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Grande-Bretagne : difficultés et opportunités

par Veronica Fagan

Dans une période de déplacement à droite du champ politique britannique, la politique réactionnaire du Parti travailliste provoque la création complexe et la dynamique de Your Party autour notamment de Jeremy Corbyn.

Le dernier week-end de novembre une importante conférence aura lieu à Liverpool, dans le nord-ouest de l’Angleterre. Menée par l’ancienne députée travailliste Zara Sultana 1, l’ancien dirigeant travailliste Jeremy Corbyn et plus de 50 000 signataires de l’appel, cette conférence devrait formellement lancer un nouveau parti politique. La proto-formation porte actuellement le nom maladroit de « Your Party » (Votre Parti), mais ses membres décideront ultérieurement s’il convient de la renommer et comment.

Il n’y a aucun doute : il existe un besoin désespéré et une opportunité majeure de construire une organisation radicale de gauche dotée d’une présence militante dans les lieux de travail et les syndicats aussi bien que dans les urnes. La crise multiforme qui dévaste tous les endroits de la planète – avec ses tentacules environnementaux, économiques et sociales, ainsi qu’une augmentation grandissante des inégalités – se déroule à sa manière en Grande-Bretagne avec, naturellement, des spécificités relatives au Pays de Galles, à l’Écosse et à l’Angleterre.

Alors si le nombre de signatures de l’appel montre les possibilités offertes par cette initiative, il reste un défi énorme : celui de développer des idées et des manières de s’organiser qui améliorent le rapport de forces en faveur de la classe ouvrière dans son sens le plus inclusif. La contribution que peut apporter Your Party à ces développements n’est pas prédéterminée et, comme toujours, la responsabilité des révolutionnaires est d’y contribuer collectivement grâce aux leçons que nous tirons d’autres tentatives, en Grande-Bretagne et à l’étranger, de faire pencher le rapport de forces en faveur de la majorité de la population.

Polarisation à droite

À la suite des élections générales de juillet 2024, après 13 années de gouvernement conservateur à Westminster marquant une aggravation de la pauvreté et des inégalités, le Parti travailliste dirigé par Keir Starmer est arrivé au pouvoir. Il s’agit davantage d’une défaite électorale des Conservateurs en crise que d’une victoire des Travaillistes mais les médias dominants l’ont présentée comme une victoire écrasante de ces derniers.

Peu de gens, particulièrement au sein de la gauche radicale, nourrissaient de grandes attentes vis-à-vis du gouvernement de Starmer. Dave Kellaway, militant d’Anticapitalist Resistance, a expliqué que le programme électoral sur lequel le Parti travailliste s’est présenté « repose sur une idéologie qui accepte servilement le statu quo comme modèle d’organisation de l’économie, de l’État providence et du gouvernement. Au lieu de susciter l’espoir d’un changement réel, il est imprégné de pessimisme sur ce que nous pouvons réaliser en tant que travailleur·ses, en tenant pour acquis que les dieux du marché et du capital ne peuvent pas être défiés, même de manière minime. Il rejette même la vision social-démocrate traditionnelle de la propriété publique, de la fiscalité et de la redistribution »2. Mais peu avaient prédit que la nouvelle administration irait aussi loin vers la droite.

Les élections de juillet 2024 ont également vu d’autres développements 3). Nigel Farage avait déjà eu un impact politique majeur lorsque son « Parti du Brexit », réactionnaire et nationaliste, a remporté une majorité de sièges lors des élections européennes et mené campagne pour un Brexit sans négociation. Ils n’ont pas gagné de sièges aux élections générales de 2019, mais ils ont gagné beaucoup de temps d’antenne et poussé l’ensemble des autres partis vers la droite.

Après le départ de la Grande-Bretagne de l’Union européenne en janvier 2020, le Parti du Brexit a changé de nom en faveur de Reform UK (Réformer le Royaume-Uni). La politique et la rhétorique anti-immigré·es sont au centre de leur programme, mais celui-ci comprend aussi leur opposition aux réductions des émissions de carbone, aux vaccins et aux mesures de confinement lors du pic de la pandémie de Covid-19, ainsi que la réduction de la dépense publique, notamment les programmes de promotion de l’égalité et de l’inclusion. Farage se situe tout à fait dans la lignée de Trump et il a aussi de plus en plus singé la rhétorique nataliste de l’extrême droite américaine.

