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Cisjordanie. «À Jénine, les raids israéliens provoquent une inévitable résistance militaire, unie, de jeunes Palestiniens»

par Mariam Barghouti
Maison de Jénine après un raid israélien le 28 février.

Aux premières heures du 23 février, les forces israéliennes ont bombardé un véhicule dans le camp de réfugiés de Jénine, tuant trois résidents palestiniens du camp. La cible de l’attaque de drone était Yasser Mustafa Hanoun, 27 ans, responsable dans la Brigade de Jénine – apparemment la branche armée du Jihad islamique palestinien (PIJ), mais qui, depuis quelques années, fonctionne comme un groupe de coordination pour un certain nombre de jeunes Palestiniens allant du PIJ au Hamas, au Fatah, et même au Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), un parti de gauche et laïque. Yasser Mustafa Hanoun a été tué sur le coup, dans un attentat à la bombe qui a également tué Saeed Jaradat, 17 ans, et Majdi Nabhan, 20 ans, et blessé 15 autres personnes.

Ces derniers mois, parallèlement aux bombardements israéliens sur la bande de Gaza, la Cisjordanie a connu une forte intensification des incursions violentes des forces israéliennes. Si l’année 2023 a été la plus meurtrière pour la Cisjordanie depuis une vingtaine d’années, avec plus de 500 victimes, au moins un cinquième d’entre elles étaient originaires de la seule ville de Jénine.

Depuis le 7 octobre, les soldats et les colons israéliens ont tué 410 Palestiniens dans ce territoire occupé, dont 93 dans la seule ville de Jénine. L’année dernière, la ville a dû raser un terrain situé juste à l’extérieur du camp de réfugiés pour y construire un nouveau cimetière, le cimetière commun étant devenu trop occupé… trop rapidement.

Le camp de réfugié·es de Jénine est un microcosme du harcèlement par Israël des Palestiniens qui osent résister à ses politiques de dépossession et de déplacement. Alors que l’armée israélienne prévoit une opération de «contre-insurrection» à long terme dans la bande de Gaza comme prochaine phase de sa guerre, Jénine offre une fenêtre sur ce qui pourrait se préparer.

L’enjeu, c’est le Palestinien, pas le Palestinien qui résiste

Les incursions de l’armée israélienne dans Jénine et son camp de réfugié·es ont été presque ininterrompues depuis le 7 octobre. L’opération la plus importante a eu lieu entre le 12 et le 15 décembre, lorsque les soldats israéliens ont assiégé l’ensemble du camp pendant 60 heures – le raid le plus long et le plus violent de ce type depuis que le camp a été presque détruit lors de l’opération «Bouclier défensif» en 2002, au cours de la deuxième Intifada [septembre 2000-février 2005].

A l’issue de l’offensive, le porte-parole de l’armée israélienne a affirmé avoir arrêté 14 personnes recherchées et «éliminé 10 terroristes» dans le camp. Mais selon des témoins oculaires et des résidents, au moins 12 Palestiniens ont été tués – dont 10 civils et non-combattants, y compris un enfant – et au moins 42 autres ont été blessés par des tirs israéliens, des gaz lacrymogènes et par des drones d’attaque.

«Il n’est pas possible de dire “celui-ci est un combattant et celui-là ne l’est pas”», a déclaré [à +972] Sami, un homme d’une trentaine d’années qui a choisi d’utiliser un pseudonyme par crainte de mesures punitives de la part de l’armée israélienne, alors que l’invasion se déroulait dans la soirée du 13 décembre 2023. «Nous sommes tous une cible», a-t-il ajouté, alors que des jeeps militaires patrouillaient dans les rues à l’extérieur du camp de réfugié·e·s.

Quelques heures après le retrait de l’armée, le matin du 15 décembre, Umm Imad Ghrayeb, 72 ans, a marché dans les rues boueuses et en ruines du camp pour la première fois depuis trois jours. Elle ne sait pas par où commencer pour expliquer les heures d’horreur qu’elle a endurées.

«Il n’y avait que nous, les personnes âgées, et mon mari ne peut même pas se lever», raconte Umm Imad Ghrayeb. «L’armée a cassé les portes de notre maison, alors que nous les avions laissées ouvertes pour montrer que nous n’avions rien à cacher.»

