Wilson : l’impasse

par John Ross

Au cours des dix premières semaines du nouveau gouvernement travailliste en Grande-Bretagne, la bureaucratie des syndicats et du Parti travailliste a tenté de donner quelque crédibilité à la stratégie de « contrat social » qui représenta le plan principal du Parti travailliste durant les élections. Tout ce que Wilson et Cie ont réussi à prouver jusqu'ici, c'est que c'est impossible dans les conditions suivantes.

Sociales, économiques et politiques actuelles en Grande-Bretagne de recréer une stratégie intégrationniste crédible du type de celle poursuivie par les travaillistes après leurs victoires électorales en 1964 et 1966.

La Crise Économique ...

Le concept fondamental du « contrat social » est que le gouvernement travailliste fera des concessions dans le domaine social à la classe ouvrière, en retour de quoi la bureaucratie syndicale acceptera une politique des revenus volontaires.

Le premier obstacle de fond au contrat social – un rocher qui le bloquera – c'est que la situation économique actuelle du capitalisme britannique ne laisse pas de marge de manœuvre pour des concessions économiques significatives à la classe ouvrière. La crise économique en Grande-Bretagne prend maintenant des proportions très sérieuses. Les prévisions pour le taux d'inflation tournent autour des 15/20 %. Le déficit de la balance des paiements cette année dépassera probablement 3. 000 millions, le chômage s'accroitra et atteindra le chiffre de 800 000 à 1.000.000 à Noël ! Certains secteurs, comme la construction et l'automobile, sont déjà entrés dans une phase de récession. La production industrielle diminuera d'environ 2 % à 5 % cette année.

La situation des profits et des liquidités est donc plus désastreuse. Au sommet de la phase de récession de 1970/71, le déficit net d'afflux de fonds pour l'industrie britannique était légèrement supérieur à 900 millions de livres sterling. Cette année, le déficit prévu est déjà de 5 000 millions. La revue bourgeoise The Economist en a expliqué très clairement les implications pour le capitalisme britannique. 11 Cela signifie que les entreprises ne pourront plus emprunter des sommes allant jusqu'à 5. 000 millions… Au contraire, elles seront obligées de cesser leurs investissements, de déclencher des licenciements et, parfois, de se déclarer en faillite. »

La classe dominante est presque frappée de désespoir par la situation économique. L'Institut national de recherches sociales et économiques, organisme influent, relevait dans son rapport du mois de mars : « Il n'arrive pas souvent qu'un gouvernement se trouve confronté à la possibilité d'échouer, en même temps, dans la réalisation de ses quatre principaux objectifs : une croissance économique adéquate, le plein emploi, une balance des paiements satisfaisante et des prix relativement stables ». Ce pronostic est clairement partagé par l'appareil central de l'État. Au mois d'avril, mesure sans précédent, le Trésor a refusé de publier.

Ses projections sur l'évolution de l'économie au cours de l'année à venir. L'expression la plus dramatique de l'opinion de la classe dominante nous a été fournie par la Bourse des valeurs. Depuis le sommet atteint en mai 1972, la valeur du marché des actions a baissé de 50 %.

Dans ces conditions, les concessions économiques que le gouvernement travailliste a faites à la classe ouvrière : le blocage des loyers pendant un an, la réduction du prix du lait et du pain, l'augmentation des rentes ne sont que quelques gouttes dans l'océan, quelle que soit leur popularité à court terme. Le niveau de vie réel de la classe ouvrière commence déjà à baisser. Il va diminuer de 2 à 5 % cette année. Pour certains secteurs de la classe ouvrière, il diminuera encore plus. Et ceci indépendamment des réductions massives qui frappent le logement, le service de médecine, l'enseignement et tous les secteurs des dépenses sociales.

… Et la crise sociale

Malgré les limites extrêmes des concessions que le gouvernement travailliste peut faire aux travailleurs, la bureaucratie mondiale fait évidemment de vaillants efforts pour vendre le « contrat social » aux masses. Len Murray, secrétaire du TUC (Trade Union Congress) déclarait que le nouveau gouvernement 11 avait mis en avant un programme très positif et très cohérent et avertissait : « Si nous n'avons rien à donner au gouvernement, il ne nous donnera rien. » Dans cette optique, le TUC a déjà défendu l'idée qu'il fallait maintenir les augmentations salariales (sauf pour les secteurs aux salaires très bas) au niveau du taux d'accroissement du coût de la vie et il a déjà essayé d'intervenir pour éviter des grèves, particulièrement des grèves sauvages.