Montée de l’extrême droite

Cette bile réactionnaire associée à un certain nombre d’objectifs propres a eu un effet significatif sur un Parti conservateur profondément divisé et a débouché sur un succès électoral avec l’élection de cinq députés Reform en juillet 2024. Combinée à des défections très médiatisées de Conservateurs vers le parti de Farage, cette trajectoire s’est à ce point approfondie que Reform a désormais un élu au Parlement écossais, un membre au Senedd gallois (leur assemblée nationale dotée de pouvoirs moindres que ceux du Parlement écossais), deux membres à l’Assemblée de Londres (une instance aux pouvoirs réduits) et contrôle douze conseils locaux. Réduire les prétendus gaspillages – souvent en fermant des programmes, en particulier ceux qui apportent un soutien à celles et ceux qui sont le plus marginalisé·es, qu’ils soient ciblé·es comme handicapé·es, comme membres de la communautés LGBT+, comme femmes, et/ou aux communautés racisées ou immigrées –, tout en poursuivant une propagande générale anti-immigré·es, a été au centre de tout ce qu’ils font et disent.

Qu’il soit rampant ou même galopant, le fascisme n’a pas été impulsé par Farage ou ses amis aux États-Unis, mais par un mouvement partiellement séparé, sous la direction d’un homme qui se fait appeler Tommy Robinson. Celui-ci, dont le véritable nom est Stephen Yaxley-Lennon, a été membre de plusieurs organisations explicitement fascistes, pourvues d’un épais casier judiciaire et qui se consacrent plus particulièrement à attiser l’islamophobie.

Pendant l’été 2024 comme au cours de l’été 2025, on a vu l’extrême droite impulser des attaques infâmes contre les immigré·es hébergé·es dans des hôtels, tout en déployant une propagande contre ceux qui traversent la Manche dans de petites embarcations. En 2024, de fausses rumeurs ont été répandues prétendant que celui qui avait commis les meurtres épouvantables de Southport quelques semaines plus tôt était un musulman demandeur d’asile. Il est tout à fait extraordinaire que personne n’ait été tué lors de l’émeute de l’hôtel Tamworth, sans doute la plus violente de ces attaques 4.

Harcèlement raciste

L’été 2025 a également vu de fortes mobilisations d’extrême droite et fascistes, autour de la notion de « protection de nos femmes et de nos filles » qui s’est ajoutée aux thèmes des années précédentes. Yaxley-Lennon a fait ses preuves sur ce sujet, ne manifestant d’intérêt pour les questions de violences contre les femmes et les filles que lorsque les agresseurs présumés sont des musulmans et que les victimes sont « blanches ». Des actions contre les immigré·es ont également eu lieu dans certains lieux en Écosse, alors que cela ne s’était jamais produit auparavant et que l’ensemble du spectre politique et les communautés avaient tendance à y être plutôt accueillantes envers l’immigration.

En Angleterre et au Pays de Galles, les conseils gérés par Reform ou par les Conservateurs (et même, dans un cas, par le Parti travailliste) ont menacé d’actions judiciaires le gouvernement de Westminster en utilisant les réglementations d’urbanisme pour prétendre que les immigrant·es ne pouvaient pas être hébergé·es dans des hôtels.

Les personnes envoyées dans ces hôtels partagent souvent des chambres avec des personnes qu’elles ne connaissent pas, qui n’utilisent pas toujours la même langue maternelle, n’ont pas de revenus disponibles et n’ont pas choisi de se trouver là. Elles et ils sont décrits comme des profiteurs qui vivent dans le luxe alors qu’on leur refuse le droit de travailler. Hélas, la rhétorique honteuse visant à « diviser pour régner » ne vient pas seulement de l’extrême droite mais aussi d’un nombre significatif de politicien·nes travaillistes.

Un autre aspect de cette campagne a été l’opération « hissez les couleurs » où l’Union Jack et parfois le drapeau du pays concerné (Pays de Galles, Écosse ou Angleterre) ont été attachés aux lampadaires et parfois peints sur les mini-rond-points. Ces événements ont été particulièrement nombreux dans les zones où les protestations contre les hôtels ont été les plus fortes. Et, au moins dans certaines zones, il y a eu une augmentation du nombre 5 d’attaques racistes : par exemple, là où j’habite, une équipe de football de Chinoises a été victime d’agressions racistes de la part d’un groupe de jeunes 6.

