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Les révoltes en Algérie : un signe avant-coureur du futur des luttes sociales

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Pour la première fois, toutes les wilayas, régions et villes de l'Algérie, se sont soulevées en même temps et pour les mêmes " revendications ».

Les émeutes ont commencé durant la dernière semaine de l'année 2010, où des quartiers populaires à Alger ont connu de forts mouvements de contestation. Les habitants de plusieurs quartiers ont envahi la rue pour contester la manière dont certains logements ont été distribués en posant de nouveau la problématique de la crise du logement. En effet, ces mêmes quartiers, appelés " quartiers-bidonvilles », ont déjà marqué l'actualité politique en Algérie plusiurs mois en 2009. Après une lutte acharnée, le gouvernement algérien avait reculé devant la détermination des habitants en décidant de les reloger dans des cités nouvellement construites.

Mardi 4 janvier, des émeutes ont éclaté dans certaines localités à l'ouest d'Alger. Les manifestants contestent cette fois-ci l'augmentation généralisée des produits alimentaires de base deux jours auparavant. Le lendemain, c'est au tour de Bab El-Oued, un quartier au cœur d'Alger connu pour être le bastion de la révolte d'octobre 19881, d'entrer en scène. En deux jours, c'est toute l'Algérie qui s'embrase. Un soulèvement populaire jamais connu auparavant, étant donné que pour la première fois, toutes les wilayas, régions et villes de l'Algérie se sont soulevées en même temps et pour les mêmes " revendications ».

Les principaux acteurs sont les jeunes âgés entre 15 ans et 30 ans, gagnant la sympathie de presque toute la population

Cela est tout à fait normal, sachant que le taux de chômage chez les jeunes dépasse les 25 % et qu'ils représentent plus de 65 % de la population. La propagande annonce un taux de chômage beaucoup moins élevé : 10 %. Le système éducatif, devenu un laboratoire d'expérimentation des différentes théories libérales de l'éducation - afin de trouver le moyen d'insérer les futurs diplômés dans le marché du travail - a, a contrario, " formé » des millions de chômeurs sans aucun horizon social. Un échec cuisant : une étude a démontré qu'un élève sur quatre arrive en classe terminale. Des milliers de jeunes qui quittent l'école très tôt n'ont le droit à aucun encadrement : même les associations à caractère culturel ont été interdites ces dernières années ; la restriction de la liberté d'organisation et d'association a atteint son paroxysme.

La goutte d'eau qui a fait déborder le vase

L'augmentation des prix des produits alimentaires de base, combinée à la dévaluation du dinar (20 %) induisant une dégradation du pouvoir d'achat, a été la goutte d'eau qui a fait déborder le vase. Mais, ces causes directes n'expliquent pas à elles seules ce soulèvement populaire. L'augmentation de 50 % des salaires de la police fin décembre 2010 avec effet rétroactif à partir de 2008 a été une claque pour les jeunes ; le taux galopant du chômage, la crise du logement ; la restriction des droits démocratiques et syndicaux comme le droit à la grève, le droit aux marches, la corruption à grande échelle sont, entre autres, les causes conjoncturelles de cette révolte. Toutes ces causes sont, en réalité, les conséquences directes de l'échec des politiques néolibérales appliquées depuis le début de 1990.

En effet, après l'échec du capitalisme d'État algérien de l'après-Indépendance, caractérisé par une période d'accumulation primitive du capital ayant duré plus de 20 ans, l'État a opté pour l'économie de marché comme solution au problème de la dette des années 1980 et pour, bien évidemment, permettre à la bourgeoisie algérienne de s'insérer dans l'économie capitaliste mondiale. Le désengagement financier de l'État des secteurs dits " non productifs », le bradage et la privatisation de l'industrie algérienne ainsi que la levée des barrières douanières ont mis à plat tous les secteurs économiques, sans exception. Résultat des courses de ladite " ouverture économique » : l'Algérie s'est transformée en un grand marché de consommation, caractérisé par un secteur informel considérable. A part les hydrocarbures et quelques secteurs insignifiants, elle est aujourd'hui entièrement dépendante du marché mondial.

