
Force est de constater que ce qui était impensable – et inacceptable – il y a encore quelques mois, est en train de devenir un lieu commun : Trump est fasciste ! Et il s’emploie à mettre en place un régime fasciste ! Tout compte fait, on ne peut que se réjouir de ce constat désormais presque unanime, et s’écrier mieux vaut tard que jamais.
Cependant, rares ont été ceux qui se sont empressés de comprendre ce que signifie en pratique ce constat, et encore plus rares ont été ceux qui ont réorienté leurs activités politiques et autres en conséquence. C’est ainsi que les dires et les actes de Trump sont restés « inexplicables », l’écrasante majorité des médias et des « politistes » se déclarant incapables de percer le « mystère » de ses politiques apparemment incohérentes et improvisées, et de révéler leurs sens profond et leur objectif final. Le résultat en est que pratiquement tout le monde, « experts » inclus, se contentent de s’interroger pourquoi Trump prend telle ou telle initiative. Comme par exemple, quand il déclare la guerre à la science et aux scientifiques, avec une rage et un fanatisme qui n’a pas d’équivalent depuis le temps de l’Inquisition…
Alors, qu’est ce qui fait que Trump s’acharne contre la santé publique, la protection de l’environnement, la sûreté nucléaire et surtout, contre tout ce qui a trait à la climatologie ? Pourquoi il démantèle la recherche scientifique et licencie en masse les scientifiques ? Pourquoi il va jusqu’à interdire des… mots-clés comme Antiracist (anti-racisme), Biases (biais), Disability (handicap), Diversity (diversité), Equity (égalité), Gender (genre), Female (femme), Hate speech (discours de haine), Historically (historiquement), Inclusion (inclusion), Inequities (inégalités), Minority (minorité), Segregation (ségrégation), Victims (victimes), etc afin de rendre impossibles les recherches correspondantes à ces mots que lui-même qualifie de… « mots d’extrême gauche » ? En somme, pourquoi Trump est en train de porter des coups à la science nord-américaine tels qu’il faudra très probablement plusieurs décennies pour qu’elle retrouve son niveau d’il y a seulement dix mois ?
Le «mystère » de cette guerre totale de Trump contre la science semble être percé par l’ex-directeur du Centre pour l'immunisation et les maladies respiratoires des CDC (Centres pour le contrôle et la prévention des maladies), le Dr. Demetre Daskalakis1 lequel vient de dénoncer l’eugénisme des politiques de Trump, expliquant que toutes les mesures prises par Trump sont guidées par son souci de favoriser la sélection des « plus aptes » et des plus forts au dépens des plus faibles. C’est-à-dire des pauvres, des exclus, des malades, des handicapés, des différents, des LGBTQ, des personnes trans, des indigènes, des minoritaires, de tous ceux et celles qui ont la peau foncée.
C’est ainsi que, selon le Dr. Daskalakis, la politique antivax de Trump et de son protégé « ministre de la santé » Kennedy Jr. (celui qui déclare avoir…un ver qui lui mange le cerveau !), « nous ramènera à une ère pré-vaccinale où seuls les plus forts survivront et où beaucoup, sinon tous, souffriront ». Ce qui semble d’ailleurs être confirmé par l’hallucinante déclaration antivax du ministre Kennedy Jr. (RFK) en pleine épidémie de rougeole au Texas, « que contracter l'infection n'est pas grave, vraiment, car seuls les plus forts survivront » !
On laisse aux plus qualifiés, au Disability Rights Watch (Observatoire des droits des personnes handicapées) de conclure en rappelant à quels crimes monstrueux ont conduit les politiques eugénistes dans le passé pas si lointain : « Le Dr Demetre Daskalakis, l'un des scientifiques qui a démissionné, a tiré la sonnette d'alarme en quittant ses fonctions, dénonçant l'engouement de RFK pour l'eugénisme et ses fréquentes discussions sur la « génétique supérieure ». L'eugénisme, une école de pensée pseudo-scientifique liée aux idées suprémacistes blanches sur la « pureté » génétique et raciale, était à l'origine des lois américaines sur la stérilisation forcée et l'interdiction des mariages mixtes au début du XXe siècle. En Allemagne, les nazis ont poussé l'idéologie eugéniste à ses conclusions extrêmes en procédant au massacre des Juifs, des Roms, des personnes handicapées, des LGBTQ, des « traîtres à la race » et d'autres personnes qu'ils jugeaient indésirables ».