Le point culminant de tout ceci a été (pour l’instant…) la plus importante manifestation d’extrême droite de l’histoire de la Grande-Bretagne, appelée par Yaxley-Lennon sous le drapeau de « l’Unité du Royaume ». Cette manifestation a rassemblé plus de 150 000 participant·es et Elon Musk y a participé avec la diffusion d’un message vidéo pour appeler à un changement de gouvernement 7. Effrayant… et un véritable défi pour la gauche radicale 8.

Poursuite du glissement à droite du Parti travailliste

Dans le même temps et en réponse, le gouvernement Starmer s’est tourné de la manière la plus hostile possible contre l’immigration. Les exemples sont innombrables mais l’un des plus notoires est le discours de Starmer en mai 2025 (9) dans lequel, annonçant la publication d’un nouveau Livre blanc sur l’immigration, il a parlé de la Grande-Bretagne comme « devenant une île d’étrangers », une phrase qui rappelle profondément celles qu’utilisait le raciste Enoch Powell en 1968 9. Starmer et son équipe ont tous déclaré depuis qu’ils ne connaissaient pas l’origine de cette phrase. Ce n’est pas crédible, mais même si c’était vrai, rien ne justifie la présence de cette formule ou de quelque chose d’approchant dans le discours. Et maintenant, le Parti travailliste annonce 10 qu’il va introduire de nouvelles mesures extrêmement restrictives inspirées du modèle profondément réactionnaire du Danemark, suggérant par là même que cela vient du centre gauche et n’est donc pas toxique…

Le Parti travailliste cède du terrain à l’extrême droite non seulement sur l’immigration, mais aussi sur les questions économiques. Quand ils étaient dans l’opposition, Starmer et d’autres responsables importants du Parti travailliste avaient soutenu des femmes jetées dans une pauvreté inattendue par l’augmentation, sans préavis, de l’âge auquel elles pouvaient percevoir leur pension d’État. Une fois au pouvoir, ils leur ont tourné le dos 11.

L’une des attaques les plus vicieuses menées par les Conservateurs a été l’introduction en 2017 du plafonnement des allocations familiales pour les familles de deux enfants, ce qui signifiait que celles-ci ne bénéficieraient pas de prestations sous conditions de ressources pour le troisième enfant ou les suivant·es. Cela ne fait pas que précipiter des familles supplémentaires dans la pauvreté, cela renforce et manipule également les images clivantes des pauvres qui ne seraient pas méritant·es 12. Starmer s’était opposé au plafonnement lorsqu’il était dans l’opposition, mais, en 2024, le Parti travailliste a indiqué qu’il supprimerait le plafonnement mais « seulement quand la situation fiscale le permettrait ». Non seulement ils ont indiqué que c’était une perspective lointaine, mais ils ont en plus expulsé du groupe parlementaire travailliste sept député·es travaillistes qui avaient soutenu un amendement à cette méthode. Alors que l’on se dirige vers un nouveau budget, parmi les nombreuses rumeurs qui tourbillonnent, on trouve l’idée que le plafonnement pourrait être relevé afin de couvrir jusqu’à trois enfants, au lieu de simplement le supprimer.

Le Parti travailliste s’en est aussi pris aux handicapé·es. Aujourd’hui, en Grande-Bretagne, à cause des taux de salaires bas et de la faiblesse des syndicats, beaucoup de personnes porteuses de handicap qui travaillent – parfois même à temps complet – ont droit à des avantages sociaux en plus de leur salaire. Parallèlement, le refus des employeurs d’adapter les postes de travail aux personnes souffrant de handicaps particuliers et les politiques draconiennes en matière d’absentéisme ont contraint un nombre croissant de personnes à quitter le marché du travail salarié et à dépendre des aides sociales. Mais, confronté à une augmentation de la facture des aides sociales, le Parti travailliste ne met aucunement la pression sur les employeurs ou à renforcer la législation contre les discriminations, il cherche plutôt à transformer les personnes marginalisées en boucs émissaires. Leurs plans initiaux pour couper dans les dépenses gouvernementales ont été repoussés grâce à une campagne significative menée par des personnes handicapées, avec le soutien de certains secteurs du mouvement syndical et quelques député·es travaillistes rebelles (qui, à nouveau, ont été suspendu·es pour être resté·es fidèles à leurs principes).