Le rouleau compresseur néolibéral a tout dévasté

Le rouleau compresseur néolibéral a tout dévasté, et n'a épargné aucun secteur : des milliers d'usines sont fermées et offertes aux multinationales pour faire d'elles le dépôt de leurs marchandises produites dans des pays asiatiques, mettant ainsi des millions de travailleurs et tavailleuses au chômage. Ce rouleau compresseur est, en plus, conjugué à une politique de répression de tous les mouvements sociaux. Manipulation politicienne, assassinats de manifestants, emprisonnement de militants qui s'opposent à cette politique dévastatrice, étaient en général l'unique réponse des classes dominantes. L'état d'urgence est mis en place depuis le début des politiques d'austérité, en interdisant toute marche et manifestation politiques… sauf les manifestations folkloriques pour acclamer les sorties officielles des dirigeants de l'État. Seuls les partis et les organisations qui soutiennent l'orientation néolibérale ont le droit de s'exprimer dans les médias publics. 
Tous les acquis du mouvement de l'indépendance et du mouvement ouvrier sont remis en cause. La gratuité de l'enseignement et de la santé est aujourd'hui dans le collimateur néolibéral. C'est une crise structurelle du mode de production capitaliste mondial

Aujourd'hui, la crise alimentaire en Algérie est le prolongement de la crise alimentaire qui a secoué plusieurs pays du Sud en 2007 : Égypte, Tunisie, Maroc, Mexique, Haïti, Pakistan, Mozambique, Bangladesh, Bolivie, Niger… Des millions de personnes sont descendues dans la rue pour exprimer leur colère et leur faim. C'est une crise structurelle du mode de production capitaliste mondial, provoquée par la mainmise des grandes firmes agroalimentaires sur tous les maillons de la chaine de production alimentaire (production, transformation, distribution). Du coup, ces firmes internationales font la pluie et le beau temps sur le marché mondial en contrôlant les prix de la nourriture.

En 2007, l'Algérie n'a pas été épargnée par un mouvement de contestation, malgré la subvention de l'État de certains produits alimentaires de base. Sauf que ce mouvement n'a pas pris la forme de celui des pays cités précédemment, c'est-à-dire les " émeutes de la faim ». En Algérie, on a assisté à une montée des luttes ouvrières et syndicales qui mettaient en avant la question salariale et le pouvoir d'achat. Des grèves illimitées et cycliques ont été observées dans tous les secteurs autour de l'augmentation des salaires. Cette montée des luttes ouvrières était la conséquence directe de la flambée des prix des produits alimentaires sur le marché mondial et national. Le gouvernement a répondu, comme à l'accoutumée, par la répression : plusieurs militants syndicalistes ont été arrêtés ou licenciés. Puis il a dû reculer devant la détermination des travailleurs. Ces derniers ont arraché des augmentations insignifiantes, car elles sont vite rattrapées par d'autres flambées des prix.

Les jeunes, dépourvus de structures traditionnelles de lutte, vu que la majorité d'entre eux sont des chômeurs, ont réagi à la crise alimentaire de 2007 et à la misère sociale autrement : par l'émigration clandestine, appelée phénomène d'el-haraga. A partir de 2007, des dizaines de milliers de jeunes ont pris le large dans des embarcations de fortune en direction de l'Europe. Certains ont réussi à traverser la Méditerranée, d'autres sont arrêtés par les gardes-côtes et jetés en prison, alors que des centaines ont péri durant leur traversée !

En 2010, les autorités ont recensé plus de 11 500 émeutes. Les émeutes en Algérie sont monnaie courante : c'est la seule voie d'expression des jeunes dans un pays où les libéraux au pouvoir ont fermé tous les canaux de communication et d'expression.

A partir de l'année 2000, les protestations populaires et les grèves ouvrières ont repris de plus belle. Plusieurs pensent que cela s'explique par le retour au " calme », après une décennie de terrorisme islamiste. Cette explication simpliste est souvent avancée par les classes dirigeantes afin de cacher les véritables raisons de ces mouvements qui caractérisent le paysage politique algérien. 
Au début du XXIe siècle, les politiques d'austérité imposées par le FMI à partir du milieu des années 1990 et l'orientation néolibérale de l'État ont " porté leurs fruits » : des millions de travailleurs et travailleuses au chômage, des centaines de milliers de jeunes arrivent sur un marché du travail libéralisé incapable de les prendre en charge. On assiste à la dégradation et destruction des services publics et à la paupérisation de pans entiers de la société. Ce sont les raisons objectives expliquant la montée des luttes sociales durant la dernière décennie. En 2001, le mouvement de la Kabylie a donné le " la » à un nouveau cycle de protestations populaires qui ne s'arrêtera pas tant que les politiques et les choix économiques antipopulaires qui l'ont engendré sont toujours de mise.

