Les travaillistes l'emportent en régressant, Respect s'impose après sa victoire à Londres-Est

par Terry Conway

Terry Conway, rédactrice du mensuel <i>Socialist Resistance</i>, est membre de la direction de l'International socialist group (ISG, section britannique de la IVe Internationale). ISG est une des organisations fondatrices de la Coalition unitaire Respect.

Les élections législatives britanniques du 5 mai ont sauvé la mise du Parti travailliste, qui sous la direction guerrière de Tony Blair les a emportées pour la troisième fois successive. Cette victoire — prévisible — aura cependant été coûteuse pour l'avenir du parti. Sa majorité parlementaire diminue en effet de près de 100 sièges, passant de 160 à 67 députés et il l'emporte avec le plus faible score réalisé par un parti qui gouverne depuis la seconde guerre mondiale : seulement 36 % des voix. Blair lui-même a été solidement atteint. Il suffisait de le voir, rigide et embarrassé, lors du décompte des voix dans sa propre circonscription de Sedgefield, lorsque Reg Keys, qui a obtenu 10 % des voix en tant que père d'un soldat tué en Irak, lui a rappelé son refus de présenter des excuses pour avoir engagé le pays dans une guerre illégale fondée sur les mensonges.

Pour Blair et les siens il a été particulièrement douloureux de voir que le nouveau parti de gauche — Respect — emportait la circonscription réputée sûre au cœur de la banlieue Est de Londres.

La guerre s'impose au centre des débats

Avant la campagne électorale le gouvernement avait toujours refusé de rendre public l'avis du Procureur général concernant l'illégalité de la guerre contre l'Irak. Au cours de la campagne, des fuites partielles concernant cet avis ont finalement forcé le gouvernement à le publier. Malgré les fortes dénégations, cet incident a confirmé que le Procureur s'était penché sur la question et la réputation du Premier ministre en a de nouveau souffert.

En réponse, le Parti travailliste a promu le Ministre des finances, Gordon Brown, au cœur de sa campagne électorale. Blair et Brown apparaissaient si souvent ensemble que les commentateurs ont eu tendance à les présenter comme des frères siamois. Jusqu'à récemment, Brown avait réussi à garder un prudent silence sur l'Irak, bien qu'il ait été au centre du dispositif guerrier, ne serait-ce que du fait de l'implication des services publics. Sa réputation a pu de cette manière être mieux préservée que celle de Blair.

Mais plus Brown apparaissait en tant que bouclier humain de Blair, et plus il devenait clair que la transition au sommet était en cours. Et les discours de Brown durant la campagne ont fait clairement apparaître qu'entre l'orientation politique des deux dirigeants il n'était pas possible de trouver la moindre différence.

Au cours de la nuit électorale, tant Blair que Brown ont clamé que le résultat avait comblé leurs espérances — le parti travailliste était reconduit avec une majorité plus faible et allait tenir compte de cet avertissement. Mais immédiatement ils se contredisaient en annonçant que toutes les mesures anti-ouvrières — qui avaient été retardées le temps des élections — allaient être maintenant appliquées.

Une grande majorité de l'électorat a rejeté aussi bien les Conservateurs que les Travaillistes. Des millions d'électeurs traditionnellement travaillistes se sont abstenus ou ont voté en faveur des partis perçus comme s'opposant à la guerre — surtout pour les Libéraux démocrates (LD) qui ont volé la plupart des votes contre la guerre. Des militants anti-guerre connus ont contribué à ce résultat, tel Tariq Ali, qui a appelé à voter pour les LD dans sa circonscription afin de punir " Blair le bombardier », tout en soutenant les candidats de Respect dans les circonscriptions où ils se présentaient.

Ce parti historique de l'impérialisme britannique, depuis des années repoussé au second rang, est également apparu comme une opposition de gauche sur d'autres terrains, en se prononçant pour la réduction des frais d'inscription aux écoles supérieures ou pour l'augmentation de la tranche la plus élevée des impôts. Cette rhétorique était en parfaite contradiction avec la pratique quotidienne de ses membres dans les conseils locaux qu'ils contrôlent ou au sein du Parlement écossais, où ils sont en coalition avec les travaillistes. Tout comme les autres grands partis, les Libéraux démocrates se sont fait avocats zélés des privatisations et, par exemple en Écosse, ils ont voté contre la gratuité des repas scolaires. Mais dans une campagne dominée par les mass médias c'est l'image qui est décisive et la majorité de ceux qui, pour la première fois, ont voté pour eux l'ont fait à cause de cette image " de gauche ». En conséquence les LD ont gagné 11 sièges supplémentaires. Mais ils n'ont pas réussi à profiter de ces circonstances exceptionnelles pour réaliser une percée décisive.

