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Une histoire politique de Democratic Socialists of America, 1982-2025

par Laura Waldin
Benny Sanders à Phoenix, en Arizona, en 2025. / Gage Skidmore CC BY-SA 3.0

Peu de membres de DSA connaissent bien l’histoire de notre organisation, mais beaucoup d’entre nous comprennent à quel point elle est spéciale. Il n’existe aucun autre groupe dans tout le pays, y compris parmi les syndicats, qui dispose d’une base militante si large et d’une démocratie interne capable d’examiner sérieusement les grandes questions politiques, puis d’élaborer un plan pour organiser les travailleur·ses afin qu’ils luttent pour leurs propres intérêts en tant que classe.

Pourtant, même si cela est théoriquement possible au sein de DSA, le mouvement socialiste américain reste modeste et politiquement immature.

D’un point de vue historique, il existe fondamentalement deux DSA : le DSA pré-Bernie (1982-2014) et le DSA post-Bernie (de 2015 à nos jours). Seule une infime partie des membres de DSA (y compris moi) étaient organisé·es avant que la campagne présidentielle de Bernie Sanders ne redonne vie à l’idée du « socialisme démocratique » en 2015. De nombreux membres actifs actuellement ne sont devenu·es socialistes qu’au cours des dernières années ou des derniers mois. Mais pourquoi les gens ont-ils rejoint DSA plutôt qu’une autre organisation socialiste ou « de gauche » ? À quoi ressemblait DSA avant d’être inondé de jeunes récemment radicalisé·es ? Et comment ces nouveaux membres ont façonné DSA pour en faire l’organisation que nous connaissons aujourd’hui ?

Le temps d’avant (1982-2011)

La renaissance moderne de DSA étant due aux deux campagnes présidentielles du socialiste-démocrate Bernie Sanders, il est cohérent que DSA soit la continuité du Socialist Party of America1 – c’est sur la ligne de ce parti qu’Eugene Debs a obtenu près d’un million de voix lors de deux de ses campagnes présidentielles, alors même qu’il était en prison pour s’être opposé à la Première Guerre mondiale ! DSA a été créé en 1982 à la suite de la fusion du Democratic Socialist Organizing Committee (Comité d’organisation socialiste sémocratique, DSOC) et du New American Movement (Nouveau mouvement américain, NAM). Le DSOC était un groupe dirigé par Michael Harrington, qui s’était séparé du Socialist Party of America. Le NAM avait été fondé en 1971 en tant qu’organisation socialiste-féministe non avant-gardiste. Lors de la convention fondatrice de DSA à Detroit, l’organisation comptait 6 000 membres.

Michael Harrington 2 a été le président et la figure de proue de DSA de la création de l’organisation jusqu’à son décès en 1989. Il est connu pour avoir été un orateur prolifique et avoir parcouru le pays afin de promouvoir sa vision du socialisme. L’autrice marxiste et féministe Barbara Ehrenreich a occupé le poste de coprésidente de DSA, tout comme d’autres personnalités de gauche de premier plan, telles que le professeur et auteur Cornel West. Plusieurs élu·es étaient également membres de DSA, comme le député Major Owens, le député Ron Dellums et le maire de New York David Dinkins (un autre élément de continuité avec la campagne de Zohran Mamdani 3).

Quelle était la politique de DSA à l’époque ? Le « socialisme démocratique » était présenté en opposition aux groupes communistes doté d’une discipline interne stricte et défendant les pratiques autoritaires de l’Union soviétique. DSA comptait également dans ses rangs de nombreux « sionistes travaillistes »4 qui prônaient un État social-démocrate en Israël, au détriment des droits des Palestinien·nes. Pendant les années 80, le DSA s’est fortement impliqué dans des campagnes de solidarité avec les sandinistes du Nicaragua et les rebelles de gauche au Salvador. Sa branche jeune a également été active dans le mouvement contre l’apartheid en Afrique du Sud.