Le Parti travailliste est arrivé aux affaires alors que le génocide à Gaza durait déjà depuis neuf mois, mais il a essentiellement poursuivi le soutien des Conservateurs à Israël. Les ventes d’armes britanniques ont un certain impact mais surtout, de façon plus significative, elles envoient un message politique fort indiquant de quel côté le gouvernement de Westminster se situe. Il y a toujours eu un puissant mouvement de solidarité avec la Palestine en Grande-Bretagne, mais il s’est développé depuis le 7 octobre 2023. Confronté aux manifestations de masse du mois de septembre 2024, le gouvernement a suspendu certaines licences d’exportation 13 clés, même si c’était davantage pour la forme que pour franchir une étape décisive 14.

De plus, le gouvernement Starmer a été extrêmement répressif contre les manifestant·es. C’est en premier lieu contre les manifestant·es écologistes 15 que la répression s’est intensifiée, puis elle a visé le mouvement de solidarité avec la Palestine. Deux caractéristiques particulières méritent d’être signalées. La première est l’arrestation d’un nombre important de manifestant·es connu·es – dont un survivant de l’Holocauste – lors d’une marche pacifique au centre de Londres en janvier 2025 à la suite des plaintes de sionistes réactionnaires parce que la marche passait près d’une synagogue, passant sous silence la présence d’un important bloc juif dans notre marche. Encore pire a été la décision d’interdire l’organisation d’une action militante, Palestine Action, en juin et l’arrestation de plus de 2 000 manifestant·es pour avoir brandi en silence des pancartes dénonçant cette interdiction.

Tout cela se situe dans un contexte d’augmentation du coût de la vie initialement impulsée par les Conservateurs, avec peu ou pas d’actions correctives de la part des Travaillistes, ce qui libère un espace politique pour la politique du « diviser pour régner » proclamée par l’extrême droite mais envenimée par son relais par les grands partis traditionnels.

Développements à gauche

Alors qu’il n’y a aucun doute sur le déplacement significatif du centre de gravité politique vers la droite au cours des dix-huit derniers mois, d’autres développements indiquent l’existence d’un espace et d’un soutien à la gauche de la social-démocratie.

Le 19 octobre, le Parti Vert d’Angleterre et du Pays de Galles 16 a publié un communiqué de presse 17 indiquant qu’il était désormais le troisième plus grand parti du Royaume-Uni, dépassant pour la première fois le Parti Conservateur, après avoir déjà dépassé les Libéraux-Démocrates. Zack Polanski a été élu dirigeant du Parti en septembre sur une plateforme explicitement populiste de gauche. Polanski, qui est membre de l’Assemblée de Londres depuis mai 2021, l’a emporté contre la candidature conjointe de deux des quatre député·es élu·es en juillet 2024, Adrian Ramsay et Ellie Chownes, dont l’orientation politique se situait à sa droite. Non seulement les Verts ont remporté plus de sièges que jamais en 2024, mais leur pourcentage de voix était plus élevé et bien plus que tend à le suggérer l’obtention de quatre sièges dans le cadre du système majoritaire à un tour, le système profondément réactionnaire en vigueur en Grande-Bretagne pour l’élection du Parlement. Il est clair que le parti a priorisé les campagnes dans les zones où ils pensaient avoir une chance de succès.

Le nombre de leurs adhérent·es augmentait depuis un certain temps, mais c’est l’élection de Polanski qui a véritablement donné un coup d’accélérateur, avec un doublement des chiffres. La campagne pour l’élection interne autorisait les personnes qui avaient adhéré avant la date limite à voter et il n’y a aucun doute : les militant·es en faveur de l’environnement et de la solidarité avec la Palestine, y compris celles et ceux qui avaient rejoint le Parti travailliste pour soutenir Corbyn, constituaient une part significative du soutien à Polanski. Au cours des dernières semaines, certains sondages indiquaient que les Verts étaient devant le Parti travailliste, juste derrière Reform.