Mais le problème est double pour le gouvernement. Tout d'abord, la véritable puissance du mouvement syndical ne réside pas dans le TUC, mais dans les différents syndicats. Les bureaucrates de ces syndicats essaient également d'appuyer le « contrat social », mais le rapport de forces entre les masses et la bureaucratie y est bien moins favorable à la direction que le rapport de forces entre les masses et le TUC. Ensuite, le rapport de forces s'est déplacé en défaveur de la bureaucratie après les victoires de la classe ouvrière contre la bourgeoisie, victoires lors de la grève des mineurs, lors de la chute du gouvernement Heath, et – depuis que les travaillistes sont au gouvernement – la grève victorieuse des travailleurs de la métallurgie contre la saisie des fonds de leur syndicat par le Tribunal des relations industrielles. Toutes ces luttes démontrent à la classe ouvrière, y compris aux secteurs qui n'ont pas mené la lutte contre la politique des revenus des conservateurs, que la lutte militante paie.

À la suite de la crise économique et sociale et des rapports de force qui existent maintenant entre les classes, le retour des travaillistes au gouvernement n'a pas été suivi par un arrêt et des luttes réelles. Bien que l'on ait assisté à un ralentissement des luttes de masse par rapport à la période qui précéda les élections, il n'y a pas eu de baisse du type de celle enregistrée au lendemain des élections de 1964 et 1966. Il n'y a pas eu non plus de baisse dans les revendications salariales. Malgré le fait que la majorité des syndicats ait accepté la Phase 3 de la politique des revenus, il y a eu au moins quatre importantes actions menées par des secteurs de la classe ouvrière sur des problèmes revendicatifs depuis que le gouvernement travailliste est en fonction. La première fut une grève avec manifestation de 15. 000 enseignants à Londres pour le paiement de la compensation de la hausse du coût de la vie. La deuxième fut la grève des employés municipaux de Londres sur la même question. La troisième fut la grève des travailleurs de la métallurgie. La quatrième fut une manifestation de 5 000 infirmières. À cela s'ajoutent certaines actions moins importantes comme la grève des employés de banque.

Ce qui est significatif dans toutes ces grèves, c'est le peu d'influence qu'a pu exercer le gouvernement travailliste pour essayer de les faire cesser. Le secrétaire à l'emploi, Michael Foot, a bien réussi à persuader les travailleurs de la métallurgie de renoncer à leur boycott des heures supplémentaires et d'accepter les propositions des employeurs – mais on s'y attendait. Mais Foot n'a absolument pas réussi à persuader le même syndicat de rompre avec sa politique de non-reconnaissance du Tribunal des relations industrielles. Les travailleurs municipaux et les enseignants ont également rejeté les appels du Gouvernement.

Les travaillistes n'ont pas non plus réussi à persuader les assemblées syndicales de réduire le niveau de leurs revendications salariales pour l'automne et l'hiver prochains. Le syndicat de l'électricité a voté, contre l'avis de sa direction, de rouvrir des négociations sur l'accord salarial qu'il avait signé sous la Phase 3 de la politique des revenus. Le syndicat des enseignants demande une hausse de 37 $ du salaire de base. Les postiers et les marins ont décidé de demander des augmentations massives. Les mineurs et les travailleurs de la métallurgie vont très probablement décider de mettre en avant de très importantes augmentations de salaire – entre 25 et 100 % – lors de leur conférence qui se tiendra plus tard dans l'année.

Le gouvernement travailliste est préoccupé également par un éventuel et possible affrontement sur la question des prétendus « seuils de réajustement ». Il s'agit d'un système tout-à-fait déformé d'échelle mobile des salaires qui accorde une petite augmentation salariale lorsque les prix ont augmenté de plus de 7 % au cours de l'année. Des accords de ce type ont déjà été négociés pour environ 4 millions de travailleurs. Bien que ces accords ne représentent guère de protection pour les salaires des travailleurs, par contre, pour la bourgeoisie, ils sont désastreux dans une situation où le taux d'inflation varie entre 15 et 20 %. Le Financial Times du 29 mars dernier déclarait que la Confederation of British Industry (Confédération de l'industrie britannique - syndicat des patrons de l'industrie) craignait une situation où de tels accords devraient être accordés à plus de 10 millions de travailleurs Il est certain que la pression monte parmi les travailleurs pour obtenir une forme de protection de leurs salaires. Les travaillistes sont préoccupés par cette perspective ; Dennis Healy, le ministre des Finances, se permit lors de son discours sur le budget d'attaquer les accords sur les seuils de réajustement.