Stagnation des conservateurs, montée de l'extrême droite

Les Tories (conservateurs), ayant embauché Lynton Crossby — qui avait dirigé les deux campagnes électorales victorieuses du premier ministre conservateur australien John Howard — ont mis l'accent sur la question de l'immigration. Cette campagne profondément raciste ne leur a pas apporté le succès escompté et a même poussé une partie de l'électorat travailliste traditionnel à soutenir Blair en dépit de la guerre, pour éviter un succès des conservateurs. Ceci a non seulement permis aux travaillistes de ne pas payer entièrement le prix de la guerre mais de plus a dissimulé leur propre politique profondément réactionnaire dans le domaine de l'immigration et du droit d'asile. Les conservateurs ont finalement gagné 33 sièges, mais ils n'ont pas réussi à accroître leur score électoral de 2001. Ils n'ont pas non plus réussi à résoudre leur crise, provoquée par le fait que le " nouveau » travaillisme a occupé leur espace politique traditionnel, ce qui a conduit leur dirigeant Michael Howard à présenter sa démission. Comme aucun successeur ne peut prétendre à l'unanimité au sein du parti conservateur, la crise de ce parti est loin d'être achevée.

Parmi les petits partis de l'extrême droite, le seul qui a progressé est le Parti national britannique (BNP). Il a capitalisé la carte raciste jouée par les Tories et tiré profit des années de politique gouvernementale — tant travailliste que conservatrice — contre l'immigration et les demandeurs d'asile. Leur meilleur score fut atteint à Barking (banlieue Est de Londres), où leur candidat arrive troisième avec 17 % des voix. Mais ils réalisent aussi des scores entre 9 % et 13 % dans au moins cinq autres circonscriptions, dont 9 % à Dagenham. Cela constitue un défi pour la gauche.

Le vote de droite anti-européen, qui avait tellement profité au Parti de l'indépendance du Royaume Uni (UKIP) lors des européennes de 2004, s'est cette fois-ci effondré. La campagne menée par l'ex-vedette TV Robert Kilroy-Silk n'a pas trouvé d'espace politique, d'une part du fait de l'orientation très droitière des conservateurs mais aussi parce que la question européenne a été délaissée par les partis dominants.

Pour les petits partis, marginalisés du seul fait du mode de scrutin, majoritaire à un seul tour, cette campagne électorale a été encore plus difficile que d'habitude. En effet les mass médias ont complètement étouffé leurs voix, se concentrant sur la campagne des chefs des partis dominants comme s'il s'agissait d'une campagne présidentielle. Ces violations des fondements mêmes de la démocratie rendent encore plus remarquable la percée réalisée par Respect.

Percée de la gauche radicale anglaise

La victoire de George Galloway dans la circonscription de Bethnal Green et Bow, dans la banlieue Est de Londres, est la marque emblématique de cette percée. Un parti situé à la gauche des travaillistes obtient ainsi un député pour la première fois depuis les dernières heures du Parti communiste en 1945. Alors le PC avait réussi à emporter deux sièges dans la foulée de l'effort de guerre soviétique. L'un d'entre eux, Phil Piratin, avait été élu dans la circonscription emportée aujourd'hui par George Galloway — qui était alors une forteresse militante de la classe ouvrière juive immigrée.

Respect a présenté 26 candidats, totalisant 68 071 voix, soit une moyenne de 6,9 %, et a gagné un siège. En 1945 le PC avait présenté 21 candidats, totalisant 102 780 voix, soit une moyenne de 12,7 % et remportait deux sièges.

Galloway a réussi a prendre le siège détenu par la députée blairiste favorable à la guerre, Oona King, qui l'avait remporté en 2001 avec une confortable avance de plus de 10 000 voix, et qui a mené une campagne musclée. Durant la campagne les militants de Respect avaient été traités d'antisémites, accusés d'avoir agressé un retraité, d'avoir percé les pneus de la voiture de King et d'avoir jeté des œufs sur elle lors d'une cérémonie commémorative. Il va de soi que personne en lien avec Respect n'avait quoi que ce soit de commun avec de tels incidents.

Au cours de la campagne, menée au cœur de la grande communauté bengali qui est concentrée dans cette circonscription et autour d'elle, les jeunes Bengalis ont massivement rejoint Respect. Mais la campagne a également attiré d'autres votes opposés à la guerre, ce que même le Guardian a dû reconnaître, dans son édition du samedi 7 mai .

