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Appel de Sotsialnyi Rukh: «Travailleurs, travailleuses, vous êtes importants pour l’avenir de l’Ukraine»

Lundi 10 novembre 2025, le Bureau national anticorruption d’Ukraine (NABU) et le Parquet ukrainien anti-corruption spécialisé (SAPO) révélaient un système de corruption massif, entre autres dans le secteur énergétique du pays. Le Mondedu 13 novembre écrivait: «La presse ukrainienne a rapidement identifié l’un des individus comme étant Timur Mindich, homme d’affaires proche du chef de l’Etat et copropriétaire de la société de production de ce dernier, Kvartal 95. Il est soupçonné par les enquêteurs d’avoir piloté un réseau criminel qui aurait détourné 100 millions de dollars (86 millions d’euros), en contraignant des sous-traitants de la compagnie nucléaire nationale Energoatom à verser des pots-de-vin pour conserver leur statut de fournisseurs. Lundi, il est mystérieusement parvenu à quitter le pays quelques heures avant le début des perquisitions menées par les enquêteurs.»

Dans un message publié sur les réseaux sociaux,Vladimir Zelensky a appelé l’ex-ministre de l’Energie, German Galushchenko, nommé à la Justice en juillet, et celle qui lui avait succédé, Svitlana Hryntchouk, à présenter leur démission. Ce qu’ils ont fait mercredi 12 novembre.

Face à cette situation, qui se profilait depuis un certain temps – pour ne pas dire un temps certain –, le Mouvement social (Sotsialnyi Rukh) avait adopté fin septembre une résolution dont nous publions la traduction ci-dessous. En novembre, dès l’annonce publique du «scandale de corruption» des cercles oligarchiques au pouvoir, le Mouvement social déclarait: «Après que le NABU et le SAPO ont révélé des informations sur un système de corruption chez Energoatom, la confiance envers le gouvernement actuel est au plus bas.
Les gens issus des couches les plus riches ont montré qu’ils n’étaient pas capables de diriger le pays et de veiller au bien commun. Alors que les travailleurs ordinaires – médecins, enseignants, cheminots – portent le poids de la guerre, les membres du gouvernement s’occupent des intérêts de leurs proches, ignorant les problèmes stratégiques. Les secteurs stratégiques (énergie et industrie de défense) sont devenus des terrains d’enrichissement et sont incapables de répondre aux défis actuels.
C’est pourquoi l’avenir est entre les mains des travailleurs, ces couches de la population qui ne sont pas contaminées par des accords secrets et qui souffrent le plus de l’oligarchie.
Le Mouvement social réclame des décisions qui empêcheront l’usurpation de la politique par un petit groupe d’hommes d’affaires et obligeront les autorités à prendre soin des personnes qui défendent, construisent et développent directement l’Ukraine.»
Le Mouvement social appelle à débattre de sa résolution intitulée «Travailleurs, vous êtes importants pour l’avenir de l’Ukraine». Il organise des discussions sur cette résolution, entre autres à à Kiev le dimanche 16 novembre à midi. (Réd. A l’Encontre)

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L’Ukraine est engluée dans une impasse de néolibéralisme corrompu qui empêche la fin de la guerre et condamne la population à la pauvreté. Le travail de toutes les institutions publiques est marqué par la recherche de profits personnels, l’absence de planification et le manque de transparence vis-à-vis des masses populaires. Un tel système ne peut pas gagner.

Les travailleurs ukrainiens résistent massivement et héroïquement à l’ennemi, ce qui contraste avec le modèle d’État qui repose sur un cercle restreint de personnes et est incapable de veiller au bien commun. Les ressources du pays sont épuisées non seulement par les occupants, mais aussi par de grands hommes d’affaires avides qui tirent profit des besoins essentiels de la société, notamment dans les domaines de l’énergie et de l’industrie de la défense. La réaction de la société à ces abus a pris la forme de manifestations en juillet 2025 sur fond de slogans anticorruption.

Le soi-disant «remaniement» du gouvernement n’a fait qu’accélérer le risque d’adoption de lois favorables aux oligarques. L’arrivée à des postes clés de Yulia Svyrydenko [permière ministre depuis le 17 juillet, comme ministre de l’Economie elle a négocié avec l’administration Trump la cession de nombreuses ressources], Oleksiy Sobolev [ministre de l’Economie, de l’Environnement et de l’Agricutlure depuis le 17 juillet], Taras Kachka [ministre attaché à l’intégration euro-atlantique depuis le 17 juillet] et d’autres adeptes du capitalisme effréné issus de la Kyiv School of Economics (KSE) en est la preuve flagrante. La plus grande menace provient du ministère dirigé par O. Sobolev, qui cherche à priver les travailleurs et travailleuses de leurs droits en élaborant un projet de code du travail et qui, dans le même temps, s’est arrogé des pouvoirs dans le domaine de l’écologie, facilitant ainsi l’exploitation des ressources naturelles par les entreprises. Notre pays devient peu à peu inhabitable, et les espoirs d’une reconstruction équitable s’amenuisent de jour en jour.