Bien que la perspective la plus probable ne soit pas celle d'une explosion sur la question des salaires, il est néanmoins clair que la question centrale du « contrat social », la politique des revenus, est déjà gravement minée. La tension qui s'accumule aujourd'hui débouchera à l'automne, ou plus probablement au printemps prochain, sur une explosion ouvrière plus importante que celles de 1972 ou de l'hiver dernier.

Le Chili, l'Irlande et le marché commun

Mais si les travaillistes rencontrent des problèmes sur la question salariale, ils sont minimes en comparaison des contradictions dans lesquelles ils sont déjà coincés sur d'autres fronts.

La première est la question du Chili. Quand il se crouvait encore dans l'opposition, le parti travailliste avait adopté une position de gauche très démagogique sur la question du Chili. Il demandait que l'on coupe toute aide et tout rapport diplomatique avec la Junte. L'ambassadeur d'Allende fut acclamé debout par la conférence du Parti travailliste. Mais une fois au gouvernement, le Parti travailliste se trouva dans une situation tout à fait différente. Il est indéniable que Washington exerce une très forte pression. Les relations diplomatiques avec le Chili n'ont pas été suspendues. Lors du meeting du Club de Paris, le représentant du gouvernement travailliste ne vota pas contre la décision d'accorder à la Junte un délai pour le paiement de 300 millions en remboursement de sa dette extérieure. La décision du gouvernement travailliste de couper l'aide financière britannique — qui ne se monte pas à plus de £500.000 — n'a pas réussi à cacher sa politique réelle. Cela est apparu quand le gouvernement travailliste décida de délivrer des navires et des équipements, pour une valeur de £50 millions, à la Junte. Cette décision a été largement condamnée au sein et en dehors du parti travailliste. Deux jeunes ministres, Eric Heffer et Joan Lestor ont attaqué publiquement la politique des travaillistes, tout comme l'a fait également le secrétaire général du Parti travailliste. En même temps, on sait que deux membres du cabinet, Michael Foot et Tony Benn, mènent une bataille au sein du Gouvernement contre cette décision. Les travailleurs qui réparaient des moteurs d'avions à East Kilbride et construisaient des frégates à Clydeside ont bloqué toutes les commandes militaires pour le Chili, et le 5 mai, de 8 à 10.000 personnes manifestèrent à Londres contre la décision gouvernementale.

La deuxième question brûlante est l'Irlande. Les résultats des élections législatives dans le Nord de l'Irlande étaient désastreux pour toute la politique de la classe dominante britannique. Seulement un siège sur 12 a été gagné par un candidat partisan de l'accord de Sunningdale élaboré par le gouvernement britannique et celui de Dublin. Les élections furent également suivies d'une nouvelle offensive militaire de l'IRA provisionnelle, offensive qui représentait une réaction contre la violence des protestants et de l'armée et une attaque visant à forcer la main des travaillistes. Cette campagne a atteint un des niveaux les plus élevés de ces dernières cinq années et a permis de briser le mythe selon lequel la capacité militaire de l'IRA avait été écrasée par la répression. Dans cette situation, le gouvernement britannique ne pouvait pas augmenter ses concessions aux loyalistes, précipitant ainsi la grève générale des loyalistes qui provoqua la chute du gouvernement d'Irlande du Nord. Les travaillistes se trouvent maintenant dans une situation impossible. S'il impose le gouvernement direct par Londres, faisant de nouvelles concessions aux loyalistes protestants, il risque de cimenter encore plus les masses catholiques autour de l'IRA, et une telle position serait très certainement inacceptable par le Parti travailliste. D'un autre côté, si les travaillistes se prononcent pour le retrait des troupes, ce qui n'est pas probable, cela signifierait que le gouvernement serait mis en minorité au Parlement, ce qui marquerait l'échec total de la stratégie politique de la bourgeoisie britannique pour l'Irlande du Nord.