Fondamentalement, DSA privilégiait la stratégie électorale du « réalignement », c’est-à-dire l’utilisation du Parti Démocrate comme un outil pour le pouvoir de la classe ouvrière, et le projet de le réformer de l’intérieur. Cette approche contrastait avec celle de Bernie Sanders – qui remporta sa place au Congrès en 1990 en tant qu’indépendant et qui, à l’époque, formulait une critique de gauche de DSA. Elle contrastait également avec celle des socialistes, qui ont formé et diriger le US Labor Party de 1996 à 2001 5. DSA entretenait des relations amicales avec des figures éminentes du mouvement ouvrier et s’abstenait d’intervenir dans les conflits internes des syndicats. Bien que DSA n’ait pas soutenu Jesse Jackson à la présidence en 1984, il a fait partie de la Rainbow Coalition qui a soutenu la deuxième campagne de Jackson en 1988 [à la primaire démocrate, NDLR].

L’effondrement de l’Union Soviétique en 1991 a constitué un revers historique mondial qui a entraîné une période de désespoir pour le mouvement socialiste international. De nombreux groupes socialistes et communistes se sont dissous ou, comme DSA, ont tout juste survécu entre les années 90 et 2000. Bien que DSA ait alors atteint les 10 000 membres officiels, il n’était pas opérationnel dans la majeure partie du pays 6, en particulier en raison de la perte de Harrington, le leader charismatique décédé en 89. En revanche, les Young Democratic Socialists (Jeunes socialistes démocrates, la branche jeunesse de DSA, aujourd’hui appelée YDSA) ont été actifs dans de nombreuses villes et ont collaboré avec des groupes proches, comme Jobs with Justice. Entre 2001 et 2014 environ, YDSA disposait d’une petite équipe qui a permis de maintenir l’organisation à flot et de former des camarades qui ont ensuite pris la tête de DSA.

Avant la renaissance (2011-2015)

L’une des figures de proue de YDSA était Maria Svart, qui a occupé le poste de coprésidente de YDSA avant de devenir membre du Comité politique national (NPC) de DSA, la plus haute instance décisionnelle entre les congrès. Elle a été engagée comme directrice nationale en 2011 et a dirigé DSA pendant son époque de renaissance.

Cette période a vu l’émergence de plusieurs mouvements populaires puissants : Occupy Wall Street et le Printemps arabe en 2011, Fight for $15 en 2012 et Black Lives Matter en 2013. Occupy, en particulier, a joué un rôle déterminant dans l’utilisation de repères de classe conscients (« Nous sommes les 99 % ») pour populariser des revendications politiques social-démocrates, telles que l’impôt sur les riches. Le mouvement socialiste prenait également de l’ampleur en dehors de DSA. Le magazine Jacobin, qui venait d’être fondé par Bhaskar Sunkara en 2010, organisait des groupes de lecture7, et contribuait à promouvoir une analyse socialiste au sein de la gauche de DSA. Kshama Sawant a été élue au conseil municipal de Seattle en 2013. Elle y représentait le groupe trotskiste Socialist Alternative 8et a servi de modèle moderne, comme militante politique socialiste et comme organisatrice.

La création du Left Caucus (tendance de gauche) en 2014 a ouvert la voie à des idées davantage orientées à gauche qui remettaient en cause certains principes de base de DSA. Le Left Caucus était un groupe interne qui prônait des candidatures ouvertement socialistes, l’adhésion à un programme commun et le départ de l’Internationale socialiste, considérée comme néolibérale. Il était également favorable au mouvement Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS) contre l’État d’Israël, mais il était encore difficile de parler explicitement d’antisionisme.

Au début de l’année 2015, DSA a lancé une campagne pour inciter Bernie Sanders à se présenter à la présidence, intitulée « Run, Bernie, Run » (Bernie candidat !). Dans plusieurs villes, de petits groupes de membres de DSA ont installé des tables à l’extérieur des événements où Bernie prenait la parole et ont distribué des tracts à la foule.

La renaissance (2015-2018)

En avril 2015, Bernie Sanders a annoncé qu’il se présentait à la primaire démocrate, défiant Hillary Clinton, alors donnée favorite. Cette campagne était considérée comme hasardeuse. Personne ne pouvait savoir à quel point cette course allait bouleverser le paysage politique. Pas même Bernie, qui avait annoncé sa candidature sans tambour ni trompette, devant un petit groupe de journalistes, dans une ambiance rétrospectivement incroyablement terne.

