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Ukraine : Mobilisation nouvelle manière = crise du modèle libéral de l’emploi ?

par Vitaliy Dudin

L’entrée en vigueur de la loi sur la mobilisation ajoutera évidemment de la dureté aux relations entre l’État et les citoyens. Mais je considère qu’il est naïf de prédire qu’elle renforcera considérablement la capacité de l’État à lutter contre les envahisseurs, si elle n’est pas combinée avec la mobilisation des finances des entreprises privées et le transfert de l’économie au service des besoins de défense. Cependant, la question s’est déjà posée sur la mobilisation qui peut impacter l’économie existante en raison d’un manque de personnel. En fait, les problèmes dans le domaine de l’emploi sont beaucoup plus profonds et peuvent provoquer une crise à grande échelle.

Il y a en effet lieu d’avoir de telles craintes, si tout est laissé en l’état. La mobilisation simultanée et le maintien de lois antisociales (néolibérales) dans le domaine des relations de travail peuvent déstabiliser le marché du travail. Après tout, d’une part, les hommes seront enrôlés en masse, tandis qu’il y aura moins d’hommes et de femmes prêts à travailler. Compte tenu de l’aggravation sur le front, l’Ukraine ne pourra pas se passer d’une nouvelle vague de mobilisation, mais la question se pose de savoir comment concilier ses objectifs avec la stabilité économique et assurer le bien-être général.

Une situation vraiment paradoxale s’est développée dans le domaine du travail. La pénurie totale de personnel n’a pas conduit à une augmentation générale des salaires (bien que cela serait juste pour les travailleurs et utile pour le budget par le paiement des impôts). Dans le même temps, les employeurs ukrainiens ont pris une position critique inattendue par rapport à la mobilisation, craignant la fermeture des entreprises en raison de la conscription massive. Cependant, leur intérêt est assez égoïste – ils veulent profiter pleinement du droit d’exploiter une main-d’œuvre qui se trouve dans des conditions de vulnérabilité sans précédent. Des nouveautés législatives telles que la loi n°2136 ont affaibli les syndicats et détruit le fondement du dialogue social – la négociation collective. Les employeurs souhaitent également atténuer le risque de mobilisation par l’exemption économique (par exemple, en payant 20 000 UAH par employé [467 euros]). Mais leur donner le droit de déterminer quels travailleurs ils sont prêts à envoyer à la guerre conduira à une inégalité de classe encore plus grande

À l’heure actuelle, le processus d’exemption est très opaque. C’est peut-être une nouvelle pour certains, mais tous les employés des secteurs d’infrastructures critiques définis par la résolution n°1109 ne peuvent pas compter sur des exemptions, mais seulement les entreprises reconnues comme d’une importance cruciale pour l’économie au sens de la résolution n°76. Et cela permet une subjectivité considérable. Il suffit de regarder des critères tels que le fait d’être dans le registre Diia City [zone franche high-tech] où le salaire moyen, doit être au moins égal à la moyenne de ceux de fin 2021 ! Le scandale avec la société #Glovo1 montré qu’il est impossible de bénéficier d’un processus d’exemption et que les raisons en sont secrètes. Les employeurs ont toute liberté de déterminer qui exempter si l’entreprise répond aux critères. C’est-à-dire que si le propriétaire décide d’exempter l’élite managériale, alors ce sera légal.

Propositions

1) Exempter ceux qui sont utiles. Tout d’abord, les travailleurs qui remplissent les principales fonctions de production dans des entreprises stratégiques. Tous les employés des entreprises liées à l’industrie des infrastructures critiques (résolution n°1109) et qui figurent dans le TOP-10 des professions les plus demandées qui selon le service de l’emploi doivent faire l’objet d’une exemption. Leurs maigres salaires ne sont en aucun cas en corrélation avec la valeur du travail effectué. Une telle approche redonnera du prestige aux métiers des cols bleus. Sans travailleurs qualifiés, les entreprises pourraient s’arrêter. Les cadres pourraient apporter à distance de précieuses idées quant à la gestion des ressources dans les rangs des forces armées. Et, bien sûr, les syndicats devraient avoir leur mot à dire dans le choix des personnes à exempter.