Cette situation place le parti travailliste devant un dilemme. D'un côté, la pression s'accroît en Grande-Bretagne pour un retrait des troupes de l'Irlande du Nord. Les travaillistes ont été obligés de lancer quelques amorces sur cette question. Le ministre de la Défense, Maçon, a semble-t-il déclaré que les troupes ne pourraient pas rester indéfiniment en Irlande. Mais d'un autre côté, le gouvernement travailliste a refusé des concessions aussi minimes que, par exemple, celle qui consistait à transférer les sœurs Price, les principales prisonnières politiques actuellement en Grande-Bretagne, dans une prison d'Irlande du Nord où leurs parents pourraient leur rendre visite. Il a également refusé de mettre effectivement fin à l'internement : ne parlons donc pas du retrait des troupes. La seule concession significative qu'il ait faite a été l'égalisation de la branche politique de l'IRA provisionnelle. Mais cette mesure a été contrebalancée par la légalisation de l'Ulster Volunteer Force – une organisation protestante, anciennement terroriste. Bien que la faiblesse politique (au contraire de la force militaire) de l'IRA reste un problème grave dans cette situation, les critiques de la politique des travaillistes se développent lentement en Irlande.

C'est sur la question clé de l'appartenance de la Grande-Bretagne au marché commun que le Parti travailliste se trouve face à des contradictions presqu'insolubles. Pour les secteurs dominants de la classe dominante britannique, le maintien dans le Marché commun est une question de vie ou de mort. Mais pour des raisons électorales, le Parti travailliste, lorsqu'il se trouvait dans l'opposition, s'était engagé à renégocier les termes de l'entrée de la Grande-Bretagne et à organiser un référendum sur les résultats de la négociation. Il est fort peu probable que la classe dominante ou le Parti travailliste laissent un tel référendum se dérouler. Tout le monde reconnaît ouvertement que la vaste majorité de la classe ouvrière et de la population en général est en faveur du retrait de la Grande-Bretagne du Marché commun. Le parti travailliste est donc coincé. Permettre un référendum reviendrait à rompre totalement avec les intérêts immédiats de la bourgeoisie. La classe dominante démettrait immédiatement le gouvernement et chercherait à susciter une scission au sein du parti travailliste. La direction travailliste qui ne veut pas du tout sortir du marché commun, s'efforce très soigneusement d'éviter de se prononcer publiquement contre le marché commun. Callaghan, ministre des Affaires étrangères, déclarait le 3 avril à la Chambre des Communes : « Nous essayons de voir si les autres membres vont nous permettre un bon accord qui, quand il sera présenté au peuple britannique, nous permettra de rester. »

Si le parti travailliste n'organise pas le référendum sur le marché commun, la colère de la classe ouvrière et même de la gauche du parti sera énorme. Le gouvernement travailliste va chercher à gagner du temps sur cette question. Il va essayer de continuer à négocier avec la CEE au moins jusqu'au lendemain des prochaines élections législatives. Mais la question du Marché commun est une bombe à retardement qui pourrait exploser n'importe quand et briser le plan du parti travailliste.

En plus de ces questions centrales, on assiste également à un développement d'actes de répression que le Parti travailliste soit soutient, soit dirige lui-même. Six ouvriers de Schrewsbury emprisonnés pour avoir formé un piquet de grèves sont toujours enfermés. Les amendes perçues par différents syndicats sous la Loi des relations industrielles n'ont pas été remboursées. Les conseillers municipaux travaillistes de Clay Cross qui avaient été amendés pour avoir défié la loi des conservateurs sur le logement, sont toujours sous le coup de leurs amendes et suspendus de leurs fonctions. Les patrouilles spéciales existent toujours. Et finalement, bien que les travaillistes avaient annoncé qu'ils abrogeraient l'effet rétroactif de la loi sur l'immigration, ils refusent toujours de laisser entrer dans le pays les maris d'ouvrières immigrées : cette décision ouvertement raciste a été condamnée même par des secteurs libéraux de la bourgeoisie.

Pour compléter la situation, une importante série de scandales de corruption ont éclaté, touchant directement ou indirectement des politiciens travaillistes, y compris le président du parti et le président de la Chambre des communes.