Comme des dizaines d’autres familles, les soldats ont enfermé Umm Imad Ghrayeb et son mari dans une pièce pendant que l’armée transformait la maison en «base militaire». Pendant ce temps, les tirs et les bombardements se poursuivaient autour de leur maison. «Tout ce que nous pouvions entendre, c’était de fortes détonations, l’une après l’autre.»

L’attaque de décembre n’était pas une simple opération de recherche et d’arrestation, ni même une opération visant les combattants de la résistance, comme l’a prétendu l’armée israélienne. Au moins un millier de Palestiniens – tous des hommes et des garçons, principalement des jeunes, y compris des personnes souffrant de maladies chroniques – auraient été arrêtés au cours des 60 heures qu’a duré l’invasion. La plupart ont finalement été relâchés, mais pas avant d’avoir été emmenés au camp militaire de Salem, au nord-ouest de Jénine, ou d’avoir été soumis sur place à des interrogatoires brutaux.

Les personnes soumises à ces interrogatoires ont souvent eu les yeux bandés, ont été déshabillées et laissées dans des positions assises pénibles, souvent à l’extérieur, dans le froid et sous la pluie. Certains détenus ont déclaré que les soldats les avaient recouverts d’un drapeau israélien pendant leur détention; des vidéos ont ensuite corroboré ces témoignages.

Depuis une maison du camp, des soldats ont posté des vidéos sur leurs comptes TikTok et de médias sociaux, se montrant en train de fumer joyeusement une shisha dans un salon, tandis que des Palestiniens aux yeux bandés étaient contraints de s’asseoir sur le sol.

Plutôt que de décrire les abus subis, les habitants du camp posent toujours la même question: «Pourquoi?» Joignant les paumes de ses mains et parvenant à garder le sourire, Umm Imad Ghrayeb se souvient d’une voix tremblante: «Tout ce que nous faisions, c’était prier: Oh, mon Dieu, aidez-nous. Que pouvions-nous faire d’autre, ma chère?»

«Si nous partons, qui restera?»

Alors que les résidents du camp de Jénine enduraient une campagne de terreur, les résistants palestiniens affrontaient les soldats israéliens depuis l’extérieur du camp. Des jeunes non armés des régions voisines se sont également rassemblés, certains lançant des pierres, d’autres faisant le guet et d’autres encore insultant bruyamment les soldats.

Lorsque j’ai demandé à certains jeunes Palestiniens pourquoi ils étaient dans la rue pendant l’invasion, alors qu’ils savaient qu’ils ne pourraient pas entrer dans le camp assiégé, beaucoup ont répondu par un seul commentaire: «Au moins, nous essayons» et «Peut-être pourrions-nous attirer l’attention des soldats sur nous, afin d’atténuer l’impact de la violence sur les résidants du camp».

Les résistants armés n’étant plus à l’intérieur du camp, la population réfugiée s’est retrouvée sans protection et à la merci des soldats israéliens. L’armée a assiégé la zone, bloquant la circulation des marchandises et coupant l’approvisionnement en eau et en électricité. «Les produits de première nécessité pour un être humain ne sont pas autorisés à entrer», a déclaré Eli, qui a également choisi d’utiliser un pseudonyme, alors qu’il observait de loin les jeeps militaires.

«Regardez le camp », a dit Sami au moment où la soirée se rafraîchissait ce 13 décembre, les militaires se rapprochant d’un groupe de jeunes rassemblés près d’un dispensaire adjacent au camp. «Personne n’est autorisé à entrer. Pas d’ambulance. Pas de lait pour les nourrissons. Pas même de pain», a-t-il déclaré.

Pour couronner le tout, des soldats israéliens, y compris des tireurs d’élite, ont empêché les journalistes et les ambulances d’entrer dans le camp. Toute tentative d’approche du camp s’est heurtée à l’agressivité des Israéliens, qui ont notamment tiré à balles réelles directement sur le personnel médical et les journalistes.

À l’intérieur du camp, les forces israéliennes ont gravement endommagé de nombreux bâtiments en se déplaçant d’une rue à l’autre. Nash’at Samara, ainsi que sa femme et ses enfants se trouvaient dans la maison de son frère, à l’extérieur du camp, lorsque l’invasion a commencé. Il n’a pu retourner dans son quartier qu’après le retrait de l’armée. Il n’a pas retrouvé de maison, mais les ruines d’une maison: celle-ci avait été dynamitée, les carreaux de sa cuisine s’étaient détachés des murs et les biens de sa famille avaient été saccagés.

