Déclaration du Front Populaire qui propose un programme d'urgence qu'un nouveau gouvernement transitoire devrait réaliser.
Tunis, le 12 février 2013
Notre pays vit aujourd'hui sur l'impact de l'assassinat du secrétaire général du Parti des patriotes démocrates unifié et fondateur du Front populaire, le militant Chokri Belaïd.
Un assassinat venu confirmer la gravité de la crise que connaît notre pays sur tous les niveaux : politique (crise des institutions de gouvernance dont la légitimité et la crédibilité tombent en décrépitude), économique, sociale, culturelle et sécuritaire. Une crise qui résulte de l'échec de la coalition au pouvoir, dirigée par le Mouvement Ennahda, et de son incapacité de résoudre les problèmes fondamentaux auxquels fait face le peuple tunisien qui subit les graves conséquences : amplification du taux de chômage, exacerbation de la pauvreté et de la nécessité, de la marginalisation et de la répression. Le gouvernement de la troïka a montré qu'il est même dans l'incapacité d'effectuer un remaniement ministériel après des consultations qui ont duré plus de sept mois en raison de la prédominance de la mentalité des quotas et du butin, loin des intérêts du peuple et du pays.
Synthèse actualisée Inprecor
Dans cette situation, le chef du gouvernement provisoire a récemment annoncé sa décision d'opérer un remaniement ministériel en vue de former ce qu'il appelle un " gouvernement de compétences nationales » tout en soulignant sa détermination d'aller dans cette direction quelle que soit la position des partis politiques dans et en dehors du gouvernement, ne prêtant aucune attention au rejet populaire et aux protestations qui ont touché toutes les régions du pays et qui ont atteint leur apogée suite au martyre du camarade Chokri Belaïd, dont les funérailles étaient un jour de référendum contre le gouvernement et pour sa démission.
Face à ces développements, nous saluons les masses du peuple tunisien pour leur élan et leur sympathie avec le camarade martyr et leur rejet des crimes politiques ainsi que des politiques, attitudes et pratiques qui ont conduit ou créé un climat favorable à la commission de tels crimes.
Assumant nos responsabilités historiques, nous :
► 1 - considérons que l'initiative du chef du gouvernement provisoire n'a pas rompu avec la logique de l'exclusivité de l'opinion nonobstant qu'elle n'a pas de programme politique et socio-économique direct aux aspects clairs à même d'assurer ce qui reste de la période de transition. Nous estimons également que le chef du gouvernement lui-même, tout comme son équipe gouvernementale, est responsable du fiasco complet du gouvernement ;
► 2 -soulignons que la situation actuelle exige un nouveau gouvernement, un gouvernement de crise, pour sauver le pays, à effectifs limité, au service du peuple et de la patrie, bénéficiant du soutien de la population et des forces nationales et progressistes et démocratiques, composé de compétences nationales pour gérer ce qui reste de la période de transition, et dont les membres ne se présenteront pas lors des prochaines élections, un gouvernement qui se réfère au Programme d'urgence suivant :
a - fixer un agenda clair pour le reste de la période de transition :
• achever la rédaction de la Constitution en consacrant les aspirations de notre peuple à la liberté, à la dignité et à la justice sociale et l'égalité entre les Tunisiennes et les Tunisiens ;
• résoudre le dossier des martyrs et des blessés de la révolution ;
• élaborer la loi électorale ;
• élaborer la loi sur la justice transitionnelle ;
• lancer les instances de régulation : la commission électorale, la commission de la magistrature judiciaire et la commission des médias ;
• fixer une date précise pour la tenue des prochaines élections ;
• mettre en œuvre des mécanismes de lutte contre la corruption et l'argent politique ;
• organiser un séminaire national sur l'immigration.