Ces contradictions et ces luttes reflètent la crise objective de l'impérialisme britannique et ont un effet extrêmement important sur le rythme et le développement des luttes de classes. Elles signifient tout d'abord que le parti travailliste, loin d'obtenir deux années de paix sociale comme cela avait été le cas en 1964, a été presqu'immédiatement confronté à une série de luttes – luttes qui montrent clairement le déclin du contrôle organisationnel du parti travailliste sur la classe ouvrière depuis le début des années 60. Ensuite, il est très peu probable que les travaillistes puissent répéter l'opération de 1964 et 1966, quand ils avaient réussi à transformer une petite majorité parlementaire (dans ce cas un peu moins qu'une majorité) en une large majorité, restant en fonction pendant cinq ans.

Le Gouvernement et la classe dirigeante

Mais si le parti travailliste commence déjà à s'opposer à la classe ouvrière, ses rapports avec la classe dominante ne sont pas meilleurs. Le plan de Wilson à son retour au gouvernement était clair. Il espérait que, en accordant des concessions à la classe ouvrière, il pourrait garantir une politique des revenus et gagner ainsi l'appui de la classe dirigeante pour son gouvernement. Mais la classe dominante n'est absolument pas convaincue que le Parti travailliste peut contrer la classe ouvrière. Jour après jour, les organes de presse de la bourgeoisie le proclament bien fort. Dans le numéro d'avril de son bulletin mensuel, la Confédération of British Industry écrivait : « Il est bien entendu que le Parti travailliste a des rapports particuliers avec le mouvement syndical. » Si les propositions (pour le « contrat social » INPRECOR) réussissaient vraiment à rétablir l'harmonie industrielle, harmonie qui ne fut pas rétablie à coup de corruption et d'inflation, cela en vaudrait la peine. Mais les employeurs resteront sceptiques, et l'histoire des dernières années n'est pas là pour les faire changer d'opinion. Il accusait également le gouvernement d'agir uniquement comme le bras politique du TUC.

De même, au sujet des premières négociations entre le gouvernement et le TUC, le Financial Times faisait le commentaire suivant : Pour l'instant, c'est encourageant ; seule l'expérience nous montrera jusqu'où cela peut aller. Mais il faut cependant se souvenir que la veille, le secrétaire général du TUC avait déclaré pouvoir recommander une politique à ses membres, mais pas leur donner des ordres.

Le plus direct a été The Economist, qui condamne ouvertement le contrat social comme étant inapplicable. Il écrivait le 30 mars : « Le TUC ne respectera aucun contrat social. » Et dans le numéro du 19 avril, il écrivaitpour commenter la conférence du syndicat des électriciens : « M. Wilson a pu voir que la base du syndicat n'a que faire de son contrat social ». Aucun syndicat n'a modéré ses revendications salariales depuis qu'il est au Gouvernement… L'abandon face aux mineurs est largement commenté non seulement par les militants traditionnels, mais par des dirigeants syndicaux ultra-modérés comme Geoffrey Drain pour les fonctionnaires municipaux et Sidney Weighel pour les cheminots. »

Dans cette situation, les chances pour les travaillistes de remporter le moindre soutien de la part de la classe dominante sont nulles. Depuis que le Parti travailliste a échoué dans sa tâche d'intégrer les syndicats en 1964-70, la politique de la bourgeoisie a fondamentalement évolué vers la mise en place d'un État fort ; et dans une telle perspective, le Parti travailliste n'apparaît pas comme un parti de gouvernement. Dans la conjoncture actuelle, la bourgeoisie ne peut accepter ni un gouvernement de gauche ni un gouvernement faible et hésitant.

La seule condition que la bourgeoisie voudrait voir remplie avant de suspendre le Parti travailliste par une manœuvre parlementaire, c'est qu'il n'y ait pas de riposte massive de la classe ouvrière, électorale ou extra-parlementaire, après la défaite du gouvernement. Cette garantie n'est pas encore assurée et la bourgeoisie attend. Mais la bourgeoisie calcule très consciemment que la politique droitière du Parti travailliste va démoraliser la classe ouvrière et créer les conditions pour un renversement sans risque du Parti travailliste. Parallèlement, le processus de désintégration sociale s'est tellement développé que la logique de la répression et la marche vers l'État fort continuent. Seule la forme de cette marche a changé. Sous les conservateurs, la bourgeoisie attaquait centralement, au niveau gouvernemental, par une répression organisée. Les travaillistes sont loin d'être capables de mener une telle politique vu la pression croissante des masses. La répression est donc menée à bien par des centaines d'agents de la bourgeoisie. On a ainsi vu au cours de la semaine passée de réels actes de répression menés par des juges (emprisonnement de jeunes noirs accusés d'avoir résisté à la police à Londres), par la loi des relations industrielles (647 000 d'amende contre le syndicat de la métallurgie), par la police (plus de 150 étudiants arrêtés dans des piquets à l'université d'Essex), par les autorités universitaires (suspension de 18 étudiants de l'université). Tout cela constitue les éléments d'une contre-attaque de la bourgeoisie, attaque qui culminera certainement dans la décision de renverser le gouvernement travailliste.

