La situation économique européenne, conjuguée à des rapports de forces très défavorables vis-à-vis des États-Unis et de la Chine, est un des ciments de la montée de l’extrême droite et des politiques austéritaires.
Peux-tu nous faire un état des lieux de la situation économique de l’Union européenne au regard du marché mondial ?
Les pays de l’Union européenne, auxquels on peut ajouter la Grande-Bretagne, sont en grande difficulté. Premièrement, la croissance est proche de zéro. Nous ne sommes pas du tout des adeptes de la croissance, mais du point de vue du capitalisme, avoir une croissance proche de zéro, c’est un problème pour les capitalistes européens.
Deuxièmement, l’UE est en situation d’infériorité par rapport aux deux grands pôles économiques, la Chine et les États-Unis. La première a un avantage technologique, c’est-à-dire que dans ses échanges commerciaux avec l’Europe, elle est gagnante car elle peut placer ses produits à des prix inférieurs à ceux des produits équivalents réalisés dans l’Union européenne. C’est le cas dans des domaines comme les véhicules électriques, les panneaux solaires, le matériel informatique, etc. L’UE est également en infériorité technologique par rapport aux États-Unis dans le domaine de l’intelligence artificielle et d’autres services.
D’autre part, l’UE et la GB sont dans une position d’infériorité par rapport à la puissance économique des États-Unis, qui utilise différents moyens notamment les tarifs douaniers. L’Europe accepte le leadership des États-Unis sur le plan politique et militaire, et les défis ou les provocations de Trump sur le plan commercial et économique. Ainsi, la réunion d’Ursula von der Leyen avec Donald Trump, sur un terrain de golf écossais appartenant à ce dernier, en était déjà une démonstration. Et du point de vue du contenu, les concessions qu’elle a faites au nom de l’Union européenne – comme celles réalisées par le gouvernement britannique lors des réunions avec Trump – indiquent la même chose.
Par ailleurs, c’est important de souligner qu’il y a là un point commun entre la situation des États-Unis et de l’Europe par rapport à la Chine : les États-Unis et l’Europe – l’Union européenne, la Grande-Bretagne – qui étaient pour le libre-échange et pour l’OMC, sont devenus partisans du protectionnisme face à la concurrence représentée par la Chine. Cependant l’Europe négocie des accords de libre-échange avec les pays du Sud, par exemple d’Afrique, ou du Mercosur, en utilisant les avantages qu’elle parvient à conserver. L’UE combine donc protectionnisme face à la Chine et libre-échange avec les pays ayant un désavantage de compétitivité notamment technologique.
Il y a un lien évident entre l’acceptation du leadership américain par l’Europe et l’engagement à augmenter jusqu’à 5 % du produit intérieur brut les dépenses d’armement. L’industrie d’armement est la plus « florissante » en Europe. Dans certaines régions industrielles, des entreprises d’armement procèdent à de nouveaux investissements, ce qui n’avait plus eu lieu depuis longtemps dans le secteur de la métallurgie. Par contre, dans des secteurs comme celui des véhicules électriques, elle est tout à fait en retrait et la Chine gagne des parts de marché.
L’Union européenne et les pays dominants de l’Union européenne espèrent-ils jouer un rôle dans la concurrence internationale, essayer de se hisser au niveau des autres blocs, ou est-ce qu’ils ont plutôt renoncé ?
Je pense qu’ils sont conscients de leur infériorité et essaient seulement de limiter les dégâts. De plus, cela augmente leur volonté de profiter de ce qui leur reste comme avantages par rapport à des pays du sud en retard sur le plan technologique et riches en matières premières. Mais là aussi, par exemple sur le continent africain, les pays européens sont en recul très clair par rapport à la Chine. Et il y a également une nouvelle offensive des États-Unis, qui là aussi prennent un avantage sur les capitalistes européens en ce qui concerne les ressources naturelles. On le voit avec l’accord passé entre le Rwanda et la RDC sous l’égide de Trump au mois d’août 2025 qui assure aux États-Unis l’accès aux ressources naturelles de l’est du Congo, ou encore avec l’accord passé entre Zelensky et Trump sur les ressources naturelles en avril 2025 1. Les Européens « aident » le gouvernement Zelensky à coups de dettes en espérant monnayer ensuite certains allégements de la dette de l’Ukraine en échange d’un plus grand accès aux terres arables et aux ressources naturelles de l’Ukraine, mais Trump leur a damé le pion.
