Synthèse et articles Inprecor
Par conséquent, prendre en charge actuellement la solidarité avec le peuple grec face à l'humiliation qu'entendent lui imposer Merkel et compagnie, notre premier devoir si nous voulons imposer une sortie auti-austéritaire et démocratique face au despotisme oligarchique qui veut, avec son rejet de l'appel à un référendum, s'installer définitivement en Europe.
Dans le cas de l'État espagnol] les choses sont également très claires avec :
- les récentes " recommandations » du Fonds monétaire international (facilitation des licenciements et " ajustements salariaux », hausse de la TVA, participation aux dépenses de soins et d'éducation…) ;
- les coupes annoncées par le gouvernement de Mariano Rajoy pour les prochains budgets (souvenons-nous que les dépenses publiques continuent à se situer 5 % en dessous de la moyenne de l'Union européenne) ;
- les menaces que le ministre des Finances, Cristobal Montoro, a déjà adressées aux nouveaux gouvernements des communautés autonomes et des municipalités issus des élections du 24 mai s'ils ne remplissent pas les conditions des lois restrictives sur " l'équilibre budgétaire », liées à l'article 135 (2) de la Constitution et au Pacte budgétaire de l'eurozone.
Pendant ce temps, nous avons toujours un grand nombre de logements vides et, malgré la " reprise économique » et la manipulation statistique, le taux de chômage diminue à peine tandis qu'augmentent la précarité et les écarts de salaire parmi les travailleurs eux-mêmes.
S'ajoutent à tout cela, pour souligner seulement quelques mesures parmi les plus graves, de nouvelles attaques contre les libertés : comme la loi sur la sécurité publique (3) ; la réforme du code pénal à partir du 1er juillet ; ainsi que l'approbation probable par le Parlement, à partir du 16 juillet, du nouvel accord avec les États-Unis pour la base de Morón (4) Cette dernière se transforme en véritable " joyau caché » - comme le dit un journal électronique pro-gouvernemental (5) - du déploiement militaire du Pentagone qui, de manière toujours plus agressive, développe sa " nouvelle » géopolitique mondiale (en particulier en Afrique), ce qui implique une plus grande insécurité intérieure. Ce n'est pas un hasard si Rajoy, avec la complicité du PSOE, mène ces discussions avec la plus grande discrétion possible.
Comme toujours, la " main de fer » impériale accompagne le " gant de velours » des nouveaux traités " commerciaux » pour dominer le monde, à l'instar de celui que négocient les États-Unis et l'Union européenne, connu par ses initiales TTIP ou TAFTA (6), lequel, heureusement, commence à sortir du secret dans lequel ils souhaitaient le maintenir. Il commence à être mis en question dans des pays clés comme l'Allemagne. Un traité qui, s'il était adopté, confirmerait, en outre, l'aveuglement de ce turbocapitalisme face au changement climatique comme cela a enfin été dénoncé par le pape François et comme cela a été rappelé dans les deuxièmes rencontres internationales écosocialistes qui se sont récemment tenues à Madrid.
Il y a donc de bonnes raisons pour que nous soyons en premières lignes de la désaffection croissante envers cette " démocratie » et l'Union européenne (UE), comme le reconnaît le récent Rapport de la fondation Alternativas ainsi que l'enquête sociale européenne. Il n'est donc pas surprenant que les commémorations du 30e anniversaire de l'entrée dans " l'Europe » soient passées inaperçues. Parce que cette " Europe », qui ne parvient même pas à s'unir pour accueillir les dizaines de milliers de personnes fuyant la famine et les guerres, est passée définitivement du " rêve » au cauchemar permanent.
Une pluralité d'acteurs
Par conséquent, l'aspiration à l'unité populaire ne peut être dissociée de l'horizon de rupture qui a fait naître Podemos et qui oblige à ne pas se limiter à proposer des programmes de gouvernement qui renoncent à cet objectif ou qui prétendent restreindre les critiques adressées aux " régimes de 1978 », comme cela ressort des déclarations de certains de ses dirigeants. La démocratie face à la " dettocratie », la protection des droits sociaux et des biens communs, la souveraineté des peuples et processus constituant (avec un processus propre à la Catalogne) sur la voie d'une autre Europe, tout cela forme un autre projet civilisateur qui peut rassembler une majorité sociale indignée même si, peut-être, les rythmes de construction d'une nouvelle hégémonie ne sont pas aussi rapides que nous le voulions.
En parallèle de ce pari pour un " changement » qui ne soit pas simplement une pièce de " rechange » du bipartisme dominant [PSOE-PP] - et suite au changement historique vécu lors des élections municipales et, bien que de manière plus limitée, régionales - le constat qui semble de plus en plus partagée c'est un élargissement du bloc des secteurs sociaux et politiques qui veulent " prendre d'assaut les institutions » pour " gagner » et jeter les bases d'une nouvelle politique, tant dans son contenu que dans ses formes.
