Grèves et solidarité : vers un automne chaud ?

par Terry Conway
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Lundi 5 septembre, le résultat de l'élection à la direction du Parti conservateur britannique a été annoncé après la démission de Boris Johnson de ce poste, le 7 juillet. Liz Truss, la candidate de la continuité, a remporté la compétition pour devenir à la fois la prochaine cheffe du Parti conservateur et la prochaine Première ministre britannique, mais avec une marge plus faible qu'elle ne l'aurait espéré. Elle devient cheffe d'un parti divisé et Première ministre d'un pays confronté à une crise majeure du coût de la vie et à la montée des revendications.

À propos de la longue concurrence entre Truss et l'ancien chancelier Rishi Sunak, les deux derniers à être restés en lice dans cette compétition, il faut souligner à quel point leurs débats ont eu peu à dire sur la question préoccupant la majorité de la population en Grande-Bretagne - l'augmentation galopante de l'inflation signifie que des millions de personnes sont profondément inquiètes de savoir si elles seront en mesure, avec celles et ceux qui partagent leur vie, de se nourrir et de garder leur maison chaude au cœur de l'hiver.

Pendant que les candidats conservateurs se disputaient pour savoir qui pouvait présenter le profil le plus à droite en matière de politique étrangère, sociale et économique, des milliers de travailleurs syndiqués faisaient grève pour défendre leur niveau de vie et leurs conditions de travail.

L'inflation qui frappe les biens essentiels est très élevée. Les prix de l'essence et du gasoil, qui ont un impact direct sur beaucoup de personnes, notamment dans les régions où les transports publics sont rares, et qui ont également un impact sur d'autres coûts, sont en hausse depuis l'automne dernier.

En août 2022, les prix de l'alimentation ont augmenté de 5,5 % contre 4,4 % en juillet, tandis que les produits frais augmentaient de 10,5 %. C'est dans ce contexte qu'en Grande-Bretagne, le nombre de ménages ayant recours aux banques alimentaires a considérablement augmenté au cours de la dernière décennie, atteignant le nombre de plus de 2,5 millions au plus fort de la pandémie de Covid. Et ce ne sont pas seulement les chômeurs qui ont recours aux banques alimentaires - un certain nombre d'hôpitaux ont mis en place des banques alimentaires pour leur personnel cette année, de même qu'un centre d'appel pour son personnel des télécommunications. La pauvreté au travail se généralise.

C'est déjà assez grave, mais c'est catastrophique lorsqu'on ajoute à cela le prix que les gens doivent payer pour l'énergie — le gaz et l'électricité — dans leur domicile. La Grande-Bretagne semble avoir un système unique pour fixer les tarifs en la matière.

Depuis le 1er janvier 2019, il existe un " plafonnement des prix », qui fixe le prix de chaque unité de gaz et d'électricité utilisée, ainsi que celui du maximum de la redevance quotidienne pour être raccordé au réseau. Nombreux sont ceux qui n'y ont pas prêté attention jusqu'au début de cette année, lorsqu'en avril ce plafond a brusquement augmenté de 54 %.

Le 1er octobre, il augmentera à nouveau de 80 % et, à partir de cette date, ce plafond sera réévalué tous les trois mois contre tous les six mois auparavant.

De telles hausses astronomiques frappent évidemment le plus durement les personnes à faible revenu, en particulier celles qui n'ont pas de travail rémunéré ou qui ont des contrats " zéro heure » (où aucune durée minimale du travail n'est stipulée). L'une des raisons de la colère est que de nombreuses personnes, généralement celles dont les revenus sont les plus faibles, sont équipées de dispositifs pour pré-payer l'énergie, avant de l'utiliser, et que les tarifs de ce " service » sont plus élevés que ceux appliqués à tous les autres. Une autre préoccupation est le niveau de la redevance permanente, ce qui signifie que même si vous n'utilisez pas d'énergie, vos factures peuvent dépasser le plafond. Au cours des derniers mois, les médias ont été remplis d'histoires déchirantes de personnes qui se trouvaient déjà dans des situations désespérées avant l'augmentation d'octobre et qui sont terrifiées par ce qui va se passer à ce moment-là.