Est-ce que tu penses que cette forte infériorité est un des ciments de la montée de l’extrême droite ? Est-ce qu’une partie des classes dominante renonce à l’Union européenne pour chercher davantage de protectionnisme ?
La montée de l’extrême droite est presque généralisée dans le monde, dans d’autres conditions que l’Europe, donc l’explication fondamentale de la montée de l’extrême droite ne vient pas d’une spécificité de la situation de l’Union européenne. Mais c’est clair que c’est dans le contexte du recul des États-Unis qu’on a eu une montée des propositions de repli national et d’extrême droite de la part de Trump et du Make America Great Again. Et en Europe, la progression de l’extrême droite repose sur la précarisation des conditions de travail, sur la dégradation des conditions de vie qui est attribuée à tort aux migrant·es. La déception et la désorientation dues à la politique de la gauche traditionnelle constituent également un ressort de l’extrême droite qui se présente comme une rupture radicale.
L’extrême droite en Europe était traditionnellement anti-Union européenne. Est-ce que tu penses que c’est en train de changer ?
Ça a déjà changé. C’est très clair du côté de Marine Le Pen qui était contre l’euro et qui est devenue pro monnaie unique, notamment pour avoir le soutien du grand capital français. Le secteur du grand capital français qui apporte un appui direct au Rassemblement national ne l’aurait pas fait si Marine Le Pen avait maintenu sa position anti-euro. Et Meloni a fait exactement le même choix.
La plupart des partis de l’extrême droite européenne ont abandonné leur opposition à l’Union européenne. Ils maintiennent des critiques en exigeant une accentuation des politiques inhumaines en matière migratoire, mais fondamentalement, ils s’orientent pour l’appui à l’Union européenne. C’est dans ce cadre que le groupe de Meloni a pactisé avec Ursula von der Leyen, en échange d’une place de commissaire européen et de trois présidences de commissions. C’est extrêmement important parce que les trois commissions que le groupe parlementaire européen de Meloni a obtenues, ce sont l’agriculture, le budget et les pétitions. Par conséquent les pétitions qui surgissent des populations européennes, les tentatives d’obtenir un référendum par exemple, vont être gérées par une commission qui est présidée par l’extrême droite.
Dans l’Union européenne, depuis la Seconde Guerre mondiale, c’est du jamais vu. La nouvelle législature commencée en juin 2024 représente un virage accentuant fortement le tournant droitier de la Commission européenne 2.
Donc pour toi, il y a une tentative de fusion des intérêts d’une partie importante des bourgeoisies de l’Union européenne avec le programme de l’extrême droite ?
Oui, ça dépend des pays, mais globalement, c’est la tendance, absolument.
Ça éclaire sur les grandes difficultés du courant Renew de Macron, plus positionné sur du libéralisme classique.
J’abonde dans ton sens et d’ailleurs, si on regarde les résultats électoraux, le groupe Renew de Macron, au niveau européen, a connu un échec très important en juin 2024 en perdant 21 europarlementaires, passant de 98 sièges à 77. Or Macron et d’autres partis membres de son groupe au PE s’orientaient déjà très clairement vers des concessions à l’extrême droite.
Les groupes parlementaires qui ont le plus progressé sont ceux de l’extrême droite. C’est ainsi que le groupe autour de Marine Le Pen a gagné 35 europarlementaires notamment grâce à l’apport du parti de Viktor Orban. Le groupe autour de Meloni en a gagné 9.
Le premier groupe parlementaire européen reste le Parti populaire européen (le PP espagnol, la CDU-CSU en Allemagne, d’Ursula von der Leyen…) avec 188 parlementaires, puis vient le groupe socialiste avec 136 membres. Mais si on additionne les trois groupes d’extrême droite dans le parlement européen (ECR, le groupe autour de Meloni qui compte 78 députés, le groupe des Patriotes pour l’Europe de Marine Le Pen et Victor Orban qui en a 84 et le groupe de l’Europe des Nations souveraines formé autour de l’AFD d’Allemagne qui en a 25), l’extrême droite vient en deuxième position dans le Parlement européen avec 187 parlementaires, avec seulement un membre de moins que le groupe du Parti Populaire. Et loin derrière, il y a le groupe Renew de Macron avec 77 sièges et le groupe des Verts qui a perdu 17 parlementaires en passant de 70 à 53 sièges dans le PE. Rappelons que les Verts soutiennent Von der Leyen.