Cette situation fait écho aux tendances internationales. La pression des forces réactionnaires dans le monde et le comportement perfide de l’administration états-unienne ont fait ressentir à tous les Ukrainiens un manque de sécurité. Les interruptions dans la livraison d’armes pour repousser l’agresseur russe font pencher la balance mondiale des forces en faveur des oppresseurs. Mais la sécurité ne se résume pas à la question de l’armement. Elle concerne aussi la sécurité sociale: le bon fonctionnement des infrastructures essentielles, une rémunération correcte pour un travail consciencieux, ainsi qu’une protection à long terme pour ceux qui se débattent dans des conditions de vie difficiles. Tout cela constitue le fondement sur lequel peut reposer une auto-défense efficace.

La défense et le bien-être sont les principales fonctions de l’État. Le capital privé n’y trouve aucun intérêt en raison de son orientation vers le profit et de sa volonté de payer le moins possible d’impôts. Malgré les espoirs du peuple ukrainien de voir l’État se soucier davantage de la résolution des problèmes des citoyens, c’est le contraire qui s’est produit. Les scandales se succèdent, impliquant des hommes d’affaires qui s’enrichissent sur tout ce qui leur passe sous la main, y compris la production d’armes. Tout cela est le résultat de la centralisation du pouvoir, de la dissimulation d’informations sous le «brouillard de la guerre» et de l’érosion des principes démocratiques. Malheureusement, l’État n’agit pas comme un bouclier social pour le peuple, mais comme une superstructure corrompue. Le manque de soutien est ressenti de manière aiguë par tous, en particulier les militaires, les personnes contraintes de quitter leur maison, ainsi que celles qui élèvent les nouvelles générations d’Ukrainiens en cette période d’incertitude.

La classe ouvrière, dont le potentiel politique n’est pas exploité, a été et reste une force massive capable de changer le cours de l’histoire à un moment critique. Les masses laborieuses ont été écartées de la politique, devenant les jouets des classes dominantes. Si les travailleurs s’unissent, ils peuvent changer les règles de la politique et, à terme, arracher le pouvoir aux élites actuelles. En effet, l’influence sociale des cheminots, des médecins, des travailleurs du secteur énergétique et des enseignants s’est considérablement accrue grâce à leur contribution colossale au bien-être. La vie quotidienne dépend de l’exécution rigoureuse de leurs fonctions, il sera donc difficile pour les autorités de contester leur opinion.

À l’inverse, le capital ne joue aucun rôle dans le maintien à flot de la société. Le budget de l’État n’est pas alimenté par les impôts sur les bénéfices: ceux-ci ont toujours été cachés dans des paradis fiscaux et, depuis le début de l’invasion, ils ont chuté en raison de l’effondrement des exportations. Le budget repose en grande partie sur les impôts sur les salaires (13,11% des recettes), qui financent la défense, ainsi que sur l’aide internationale, qui finance le secteur social. [Ici est laissé de côté l’endettement lié aux livraisons d’armement.]

Le rôle des secteurs d’infrastructure critiques – qui fonctionnent en dehors de la logique du marché mais sont essentiels à la stabilité sur le champ de bataille et à l’arrière – s’est accru. Les travailleurs employés dans ces secteurs sont souvent victimes d’attaques russes, mais le Fonds de pension ukrainien ne leur verse pas les indemnités promises en raison de problèmes bureaucratiques liés à l’obtention du statut d’infrastructure critique. L’existence d’un tel problème annule toute prétention à une politique axée sur l’humain.

Le niveau de soutien aux retraités et aux personnes handicapées, compte tenu des énormes volumes d’aide financière internationale, est inacceptable. Pour justifier les normes sociales lamentables, on répand de faux clichés idéologiques sur la menace d’une montée des «sentiments paternalistes/assistancialistes» (tant au sein du pouvoir que dans le camp de l’opposition).

L’absence d’évolutions positives dans le domaine de l’aide sociale, combinée à de faibles salaires, entraîne un exode massif vers l’étranger, en particulier chez les jeunes de moins de 22 ans. [Merz demande à Zelensky de faire obstacle à l’émigration vers l’Allemagne d’une couche de jeunes Ukrainiens de 18 à 22 ans.]

Pendant des décennies, l’État s’est accommodé des investisseurs et des hommes d’affaires, car ils génèrent des profits. Mais il devient évident qu’il est impossible de générer des profits actuellement, c’est-à-dire dans le contexte d’une économie ravagée par la guerre. Il est grand temps que de larges couches de la population revendiquent la priorité de leurs besoins, car tout repose sur elles. Le niveau de bien-être ne sera pas déterminé par l’efficacité économique, mais par la mesure dans laquelle la population exigera d’être traitée comme des êtres humains. L’influence disproportionnée que l’oligarchie continue d’exercer sur le pouvoir doit disparaître afin de ne pas entraver le développement de l’Ukraine.