2) Restituer les prestations volées = surmonter la crise du personnel. La loi n°2136, qui restreint les droits fondamentaux du travail, devrait être abrogée pour encourager le plus grand nombre possible d’hommes et de femmes à travailler. Elle est devenu obsolète presque immédiatement après son adoption, car le problème de la pénurie de main-d’œuvre s’est manifesté dès 2022. L’augmentation des salaires pour les personnes employées dans les infrastructures critiques qui a été critiquée (loi n° 2980) devrait enfin être mise en œuvre.

3. Faites sortir des millions d’hommes de l’ombre. En raison de la crainte de la TCC [service de recrutement], une partie importante de la population masculine n’est pas officiellement employée et n’est pas répertoriée comme chômeur. Compte tenu de l’inaction traditionnelle du Service du travail de l’État, les pratiques d’emploi informel prospéreront pendant longtemps. Par conséquent, afin de rétablir une acceptabilité , une règle devrait être introduite : pendant les 6 premiers mois après 1 an d’inactivité économique, une personne ne peut pas être enrôlée, et pendant les 6 mois suivants, il devrait y avoir une possibilité de combiner le travail civil avec une formation militaire.

4) Éliminer les disparités entre les sexes. Il est nécessaire de développer les infrastructures sociales (y compris les écoles et les jardins d’enfants protégés en sous-sol) afin que le plus grand nombre possible de femmes revienne en Ukraine. Afin de s’assurer que l’envoi de convocation de mobilisation n’entraîne pas un arrêt de la production, les employeurs doivent ouvrir aux femmes la formation à de nombreux métiers pour remplacer ceux qui partent pour le service. Cela nécessitera une compensation de l’État et une plus grande intégration du secteur de la production dans la politique de l’État, mais cela minimisera le risque de perte de continuité  des chaînes de production.

5) Impliquer les chômeurs dans l’économie de la défense. Le service public de l’emploi est maintenant, même théoriquement, incapable d’assurer le plein-emploi, car il ne travaille qu’avec une petite partie des chômeurs officiels. Cela n’inclut pas ceux avec lesquels les contrats de travail ont été suspendus en vertu de la loi n°2136, et la plupart des assurés ne recourent même pas aux allocations chômage en raison de leur faiblesse de leur niveau. Cependant, le manque de fortifications défensives et la nécessité de surmonter les conséquences des attaques russes créent une nouvelle nécessité de gestion des ressources humaines ! L’État devrait impliquer les chômeurs dans un travail utile à la défense. Il est inacceptable que les employés impliqués dans un travail aussi risqué soient mobilisés de force – ils doivent bénéficier d’une exemption d’au moins 3 mois après la fin du travail dans les installations concernées.

Toutes ces mesures soulèvent la question d’un nouveau contrat social entre l’État et la société, dans lequel l’État ne se contente pas de contraindre, mais réglemente activement les processus économiques et garantit l’exercice des droits sociaux. Le maintien de mantras dysfonctionnels à propos de la capacité d’autorégulation du marché est préjudiciable à la cohésion sociale. Si la politique devient plus centrée sur l’individu, il ne sera plus nécessaire de recourir à des pratiques aussi honteuses que la prise de force de personnes dans les rues. Il existe des méthodes moins douloureuses pour renforcer l’armée : la confiscation des biens des oligarques, ouvrir la perspective de la démobilisation et la restitution des salaires des travailleurs mobilisés à leurs familles.

Le 19 mai 2024, traduction Patrick Le Tréhondat

  • 1La chaine Télégram des coursiers de cette société de livraison a dénoncé cette exemption. NdT.

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