La Commission européenne, qui vire de plus en plus à droite, est soutenue par le groupe socialiste, Renew et les Verts qui s’affaiblissent tous les deux. Comme je viens de le dire, les Verts ont perdu 17 élu·es aux dernières élections européennes. Le mouvement italien Cinq étoiles, après les élections de juin 2024, a demandé à rejoindre leur groupe, mais ils lui ont refusé l’entrée car Cinq étoiles a refusé leur exigence de se prononcer en faveur de l’OTAN. Le mouvement Cinq étoiles a donc rejoint et renforcé le groupe de la gauche dite radicale (The Left) qui compte 46 parlementaires, avec LFI en France, Podemos, EHBildu, Sumar dans l’État espagnol, le Bloc de gauche et le PC au Portugal, le PTB en Belgique, le Sinn Fein d’Irlande, Syriza en Grèce, etc.
En Belgique, le grand capital a trouvé un allié en la personne du Premier ministre Bart de Wever qui dirige un parti, la Nieuw-Vlaamse Alliantie (Nouvelle alliance flamande, N-VA), qui est membre du groupe de Meloni, donc de l’extrême droite, et qui va pousser plus loin les attaques du capital contre le travail. Ajoutons que dans cette partie de la Belgique, les Flandres, lors des élections européennes, c’est le Vlaams-Belang qui est venu en tête avant la N-VA… Le Vlaams-Belang (VB) est néofasciste et est dans le groupe de Marine Le Pen et Victor Orban. Donc deux partis d’extrême droite dominent le côté flamand et un des deux dirigele gouvernement fédéral. On voit donc bien dans quel sens penche l’orientation du grand capital. Du côté francophone belge, le parti principal de la droite traditionnelle, le mouvement réformateur (MR) qui est membre de Renew au niveau européen, a adopté une orientation très proche de l’extrême droite, ce qui lui permet d’occuper le terrain de cette dernière.
Donc effectivement, si on prend différents pays, on voit que l’orientation du grand capital consiste très clairement à réduire l’espace pour les secteurs qui représentent une option de droite traditionnelle au profit de la droitisation extrême de ces formations politiques, ou au renforcement des formations indépendantes comme le RN, Vox, Chega ou le VB qui sont carrément encore plus à droite que ces formations traditionnelles.
Et si tu dois résumer en quelques points le programme de l’extrême droite à l’échelle européenne ?
Je crois qu’ils n’ont pas encore véritablement pu se mettre d’accord sur un programme commun, mais ça se situe largement dans le sillage de Trump. Par rapport à la Russie, par exemple, ils sont favorables à une négociation avec Poutine en lui faisant d’importantes concessions, et donc ils n’ont pas exactement la même logique que la position dominante de la Commission européenne dans le conflit Ukraine-Russie. Il y a aussi la volonté de mettre en œuvre des mesures protectionnistes plus importantes. Les partis d’extrême droite essaient de reproduire ce que Trump fait avec MAGA : exiger que des entreprises européennes rapatrient une partie de leur production sur le territoire européen. Là, certainement, il y aura des tensions entre les partis des différents pays, parce que les dynamiques nationales conduiront à vouloir rapatrier sur leur propre territoire, en privilégiant l’intérêt national, et pas dans une vision commune européenne.
Le programme économique et politique de l’extrême droite européenne est donc dans le sillage de celui appliqué par Trump aux États-Unis et sur le plan international. C’est aussi le cas sur la question de l’immigration, l’extrême droite se félicite de la brutalité de la politique appliquée par Trump et voudrait que la Commission et les gouvernements nationaux qui mènent déjà une politique inhumaine la durcissent. Un grand point d’accord entre les différents partis d’extrême droite, l’orientation de la commission et celle de la plupart des gouvernements européens, c’est la politique de cadeaux fiscaux aux plus riches et aux grandes entreprises ainsi que l’augmentation très forte des dépenses d’armement.