Cet été-là, la popularité de Bernie a grimpé en flèche et le nombre d’adhérent·es à DSA a commencé à augmenter. Pendant les deux années suivantes, les groupes de lecture de Jacobin se sont transformés en sections locales de DSA. Sur internet, des personnalités de gauche comme les animateurs du podcast Chapo Trap House (lancé en mars 2016), le twitteur Larry Website et les rédacteur·rices de Jacobin ont encouragé leurs followers à rejoindre DSA.

Alors que nous admirions Bernie qui disait la vérité sur la classe des milliardaires et subissait les mensonges et les calomnies des Power Brokers, de nombreux·ses trentenaires de gauche ont connu un total changement de paradigme. Son programme – en particulier l’assurance maladie pour tous, la gratuité des études supérieures et l’opposition aux industries financières, guerrières et fossiles – a suscité des attentes qu’Obama avait réduites à néant. La politique s’est fondamentalement repolarisée : c’était Bernie contre l’élite riche, et nous savions de quel côté nous étions.

Lorsque Bernie a perdu, nous étions dévasté·es, mais il semblait acquis d’avance qu’Hillary Clinton serait la prochaine présidente. Pratiquement personne à gauche ne s’inquiétait d’une victoire de Trump. Et puis il a gagné.

Les gens étaient paniqués et malades de chagrin. Le soir des élections, des manifestations ont éclaté dans tout le pays. Le nombre d’adhérent·es à DSA a immédiatement explosé, passant de 8 500 le jour des élections à 21 000 en mai 2017. J’ai adhéré en janvier après avoir lu dans la presse grand public un article qui disait que tou·tes les partisan·es de Bernie affluaient vers DSA. La grande majorité d’entre nous entraient pour la première fois dans une organisation socialiste. Les membres récente·es avaient des tendances idéologiques très diverses, allant des militant·es progressistes et des réfugié·es du Parti démocrate à des tendances plus à gauche – des anarchistes, des maoïstes ou des léninistes, dont certains venaient d’autres groupes comme l’International Socialist Organization 9.

Les gens ont rapidement compris que nous héritions d’une organisation décentralisée et peu structurée, où l’on pouvait généralement prendre des initiatives et faire ce qu’on voulait. Certain·es voulaient changer cela, mais c’était impossible : il y avait (et il y a toujours) trop peu de membres de DSA qui avait été formé·es à un modèle plus centralisé et qui avaient les compétences politiques ou les qualités de leadership nécessaires pour mener à bien ce changement. L’horizontalité était également une perspective très populaire, issue à la fois de l’héritage d’Occupy Wall Street et d’une réaction aux expériences négatives des groupes de gauche régis par le centralisme démocratique. Cette tendance correspondait de plus à l’individualisme hégémonique dans la culture des courants progressistes. Des débats ont surgi sur la discipline collective que nous devrions attendre par rapport à la nature « ouverte » et à l’autonomie des membres. Au niveau national, l’appareil et les ancien·nes du parti, craignant que la nouvelle vague de membres puisse faire dévier DSA de sa trajectoire, voire le détruire, ont fortement pesé sur ces débats.

L’administration Trump a démarré en force son mandat, avec le « Muslim ban » 10, rapidement contrecarré par des manifestations dans les aéroports et une grève des chauffeur·ses de taxi. Cela a démontré le potentiel de résistance populaire et de la gauche au programme de Trump, malgré l’émergence de groupes d’extrême droite tels que QAnon et les Proud Boys.

En 2017, lors de la convention de DSA, la nouvelle génération de membres a officiellement pris le relais. Les délégué·es ont adopté trois propositions qui ont différencié définitivement DSA de la mouvance The #Résistance 11 :

1. inscrire dans les principes de DSA le soutien à la campagne BDS,

2. quitter l’Internationale socialiste,

3. lancer une campagne en faveur d’une assurance maladie universelle (Medicare for All), campagne qui fut le premier projet organisationnel de DSA nouvelle version, coordonnant tous les membres par-delà les sections locales.