«Pourquoi ont-ils détruit notre maison?» nous demande-t-il en marchant dans les décombres de sa cuisine. En regardant la nourriture, maintenant sur le sol, il dit avec de la douleur dans la voix: «La résistance se battait dans les rues, ou à l’extérieur, pas dans les maisons, et certainement pas dans le réfrigérateur.»

«L’objectif était l’humiliation», a déclaré Walid Abu el-Fahed, 45 ans, à propos de l’invasion. Il l’a dit le jour où les forces israéliennes se sont retirées, alors qu’au volant de sa voiture il relevait les traces de destruction qu’elles ont laissées dans le camp.

Toutefois, au-delà de l’humiliation, ces pratiques servent à déloger les Palestiniens. Pour l’armée israélienne, les invasions et les opérations militaires dans les maisons civiles, les hôpitaux ou les écoles, en plus des démolitions de maisons et des pogroms de colons, sont devenues des pratiques de plus en plus courantes, qui contribuent toutes à la dépossession et au déplacement délibérés des Palestiniens.

En l’espace de 116 jours, entre octobre 2023 et janvier de cette année, Israël a déplacé 2792 Palestiniens en Cisjordanie. Cela représente une augmentation de 775 % du nombre de Palestiniens exclus d’un domicile par rapport au nombre de Palestiniens déplacés au cours des neuf premiers mois de l’année 2023. En outre, comme à Gaza, la majorité des Palestiniens tués en Cisjordanie ne sont pas des résistants mais des civils, dont près d’un tiers sont des enfants et des mineurs.

Néanmoins, de nombreuses familles choisissent de rester dans leurs maisons, malgré les difficultés. «Nous restons parce que nous avons besoin de rester dans notre patrie», explique Abu el-Fahed, tandis que ses enfants jouent sur la banquette arrière de la voiture qui roule dans les rues du camp de réfugiés de Jénine, rues ravagées par les bulldozers. «Si je pars avec mes enfants, si elle part avec les siens et s’il part avec les siens, qui restera?», a demandé Abu el-Fahed.

Naissance de la résistance

«Je suis né sous l’occupation et avec des soldats, et je mourrai sous l’occupation et avec des soldats», a déclaré Eli alors que l’invasion et le siège se poursuivaient pour la troisième nuit. «Les tirs, les tueries, le sang, c’est la vie de toute la population palestinienne», poursuit-il, exaspéré.

La dernière fois qu’Israël a mené une opération d’une telle ampleur, c’était au plus fort de la seconde Intifada, en 2002. Cette incursion – qui s’inscrivait dans le cadre de l’opération «Bouclier défensif», au cours de laquelle les forces israéliennes ont envahi plusieurs villes palestiniennes de Cisjordanie pendant un mois – a entraîné la destruction d’infrastructures et d’institutions palestiniennes pour un coût estimé à 361 millions de dollars, selon la Banque mondiale.

Outre les pertes matérielles, l’invasion a créé une génération de Palestiniens traumatisés qui ont non seulement été profondément ébranlés par les événements de cette année-là, mais qui ont dû depuis grandir avec la poursuite de la violence militaire israélienne. A l’époque, les groupes de défense des droits de l’homme avaient mis en garde contre l’impact négatif que l’invasion de 2002 aurait sur les enfants, les jeunes.

Plus de vingt ans plus tard, l’armée israélienne continue de mener des raids réguliers et intensifiés dans les villes palestiniennes de Cisjordanie. La croissance des colonies est également en hausse, et avec elle le taux et la gravité des attaques des colons contre les Palestiniens. Les colons continuent de bénéficier d’une impunité presque totale dans le cadre du système judiciaire israélien. Les arrestations arbitraires et les humiliations aux points de contrôle militaires israéliens sont restées la norme, et les assassinats extrajudiciaires sont devenus le modus operandi de ces dernières années.

Pour les Palestiniens de Cisjordanie, l’intensification des attaques israéliennes s’est surtout produite au lendemain de l’«Intifada de l’unité» en mai 2021, au cours de laquelle les Palestiniens «entre le fleuve et la mer» se sont soulevés contre le gouvernement israélien et les forces d’occupation [voir à ce propos sur ce site entre autres l’article du 20 mai 2021]. Israël a ensuite lancé l’opération «Briser la vague», une série d’opérations militaires à travers la Cisjordanie qui a vu l’utilisation de la force létale contre les civils et des missions d’assassinat extrajudiciaires, qui sont illégales en vertu du droit international.