On assiste à une casse des services publics et de la protection sociale, et à une augmentation de la dette. Comment vois-tu l’évolution par rapport à ces questions ?
Il est clair qu’il y a une augmentation très forte des dettes à la fois publiques et des grandes entreprises privées. L’endettement des classes populaires a aussi augmenté, vu la pression à la baisse des revenus réels, que ce soit sur les salaires ou les indemnités ou allocations sociales. La perte de pouvoir d’achat est compensée par un recours plus important à l’endettement de la part des ménages des classes populaires.
Concernant la dette publique des États. Ces 40 dernières années, les pouvoirs publics ont répondu à différentes périodes de crise du capital en augmentant la dette publique. Dans les années 1980, la dette publique a augmenté fortement en réponse à la grande crise économique de la fin des années 1970. L’endettement a augmenté avec notamment une politique de taux d’intérêt élevés en faveur du grand capital financier, dans un contexte où les gouvernements vendaient leur dette publique sur les marchés financiers.
Ensuite pendant les années 2000, la réponse à la crise bancaire de 2008 a consisté à multiplier des sauvetages bancaires très importants qui ont fortement augmenté la dette publique.
Puis, à partir de 2012, il y a ce qui s’est appelé le quantitative easing (assouplissement quantitatif), démarré de l’autre côté de l’Atlantique par la Réserve Fédérale des États-Unis (déjà en 2010) et suivi par la Banque centrale européenne sous Mario Draghi, quand celui-ci est arrivé à la présidence de la Banque centrale européenne, succédant au Français Jean-Claude Trichet. Le quantitative easing a signifié l’injection massive, encore plus qu’avant, de liquidités dans le secteur financier, avec des taux d’intérêt très bas, et une augmentation de la dette publique. Les grandes banques privées en ont tiré profit car elles empruntaient à 0 % à la Banque centrale et prêtaient cet argent aux États, puisque les États n’ont pas le droit d’emprunter directement auprès de la Banque centrale. Les banques privées prêtaient à 2 ou 3 % aux économies dominantes et à 4, 5 ou 6 % aux pays périphériques, faisant donc des profits considérables.
Puis on a encore eu un choc avec la pandémie du coronavirus en 2020. Là, la dépense publique a augmenté, parce que les États n’ont pas voulu faire payer le grand secteur pharmaceutique et les GAFAM qui profitaient du confinement et de la pandémie. Au lieu de taxer les super profits, les gouvernements ont préféré recourir à la dette en suivant le mot d‘ordre du « quoi qu’il en coûte ». La dette publique a donc continué sa progression.
Puis il y a eu le choc provoqué par l’invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022, l’augmentation des prix de l’énergie, les effets des sanctions européennes contre la Russie, donc l’augmentation de la facture énergétique et, pour les ménages, les effets sur les prix de l’alimentation. On a donc encore eu une augmentation de la dette publique car une fois de plus les gouvernements ont refusé de prélever des impôts supplémentaires sur les entreprises privées qui faisaient des superprofits dans les secteurs de l’énergie, de la grande distribution, de l’armement… L’augmentation de la dépense publique favorable aux grandes entreprises et aux plus riches a été financée par le recours à la dette publique qui constitue une source permanente de revenu pour les mêmes grandes entreprises car elles achètent des titres de la dette.
Et enfin, les banques centrales, la Fed des États-Unis, la BCE, la Banque d’Angleterre, à partir de février-mars 2022, décident d’abandonner le quantitative easing et de passer au quantitative tightening (resserrement quantitatif), c’est-à-dire une augmentation des taux d’intérêt, une réduction de l’injection des moyens financiers sur les marchés financiers et un dégonflement du bilan de la BCE et de Fed. Il y a donc une augmentation des taux d’intérêt : on est passé en Europe de 0 % à 4,5 % en 2023, puis il y a eu une baisse à un peu moins de 3 % du taux directeur de la Banque centrale européenne. Aux États-Unis, la réserve fédérale a augmenté son taux, qui était encore à 0 % au début 2022, à 4,75% en 2024. Cela a un peu baissé récemment, on en est à environ 4 %. L’augmentation des taux d’intérêts à partir de 2022 a eu un effet très important sur le coût du refinancement de la dette publique. La charge des remboursements de la dette publique a fortement augmenté. Cela a creusé le déficit public vu que les gouvernements continuent les cadeaux aux capitalistes.