Mais comme le montre l'extension des banques alimentaires, de nombreux salariés souffrent aussi. Il y a plus d'un million de personnes en " contrat zéro heure » et plus de deux millions de personnes payées au salaire minimum ou en dessous - un niveau bien inférieur à ce qui est nécessaire pour vivre, même avant l'inflation. Bon nombre des 8,2 millions de travailleurs à temps partiel, même celles et ceux qui ont des taux horaires raisonnables, ont des difficultés à joindre les deux bouts. En réalité, de nombreux travailleurs occupant des emplois traditionnellement bien rémunérés subissent eux aussi les chocs de cette situation, d'où l'augmentation significative des niveaux de grève.

Bien entendu, les actions revendicatives sont le moyen le plus efficace pour les syndicats de défendre les salaires et les conditions de travail de leurs membres. Mais en Grande-Bretagne, c'est une habitude que de nombreux syndicats ont perdue depuis longtemps, comme le montrent les statistiques. L'une des principales raisons en est la législation antisyndicale draconienne, parmi les plus restrictives en Europe, à laquelle les travailleurs britanniques sont confrontés.

L'offensive antisyndicale des conservateurs

Cette législation a été mise en place par les gouvernements conservateurs avec six lois adoptées par le Parlement entre 1980 et 1993. Elles n'ont pas été abrogées par les travaillistes lorsqu'ils étaient au pouvoir (Blair s'est même vanté de s'en réjouir !). Pour faire grève, au moins 50 % des salariés ayant le droit de voter doivent participer au vote et au moins 50 % des votants doivent avoir voté pour la grève. En outre, dans le cas de " services publics importants », au moins 40 % des personnes ayant le droit de vote doivent avoir voté en faveur de l'action. Il existe d'autres obstacles en termes de notification aux employeurs et des sanctions importantes en termes d'amendes substantielles pour les syndicats.

Si les lois antisyndicales constituent un obstacle de taille, l'état du mouvement syndical en est un autre. Le gouvernement conservateur dirigé par Margaret Thatcher a consciemment entrepris d'éliminer le militantisme syndical, non seulement par des changements juridiques, mais aussi par la défaite des syndicats les plus puissants.

La grève des mineurs de 1984-1985 a été la plus emblématique de ces mesures, mais d'autres batailles importantes ont eu lieu, comme la grève des imprimeurs de Wapping en 1986.

Lorsque Thatcher est arrivée au pouvoir, 13,2 millions de travailleurs britanniques étaient membres de syndicats. En 2019, ce chiffre avait été divisé par deux, soit 6,9 millions (1).

Et le problème va bien au-delà de ces chiffres bruts. L'âge moyen des syndicalistes a augmenté - près de 40 % des syndiqués ont plus de 50 ans - et le taux de syndicalisation des jeunes est désespérément bas : moins d'un jeune de 16 à 24 ans sur dix est membre d'un syndicat. Dans le même temps, et sans surprise, le niveau d'engagement syndical a baissé. Dans les années 1970 et 1980, de nombreux syndicats comptaient une forte proportion de délégués (représentants élus sur le lieu de travail), mais cette proportion a diminué depuis la défaite de la grève des mineurs. Les syndicats ont été plus enclins à recruter sur la base de la vente d'assurances que de l'organisation sur le lieu de travail.

Les jeunes sont plus susceptibles de travailler dans des activités où règnent les contrats précaires et où les syndicats traditionnels sont peu susceptibles de les organiser - et de plus ils n'ont pas vu de syndicats se mobiliser pour défendre leurs membres. Mais récemment il y a eu quelques changements. Un certain nombre de petits syndicats indépendants non affiliés au TUC unitaire se sont construits ces dernières années en organisant les travailleurs précaires, incluant un nombre important de Noirs et de migrants parmi leurs membres (2). Quelques syndicats traditionnels ont également progressé - notamment le grand syndicat de l'éducation, le NEU, qui a mené une grande campagne pour sécuriser les écoles pendant la pandémie de Covid et qui, dans le processus, a recruté non seulement des milliers de nouvelles et nouveaux membres mais aussi des centaines de nouveaux représentants sur le lieu de travail.