Cette pluralité des acteurs a été reconnue par des dirigeants de Podemos, plus sur le plan politique que social, en Catalogne, à Valence, en Galicie ou dans les Baléares, mais on en est encore loin dans d'autres régions. Parce qu'il est certain qu'à l'échelle de l'État on ne peut imaginer d'autres forces que Podemos comme principal référent pour la constitution d'une candidature, mais il est également vrai qu'il y a beaucoup de personnes qui ne se sont pas reconnues dans cette formation et qui, à d'autres niveaux - celui de la communauté ou de la province - veulent participer à sa construction, tant sur le plan programmatique que dans ses listes électorales.
À cela s'ajoute le fait que Podemos n'est déjà plus la formation toute nouvelle qu'elle était en janvier 2014 : elle a déjà parcouru un chemin fait de succès notables - comme lors des élections européennes (7) - mais également d'amertume interne provoquée par le choix d'un modèle classique de parti, centralisé, avec des processus de bureaucratisation et une peur des débats internes ; une formation trop axée sur une direction qui, selon une opinion assez répandue, a perdu de sa " fraîcheur » des débuts pour se montrer toujours plus sourde à ce qui se passe en dehors de ses bureaux et de son entourage le plus proche. On ne peut donc pas être surpris de la baisse significative de la participation sur les réseaux sociaux au cours des derniers mois, sans parler de la quantité de cercles qui ont perdu l'enthousiasme avec lequel ils sont nés.
Le débordement créatif
Il serait bien de se souvenir, avec Tomás R. Villasante, que " les dirigeants des réseaux humains le sont parce qu'ils savent écouter tout type de rumeurs, et lorsqu'ils perdent la capacité d'être en contact avec la rue ils finissent par s'isoler et d'autres apparaissent à leur place. C'est pour cela que pour les pouvoirs sont importants les "espions", ou les sociologues, les souffleurs ou tout type d'informations quotidiennes sur la direction que prennent les processus. » (8) Dans ce cas, nous pourrions dire que la direction de Podemos court le risque de vivre dans une " schizophrénie » qui résiste à reconnaître que ce qui a été approuvé à Vistalegre (9) bien qu'alors déjà critiquable, est en train de se former. Les manifestes et articles qui veulent ébaucher un autre chemin ne sont qu'un pâle reflet de ce qui semble se produire à la base et pas seulement parmi les militants. Dépasser cette tension entre l'ancienne et la nouvelle phase ne nécessite pas de faire " table rase » des succès obtenus, mais il est bel et bien nécessaire de reformuler le projet " gagnant ».
Penser qu'il est possible de répondre à cette nouvelle réalité en cherchant simplement des leaders au sein de la société civile, dans les mouvements sociaux, dans la magistrature ou… dans les entreprises (10) ou même dans des partis comme Izquierda Unida, pour les coopter dans une liste à la tête de laquelle figurerait Pablo Iglesias, serait une erreur. Il est clair qu'il faut des dirigeants dans lesquels on puisse se reconnaître et s'identifier pour la construction d'une volonté collective en faveur du changement. Mais il est aussi clair que sans pluralité politique et sans ancrage territorial des candidatures, il ne sera pas possible d'aboutir à ce que la bataille pour l'hégémonie et un " nouveau sens commun » se reflètent dans l'auto-organisation et un pouvoir social et populaire, seules garanties de transformer en victoires ce qui est conquis sur le plan institutionnel, ainsi que nous le voyons déjà avec le harcèlement subi par les nouvelles municipalités. Afin d'atteindre tout cela, il faudra chercher des formes plus ouvertes et participatives au sein de Podemos, mais aussi d'autres vers l'extérieur, sans patriotisme de " marque » (ou de logo) et sans arrogance.
Malgré tout, l'un des tests clés pour savoir jusqu'à quel point la direction de Podemos aura vu et aura été capable de " lire », ou non, ce qui s'est déroulé dans un grand nombre de villes et de villages au cours de la récente campagne électorale réside dans ce que mentionnait Diego Pacheco dans un article récent (11) : l'existence d'une pluralité enrichissante dans et à l'extérieur de Podemos ne sera pas reconnue avec le système des primaires sur " listes fermées » (employées jusqu'ici) et avec en outre, apparemment, une circonscription unique, selon ce qu'a proposé le Conseil citoyen de samedi dernier 27 juin (12). S'il en allait effectivement ainsi, nous nous trouverions face à un énorme obstacle pour faire de Podemos le moteur principal du changement au cours des prochains mois.