Ampleur et radicalité du mouvement

L'ampleur et la radicalisation de ce mouvement ont pris le gouvernement à contre-pied. Le premier jour des émeutes, le gouvernement, tout comme les partis libéraux, a observé un silence total sur ces événements. Le deuxième jour, seuls les partis de gauche ont commenté et soutenu les jeunes révoltés. Le troisième jour, quand le mouvement a pris une dimension nationale, le gouvernement et la droite sont sortis de leur silence. Ils ont tous donné leurs explications quant à cette insurrection, mais aucun d'entre eux n'a reconnu que cette crise est le résultat des politiques libérales qu'ils ont eux-mêmes revendiquées, accompagnées et soutenues, et l'État n'a pas voulu battre sa coulpe : il a accusé les commerçants et les grossistes. En un mot, la spéculation qui est à leurs yeux la cause de la flambée des prix. D'autres partis libéraux - qui ne sont pas au gouvernement - ont pointé du doigt, à travers la presse dominante, le prétendu " patriotisme économique », entrepris par l'État fin 2009. Ce " patriotisme économique » n'est que de la poudre aux yeux, vu qu'aucune mesure réelle n'a été prise dans ce sens depuis. Même si la droite a " soutenu » les jeunes émeutiers au début, pour essayer de surfer politiquement sur cette vague de contestation en vue des élections législatives de 2012 pour les uns, et pousser le gouvernement à poursuivre ses réformes néolibérales pour les autres, ils ont vite compris qu'ils étaient en train de jouer avec le feu.

Même si les jeunes ne sont pas organisés et ne portent pas des revendications " claires » formulées politiquement, les cibles des insurgés témoignent du caractère de classe que revêt cette révolte. Après les commissariats de police, les premières cibles des jeunes révoltés, les jeunes se sont attaqués aux firmes internationales installées en Algérie : les concessionnaires automobiles comme Renault, Peugeot, Dacia, Wolkswagen, Toyota, Suzuki, les compagnies internationales de téléphonie mobile comme Djezzy, Nedjma, Samsung, les banques internationales, comme PNB Paribas, ou la Société Générale, qui ont été ciblés et saccagés.

Ces multinationales ont réagi en usant de leur pouvoir médiatique afin d'éteindre et de discréditer la révolte qui commence à remettre en cause leurs intérêts en Algérie. La presse dominante algérienne, béquille des multinationales, a d'emblée changé son discours vis-à-vis de cette révolte. La Une de l'un des grands journaux francophones, qui titrait " Pourrissement », avec un quart de page accordée au constructeur automobile Dacia pour une annonce publicitaire, nous renseigne sur le pouvoir du capital étranger en Algérie. C'est le cas de tous les autres journaux soumis à ce capital qui les alimente en pages de publicité quotidiennement.

Les gouvernements européens ont aussi été sollicités par les détenteurs du capital mondial afin de venir à leur rescousse en Algérie. La France a même suggéré l'envoi de renforts policiers pour aider les forces de l'ordre algériennes et tunisiennes, dépassées par l'ampleur de la révolte, à sécuriser les biens et les sites de ces firmes. Michèle Alliot-Marie était catégorique dans sa déclaration à ne pas exposer les intérêts de ses seigneurs à la furia des révoltés dans ces deux pays. 
Le gouvernement, quant à lui, a choisi de répondre en premier lieu par la répression : 1 500 jeunes arrêtés, des centaines de blessés et 5 tués par balles. Il a construit 35 prisons rien qu'en 2010. Il a ensuite pris des mesures économiques dans un Conseil interministériel extraordinaire en faveur des importateurs des matières de base entrant dans la fabrication des produits alimentaires. Ces mesures se traduisent par la suspension et l'exonération des droits de douanes, de taxes d'impôts représentant un total de 41 %, jusqu'au 31 août 2011. La suspension pour ces mêmes produits de la TVA (17 %) ainsi que l'exonération de l'impôt sur le bénéfice des entreprises.

Les différentes mesures économiques prises à la hâte sont un cadeau supplémentaire aux patrons des grandes sociétés privées.

Par ces mesures, le gouvernement a satisfait toutes les revendications du patronat et de l'industrie de l'agroalimentaire formulées lors d'une conférence de presse par le PDG et propriétaire de l'un des grands groupes, Cevital, au troisième jour de la révolte. Les patrons, très satisfaits de ces mesures, les ont qualifiées de " salutaires », " utiles », " d'avenir », " importantes »… Et comment ! 300 millions d'euros offerts sur un plateau d'argent aux patrons. On doit se rendre à l'évidence : le rôle de l'État bourgeois est de servir la classe sociale qui détient le pouvoir.