Malgré les obstacles que constituait cet été l'état de faiblesse du mouvement syndical dans son ensemble, un grand nombre de travailleurs étaient au bord de la rupture et un nombre important de dirigeants syndicaux - certains relativement nouveaux et d'autres plus établis - ont décidé que, avec un gouvernement " zombie » concentré sur une campagne électorale et une opposition passive, la responsabilité d'une riposte leur incombait. Au cours des derniers mois, nous avons donc assisté à la plus forte augmentation de l'action revendicative en Grande-Bretagne depuis plusieurs décennies - et cette vague est loin d'être terminée.

Le secteur des transports

Le syndicat des chemins de fer RMT a été l'un des premiers à réagir, appelant à des grèves de trois jours au mois de juin dans la plupart des compagnies ferroviaires indépendantes ainsi que sur le réseau ferroviaire. Le vote en faveur de la grève a été de près de 90 % avec un taux de participation de 71 %.

Le niveau de fureur des cheminots n'est pas surprenant étant donné que, durant la pandémie, les patrons des chemins de fer ont empoché des enveloppes de 1 million de livres sterling et que les compagnies ferroviaires ont réalisé plus de 500 millions de livres sterling de profits annuels.

Outre la revendication d'une augmentation salariale équitable, dans une situation où les employeurs ne proposaient aucune augmentation et où les salaires de bon nombre de travailleurs étaient gelés depuis deux ou trois ans, l'action a également été menée contre la menace d'un grand nombre de licenciements. La direction essaie de faire passer cela pour de la " modernisation », une tendance dans bon nombre des conflits actuels, mais, bien que cette rhétorique soit répétée sans contestation par la plupart des médias grand public, elle ne parvient pas à ébranler le soutien remarquablement élevé de la population à l'égard des salariés en lutte.

RMT n'est pas un grand syndicat, avec environ 80 000 membres, mais a une réputation de gauche, en particulier sous la direction de Bob Crow qui a été secrétaire général de 2002 jusqu'à sa mort prématurée en 2014. Mick Lynch, l'actuel secrétaire général qui est entré en fonction en 2021, n'était pas très connu à l'extérieur du syndicat avant le conflit, mais cela a changé radicalement au cours de l'été.

Lynch a été largement interviewé par les médias car de nombreux spécialistes de la confrontation espéraient pouvoir saper les arguments du syndicat. En réalité, cela a eu l'effet inverse, car Lynch a répondu de manière calme et claire. Le chroniqueur de l'Independent qui a estimé que " Mick Lynch a fait plus pour les travailleurs en deux jours que Starmer en deux ans » a eu tout à fait raison (3).

L'un des messages constants de Lynch est dirigé contre le gouvernement conservateur qui a refusé de s'impliquer dans les négociations entre les syndicats et les compagnies ferroviaires. Il a écrit à l'actuel secrétaire aux Transports, Grant Shapps : " Votre gouvernement a pris la décision d'utiliser l'argent des contribuables pour renflouer les compagnies de chemin de fer privées afin qu'elles ne soient pas tenues responsables des revenus perdus en raison d'une action syndicale, à condition que ces mêmes compagnies se conforment aux instructions gouvernementales pour faire baisser les salaires, supprimer des milliers d'emplois essentiels à la sécurité ferroviaire, introduire des trains à un seul conducteur et fermer les guichets sur tout le réseau. » Il a ajouté que le syndicat avait calculé que, en incluant les actions collectives précédentes et à venir, plus de 120 millions de livres provenant des contribuables avaient été utilisées à ce jour pour " renflouer » les compagnies ferroviaires privées.

Mais les conservateurs, en plus d'essayer de se présenter comme un observateur désintéressé en refusant de participer aux pourparlers, se sont empressés non seulement d'attaquer les syndicats dans les médias, mais aussi de les menacer d'appliquer les lois antisyndicales en reprenant contre les syndicats des transports les menaces du ministre Shapps de procéder à des licenciements et à des réembauches (4).