Estimant que seul le dépassement du capitalisme permettra de garantir pleinement les intérêts des travailleurs et travailleuses, le «Mouvement social» insiste sur la priorité des revendications suivantes:

  1. Une économie commune pour une victoire commune. Nationalisation sous contrôle ouvrier des secteurs de l’infrastructure, de l’industrie de la défense et des entreprises exploitant des ressources minérales. Une quota de 50% pour les représentants des collectifs de travail au sein des conseils de surveillance de ces entreprises servira de garde-fou contre les abus de corruption et l’usurpation du pouvoir par les serviteurs du capital. Cela permettra de comptabiliser les ressources pouvant être utilisées pour la défense. La socialisation des entreprises du secteur énergétique permettra, entre autres, de prévenir la crise écologique qui se traduira par la détérioration de la qualité de l’eau, des sols et de l’air. Il est particulièrement nécessaire de nationaliser à 100% le complexe militaro-industriel afin d’empêcher les privés de tirer profit des commandes et d’assurer des conditions de travail stables au personnel. Pendant la période de l’état de guerre, il ne peut y avoir de marché de location de logements, de médicaments ou de technologies militaires: tous les processus doivent être réglementés par des organismes publics indépendants, qui ne sont pas guidés par la recherche du profit. Il faut renoncer au financement des établissements médicaux selon des critères d’efficacité, car cela conduit à transformer l’aide médicale d’un droit garanti en une marchandise. L’expansion du secteur public dans l’économie sera un pont vers le plein emploi, à condition que les services de l’emploi et les syndicats coopèrent. Le système fiscal doit remplir une fonction sociale en luttant contre la différenciation excessive des richesses grâce à l’imposition des fortunes.
  2. Relance de l’État social. Une guerre qui traîne doit être considérée comme un facteur de risque social pour l’ensemble de la population, et la protection sociale doit être reconnue comme une obligation de l’État. Les organismes de protection sociale doivent être proactifs et proposer eux-mêmes leur aide aux familles des militaires, aux travailleurs sinistrés et aux couches vulnérables de la population, avant même que ces personnes ne s’adressent à eux. Les logements neufs inoccupés doivent être mis à la disposition des personnes déplacées et aux militaires tant que la crise du logement persiste. En temps de guerre, l’État ne peut pas imposer à la population le paiement des dettes liées aux services publics et l’augmentation des tarifs. La période de résidence dans les zones frontalières, ainsi que le statut de personne déplacée à l’intérieur du pays après le 24 février 2022, doivent être pris en compte comme période de cotisation d’assurance, indépendamment de leur emploi officiel. Afin d’éviter le risque de déficit intellectuel de la population, il convient d’encourager le travail dans l’éducation, en garantissant à tous les enseignants un salaire au moins égal à la moyenne nationale et l’accès à des abris sûrs et confortables [pour poursuivre l’enseignement]. Il convient de mettre en place un suivi indépendant des lacunes éducatives, en particulier dans les régions proches du front.
  3. Renaissance de la démocratie de masse. Les autorités doivent écouter les citoyens et citoyennes lors de la mise en œuvre des politiques à tous les niveaux, en créant de nouvelles institutions de représentation populaire et en élisant des représentants du personnel pour gérer les entreprises. Il est nécessaire de garantir aux travailleurs et travailleuses le droit à un congé annuel payé de 14 jours pour des activités bénévoles, afin qu’ils puissent soutenir l’armée et résoudre les problèmes sociaux. Le Parlement, dont le mandat a expiré, n’a pas le droit d’examiner les projets de loi pour lesquels les représentants de la société civile ont exprimé des craintes quant à la restriction des droits et libertés des citoyens. Garantir la force contraignante des pétitions adressées aux autorités publiques. Organiser des élections dès que possible après la levée de l’état d’urgence. Afin d’empêcher l’arrivée au pouvoir de politiciens qui se sont discrédités par leurs liens avec les oligarques, il convient de supprimer les prérequis patrimoniaux, d’abaisser le seuil d’éligibilité des partis politiques à 1% [proportionnelle intégrale«] et de garantir la liberté de se présenter aux élections. La résolution des problèmes sociaux quotidiens doit devenir à la fois un objectif politique et une incitation à une plus large participation des masses à la vie politique. Les contradictions accumulées dans la société doivent être résolues par le renforcement de la concurrence politique réelle, à condition que les droits de l’homme et le pluralisme idéologique soient respectés.

Ce sont les travailleurs – ouvriers, enseignants, médecins, cheminots, énergéticiens – qui doivent devenir le moteur du renouveau de l’Ukraine: «Vous créez toute la richesse du pays, vous le défendez, vous avez le droit de décider comment le diriger.»

Le «Mouvement social» appelle tous les travailleurs et travailleuses à s’unir: «Créez des syndicats dans vos entreprises. Exigez de participer aux décisions qui vous concernent. Organisez des conseils dans vos communautés. N’attendez pas l’autorisation d’en haut – prenez ce droit vous-mêmes.»

Seules une organisation massive et la solidarité permettront de gagner la guerre et d’assurer une reconstruction équitable après celle-ci. L’histoire montre que toutes les transformations sociales importantes ont été obtenues par la lutte venue d’en bas, et non accordées par le haut.

Texte approuvé le 28 septembre 2025 lors de la conférence annuelle du Mouvement social – Sotsialnyi Rukh (Traduction et édition par la rédaction de A l’Encontre)

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