En réaction, deux erreurs symétriques ont été commises par certains secteurs de la gauche radicale. D’un côté, le sectarisme vis-à-vis des Verts – notamment l’affirmation que ces derniers constituent une équipe petite-bourgeoise, sans éclaircir s’il s’agit d’une description sociologique ou d’une critique de leur politique et de leur pratique, qui doit être éliminée non seulement sur le front électoral mais aussi des mouvements sociaux et des lieux de travail – est présenté comme un élément crucial de notre réponse au glissement vers la droite. D’un autre côté, certain·es militant·es sont frustré·es par rapport aux objectifs et au manque d’empressement de la direction de Your Party. Alors, non seulement ils consacrent toute leur énergie personnelle aux Verts – un choix tout à fait compréhensible – mais qualifient de sectaires ceux d’entre nous qui critiquent le bilan des Verts lorsqu’ils sont au pouvoir, notamment en tant que groupe le plus important au sein du conseil municipal de Brighton, où ils ont mis en œuvre des coupes budgétaires.

Parallèlement à la croissance du Parti vert, les élections générales de 2024 ont vu d’autres développements à gauche. Jeremy Corbyn, député de la circonscription d’Islington Nord, au nord de Londres, avait quitté la direction du Parti travailliste après la défaite des élections générales de 2019 et avait été remplacé par Keir Starmer. En 2020, Jeremy Corbyn a été suspendu du groupe parlementaire travailliste pour avoir prétendument minimisé l’ampleur de l’antisémitisme au sein du Parti travailliste. Après une campagne infructueuse pour modifier cette décision, Corbyn a finalement annoncé qu’il allait se présenter en tant que candidat indépendant aux élections générales qui venaient d’être convoquées ; il a non seulement obtenu le soutien d’un grand nombre de militant·es locaux, y compris des membres de longue date du Parti travailliste, mais il a également mobilisé nombre de militant·es, à travers la Grande-Bretagne et au-delà. Le résultat est que Corbyn a obtenu 49,2 % des suffrages et une avance de 7 000 voix.

Le succès de la campagne de Corbyn reposait pour partie sur ses idées politiques – opposition à l’austérité, soutien aux immigré·es et à la Palestine – mais aussi sur le respect qu’il suscite localement, avec un plus grand soutien à sa personnalité qu’à sa politique.

Mais il n’a pas été le seul à être élu comme député indépendant. Quatre autres candidats ont été élus comme députés indépendants, Adnan Hussain, Iqbal Mohamed, Shockat Adam et Ayoub Khan. Seul Khan, qui était conseiller libéral-démocrate, avait une expérience politique. Mais dans une situation où la campagne contre le génocide du peuple palestinien mobilise très largement, ceci a constitué un élément central de leurs prises de position et a permis leur élection. Cependant, même si c’était une bonne chose d’avoir des personnes élues sur la base de leur soutien à Gaza, il n’est pas vraiment évident que leur positionnement sur d’autres sujets soit aussi progressiste.

Ceci est également lié à d’autres développements qui ont eu lieu avant les élections générales, là où des candidatures avaient été présentées contre le Parti travailliste en Angleterre, au niveau parlementaire ou au niveau des conseils locaux. Certain·es de ces candidat·es avaient été élu·es auparavant sous l’étiquette travailliste, mais étaient désormais bloqué·es par l’appareil. Quelques-uns avaient connu le succès au niveau de conseils locaux et bon nombre des candidat·es qui n’avaient pas été élu·es avaient néanmoins mené des campagnes crédibles.

Nos propres objectifs pour quel parti ?

Tel est le contexte dans lequel Zara Sultana a lancé Your Party, le lendemain du premier anniversaire de l’arrivée au pouvoir du Parti travailliste. Le lendemain, Jeremy Corbyn a annoncé sa participation, même si, depuis, les médias ont publié des articles relatant des conflits entre les deux personnalités. C’est déjà suffisamment difficile – et terriblement déprimant – pour les militant·es d’Angleterre, d’Écosse et du Pays de Galles de suivre et d’analyser tous les problèmes qui ont surgi depuis, les imposer à un public international n’a aucun sens. Il convient néanmoins de mentionner deux thèmes principaux, ne serait-ce que pour en esquisser les grandes lignes.