Ces mesures économiques ne pourront pas constituer une solution à la crise, cette dernière ne se limitant pas aux seuls produits alimentaires (sucre, huile) comme le gouvernement se borne à le déclarer. C'est une crise structurelle et multidimensionnelle de 20 ans de libéralisme. Les libéraux ont détruit les établissements publics économiques, l'agriculture et avec eux la seule chance pour l'Algérie de faire face à cette crise alimentaire mondiale, et ce, en mettant le commerce extérieur et intérieur entre les mains du monopole privé. Ces mesures sont un nouveau jalon vers une future crise qui va s'ajouter à celles qui gangrènent déjà le capitalisme algérien.

Algérie et Tunisie, même combat !

Si on fait l'impasse sur les détails, les insurrections populaires en Algérie et en Tunisie ont plus de similitudes que de différences. Les deux sont causées par une crise socio-économique qui touche les classes sociales les plus défavorisées. La réaction est presque la même : une explosion sociale sous forme d'émeutes, animées essentiellement par des jeunes chômeurs. Les revendications aussi : travail, logement, liberté… et le départ de Ben Ali du pouvoir pour les Tunisiens. 
Les raisons de la crise sont aussi identiques : le néolibéralisme et les politiques d'austérité dictées par les institutions financières internationales (FMI, OMC, etc.).

Les gouvernements algérien et tunisien excellent tous deux dans la mise en œuvre de ces politiques. Si le FMI décernait des Prix Nobel à des présidents appliquant à la lettre leurs politiques d'austérité, il aurait du mal à départager Bouteflika et Ben Ali. Probablement, ce dernier aurait plus de chance de décrocher ce trophée, vu qu'il est à la solde de cette institution depuis maintenant un quart de siècle. Sa gestion dictatoriale de la Tunisie devrait aussi plaire aux instigateurs du néolibéralisme qui n'ont cessé de le présenter aux autres présidents des pays du Sud comme l'exemple à suivre. Tout comme ils l'ont fait d'ailleurs avec le sanguinaire Augusto Pinochet durant les années 1970 au Chili. Après avoir assassiné plus de 50 citoyens tunisiens, qui revendiquaient juste leur droit à la vie, voilà qu'il passe au stade suprême : celui d'écraser militairement la révolte des jeunes ! Les peuples algérien et tunisien ne connaîtront de prospérité qu'en se débarrassant de ces acolytes du FMI.

La libération des jeunes arrêtés comme cheval de bataille du mouvement

Plusieurs organisations syndicales, politiques, associations estudiantines, ligues des droits de l'Homme, intellectuels de gauche, se sont distingués par leurs appels à se solidariser avec les jeunes insurgés, à l'image de notre parti (PST), du Comité pour la solidarité avec des luttes populaires, en appelant les travailleurs et les jeunes à s'organiser pour contrecarrer les attaques libérales menées contre le peuple, notamment par le biais de plusieurs rassemblements de solidarité dans les universités, comme ceux qui sont animés par l'association estudiantine Nedjma au niveau de la faculté d'Alger et les marches des étudiants de la faculté de Béjaïa. Des ponts se créent pour associer la lutte des quartiers à celles des travailleurs et des étudiants. Mais le cheval de bataille de ce mouvement, qui commence à prendre forme, doit être, avant tout, la libération des jeunes écroués dans les prisons, vu que la révolte s'est arrêtée au bout du sixième jour. Victimes d'une double répression, ces opprimés doivent faire l'objet d'une mobilisation pour les libérer.

Un projet de rupture avec les politiques néolibérales qui ont démontré leurs limites et leur incapacité à satisfaire les besoins les plus élémentaires du peuple doit aussi faire l'objet de réflexion de ce mouvement. Un autre système économique et social pouvant prendre en charge les aspirations et les besoins quotidiens des travailleurs, des femmes, des jeunes et d e toutes les couches sociales défavorisées est la seule solution pour dépasser réellement cette crise. ■

* Omar Kitani est militant du Parti socialiste des travailleurs (PST) d'Algérie. Cet article a été d'abord publié sur le site du Comité pour l'annulation de la dette du Tiers-monde (CADTM).

notes
1. En octobre 1988, des centaines de milliers de jeunes Algériens, soutenus par le peuple, ébranlent la dictature, ouvrant une nouvelle période politique. Grèves, manifestations, émeutes. L'armée tire sur de jeunes manifestants et fait 500 morts. Ces évènements sont suivis par une ouverture démocratique et la fin du parti unique. [NDLR Inprecor]

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