Échos de la renaissance (2018-2020)

Alors que nous prenions nos marques dans le cadre de cette renaissance, le sentiment dominant à l’époque était que « tout était possible ». Nous venions de vivre un bouleversement total des normes politiques et nous voyions de nouvelles avancées tout autour de nous. L’exemple le plus frappant est celui d’Alexandria Ocasio-Cortez (AOC), une serveuse de la génération Y partisane de Bernie Sanders, qui se définissait comme socialiste démocratique et qui a évincé le deuxième démocrate le plus puissant du Congrès, Joe Crowley, lors d’une victoire retentissante et surprenante en juin 2018. (Le jour de sa victoire détient toujours le record du nombre d’adhésions à DSA par jour). Quelques mois plus tard, elle a rejoint les jeunes militant·es du Sunrise Movement 12 qui occupaient le bureau de la démocrate Nancy Pelosi. Rashida Tlaib, partisane de Bernie, a également remporté les primaires cette année-là et est devenue la première Palestinienne américaine – et l’une des deux premières femmes musulmanes avec Ilhan Omar – à être élue au Congrès. Alexandria Ocasio-Cortez, Rashida, Ilhan et la représentante Ayanna Pressley ont formé The Squad. Ce groupe était respecté par de nombreux·ses membres de DSA comme la première opposition de gauche visible, de notre vivant, à l’appareil du Parti Démocrate, malgré ses hésitations à affronter directement la direction du parti.

Bien qu’AOC et Rashida aient été membres de DSA, l’organisation n’avait pas de prétention à s’approprier les actions du Squad. AOC et Rashida n’étaient pas des membres actifs de DSA, et leurs victoires n’étaient pas vraiment le fruit de campagnes menées par le parti. La première grande victoire électorale qu’on puisse véritablement imputer à DSA a été celle de Julia Salazar, qui a remporté les primaires démocrates pour le Sénat de l’État de New York en septembre 2018 (puis le siège en novembre). Par la suite, en 2019, la section de DSA de Chicago a présenté et fait élire six conseiller·es municipaux socialistes-démocrates au conseil municipal de Chicago. En 2020, la section de New York a présenté et fait élire sept socialistes démocrates à l’Assemblée de l’État de New York (dont Zohran Mamdani). À travers le pays, les sections locales ont élaboré leurs programmes électoraux, fait adopter des mesures référendaires et fait élire leurs propres membres à des fonctions locales.

Cette période a également été marquée par une vague historique de grèves d’enseignant·es, déclenchée par la grève sauvage et illégale de 2018 en Virginie-Occidentale. Les enseignant·es de l’Oklahoma et de l’Arizona se sont mis·es en grève en 2018, et celles et ceux de Virginie, Denver, Los Angeles, Oakland et Chicago ont fait de même en 2019, inspirant d’autres actions syndicales #RedForEd dans tout le pays. Les membres de DSA et les partisan·es de Bernie Sanders étaient nombreux·ses parmi les personnes qui ont organisé et mené ces grèves. Tout comme pour les nouvelles victoires électorales, nous ne nous sommes pas contenté·es d’applaudir depuis les coulisses : nous avons été des acteur·rices majeur·es sur le terrain, à la fois en tant que militant·es de base mais également en tant que partisan·es actifs des campagnes de solidarité coordonnées par DSA.

 

La convention de 2019 de DSA s’est concentrée sur deux questions fondamentales :

1. DSA doit-il être un réseau décentralisé de sections locales, ou y a-t-il un intérêt à avoir une organisation nationale forte et unifiée ?

2. DSA doit-il s’orienter vers les personnes déjà radicales et les « plus marginalisées », ou doit-elle s’orienter vers l’ensemble de la classe ouvrière et ceux qui ont un poids stratégique au sein de celle-ci ?

À ce stade, au moins sept caucus nationaux s’étaient formés, représentant divers éléments du spectre de la gauche anticapitaliste. Finalement, le fonctionnement le plus horizontal et le projet de préfigurer dès maintenant un modèle de société n’ont pas prévalu, mais bon nombre de ces débats complexes persistent aujourd’hui.


 

La plupart des membres impliqué·es dans la nouvelle phase de DSA n’avaient participé qu’à leur section locale – jamais à l’organisation nationale – jusqu’à ce que nous débattions du soutien à la campagne présidentielle de Bernie Sanders en 2020. Malgré son rôle essentiel dans la renaissance de DSA, une minorité importante de membres (principalement issu·es des ailes gauchistes ou anarchistes de DSA) ont refusé de s’impliquer immédiatement. Des opposant·es ont invoqué des problèmes de procédure13, d’autres ont exprimé ouvertement leur scepticisme à l’égard de Bernie 14 et de la politique « réformiste » de ses partisans, voire des campagnes électorales en général. Mais, lors d’un sondage en ligne, 76 % des membres de DSA ont finalement soutenu le lancement d’une campagne « DSA pour Bernie »15. Des dizaines de sections ont alors participé simultanément à ce projet national passionnant : démarchage, organisation de soirées-débat, recrutement de nouveaux·elles membres et émergence de dirigeant·es socialistes.

