Ensemble, se frayer un chemin

par Gonzalo Donaire
GONZALO DONAIRE
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Toutes sortes de fantômes hantent l’Europe. Des monstres de l’ancien et du nouveau monde qui aiment le clair-obscur. La gauche anticapitaliste européenne tente de faire face à cette situation.

Depuis des années, l’Europe saigne aux frontières et fait pousser des barbelés. Aujourd’hui, l’UE est un grand laboratoire du néolibéralisme sécuritaire. Elle veut également redevenir un acteur mondial dans le désarroi de la gouvernance mondiale. Militarisation, austérité, extractivisme, privatisation, précarité, dérégulation, accords commerciaux transocéaniques et complicité avec des génocidaires comme Netanyahou.

Pendant des décennies, l’Europe a vécu des profits de l’accumulation capitaliste et coloniale primitive. Pendant des années, l’UE a prétendu être le bon flic de la mondialisation heureuse. Mais aujourd’hui, l’échiquier géopolitique se déplace sous ses pieds et les élites européennes voient leur influence mondiale traditionnelle menacée. Anciennes et nouvelles puissances se disputent le trône et les ressources nécessaires pour faire face à l’effondrement climatique du capitalisme tardif. Il est temps pour elles de renforcer leur agressivité. […]

Nous faisons face à des attaques sans frontières. Des attaques qui suscitent et susciteront des réponses populaires. Résistance contre le néo-extractivisme peint en vert ; contre les attaques du capital déguisées en changement de modèle productif. L’urgence climatique comme toile de fond critique pour ceux d’en bas et comme alibi pour ceux d’en haut.

Pendant ce temps, l’extrême centre néolibéral a adopté l’agenda réactionnaire et xénophobe d’une extrême droite qui, en cours de route, a remplacé son europhobie traditionnelle par un euro-réformisme ultra-conservateur et chauvin. Pourquoi quitter l’UE s’ils peuvent la cogouverner comme ils le font déjà dans plusieurs États membres ? […]

La réponse de la gauche anticapitaliste ne peut être que collective.

Ce collectif exige des espaces de rencontre et de discussion, parce que les attaques internationales appellent des réponses internationalistes.

Or, l’absence d’espaces de coordination internationale et internationaliste dans le camp de la gauche radicale est une réalité aussi palpable qu’inquiétante. […] Mais nous ne sommes pas seul·es. Outre les organisations politiques, il existe dans toute l’Europe des dizaines d’acteurs sociaux et syndicaux qui se réclament de l’anticapitalisme et de l’internationalisme, de l’antimilitarisme, de l’écosocialisme, de l’anticolonialisme et du féminisme.

Avec l’intention modeste mais déterminée de contribuer à ce long travail, Anticapitalistas et la CUP (Candidature d’unité populaire) ont coorganisé le 3 février à Barcelone une rencontre européenne d’organisations anticapitalistes et de gauche alternative pour réfléchir ensemble au moment dans lequel nous nous trouvons et discuter des alternatives que nous pouvons mettre en place pour changer l’Europe à partir de la base.

Des délégations de 16 organisations politiques de 13 territoires européens (1) ont discuté avec des représentant·es d’autres organisations (Transnational Institute, Centre delàs, Observatori del deute en la globalització, Rosa Luxemburg Foundation) des conséquences de la militarisation mondiale croissante et du rôle de l’Union européenne, ainsi que des réponses écosocialistes possibles au capitaliste vert présenté par les élites européennes. Deux tables rondes ont permis de mettre à jour les caractérisations communes, d’avancer des propositions concrètes et de discuter des divergences existantes, comme celle de la caractérisation du conflit en Ukraine après l’invasion russe. La principale conclusion est sans doute qu’il faut davantage d’espaces comme celui-ci, afin de poursuivre les échanges au-delà de la distance froide et violente des réseaux sociaux.

Et comme les luttes et les résistances ne se construisent pas dans l’abstrait, mais sur des agendas partagés, les organisations participantes ont pris le relais du mouvement BDS pour promouvoir, dans les plateformes respectives de solidarité avec la Palestine auxquelles elles participent, l’appel à manifester le 25 février ou les jours suivants, dans le but de lancer une première expérience de journée de protestation à l’échelle européenne. De même, des informations ont été données sur la réunion européenne de solidarité avec la Palestine qui se tiendra à Barcelone les 16 et 17 mars.

Les échanges informels qui ont eu lieu pendant la réunion ont été et seront toujours aussi importants que les discussions formelles. La dimension émotionnelle et affective de la camaraderie est un pilier de la construction des organisations révolutionnaires. Et elle sera aussi un pilier de leur coordination internationale. Dans la tension dialectique permanente entre ambition et prudence, les participant·es à la rencontre européenne se sont rapproché·es un peu plus de l’étape suivante vers un espace d’échange et de coordination entre anticapitalistes de toute l’Europe, qui devra continuer à grandir, mais qui est déjà en train de se remettre en mouvement. Mais, comme l’effondrement du capitalisme ou des vieux empires, il ne viendra pas seul : il dépendra de l’élan militant que voudront bien lui donner celles et ceux qui participent à cet espace. Car le chemin se construit en marchant. 


 

Le 16 février 2024

* Gonzalo Donaire est activiste anticapitaliste, économiste et spécialiste des mouvements migratoires. Il est actuellement conseiller de Miguel Urbán au Parlement européen.

Texte publié par Punto de vista internacional, traduit par Luc Mineto.