recours auprès du greffe de la Cour constitutionnelle. Ce qui nous amène à conclure que nous sommes face à un « cadeau empoisonné », comme le suggère l’ex-journaliste du quotidien El-Khabar, Otmane Lahiani.

La lecture politique et le sens de la contestation des résultats par les trois candidats, notamment par le « candidat-gagnant », lors de ces joutes électorales, ne peuvent qu’avoir des conséquences graves sur le futur premier personnage du pays. Elles vont sûrement fragiliser sa position et accentuer son isolement politique au sein du pouvoir d’État, voire réduire sa marge de manœuvre à l’avenir. Cela indique également que le régime ou le futur président n’a pas pu renouveler sa base sociale et asseoir son hégémonie politique sur la société, d’autant plus qu’il se vante d’avoir réalisé des sauts qualitatifs dans tous les secteurs. Les chiffres annoncés par l’ANIE indiquent qu’en cinq ans de règne, Abdelmadjid Tebboune n’a augmenté son score que de 357 740 voix. Ainsi, la crise du régime politique en Algérie, qui s’est accentuée en 2019, risque de se prolonger à court et moyen terme, avec des conséquences que nous ne pouvons prévoir à l’heure actuelle.

Le 11 septembre 2024

  • 1« En Algérie, des résultats contestés et une abstention record mettent à mal la réélection d’Abdelmadjid Tebboune », Hamid Nasri, 10 septembre 2024, Le Monde.

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