Les mots peinent à décrire l’euphorie psychédélique que nous avons ressentie lorsque Bernie a remporté la primaire du Nevada en février 2020, et la détresse et le désespoir qui ont suivi, une semaine plus tard, lorsqu’il a perdu en Caroline du Sud, puis dans la plupart des États lors du Super Tuesday. Beaucoup d’entre nous avaient placé dans sa campagne les fondements de leur existence et tous leurs espoirs d’avenir. Tout ce dans quoi nous avions mis notre cœur et notre âme s’est effondré très rapidement. Au même moment, la vie publique a commencé à s’arrêter en raison de la pandémie du Covid-19. Des millions de personnes ont été licenciées pratiquement du jour au lendemain. Les réunions de DSA se sont transformées en visioconférences sur Zoom. Soudain, nous nous sommes retrouvé·es seul·es, découragé·es et effrayé·es.

La période Covid (2020-2023)

Nous n’avons pas eu beaucoup de temps pour pleurer la défaite de Bernie avant qu’une nouvelle vague de manifestations Black Lives Matter déferle sur le pays en réponse au meurtre de George Floyd. Des millions de personnes sont descendues dans les rues pendant plusieurs semaines, constituant la plus grande mobilisation de masse de l’histoire des États-Unis. Cela a politisé et radicalisé de nombreux·ses travailleur·ses. Mais dans certaines sections de DSA, cela a également suscité d’intenses discussions sur la race et le racisme, des discussions rendues difficiles et parfois caricaturales du fait de l’isolement et d’interactions exclusivement virtuelles durant la pandémie. Le ciel rouge des incendies de forêt dévastateurs et sans précédent de 2020, manifestement causés par l’accélération du changement climatique, a ajouté à notre sentiment de désarroi et de désorientation face à l’avenir.

Le nombre de membres à DSA a continué d’augmenter jusqu’à atteindre un pic de 93 000 début 2021, après une grande campagne d’adhésion. Cette croissance a été difficile à stabiliser, car elle était déconnectée d’un projet d’organisation précis et d’engagements politiques concrets. Sans figure connue pour agiter les foules contre l’establishment, et sans la terreur de Trump au pouvoir, DSA a perdu des membres pendant près de quatre ans.

Peu après le congrès de 2021, qui s’est tenu exclusivement en ligne en raison du Covid, une bataille interne a éclaté lorsque Jamaal Bowman, membre de la chambre des représentants, a voté en faveur d’une augmentation du financement du Dôme de fer israélien 16. Comme Bowman était membre de DSA et que DSA avait soutenu sa campagne, certains membres ont lancé une pétition pour qu’il soit dénoncé et exclu. Ajoutant de l’huile sur le feu, le groupe de travail BDS de DSA a commencé à agir comme une organisation externe indépendante faisant pression sur DSA, ce qui a conduit le National Political Committee (NPC) à prendre des mesures disciplinaires à son encontre. Bien que le NPC ait publié une déclaration critiquant Bowman (et Alexandria Ocasio-Cortez, qui s’est abstenue), cet incident a suscité des débats qui se poursuivent encore aujourd’hui sur la manière de réagir lorsque nos élu·es agissent en contradiction avec nos orientations politiques ou nos principes, sur la façon d’exprimer un désaccord au sein de DSA et sur la manière de gérer des groupes internes qui prennent leur autonomie.