RMT est l'un des trois principaux syndicats dans l'industrie ferroviaire. Il organise tous les métiers du rail. Les autres syndicats sont Aslef, qui se décrit comme " le syndicat de métier des conducteurs de train » et compte environ 21 000 membres, et TSSA, qui organise traditionnellement les personnes qui font des tâches administratives et a environ 18 000 membres. Après les grèves de juin, RMT a annoncé d'autres dates d'actions revendicatives les 27 juillet, 18 août et 20 août et a été rejoint par les membres de TSSA. À ce moment-là, Aslef faisait sa propre initiative avec sa plus grande action le 13 août (5). En ce qui concerne l'avenir, RMT a appelé à des grèves pour les 15 et 17 septembre. Aslef s'y joindra le 15 septembre, alors que TSSA a appelé à l'action les 26 et 27 septembre.

Le rail n'est pas le seul secteur important dans lequel les travailleurs du transport sont organisés - les travailleurs des bus jouent également un rôle important. Unite, l'un des plus grands syndicats britanniques avec 1,4 million de membres, organise un grand nombre d'entre eux. Le syndicat souligne que " depuis 2009, plus de 3 000 services de bus dépendant des autorités locales ont été supprimés ou réduits. Rien qu'à Londres, l'année dernière, 41 lignes ont été supprimées. Selon la Campagne pour un meilleur transport, certaines agglomérations perdent plus de 50 % - voire même 100 % - de leurs services de bus financés par la municipalité. D'autres suppriment tous les services du week-end et du soir. Et les tarifs sont souvent trop élevés pour les travailleurs à bas salaires. »

À la mi-juin, Transport for London (TFL) - l'organisme responsable des bus, des trains et du métro à Londres - a annoncé une consultation de six semaines sur des propositions visant à supprimer seize lignes de bus, soit environ 4 % du réseau. Unite affirme que cela aurait entraîné la perte d'emploi pour 800 chauffeurs et aurait également allongé considérablement les trajets de nombreuses personnes. Les gens étaient particulièrement mécontents de l'impact potentiel sur les personnes handicapées et sur les femmes voyageant seules qui pour le même itinéraire auraient dû changer de bus, et aussi du fait que cela aurait augmenté le coût pour de nombreux voyageurs.

Le syndicat, en collaboration avec les Trades Councils (6), des groupes de passagers et certains militants travaillistes locaux, a organisé une campagne très médiatisée au cours de l'été, comprenant plusieurs marches dans différents quartiers de la capitale, y compris une brève occupation des bureaux de TFL, ainsi qu'une réponse massive à la consultation qui a forcé la prolongation de celle-ci.

TFL a toujours affirmé que les coupes qu'elle proposait dans les services de bus - et aussi pour les travailleurs du métro - étaient le résultat d'un manque de financement de la part du gouvernement central, mais elle n'a rien fait publiquement pour rejoindre la campagne des travailleurs et des passagers, ou bien pour lancer la sienne. Et ce, malgré le fait qu'avant la pandémie, le gouvernement central avait mis fin à tout financement de TFL et n'avait fourni qu'un financement d'urgence pendant cette période. Aucune capitale comparable ne gère son système de transport sans subvention centrale.

Le 30 août, TFL et le gouvernement ont annoncé qu'ils avaient conclu un accord de financement, pour une durée de seulement dix-huit mois, les 3,6 milliards de livres indiqués ne suffisant pas à combler le déficit. L'accord a été rejeté par tous les syndicats ferroviaires et il semble peu probable qu'Unite ne fasse pas de même. L'énorme soutien de l'ensemble du mouvement syndical et la volonté de nouvelles actions coordonnées étaient évidentes lors du rassemblement massif organisé par RMT le 31 août avec des orateurs de tous les syndicats du transport (7).

Si la campagne d'Unite pour défendre les bus londoniens s'est principalement déroulée dans les rues et au sein des communautés urbaines, cela ne veut pas dire que le syndicat n'a pas organisé d'action sur les lieux de travail. La secrétaire générale Sharon Graham est en poste depuis un peu plus d'un an, après avoir été élue sur un programme visant à ramener le syndicat sur les lieux de travail. Le bilan qu'elle tire de cette période est que, sous sa direction, 76 000 membres en conflit ont gagné " 150 millions de livres ».