Parce qu'avec ce " modèle », la direction de Podemos montrerait non seulement de la crainte vis-à-vis de la pluralité en son sein, mais également une incapacité pour converger avec ce qui existe en dehors d'elle-même, pour forger un projet de qualité supérieure, dans le meilleur sens du terme, comme cela s'est passé dans certaines villes lors des municipale. Un projet qui nous déborde de manière créative, engendrant cet " enthousiasme » qui se produit dans les moments d'effervescence collective.
Si cette proposition aboutissait, il y aurait encore plus de contraste avec ce qui se réalise dans des régions comme la Catalogne, par exemple (avec l'émergence d'une possible Catalunya en Comù (13) et de ce qui pourrait se produire ailleurs.
Souvenons-nous que le débat qui a précédé l'émergence de Podemos tournait autour de la nécessité d'un " outil politico-électoral » à même de dépasser le blocage institutionnel et de rendre viable un projet de rupture. Il s'agit désormais de voir si Podemos passe le test et continue à être l'outil adéquat ou si, au contraire, au nom d'une " transversalité » mal comprise et à partir d'en haut, son équipe dirigeante s'autonomise au point où, comme cela s'est déjà passé tant de fois dans l'histoire, elle génère ses propres intérêts au sein d'une logique de compétition électorale qui pourrait donner lieu à une " révolution passive », mais non à la " révolution démocratique » qui a commencé le 24 mai dernier.
En résumé, n'ayons pas peur des " débordements créatifs », notre propre dépassement par de meilleurs outils, dans lesquels nous pourrions nous reconnaître sans renoncer à l'identité de chacun et, de cette manière, non pas additionner mais plutôt multiplier les forces disposées à " gagner ».
Enfin, n'oublions pas notre responsabilité, encore plus grande aujourd'hui, d'unir nos forces avec le peuple grec en vue de la confrontation, enfin ouverte, avec les intérêts dominants de la zone euro. ■
* Jaime Pastor, professeur de sciences politiques, militant d'Anticapitalistas (section de la IVe Internationale dans l'État espagnol), est rédacteur responsable de la revue Viento Sur. Il a été signataire du premier appel " Changer de braquet : transformer l'indignation en changement politique » (cf. Inprecor n° 605-606 de mai-juillet 2014) de janvier 2014, qui allait lancer le mouvement Podemos, dont il est membre. Cet article a d'abord été publié le 29 juin 2015 sur le site de la revue Viento Sur (http://www.vientosur.info). Traduction et notes de la revue digitale suisse A l'Encontre (http://alencontre.org/), revues par Inprecor.
2. Adopté rapidement en août 2011, alors que le PSOE était au pouvoir, grâce à un accord avec le PP. C'est l'une des deux seules modifications apportées à la Constitution depuis 1978, elle impose comme priorité constitutionnelle le paiement de la dette. À ce propos voir l'entretien en deux parties de Gerardo Pisarello publié sur le site A l'Encontre : http://alencontre.org/europe/quand-le-pouvoir-des-creanciers-dicte-les-…
3. Dite loi muselière, elle restreint fortement les libertés publiques et le droit de manifester.
4 C'est l'une des quatre bases cédées aux États-Unis par Franco en 1953.
5. http://www.defensa.com/index.php?option=com_content&view=article&id=997…
6. Traité de libre échange transatlantique pour le commerce et l'investissement.
7. Aux élections européennes du 25 mai 2014 Podemos avec près de 8% des voix a obtenu 5 eurodéputés.
8. Tomás R. Villasante, Redes de vida desbordantes, Madrid, Catarata, 2014, p. 183.
9. Assemblée de fondation de Podemos comme organisation structurée, qui s'est tenue à Madrid en octobre 2014. Alors ont été adopté le principe des listes fermées et celui du centralisme autour du noyau dirigeant de Pablo Iglesias (qui a menacé de démissionner s'il n'était pas élu).
10. Comme l'a dit Pablo Iglesias lors d'une conference de presse le 27 juin dernier…
11. Diego Pacheco, " Invitaci¾n al desborde » : http://www.vientosur.info/spip.php?article10218
12. Une primaire générale sera organisée et, en fonction des résultats, les candidats choisiront dans laquelle des 52 circonscriptions ils se présenteront. Des " espaces » pourront être laissés libres pour permettre l'inclusion de " personnalités » (Pablo Iglesias a réalisé récemment un entretien avec le Baltazar Garzon et souhaite inclure des magistrats et des entrepreneurs comme le dit cet article) ou de forces autres que Podemos dans différentes régions. Outre une mesure centralisatrice et antidémocratique, le but est d'exercer un contrôle strict des éventuels processus de forces convergentes identiques à ceux qui ont présidé à des listes pour les municipales, souvent en dehors de Podemos, (Madrid, Barcelone, par exemple) ou les élections autonomes (Valence, Galicie, etc.).
13. À l'instar de la liste Barcelona en Comù qui a permis à Ada Colau d'accéder à la mairie de cette ville.