Il n’est donc pas surprenant que la détermination des jeunes Palestiniens à participer à des actions militaires face à l’armée israélienne n’ait fait que croître. Après l’Intifada de l’Unité, un grand nombre de Palestiniens ont commencé à s’engager dans la résistance armée, rejoignant souvent des groupes locaux qui n’étaient pas alignés sur les partis politiques palestiniens traditionnels.

«N’oubliez pas que les enfants de 2002 sont maintenant la résistance», nous a déclaré Abu el-Fahed, un habitant de Jénine, quelques heures après le retrait de l’armée lors de l’invasion de décembre. Il se souvient encore de la brutalité et de la peur de ces semaines. «Israël a essayé de nous déplacer en 2002», se souvient-il. «Ils ont détruit les maisons, nous ont arrêtés en masse et nous ont tués.»

Cette réalité inévitable n’est ni secrète ni inattendue pour les Palestiniens en général, et pour ceux de Jénine en particulier. «Ce qu’ils détruisent, nous le reconstruirons, et nos enfants seront des leaders», affirme Abu el-Fahed.

Mais pour pouvoir former des leaders, les enfants doivent rester en vie. Alors qu’Israël a mené son opération de décembre 2023 sous le prétexte de cibler des combattants palestiniens présumés, en utilisant les attaques du 7 octobre menées par le Hamas contre le sud d’Israël afin de justifier l’incursion meurtrière, au moins un cinquième des personnes tuées à Jénine étaient des enfants et des mineurs.

«Nous serons tués de toute façon»

Le 30 janvier 2024, des forces israéliennes infiltrées ont mené une opération d’assassinat à l’hôpital Ibn Sina de Jénine. Peu après l’aube, des soldats de la célèbre unité Douvdevan [«unité d’élite» subordonnée à la zone de Cisjordanie] – déguisés en personnel médical et en patients palestiniens – sont entrés dans l’hôpital, ont sorti leurs armes face aux véritables agents de santé et aux patients et se sont dirigés vers le troisième étage de l’hôpital.

Là, les forces infiltrées ont assassiné de manière extrajudiciaire Basel al-Ghazzawi, un combattant de 18 ans de la brigade de Jénine, qui recevait des soins pour les blessures qu’il avait subies lors d’un précédent assaut de l’armée israélienne sur Jénine. Israël tentait de l’assassiner depuis un an et demi.

Deux autres hommes qui rendaient visite à Basel al-Ghazzawi ont également été tués: son frère de 23 ans, Mohammed al-Ghazzawi, qui est l’un des cofondateurs de la brigade de Jénine, et leur ami, Mohammad Jalamnah, 27 ans, qui est un combattant de renom de la brigade. Selon des journalistes locaux sur le terrain, l’unité israélienne infiltrée a tué les trois hommes avec des armes à feu munies de silencieux.

Bien que ces hommes soient des combattants actifs de la brigade de Jénine, leur assassinat à l’hôpital Ibn Sina n’est pas seulement illégal parce qu’il s’agit d’une exécution extrajudiciaire, il viole également la convention de Genève. Plus inquiétant encore, cette attaque est le signe d’une escalade des crimes effrontés commis par Israël en Cisjordanie.

En octobre 2022, j’ai interviewé l’éminent résistant palestinien Nidal Khazem, lui demandant pourquoi il avait choisi de prendre les armes malgré le risque que cela représentait pour sa vie. Nidal Khazem a répondu très calmement: «[L’armée israélienne] vient ici, tue nos amis et notre famille, maltraite et humilie les femmes, et nous interdit l’accès [au culte] à Al-Aqsa.» Ce sentiment est partagé par la plupart des résistants que j’ai interrogés au cours des deux dernières années en Cisjordanie, tous partageant le même point de vue: «De toute façon nous allons être tués.»

Nidal Khazem a été tué quelques mois plus tard, en mars 2023, lors d’un assassinat extrajudiciaire perpétré par des forces israéliennes infiltrées de l’unité Douvdevan. Yousef Shriem, un autre combattant de la résistance et ami proche de Nidal Khazem, a également été tué. Un troisième garçon, âgé de 13 ans, a également été tué alors qu’il circulait à vélo dans Jénine au cours de l’opération.