Bus, poubelles, docks…

Unite est un syndicat qui organise ses activités dans de nombreux secteurs, ce qui représente des défis mais aussi des opportunités. En plus de leur campagne contre les coupes dans les services de bus à Londres, 2 000 travailleurs de bus ont fait deux jours de grève pour des questions de salaire vers la fin du mois d'août. Dans d'autres régions de Grande-Bretagne, les travailleurs des bus ont participé à des actions revendicatives, notamment la victoire de 300 travailleurs de First Direct à Manchester qui ont obtenu une augmentation de 8,9 % et une somme forfaitaire en février après 8 jours de mobilisation.

L'une des stratégies adoptées par le syndicat sous la direction de Graham a été d'organiser des scrutins à l'intérieur de groupes relativement restreints de travailleurs dans lesquels un travail suffisant de sensibilisation avait été entrepris pour être sûr d'obtenir un vote positif. Puis ensuite d'essayer de s'appuyer sur ces résultats pour étendre l'action à d'autres groupes. Un conflit très médiatisé remporté par le syndicat a été celui des conducteurs de camions-poubelles de Coventry, qui ont obtenu une augmentation de salaire de 12,9 % après sept mois d'une grève continue. L'accord a également vu l'abandon de l'action disciplinaire contre le délégué syndical Pete Randle - la tentative de persécution des conseils syndicaux a été repoussée.

Plus de 1 900 dockers du plus grand port à conteneurs de Grande-Bretagne, Felixstowe, ont mené une grève de huit jours à la fin du mois d'août pour exiger un meilleur accord salarial que les 7 % proposés par une entreprise qui engrange les bénéfices. Ils ont reçu la solidarité internationale des dockers de la côte ouest des États-Unis. 560 travailleurs du port de Liverpool feront grève pendant deux semaines à partir du 19 septembre pour obtenir la même offre salariale. Une fois de plus, Sharon Graham a mis l'accent sur les bénéfices massifs de leur propriétaire, en l'occurrence l'opérateur portuaire MDHC, une entreprise milliardaire qui a réalisé 30 millions de livres de bénéfices en 2021.

Les travailleurs postaux

Le vendredi 26 août, a eu lieu la grève la plus importante de cet été de lutte. Plus de 115 000 postierÃes se sont mobiliséÃes pour exiger une augmentation de salaire qui corresponde à l'augmentation du coût de la vie. Les postiers ont également fait grève le 31 août et devaient être de nouveau en grève les 8 et 9 septembre.

Cette décision fait suite au récent vote du Syndicat des travailleurs de la communication (CWU) en faveur de la grève des postiers, qui a vu les membres voter à 97,6 % pour l'action, avec un taux de participation de 77 %. Le syndicat souligne qu'il s'agit du plus large mandat de grève atteint depuis la mise en œuvre de la loi de 2016 sur les syndicats. C'est la première grève nationale à la poste depuis douze ans dans un secteur où existe une tradition de grèves locales non officiellement déclarées.

Plutôt que de négocier avec le syndicat, la direction du Royal Mail Group a décidé d'imposer unilatéralement une augmentation de salaire de 2 % aux employéÃes, ces mêmes employés qui avaient reçu le statut de " travailleur essentiel » au plus fort de la pandémie de Covid.

Pire encore, la direction prétend - et une trop grande partie des médias de droite le répète - qu'elle a offert 5,5 %. Même si c'était vrai, cela ne répondrait pas aux coûts réels auxquels les travailleurs sont confrontés avec l'inflation. Mais c'est un mensonge flagrant. Ce qui est vrai, c'est qu'ils ont fait une offre strictement conditionnée à l'acceptation par les postierÃes de changements qui bouleverseraient leurs conditions de travail.

Cela rappelle ce qui se passe dans d'autres industries, notamment le transport. Les patrons engrangent d'énormes profits pour eux-mêmes et les actionnaires tout en essayant de forcer même les secteurs les mieux syndiqués de la classe ouvrière à travailler dans des conditions d'exploitation encore plus grandes. C'est dans ce contexte que le CWU a organisé un second vote pour commencer légalement un conflit avec la direction pour faire valoir les revendications. Les membres ont voté pour à 98,7 %, avec un taux de participation de 72,2 %.

