Revue et site sous la responsabilité du Bureau exécutif de la IVe Internationale.

Le mouvement dans les universités étatsuniennes

par Kay Mann
Columbia Students for Justice in Palestine
numéro

Les occupations de places et les campements, qui ont débuté le 17 avril, ont donné une nouvelle impulsion au mouvement de solidarité et ont ébranlé la politique nationale quelques mois avant l’élection présidentielle.

En mai, le mouvement s’est répandu jusqu’en Europe et au-delà, ce qui a été un pas important dans la construction d’un mouvement international. Les images et les reportages quotidiens sur la tuerie à Gaza ont révolté les étudiant·es qui réclament que leurs universités annulent leurs partenariats avec les entreprises vendant des armes à Israël et, plus généralement, demandent un cessez-le-feu immédiat. Les occupations se sont répandues rapidement dans les universités, notamment les plus prestigieuses.

Les occupations et la répression contre les campements font la une des médias, avec l’expulsion des étudiants des bâtiments universitaires et les arrestations. Le 17 mai, leur total s’élevait à 3 000 ! Certaines universités ont annulé les remises de diplômes de crainte qu’elles soient perturbées par des manifestations. Les administrateurs universitaires ont réagi de façons variées. Il y a eu des interventions musclées et des arrestations massives à Columbia et à l’université du Texas à Austin. Les manifestants pro-Israël ont violemment chargé le camp de l’université de Californie à Los Angeles (UCLA), tandis que la police est restée en marge du campus, laissant pendant trois heures les nervis sionistes donner l’assaut du campement à coups de poing et de bâtons.

Un mouvement qui s’organise

Dans certaines universités, la direction a négocié avec les étudiants au sujet des investissements et a même accepté d’en arrêter certains. La question du désinvestissement a été discutée à Harvard et l’université de Californie à Berkeley. Le président de l’université de cette dernière a accepté de publier une déclaration en faveur d’un cessez-le-feu. Le campement a débuté à Columbia, l’un des cœurs des mouvements contre la guerre du Vietnam en 1968 et contre l’apartheid en Afrique du Sud dans les années 1980. Le campement de Berkeley rappelle les actions de 1968 et l’émergence du mouvement Free Speech (mouvement pour la liberté d’expression) de l’époque.

Les campements ont déclenché un débat important sur la Palestine, le colonialisme, l’antisémitisme et l’antisionisme dans tout le pays. L’ambiance dans les campements était la plupart du temps sympathique, respectueuse, démocratique et éducative. Des pâques juives ont été organisées, notamment par des militant·es juifs et musulmans, dans plusieurs universités. 

Le mouvement a été déclenché par des militant·es et des organisations pro-Palestine, notamment l’organisation progressiste et antisioniste Voix Juive pour la paix. La gauche socialiste est peu implantée dans les facultés, comme toute la gauche, y compris la plus grande organisation socialiste du pays, le DSA. Jusqu’à présent, il n’y a eu aucune tentative de coordination entre les manifestants de différentes universités.

Cependant, suite à la descente policière à l’UCLA et à l’attaque des nervis sionistes, le syndicat United Autoworkers (UAW), section 4811, qui est le syndicat des assistants diplômés (graduate assistants, des doctorant·es et étudiant·es en maitrise qui enseignent), a voté des moments de grève contre la répression et pour la liberté d’expression. Il s’agit de grèves politiques, ce qui est rare aux États-Unis et constitue un pas en avant pour le mouvement en solidarité avec la Palestine et le mouvement syndical.

Un autre pas en avant pour le mouvement a été la réunion de la première conférence nationale du mouvement pro-Palestine (People Congress for Palestine) qui a rassemblé 3 400 militant·es, à l’initiative du Palestine Youth Mouvement, le week-end des 24 au 26 mai à Detroit. Des militants du Party for Liberation and Socialism (PLS) ont joué un rôle central et ses dirigeant·es étaient très présent·es dans le programme. La conférence a appelé à une manifestation nationale à Washington pour le 8 juin. 

« Genocide Joe » est bloqué

Biden, qui cautionne Netanyahou depuis le début dans son assaut sur Gaza, est coincé entre, d’un côté, les éléments prosionistes des Républicains et de son parti, le parti Démocrate, et, de l’autre, des Arabes-Americain·es, des Noir·es et une tranche importante de la jeunesse en colère contre son soutien d’Israël. Pendant les primaires du Parti démocrate, Biden a reçu un avertissement cinglant sous la forme des abstentions, les « uncommited », ou « non-engagés », qui ont atteint le chiffre très important de 13 % des votes dans les circonscriptions électorales du Michigan où habitent des populations arabes-américaines importantes.

Les Républicains, qui sont le refuge de toute sorte de racismes et d’antisémitisme, ont cyniquement attaqué les campements sous l’accusation d’un prétendu antisémitisme. Le chef de la majorité du parti Républicain à la Chambre des députés, Mike Johnson, s’est rendu à Columbia pour dénoncer les manifestant·es et leur prétendu antisémitisme et demander la démission de la présidente de Columbia, Minouche Shafik, ancienne dirigeante du FMI et de la Banque mondiale, bien qu’elle ait déjà appelé la police de New York contre ses propres étudiants !

Les médias répandent l’amalgame entre antisionisme et antisémitisme. Le New York Times a publié un échange entre des milliardaires sionistes et le maire démocrate de New York, ancien chef de la police de New York, Eric Adams : les milliardaires exigeaient des mesures de répression policière plus musclées contre les manifestant·es pour la Palestine. Des sionistes ont signalé leur intention d’inscrire les noms des manifestant·es sur une liste noire pour empêcher qu’ils reçoivent de futures offres d’emplois.

Les campements et la répression ont été très médiatisés au moment où l’armée israélienne préparait son assaut sur la ville de Rafah à Gaza. Biden, qui paie déjà un prix politique important auprès de sa base électorale pour son soutien à Netanyahou, et son secrétaire d’État, Anthony Blinken, ont montré leur frustration vis-à-vis de Netanyahou en ralentissant brièvement les livraisons d’armes à Israël. Mais peu après, la Maison Blanche a annoncé son intention d’envoyer un milliard de dollars d’armes à l’Israël, ce qui souligne à la fois la capacité des étudiant·es à peser sur la politique et les limites du mouvement et la nécessité de l’élargir.

Quels que soient les effets immédiats du mouvement sur la politique du gouvernement de Biden envers Israël et la Palestine, les campements ont ouvert un grand débat sur Israël et la Palestine, le sionisme et l’antisionisme. Israël ne peut plus se présenter comme le phare démocratique au Moyen-Orient, nier la torture des détenu·es palestinien·nes, et les autres abus vis-à-vis des droits humains, ou qualifier la lutte palestinienne pour auto-détermination de terrorisme.

Avec la fin de l’année scolaire universitaire aux USA, les campements se démobiliseront, mais ils ont déjà marqué des points et mettront plus de pression sur Biden pour exiger un cessez-le-feu et pour que leurs universités coupent les liens avec Israël et toutes les entreprises qui vendent des armes. L’exemple des étudiants inspirera et aidera la construction d’un mouvement international de solidarité avec la Palestine. 

Le 27 mai 2024

* Kay Mann est universitaire et militante à Solidarity aux États-Unis.

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