b - prendre de mesures économiques et sociales d'urgence, dont notamment :
• empêcher la liquidation des entreprises nationales et des richesses principales du pays ;
• suspendre le remboursement de la dette et la mise en place d'un comité d'audit en la matière ;
• recouvrer les droits de l'État liés à l'évasion fiscale ;
• instaurer une taxe exceptionnelle sur les grosses fortunes ;
• soutenir et encourager les petits et moyens agriculteurs et les exempter du paiement de la dette qui les accablent ;
• gel des prix pour protéger le pouvoir d'achat du peuple et encourager la consommation ;
• activation du décret portant interdiction de la sous-traitance (intérim) et la régularisation des travailleurs des chantiers ;
• réduire le chômage et étudier l'instauration d'une allocation aux chômeurs ;
• modifier et restructurer le salaire minimum industriel et agricole ;
• réduire les importations des produits de luxe et les dépenses de l'administration publique.
c - et directement :
• ouvrir une enquête urgente sur l'assassinat du camarade Chokri Belaïd ;
• enquêter sur toutes les agressions qui ont visé les militants politiques, les intellectuels, les créateurs, les journalistes, et les sanctuaires, zaouïas [1.] et tombes et juger les responsables ;
• dissoudre les dites " ligues de la protection de la révolution » et tous les appareils parallèles ;
• incriminer l'exploitation des mosquées pour l'incitation à la violence et la propagande politique et partisane ;
• incriminer " l'excommunication » (takfir) [2.] ;
• annuler toutes les dénominations administratives et politiques qui ont été attribués sur une base partisane.
Nous proposons cette initiative à toutes les forces politiques et sociales et au peuple tunisien et nous considérons que son activation passera par une conférence nationale de sauvetage qui comprend tous les parties et toutes les personnes qui veulent éviter au pays de glisser vers le chaos, restaurer la sécurité, stimuler l'économie et développer la production, préserver la réputation de la révolution et du pays à l'intérieur et à l'extérieur et garantir les meilleures conditions aux élections à venir.
Nous appelons les masses de notre peuple à maintenir la mobilisation pour déjouer tous les complots et toutes les manœuvres politiques internes et externes qui visent la sécurité et la stabilité de notre pays et le pillage de ses richesses et le dénigrement de sa révolution.
Nous exprimons notre engagement inconditionnel dans la lutte pour la réalisation des objectifs de la révolution et la défense de la souveraineté nationale et l'unité de notre peuple. ■
Tunis, le 12 février 2013
* Nous reproduisons ici la déclaration du Front Populaire (Traduite de l'arabe par Rafik Khalfaoui), adopté après les mobilisations qui ont suivi l'assassinat de Chokri Belaïd, dirigeant du Parti des patriotes démocrates unifié et l'un des dirigeant du Front populaire. Chokri Belaïd était un des avocats qui avaient défendu les accusés du Bassin minier de Gafsa sous la dictature de Ben Ali. Le Front Populaire, qui a tenu sa première conférence nationale en septembre 2012 et a adopté un projet de charte politique (cf. Inprecor n° 590 de janvier 2013) regroupe de nombreuses et de nombreux militant-e-s indépendant-e-s et des organisations provenant de diverses traditions : Marxiste-léniniste : Parti des travailleurs (ex-PCOT) avec Hamma Hammami, Parti des patriotes démocrates unifiés (résultant de la récente fusion du MOUPAD de Chokri Belaïd et du courant Jmour du PTPD), le Parti patriotique socialiste révolutionnaire (Jamel Lazhar), Parti de la lutte progressiste (PLP — Mohamed Lassoued). Trotskyste : Ligue de la gauche ouvrière (LGO). Socialiste : Parti populaire pour la liberté et le progrès (PPLP — Jalloul Ben Azzouna se réclamant de Ben Salah) ; Panarabe marxiste : Front populaire unioniste (Amor Mejri). Nationaliste arabe nassérien : Mouvement du peuple - Hraket Echaab (Mohamed Brahmi) ; Nationaliste arabe baathiste : Mouvement Bath (Othmane Belhaj Amor), Parti de l'avant-garde arabe et démocratique (PAGAD — Khereddine Souabni) ; Autres organisations : Tunisie verte (Abdelkader Zitouni), Mouvement des démocrates socialistes, RAID (ATTAC et CADTM).