En contraste avec ces luttes internes, le Covid a entraîné une pénurie de main-d’œuvre qui a encouragé la combativité ouvrière et un regain d’intérêt pour la question du travail au sein de DSA. En 2020, DSA et l’United Electrical Workers ont fondé l’Emergency Workplace Organizing Committee (EWOC), un projet visant à fournir des ressources et des formations aux personnes non militantes qui décident de s’organiser sur leur lieu de travail. En 2021, YDSA a lancé le Rank-and-File Pipeline Project (projet de formation des militants de base) afin d’inciter les jeunes à travailler dans des secteurs stratégiques. Des dizaines de membres de DSA ont trouvé des emplois chez UPS pour rejoindre les Teamsters et ont fait gagner la liste combative menée par Sean O’Brien contre la liste conservatrice héritière de Hoffa. Les militant·es de Starbucks et d’Amazon ont remporté leurs premières élections syndicales, constituant ainsi une victoire majeure sur les géants du monde des affaires. La conférence Labor Notes 2022 a été électrique, grâce à l’énergie et à l’espoir des milliers de jeunes qui y participaient pour la première fois. En 2023, les militant·es combatifs ont pris la direction de l’United Auto Workers (UAW) à la suite d’une victoire surprise, avec Shawn Fain comme président. Les sections locales de DSA ont également soutenu de très nombreuses grèves locales. Au niveau national, nous avons mené des campagnes « Strike Ready » pour soutenir les grèves préparées chez UPS et les trois grands constructeurs automobiles. Après la grève historique Stand Up Strike, le président de l’UAW, Shawn Fain, a appelé les syndicats à se préparer à une grève générale le 1er mai 2028.

Mais cette période a rapidement connu des revers. La politique d’embauche des YDSA s’est brusquement arrêtée après qu’une résolution a été rejetée à une voix près lors d’un congrès. Les Teamsters membres de DSA se sont profondément divisés au sujet du courant Teamsters for a Democratic Union, et de son orientation prudente envers l’orientation décevante du président O’Brien. Unite All Workers for Democracy, le courant combatif de l’UAW qui avait élu le président Fain, a eu du mal à résoudre ses profondes divergences internes et a finalement été dissous en 2025.

Un tournant politique (2023-2024)

Lors de la convention nationale de DSA en 2023, les délégué·es ont élu un NPC avec une représentation inédite des tendances « de gauche » (dont je fais partie, en tant que membre du courant Bread and Roses) – et par conséquent les courants modérés n’ont plus la capacité à eux seuls de constituer une majorité de direction. Cela a sérieusement perturbé le fonctionnement habituel, dans lequel le directeur national et les autres directeurs étaient aux commandes, contrôlant le déroulement des réunions et la circulation de l’information. Beaucoup d’entre nous critiquaient la politique modérée des directeurs et leur attitude méfiante envers les militant·es. Or, nous avions suffisamment de voix pour obtenir un plus grand niveau de transparence et d’ouverture au sein du bureau national.

Maria Svart a démissionné de son poste de directrice nationale en janvier 2024. À cette époque, le NPC commençait à faire face à un déficit budgétaire important, ce qui a suscité une controverse massive sur les licenciements de personnel et la question de savoir à quoi les employé·es doivent s’attendre lorsque leur employeur est une organisation socialiste (reflétant des débats similaires au sein du mouvement ouvrier). En un an, 18 des 30 employé·es ont démissionné ou ont été licencié·es, notamment tous les directeurs ayant été en poste sous la direction de Svart, ce qui a montré la solidarité existant entre les directeurs et les employé·es syndiqué·es contre le NPC élu. Ce renouvellement a entraîné certains dysfonctionnements, mais aussi un changement culturel notable.

Ce nouveau NPC a également rompu avec les pratiques passées en décidant de ne pas soutenir inconditionnellement Alexandria Ocasio-Cortez en juin 2024. De nombreux·ses membres de DSA étaient de plus en plus choqué·es par son attitude opportuniste et sa proximité avec l’appareil du Parti démocrate. Cependant, la section de DSA de New York était déterminée à préserver ses relations avec AOC. Ce désaccord a creusé un fossé entre la section et l’organisation nationale (principalement parce que New York est dominée par des courants désormais minoritaires au sein du NPC), ce qui a conduit la direction de NYC à s’immiscer dans les relations entre le national et Zohran Mamdani lors de sa campagne pour la mairie un an plus tard.

Bien que les divisions politiques au sein de DSA restent profondes, le NPC est devenu un parlement pluraliste, et les gens sont conscients de cette dynamique et s’y adaptent de manière saine. La constitution d’un bloc majoritaire est à la portée de toutes les tendances, ce qui incite à essayer de trouver un terrain d’entente, et à convaincre les autres de leur point de vue. Ce processus de négociation est essentiel car il renforce la légitimité démocratique de la structure et empêche les deux ailes d’agir de manière impulsive et arrogante.