Le programme initial est vague, avec des omissions importantes et des ambiguïtés. Quatre documents ont été préparés à l’avance pour la conférence de fondation : celui relatif au programme politique 18est de loin le plus court : 263 mots, soit 1 700 signes, espaces compris !

Dans ce texte, il n’y a aucun sentiment d’urgence : aucune mention de la montée de l’extrême droite et quasiment aucune de la crise environnementale. Ce texte exprime des aspirations positives, mais sans aucune mesure ou revendication qui pourrait concrétiser ces espérances.

Il existe un manque de clarté sur la façon dont le Pays de Galles et l’Écosse pourraient se doter de structures indépendantes. Des fédérations pilotées depuis Londres ne feront pas l’affaire, et pas seulement pour ceux qui jouent un rôle central dans les courants indépendantistes de ces pays, mais plus généralement parmi les jeunes.

Aucune leçon ne semble avoir été tirée des expériences des partis globalement à gauche de la social-démocratie qui se sont constitués avec une compréhension inadéquate du besoin d’indépendance politique, qu’il s’agisse du Brésil, de la Grèce ou de l’État espagnol. Pourtant, dans tous ces cas, des défaites ont renforcé la droite radicale et démobilisé des milliers de militant·es qui sentaient qu’ils avaient gravi la colline… avant d’être abandonné·es par leurs dirigeant·es supposé·es.

Au bout du compte, on ne peut pas séparer ce manque de clarté politique des questions de fonctionnement démocratique, parce que ce dernier est la meilleure garantie que des erreurs puissent être corrigées. C’est pourquoi, pour la conférence de fondation, ACR (Anticapitalist Resistance) a présenté à la fois une résolution politique alternative et des amendements aux statuts 19.

Le second thème est l’absence de transparence. L’annonce initiale de l’organisation a eu lieu en juillet et la conférence de fondation prévue pour fin novembre, sans qu’aucune structure permanente n’assure l’intérim. Celleux qui participeront à l’initiative de Liverpool ont été sélectionné·es par un tirage au sort appelé « tri » (avec une pondération non spécifiée pour inclure les plus marginalisé·es). À moins de deux semaines de l’événement, on ne sait pas clairement quelles décisions seront prises à ce moment et quelles décisions seront soumises ultérieurement à ratification.

Il est vrai que mettre en œuvre un système démocratique de délégation pour un si grand nombre de personnes constitue un véritable défi : par exemple, il n’existe aucune salle de réunion où nous pourrions tous nous rassembler. Aussi, à ce stade, on peut admettre l’idée d’un tirage au sort, mais ce serait tout à fait problématique si cela était proposé comme un fonctionnement permanent de la structure. Cela laisse penser qu’il s’agit d’une option légitime et non d’une solution ponctuelle inévitable. Un système sans responsabilité et sans possibilité de révocation ne peut pas être une structure démocratique.

Et même si des « proto-sections » ont été mises sur pied dans de nombreuses localités, elles n’ont pas reçu de ressources de la part du centre. Sans accès aux listes de ceux et celles qui ont signé centralement, il est inévitable que celles et ceux qui s’impliquent soient les personnes qui sont déjà organisé·es et se connaissent entre elles. Dans certains endroits se sont mis en place des groupes rivaux, chacun dominé par un groupe de gauche différent.

Au-delà des questions majeures qui sont soulignées ici, il y a eu toute une série d’histoires négatives à la fois dans les grands médias et sur les réseaux sociaux à propos de personnalités connues associées au projet qui annonçaient leur retrait ou qui critiquaient publiquement la manière dont d’autres géraient les choses. Inévitablement, tout ceci signifie que des personnes qui, il y a des mois, avaient signé se sont maintenant éloignées. Certaines ont rejoint les Verts, ce qui n’est pas si mal, mais certaines ont presque certainement abandonné la politique.

En dépit de ces difficultés, il serait complètement irresponsable pour des révolutionnaires de ne pas s’impliquer dans le processus et de ne pas tout mettre en œuvre pour garantir le meilleur résultat possible. n

Le 19 novembre 2025

Veronica Fagan est militante d’Anticapitalist Resistance, section britannique de la IVe Internationale, à Londres, et membre de la direction de l’Internationale. Traduit de l’anglais par François Coustal.

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