Le discours selon lequel la dette publique a atteint des sommets et devient intenable pour le budget, est de nouveau systématiquement utilisé par des gouvernements qui sont en réalité les responsables de l’augmentation de la dette. Ils ont augmenté la dette publique parce qu’ils refusaient de faire payer les coûts des crises provoquées par le capitalisme par les grandes entreprises qui en profitaient et par les grands actionnaires qui ont continué à s’enrichir. J’ai parlé du Big Pharma, des GAFAM, il y a aussi les entreprises de production et distribution de l’énergie, les entreprises du secteur alimentaire et de la distribution, les banques, les entreprises de production d’armement qui ont fait des super profits.
Donc, en l’absence d’une augmentation des impôts sur les grandes entreprises et par le maintien des cadeaux aux plus riches, les pouvoirs publics ont augmenté la dette publique.
En 2025, la France a atteint une dette publique qui équivaut 114 % du produit intérieur brut, l’Italie est à 138 %, la Grèce à 152 %, la Belgique à 107 %, l’Espagne à 103 % et les autres pays sont en dessous généralement de 100 %. Une grande majorité des pays de l’Union européenne est nettement au-dessus des 60 % du PIB prévus par le traité de Maastricht. Nous mettons en cause la validité de la comparaison entre le stock de la dette et le PIB mais comme ce ratio est utilisé par les gouvernements et les traités qui régissent l’UE, cela constitue un moyen de mesure aussi défectueux qu’il soit.
Ce qui est certain c’est que contrairement à ce qu’affirme la droite, l’augmentation de la dette publique n’est pas provoquée par un excès de dépenses sociales ou de dépenses salariales dans la fonction publique ou d’investissements publics dans la lutte contre le changement climatique.
L’augmentation de la dette publique est le résultat de deux facteurs : 1. une politique d’augmentation de dépenses illégitimes, telles les aides publiques aux grandes entreprises et une augmentation des commandes publiques aux industries d’armement, au Big Pharma (pendant la pandémie), etc. 2. une politique de recettes publiques insuffisantes à cause du refus de taxer les riches et leurs (super) profits.
La droite, qui cherchait un argument pour franchir un nouveau cap dans les politiques d’austérité et les attaques contre les acquis qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale, se saisit de cette situation pour dire qu’il faut augmenter les coupes dans les dépenses sociales et dans les investissements publics, notamment liés à la lutte contre le changement climatique et la crise écologique.
Ils en profitent aussi pour réduire les dépenses d’aide au développement. On ne se faisait aucune illusion sur comment l’aide au développement est menée, mais on se rend compte que si elle est réduite, ce n’est pas dans l’intérêt des peuples du Sud : quand Trump ferme carrément US Aid, ça a des effets désastreux sur les conditions de santé de millions de personnes qui en Afrique recevaient par exemple des traitements pour combattre le sida.
Est-ce qu’il y a selon toi un danger de rupture sur le plan économique, c’est-à-dire d’un effondrement d’États, qui deviendraient incapables de payer la dette ?
Il y a une dramatisation de la question de la dette, que nous devons dénoncer. On n’est pas confronté à la perspective d’un effondrement ou d’une incapacité de remboursement. Ce qu’il faudrait du point de vue de la gauche, c’est un gouvernement qui déclarerait, sur la base d’un audit de la dette à participation citoyenne, qu’une partie de la dette publique est frappée d’illégitimité voire de caractère odieux, et qu’il faut procéder à des annulations très importantes de celle-ci. On souhaiterait qu’un gouvernement de gauche appliquant une politique favorable à la population et réalisant un énorme investissement public dans la lutte contre la crise écologique prenne une telle décision.
Par exemple, la Banque centrale européenne détient encore près de 5 000 milliards d’euros de titres de la dette publique des pays de la zone euro, soit grosso modo 20 % de la dette publique de chaque pays. Si la BCE annulait ces créances, il y aurait une baisse d’une vingtaine de pourcents et l’argument pour mener des politiques d’austérité tomberait. En effet, tant que la BCE est créancière d’une partie importante de la dette, elle peut exercer une pression sur des gouvernements progressistes qui voudraient mener une politique anti-austéritaire.