Comme l'a déclaré Dave Ward, secrétaire général du CWU : " Alors que les patrons de Royal Mail engrangent 758 millions de livres de bénéfices et que les actionnaires empochent plus de 400 millions de livres, nos membres n'accepteront pas cette plaie de la pauvreté de la part de l'entreprise. Les postiers n'accepteront pas docilement que leur niveau de vie soit laminé par des chefs d'entreprise cupides qui sont complètement déconnectés de la Grande-Bretagne moderne. Ils en ont assez que les erreurs des entreprises soient récompensées encore et encore ».

L'autre grande section du syndicat, celle des télécommunications, est aussi engagée dans une bataille très similaire contre une augmentation salariale imposée - cette fois-ci une prime unique de 1 500ú qui représente à nouveau une baisse de salaire en termes réels. Cela incite à faire campagne ensemble et les deux sections se sont prononcées en ce sens le 31 août. Enfin, un groupe plus restreint de membres du syndicat, travaillant aux guichets de la poste, est confronté à une direction encore plus intransigeante qui a imposé un gel des salaires pour 2021-22 et une offre totalement inadéquate d'augmentation de 3 % et d'une prime unique de 500 ú pour 2022/23. Ils étaient en grève le 2 septembre, comme ils l'ont déjà été plusieurs fois cet été.

Mosaïque de luttes et motifs d'espoir

Si les conflits dans les transports et ceux organisés par CWU et Unite sont ceux qui ont le plus clairement changé la situation politique, ils n'ont pas été les seuls. À partir du 5 septembre, des avocats pénalistes - qui n'est pas un groupe dont on s'attendrait à ce qu'ils soient des militants - ont entamé une grève illimitée pour exiger une augmentation de 25 % de leurs honoraires. Les gouvernements qui se sont succédé les ont réduit de 30 % au cours des 15 dernières années. L'impact a été plus marqué sur les nouveaux venus dans la profession qui peuvent s'attendre à un revenu médian de 12 200 ú par an pour les longues heures à un taux horaire de 6,40 ú - en dessous du salaire minimum.

Il y a également eu un certain nombre de débrayages non officiels, y compris dans des entrepôts d'Amazon dans un certain nombre de localités à travers la Grande-Bretagne. Unite et le syndicat GMB organisent des travailleurÃes chez Amazon et ce dernier syndicat se prépare à une action sur l'un de ses sites.

L'une des choses remarquables au sujet des piquets de grève de cet été, c'est le nombre de jeunes travailleurs qui y participent pour la première fois, remettant en question l'image, et la réalité, que les syndicats seraient quelque chose du passé. Lors d'un grand rassemblement organisé par la CWU, l'un des intervenants a déclaré qu'il était confiant parce que cela signifiait que l'avenir du mouvement syndical était entre leurs mains.

Les piquets de grève ont aussi été les plus nombreux depuis des décennies, autant que je ne m'en souvienne. Aucun signe que les gens soient intimidés par les lois antisyndicales qui limitent officiellement les piquets au nombre de six. Et ils ont eu lieu dans des zones où ils n'ont pas eu lieu depuis des décennies - dans un cas apparemment depuis la grève générale de 1926. Ce dynamisme militant est important parce que le combat contre l'inflation pour obtenir des augmentations de salaires satisfaisantes est susceptible d'être long.

Une autre dynamique positive émanant en particulier du CWU a été le lancement, en collaboration avec un certain nombre de campagnes locales et quelques députés travaillistes de gauche, de la campagne Enough is Enough (Assez, c'est assez), qui vise non seulement à obtenir des augmentations de salaire équitables pour les travailleurs, mais aussi à réduire les factures d'énergie, à mettre fin à la pauvreté alimentaire, à offrir un logement décent à tous et à taxer les riches (8). Plus de 300 000 personnes ont signé l'appel dans les jours qui ont suivi son lancement. Cette initiative a rencontré un enthousiasme à la mesure du dégoût causé par les attaques des conservateurs et des patrons, mais aussi de la frustration face à l'échec du Labour sous la direction de Starmer à fournir un quelconque leadership.

La Grande-Bretagne est traditionnellement un pays où les syndicats, dans l'ensemble, laissent au parti travailliste ce qu'ils considèrent comme de la politique, qu'il soit au gouvernement ou dans l'opposition. Les membres des syndicats sont invités à ne pas mener d'actions militantes de peur d'empêcher l'élection d'un gouvernement travailliste. Mais face à la profondeur de la crise actuelle et aux nouvelles attaques à attendre très rapidement de la part de Liz Truss, un changement de cette attitude par au moins une partie du mouvement syndical ne saurait tarder.