C’est alors qu’arrivé le bouleversement dans la conscience populaire à l’égard de la Palestine à la suite des attaques du Hamas le 7 octobre 2023. Sur le plan national, DSA a eu du mal à trouver sa place dans un mouvement de protestation dont la couche militante était dominée par des organisations sectaires d’extrême gauche et des groupes de solidarité avec la Palestine qui reprochaient à DSA de s’associer à des politiciens comme Bowman. Nous avons eu des débats difficiles sur la manière d’aborder ces groupes, de parler publiquement de la violence politique et de la conduite à tenir à l’égard des membres de DSA qui ont des positions sionistes. Malgré ces difficultés, les sections locales ont été constamment présentes dans les mobilisations contre le génocide perpétré par l’État d’Israël à Gaza. Les YDSA ont également été significativement actives dans les campements de protestation qui ont vu le jour sur les campus universitaires dans tout le pays, où nos membres se sont battus avec acharnement pour défendre des principes démocratiques au sein des campements.

Deuxième mandat de Trump (2024-présent)

À l’approche de l’élection présidentielle de 2024, les membres de DSA ont mené d’intenses débats sur comment résoudre l’éternelle contradiction du « moindre mal »17 : une présidence Trump apporterait certainement la terreur dans le monde, mais comment pourrions-nous tolérer Biden, auteur d’un génocide et ennemi de la classe ouvrière ? Le NPC a finalement convenu d’une déclaration qui revenait à dire : « Ce choix craint ; rejoignez DSA pour qu’un jour nous puissions avoir une bonne option ».

Lorsque Trump a gagné, la frustration et le mécontentement populaires à l’égard du Parti démocrate ont été palpables presque immédiatement. Et pour la première fois depuis 2021, DSA a connu une croissance nette positive du nombre de ses membres, qui reste forte aujourd’hui. Après avoir diminué jusqu’à 64 000 membres en octobre 2024, nous avons récemment dépassé les 80 000 membres. Depuis novembre, les nouvelles recrues affluent aux réunions des sections locales, à un niveau inégalé depuis le Covid. Leurs inclinations politiques sont également sensiblement différentes de celles des vagues précédentes : en moyenne, iels sont enthousiasmé·es par la perspective d’une alternative au Parti Démocrate.

Au moment où nous écrivons ces lignes, Zohran Mamdani vient de remporter la primaire démocrate pour la mairie de New York. Beaucoup de choses seront dites ailleurs sur la signification de cette réussite pour notre mouvement, mais il s’agit indéniablement d’un événement marquant dans l’histoire de DSA.

Au-delà

Pendant des décennies, on ne pouvait remettre en cause le fait que les démocrates étaient la seule alternative aux républicains, mais aujourd’hui, nous, socialistes, discutons constamment avec des gens ordinaires qui en ont assez et qui ont soif de nouveauté. Il n’est pas surprenant que l’ambition de créer un nouveau parti pour la classe ouvrière soit actuellement au cœur des débats au sein de DSA.

Cependant, la classe ouvrière américaine aura du mal à tirer parti des opportunités qui s’offrent à nous ; nous sommes, depuis toujours, tragiquement désorganisé·es. Des décennies de peur des rouges ont chassé les communistes et les socialistes du mouvement des travailleur·ses, et des associations d’activistes professionnel·les ont remplacé les véritables organisations politiques implantées. La plupart des mouvements de protestation populaires négligent complètement de rassembler les travailleur·ses dans une formation capable de perdurer et de se développer au-delà des mobilisations ponctuelles.

C’est pourquoi, malgré tous nos défis et nos limites, un DSA dynamique, démocratique, pluraliste et politiquement indépendant est si nécessaire pour ouvrir la voie à la prochaine ère de l’histoire de la classe ouvrière. 

Le 6 août 2025

 

Laura Wadlin est membre du Comité politique national de DSA (2023-2025) et membre du groupe Bread and Roses. Elle enseigne l’anglais au Portland Community College et est déléguée syndicale.

Cet article, publié par The Call, est une version modifiée d’un document qui figure dans le récent ouvrage A User’s Guide to DSA (Labor Power Publications, 2025). Traduit par Lalla F. Colvin.