C’est un enjeu extrêmement important quand il s’agit de parler d’alternatives. Mais il y a bien sûr aussi les dettes réclamées par le grand capital qui achète des titres de la dette publique, et là des gouvernements progressistes qui seraient élus devraient prendre des mesures d’annulation/répudiation.
Maintenant, si la droite reste au pouvoir, elle va utiliser l’argument du montant de la dette publique pour mener des politiques d’austérité accentuées. Ça ne va en rien résoudre les problèmes économiques de l’Union européenne, mais ça va augmenter la capacité d’offensive du grand capital contre le travail.
Ça ne résoudra pas les problèmes structurels économiques de l’Union européenne, mais dans la bataille du capital contre le travail, le capital marquera des points grâce aux attaques menées au nom de la nécessité de faire des coupes pour rembourser la dette publique.
La question de la dette publique est donc un élément central. Et là-dessus, par rapport à une partie de la gauche qui dit qu’il n’y a pas de problème de dette publique, je pense que la gauche radicale doit dire que cette réponse est trop courte, qu’il y a réellement un problème de dette publique parce que toute une partie de celle-ci est illégitime. Oui le montant de la dette publique n’est pas dramatique, mais elle est très importante et injustifiée. Il faut réduire radicalement cette dette publique. Pas en accélérant les remboursements, au contraire en refusant largement les remboursements et en faisant payer au grand capital – qui en a profité systématiquement – le coût de ces annulations de dette pour libérer les moyens d’un autre type de politique et d’un autre modèle de développement humain, respectueux des équilibres écologiques.
Quelles grandes mesures économiques ?
Je pense qu’un programme de gauche doit d’abord partir du vécu des populations. Il faut donc créer des emplois de qualité, utiles socialement et beaucoup mieux payés qu’aujourd’hui, avec de meilleures conditions de travail. Il faut une réduction radicale du temps de travail, avec embauches compensatoires et une augmentation du revenu réel. Il faut une tout haute politique fiscale, avec une réduction radicale, et même une suppression de la TVA sur une série de services de base – à commencer par l’eau, l’électricité –, une augmentation radicale des impôts sur les revenus et sur le patrimoine des plus riches. C’est aussi une réponse, par le biais des recettes, à une partie de la question soulevée par la dette publique.
Mais, là, il y a une grande différence par rapport à un programme social-démocrate : il ne faudrait pas qu’un programme de justice fiscale serve à rembourser des dettes illégitimes. Si on augmente les recettes, c’est pour augmenter les dépenses légitimes, les investissements publics pour améliorer les conditions de vie en lien avec la lutte contre la crise écologique. Il faut donc d’énormes investissements sur les transports en commun, la sortie du nucléaire et toute une série de projets qui permettent aussi de créer des emplois qualifiés. Il faut une augmentation des dépenses dans les services publics, avec des créations d’emplois massives, notamment dans la santé. On ne doit pas oublier ce qui s’est passé lors de la pandémie de coronavirus qui a provoqué une prise de conscience de l’importance de la santé publique et le fait que le big pharma privé ne répond pas du tout aux besoins des populations.
Il faut mettre sous statut public les grands secteurs de l’économie. Le secteur de l’énergie doit être exproprié et doit être donc un secteur public. Par expropriation, le secteur de la banque et de l’assurance doit être entièrement sous monopole public, il doit être socialisé.
Il faut abroger une série de traités léonins que l’Union européenne a imposés au pays du Sud – des traités qui au nom du libre commerce défavorisent les pays du Sud – et donc introduire un autre type de commerce.
La relation du Nord, par exemple de l’Union européenne par rapport aux peuples du Sud, doit absolument changer, notamment la politique migratoire. L’aide au développement doit être remplacée par des réparations à payer aux peuples du Sud et une restitution des biens mal acquis par le Nord sur le dos des populations du Sud.
Il y a aussi la question de l’industrie d’armement : la gauche doit lutter contre l’augmentation des dépenses d’armement et dire que le secteur de l’armement doit être aussi sous contrôle public et extrêmement réglementé, pour aller vers le désarmement, ce qui nécessite des négociations internationales.
Ce sont des éléments tout à fait fondamentaux d’un programme de gauche.
Le 24 octobre 2025