Londres, le 6 septembre 2022

Post-scriptum

Cet article a été écrit en anticipant que Liz Truss deviendrait Première ministre le 6 septembre. Ce qu'on ne pouvait pas anticiper, c'est qu'Elizabeth Windsor, également appelée reine Elizabeth II, mourrait deux jours plus tard et que l'establishment imposerait une " période de deuil national de dix jours » jusqu'à ses funérailles le 19 septembre.

Les postiers étaient en grève lorsqu'elle est morte et leur syndicat, le CWU, a suspendu la grève pour le jour suivant. Ne pas l'avoir fait aurait été utilisé pour saper le très large soutien du public à cette grève ainsi qu'à d'autres. Mais leurs prochaines journées de grève ont été confirmées. Extinction Rebellion (XR) avaient organisé un week-end d'action pour le climat dans le centre de Londres les 10 et 11 septembre, ils ont annoncé la veille la décision de le reporter.

Le nouveau gouvernement Truss est rempli de négationnistes du climat et si Extinction Rebellion n'avait pas annulé, il aurait été confronté à un véritable vitriol dans les médias. Moins justifié, le syndicat ferroviaire RMT a immédiatement annulé son action prévue du 15 au 17 septembre - bien avant l'annonce de la date des funérailles et avec un message de condoléances plutôt obséquieux.

Pris en sandwich entre l'annonce d'une nouvelle Première ministre et la mort d'une autre personnalité étatique, un jeune homme noir non armé a été abattu par la police dans le sud de Londres à travers le pare-brise de sa voiture après une course-poursuite. Une série de manifestations ont eu lieu en réponse à ce crime - le dernier en date d'une longue série de meurtres de Noirs par l'État, qui démontrent son racisme institutionnel. Les médias grand public étaient tellement focalisés sur la mort d'une personne de 96 ans que la plus grande de ces manifestations a été rapportée par un média comme faisant partie de la foule qui pleurait la mort de la reine dans le centre de Londres - malgré la visibilité de pancartes indiquant clairement pourquoi ils étaient là.

Pendant ce temps, les avocats ont poursuivi leur grève totale et d'autres syndicats ont annoncé des dates pour de futures actions. Des rassemblements locaux très suivis autour de la crise du coût de la vie ont eu lieu dans différentes localités.

La réalité matérielle de l'attaque contre le niveau de vie de la classe ouvrière perce à travers la cérémonie d'apparat.

* Terry Conway est militante de AntiCapitalist Resistance, une organisation qui collabore avec la IVe Internationale.
Cet article a été publié en anglais par International Viewpoint : https://internationalviewpoint.org/spip.php?article7804
(Traduit de l'anglais par J.-C.V.).

1. Depuis lors, les chiffres se sont légèrement améliorés certaines années, notamment chez les femmes travaillant dans le secteur public, mais pas suffisamment pour inverser le déclin.

2. Les trois syndicats les plus importants dans ce secteur sont United Voices of the World, IWGB et IWW.uk.

3. Keir Starmer est le leader du Parti travailliste (Labour Party), dans l'opposition au gouvernement actuel. Il a demandé à ses principaux députés de ne pas fréquenter les piquets de grève des syndicats et n'a pas soutenu les grèves.

4. Free Our Unions, " New briefing on threatened new anti-strike laws » : https://freeourunions.wordpress.com/2022/08/23/new-briefing-on-threatened-new-anti-strike-laws/

5. Ils décidèrent d'actions plus tôt vis-à-vis de quelques compagnies ferroviaires.

6. Les Trade Councils (conseils syndicaux) réunissent des militants de différents syndicats notamment au plan local.

7. Le discours de Mick Lynch peut être écouté ici : https://www.youtube.com/watch?v=aFvEIDzEBb0

8. Phil Herse " Million say æenough is enough', as Tories plan massive attack », International Viewpoint 28 août 2022 : https://internationalviewpoint.org/spip.php?article7791