En juillet 2023, trois mois seulement après l’assassinat de Nidal Khazem et de Yousef Shreim, Israël a mené une nouvelle invasion destructrice dans le camp de Jénine en utilisant des drones, un hélicoptère armé et de l’artillerie lourde au sol. Pendant deux jours, l’armée israélienne a tenté, en vain, de maintenir son emprise sur le camp de réfugiés, sous le feu de combattants de la résistance ne disposant que d’une fraction de leur capacité militaire et de leurs ressources.

Au cours de leurs raids meurtriers sur les camps de réfugiés palestiniens, les villes et les villages, les militaires israéliens ont tué plus de civils que de militants palestiniens. Israël n’a pas seulement été incapable d’arrêter la croissance des groupes de résistance armée dans le camp de réfugiés de Jénine, mais a provoqué la montée d’une résistance armée plus importante dans différents districts, y compris Tulkarem, Naplouse, Ramallah, Hébron, Tubas et Jéricho.

Les groupes de résistance armée semblent être la seule protection des Palestiniens, malgré leur petite dimension et leur manque d’armes. En tentant de les éradiquer, Israël ouvre la voie à la création d’une communauté palestinienne totalement dépourvue de protection, qu’il s’agisse de personnes âgées, de jeunes ou de malades, ce qui constitue une proie facile pour l’une des armées les plus avancées au monde. Incapable de limiter la résistance ou de cibler efficacement les combattants, l’armée israélienne a eu recours à des tentatives d’assassinat extrajudiciaire à des moments où les combattants sont les plus vulnérables et ne sont pas engagés dans la bataille.

«Ce qu’ils ont fait dans le camp de Jénine est une imitation de Gaza, depuis l’humiliation des hommes et leur déshabillage jusqu’à l’attaque de la mosquée et la destruction des maisons», résume Abu El-Fahed, en montrant les bâtiments gris qui étaient autrefois des maisons dans le camp.

Un seul objectif: libérer la Palestine

Contrairement à ce qui se passe à Gaza, les groupes armés palestiniens de Cisjordanie ne disposent pas d’une structure unique pour les affrontements armés. Ce sont plutôt des groupes d’hommes de la communauté, de voisins, de parents et d’amis d’enfance qui se trouvent confrontés non seulement à une armée puissante, mais aussi à une armée qui applique des politiques discriminatoires qui renforcent la persécution et l’apartheid.

«Que signifie d’être [affilié au] Hamas ou au Jihad islamique palestinien?» nous a demandé un combattant du Hamas âgé d’une trentaine d’années, que nous appellerons ici «A.», assis dans un petit salon du camp de réfugiés de Jénine, à la mi-octobre. Sa réponse: «Cela signifie pouvoir acheter une arme.» Un autre combattant à côté de lui hochait la tête en signe d’assentiment.

L’autre homme, «B.», avait quitté les forces de sécurité palestiniennes de l’Autorité palestinienne – où il était officier – au début de l’année dernière. Bien que les deux hommes appartiennent à des factions politiques rivales, l’un du Fatah et l’autre du Hamas, ils forment un seul bataillon sous l’égide de la brigade de Jénine.

«Pour le PIJ, ce n’est pas une question de pouvoir ou d’argent», nous a déclaré un troisième combattant, «C.», âgé d’à peine 20 ans et le plus jeune du groupe, alors qu’il était assis à côté des deux hommes. «L’objectif est unique: libérer la Palestine pour que nous puissions vivre librement. C’est pourquoi je me bats avec [PIJ], mais ce n’est pas pour eux.»

Les hommes ont souligné collectivement – qu’il s’agisse du Hamas, du Fatah, du PIJ ou de toute autre association factionnelle – qu’ils appartiennent en fin de compte à la même communauté qui cherche à se protéger contre l’assaut continu et intensifié des autorités, de l’armée et des colons israéliens sur leurs vies.

«Comprenez que pour nous, ce sont des instruments pour un affrontement», explique A. «Nous sommes des gens modestes et nous devons donc trouver de l’argent pour nous procurer une arme afin de riposter.»

Pour les combattants de la résistance palestinienne à Jénine et ailleurs en Cisjordanie, l’affiliation politique comme mécanisme de division appartient au passé. Il ne s’agit plus d’une opposition entre le Hamas et Israël ou d’attaques de loups solitaires, mais d’une lutte commune contre l’occupation israélienne, qui a atteint le paroxysme de ses pratiques agressives dans le génocide permanent des Palestiniens.