Le problème pour la bourgeoisie n'est pas de savoir si oui ou non elle veut se débarrasser des travailleurs, mais de savoir par quoi les remplacer. Une coalition conservateurs-libéraux résulterait en une élimination des libéraux lors des élections suivantes. Un gouvernement conservateur risque d'entraider une violente riposte ouvrière, et de toute façon, Heath ne s'est absolument pas montré capable au cours des cinq dernières années d'ébrécher sérieusement la force organisationnelle de la classe ouvrière. Une coalition entre les conservateurs et les travaillistes est probablement impossible, étant donné la pression des masses sur le parti travailliste. Un gouvernement travailliste de droite pendant quelques années amènerait une disparition électorale des travaillistes, mais une telle stratégie se base sur la volonté des bureaucrates de se suicider politiquement, ce qu'ils ne sont pas prêts à faire. Les manœuvres bonapartistes de Powell sont trop dangereuses pour que des secteurs importants de la bourgeoisie y voient une solution à la situation actuelle.

Il est donc fort peu probable que l'impasse politique qui s'était manifestée dans les résultats des dernières élections (aucun parti n'ayant la majorité absolue) soit rapidement dépassée. Pour que le Parti travailliste trouve une issue en créant une dynamique de masse, il faudrait qu'il opère un tournant à gauche. Ceci ne risquera pas d'arriver tant qu'il se trouve au gouvernement. Pour que la classe dominante trouve une solution qui lui soit favorable, il faudrait qu'elle surmonte ses divisions internes. Mais cela présuppose qu'elle surmonte les difficultés économiques actuelles. Et pour cela, il lui faut affaiblir de façon décisive la classe ouvrière. Mais la crise de la classe dominante découle justement du fait qu'elle n'a pas, jusqu'ici, réussi à le faire.

La seule perspective est donc celle d'une période indéterminée d'impasse et de paralysie politique de la bourgeoisie. Dans son commentaire de la grève de la métallurgie, The Economist résumait ainsi son point de vue : « Le gouvernement de M. Wilson vient d'être confronté pour la première fois. » Avec la question — qui se reposera de nombreuses fois — qui gouverne la Grande-Bretagne… et M. Foot et un donateur avec L 65. 000 et plus d'argent que de sens constitutionnel ont persuadé M. Hugh Scanlon (le dirigeant du syndicat de la métallurgie), du fait que ce sont quatre dirigeants syndicaux de gauche réunis à Peckham qui gouvernent. La question et les ennuis se reproduiront donc… « Ceci soulève la question très grave de savoir si oui ou non elle veut se débarrasser des travaillistes, va la Grande-Bretagne constitutionnellement, mais personne n'aime poser ces questions. »

Au niveau des entreprises, on s'attend à de nombreuses grèves l'hiver prochain. » Les syndicats ont montré que sous la pression de grèves illégales contre l'application de la loi, le gouvernement et les patrons se précipitent pour faire des cadeaux : il sera donc encore plus dur cet hiver pour les dirigeants modérés de résister à la pression militante pour une grève de l'électricité, une grève de l'eau, des grèves d'autres sources d'énergie, des grèves dans les hôpitaux. Partout.

Politiquement, cette vague de grèves qui s'annonce renforce le danger que le Parti travailliste perde les prochaines élections, après tout ; mais sa chute ne ferait pas grand bien à la nation arabe. Ces conservateurs ont peu ou pas l'intention non plus de résister au dictat des syndicats. Les militants continueraient à développer leur plan de désordre exactement au même rythme contre les conservateurs et contre les travaillistes, bien qu'ils diraient que le retour des conservateurs leur a fait précipiter leur action.

L'Economist sous-estime probablement l'effet temporaire qu'aurait la chute du gouvernement travailliste sur la classe ouvrière. Mais le ton amer, cynique et désespérant de cet éditorial résume bien l'état d'esprit actuel des représentants les plus éclairés de la classe dominante.