Évidemment, le très courageux et perspicace Dr. Daskalakis ne parle que de son domaine, de ce qu’il connaît mieux que tout autre. Nous, on ajoutera que le souci eugéniste traverse et domine la grande majorité, sinon toutes les mesures et les politiques de Trump, bien au-delà de la santé publique et bien au-delà des Etats-Unis d’Amérique : du présidentiel « drill baby drill » qui fait fi de la galopante catastrophe climatique et sous-tend l’interdiction de toute activité scientifique qui la concerne, au demantelement du USAID (United States Agency for International Development) « chargée de distribuer l'aide humanitaire et au développement à l'étranger, en œuvrant pour la réduction de la pauvreté ». Et de la chasse aux migrants et aux sans-papiers par les milices armées de Trump, aux réductions drastiques des aides alimentaires, des aides au logement et au chauffage des pauvres, au nom du principe de la survie des plus aptes, sans oublier sa complicité active à la tentative d’extermination par Israël des Palestiniens considérés apparemment comme des êtres « génétiquement inferieurs » qui ne méritent pas de vivre.
D’ailleurs, ce n’est pas le président Trump qui démentira son attachement à une vision ultra-raciste et eugéniste du monde quand il n’arrête pas de calomnier les migrants et leurs enfants avec des abominations comme les suivantes : “ Ce sont des criminels endurcis. ... Ils ne vont pas s'améliorer. Dans 10 ans, dans 20 ans, dans deux ans, ils seront des criminels. Ils sont nés pour être des criminels. Franchement, ils sont nés pour être des criminels. Ils sont durs, méchants, ils vous trancheront la gorge sans même y réfléchir le lendemain»… « Vous savez, je crois que le fait d'être un meurtrier est inscrit dans leurs gènes. Et notre pays compte actuellement beaucoup de mauvais gènes. »
Mais, pourquoi toutes ces politiques eugénistes du gouvernement Trump ? Quel est leur objectif final et de quel projet de société font-elles partie ? Questions non seulement légitimes mais surtout fondamentales pour comprendre ce qui nous arrive et ce qui nous attend. Dans son formidable article « La montée du fascisme et la fin des temps, co-écrit avec Astra Taylor, Naomi Klein rappelle que le trumpisme propose « une vision des Etats-Unis comme un bunker à part entière, dans lequel des agents de l’ICE traquent les rues, les lieux de travail et les campus, faisant disparaître ceux qui sont considérés comme des ennemis ». Et elle souligne que « la nation bunkérisée est au cœur du programme de Maga et du fascisme de la fin des temps. Dans cette logique, la première tâche consiste à renforcer les frontières nationales et à éliminer tous les ennemis, étrangers et nationaux »2.
Alors, rien de mieux pour des racistes et suprémacistes patentés comme Trump et ses amis, que recourir au bon vieux eugénisme, qui plonge d’ailleurs ses racines dans le passé et l’histoire nord-américaine. Et à Naomi Klein de citer les chercheurs en Intelligence Artificielle Timnit Gebru et Émile P Torres, pour souligner que « même si les méthodes sont nouvelles, cet ensemble de modes idéologiques « est directement issu de la première vague de l’eugénisme, qui voyait aussi une petite partie de l’humanité décider quelles parties de l’ensemble méritaient d’être conservées et lesquelles devaient être éliminées, supprimées ou détruites ».
Et qu’on ne s’empresse pas de nous dire que tout ça c’est de la politique fiction, et que l’eugénisme de Trump est pour le moment plutôt… « soft ». Parce que nous vivons déjà en pleine politique fiction cauchemardesque depuis que Trump s’est réinstallé à la Maison Blanche, et que rien ne peut nous garantir que son actuel eugénisme « soft » ne cèdera pas sa place demain ou après-demain à un eugénisme beaucoup plus dure venant tout droit de la pire barbarie misanthropique du siècle passé.
Concluons donc ce texte avec ces mots de Naomi Klein en guise à la fois d’avertissement et d’appel à la lutte : «Pour aller de l’avant avec détermination, on doit d’abord comprendre ce simple fait : on est confrontés à une idéologie qui a renoncé non seulement au principe et à la promesse de la démocratie libérale, mais aussi à la viabilité de notre monde commun – à sa beauté, à ses habitants, à nos enfants, aux autres espèces. Les forces auxquelles nous faisons face ont accepté la mort massive. Elles trahissent ce monde et ses habitants, humains et non humains ».
Le 21 octobre 2025