Bien que les orientations politiques varient d’un endroit à l’autre de la bande de Gaza, Israël traite partout les Palestiniens de la même manière. «Nous sommes une réserve de cibles pour [le ministre israélien de la sécurité nationale Itamar] Ben Gvir et [le Premier ministre Benyamin] Netanyahou», explique «D.», un combattant d’une quarantaine d’années, en surveillant les deux jeeps israéliennes qui se trouvent à proximité, prêtes à foncer vers le centre-ville à tout moment.

«L’armée israélienne échoue à Gaza1 et est venue gagner des victoires à Jénine», poursuit-il. «C’est pour que les médias israéliens puissent montrer à leur population qu’ils atteignent des objectifs.»

Pour les Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza, la lutte pour la justice et la liberté se poursuit. Plus Israël intensifie ses opérations militaires violentes sous prétexte de réprimer la résistance, plus il semble la susciter.

«Cette occupation n’a pas d’impact sur nous et sur notre volonté d’affronter [Israël]», nous a déclaré «E.», 18 ans, alors qu’il se rassemblait avec ses amis et ses voisins pour maintenir une présence dans les rues au milieu de la campagne de terreur israélienne à Jénine, dans les violentes soirées de la mi-décembre.

«Ils pensent que nous sommes des branches cassées, mais s’ils continuent à nous pousser, nous sommes des bombes à retardement qui vont exploser», a-t-il déclaré.

Article publié sur le site israélien +972 le 27 février 2024; traduction rédaction A l’Encontre

  • 1«A deux doigts de la famine», des affamés sont la cible de tirs de l’armée israélienne. Le 27 février, la direction de l’OCHA – United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs, Ramesh Rajasingham, et Martin Griffiths –, s’adressant au Conseil de sécurité, affirmait «En décembre, on prévoyait que l’ensemble de la population de Gaza, soit 2,2 millions de personnes, serait confrontée à des niveaux élevés d’insécurité alimentaire aiguë d’ici février 2024 – la proportion la plus élevée de personnes confrontées à ce niveau d’insécurité alimentaire jamais enregistrée dans le monde. Et nous voici, à la fin du mois de février, avec au moins 576 000 personnes à Gaza – un quart de la population – à deux doigts de la famine; avec un enfant de moins de deux ans sur six dans le nord de Gaza souffrant de malnutrition aiguë et d’émaciation; et avec la quasi-totalité de la population de Gaza dépendant d’une aide alimentaire humanitaire lamentablement inadéquate pour survivre… La faim et le risque de famine sont exacerbés par des facteurs qui vont au-delà de la simple disponibilité de nourriture. L’insuffisance de l’eau, des installations sanitaires et des services de santé crée un cycle de vulnérabilité, dans lequel les personnes mal nourries – en particulier parmi les dizaines de milliers de personnes blessées – deviennent plus sensibles aux maladies qui épuisent encore davantage les réserves nutritionnelles de l’organisme… Nos efforts continuent d’être entravés par les fermetures de points de passage, les graves restrictions de circulation, les refus d’accès, les lourdes procédures de contrôle, les incidents impliquant des civils désespérés, les manifestations et l’effondrement de l’ordre public, les restrictions sur les communications et l’équipement de protection, et les voies d’approvisionnement impraticables en raison des routes endommagées et des munitions non explosées.» L’intervention souligne que «les risques sécuritaires restent un obstacle important» à la livraison d’aide alimentaire. Dès lors s’ajoute au désespoir d’une population affamée la brutalité répressive et criminelle des forces d’occupation. Ainsi, ce 29 février, la BBC écrit «Plus de 100 Palestiniens auraient été tués alors qu’ils attendaient de l’aide dans le nord de la bande de Gaza… Un journaliste de la ville de Gaza a déclaré à la BBC que les chars israéliens avaient tiré sur une foule venue chercher des vivres… Des vidéos explicites postées sur les réseaux sociaux montrent les morts dans la ville de Gaza, chargés dans des camions d’aide humanitaire vides et dans une charrette tirée par un âne. Cet incident s’est produit quelques heures avant que le ministère de la santé de Gaza n’annonce que plus de 30 000 personnes, dont 21 000 enfants et femmes, ont été tuées depuis le début de la guerre entre Israël et le Hamas. Quelque 7000 autres personnes sont portées disparues et 70 450 ont été soignées pour des blessures au cours des quatre derniers mois, selon le ministère.» (Réd.)

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