Trois autres scores de Respect dans la banlieue Est de Londres ont également témoigné de la percée de ce nouveau parti de gauche radicale. Lindsey Gordon arrive ainsi en seconde position à West Ham, avec 20,7 %, derrière le candidat travailliste. Avec 19,5 %, Abdul Khaliq Mian arrive également second à East Ham. Enfin à Poplar et Canning Town, Oliur Rahman arrive en troisième position avec 17,2 % des voix.

Le résultat de Salma Yaqoob dans la circonscription de Sparkbrook et Small Heath à Birmingham est également spectaculaire. Elle gagne 27,5 % des voix, arrivant en seconde position derrière le Parti travailliste et seulement 3 000 voix lui manquent pour l'emporter. Cinq autres candidats de Respect dépassent la barre des 5 %, ce qui permet d'obtenir le remboursement de la caution électorale (1000 ú), une obligation pas facile à réaliser pour les candidats à la gauche du Parti travailliste.

La campagne de Respect a été également la cible d'attaques des intégristes. Galloway a été visé par un petit groupe venant d'une organisation peu connue, nommée al-Ghuraaba, une ramification du groupe dissous al-Muhajiroun. Le groupe a envahi le local d'un meeting public, bloquant toutes les issues et proférant des menaces à l'encontre de Galloway. Une autre provocation du même groupe, mois violente, a eu lieu lors d'un meeting public de Respect dans la ville de Luton. Salma Yacoob a également été harcelée et a reçu des menaces de mort d'une origine semblable. D'autres encore se sont concentrés sur l'explication que le vote lui-même est une atteinte à l'Islam.

Ces attaques démontraient que l'apparition de Respect constitue un défi non seulement pour les fauteurs de guerre du New Labour. Les groupes intégristes se rendent de plus en plus compte que lorsque les jeunes des communautés musulmanes commencent à s'impliquer dans la politique radicale à travers Respect, ils se radicalisent dans toute une série de domaines. Et cela mine les capacités de ces organisations réactionnaires de les recruter et d'apparaître comme les porte-parole incontestés de ces communautés.

Progrès inégaux et défis futurs

Le sentiment anti-guerre de l'électorat n'a cependant pas conduit à des succès automatiques de la gauche. Certains résultats électoraux de Respect ont aussi été décevants et en Écosse le Parti socialiste écossais (SSP) a perdu du terrain en comparaison de ses résultats de 2001 (cf. l'article suivant d'Alan McCombes).

La pléthore de candidats à la gauche de Respect n'a pas eu d'impact. Le Parti socialiste (ex-Militant), le plus sérieux parmi eux, a eu moins de voix qu'en 2001, y compris en ce qui concerne ses deux candidats les plus connus, Dave Nellist et Ian Page.

Les résultats des Verts ont également été décevants. S'ils améliorent leur score de 2001, ils ne parviennent pas à profiter de toutes les opportunités qui sont apparues. Dans la circonscription phare de leur point de vue, celle de Brighton Pavilion, ils n'arrivent qu'en troisième position. Ils ont fait les frais de l'absence scandaleuse d'intérêt pour les questions environnementales dans cette campagne électorale de la part des partis dominants et également de l'attitude des mass médias vis-à-vis de tous les petits partis.

Les résultats de Respect et en particulier l'élection de George Galloway constituent donc un véritable défi et une occasion pour reconstruire la gauche. Respect est maintenant installé et les condition pour le construire sont favorables.

Dans son discours d'élu George Galloway a promis de prendre la tête des mobilisations militantes, telle celle en défense du service public des pompiers. Il a également souligné que la campagne pour préparer les élections locales démarre le lendemain des législatives. Cela constitue l'approche correcte. Respect doit élargir son influence, au-delà de ses forteresses actuelles vers l'ensemble de la classe ouvrière. Il doit devenir la référence naturelle pour tous ceux qui veulent résister aux prochaines attaques du gouvernement travailliste — attaques qui ne manqueront pas de venir malgré l'affaiblissement de sa majorité. Respect doit devenir une organisation qui mène les campagnes politiques en dehors des périodes électorales, tant au niveau national que local. Il doit renforcer ses structures démocratiques et établir des sections locales dont la vie politique sera attractive.

Il doit s'appuyer sur son autorité nouvellement acquise pour établir des liens solides avec la gauche syndicale et en particulier avec les syndicats qui continuent à défier le patronat. Au lendemain des élections législatives le syndicaliste de gauche Matt Wrack a remporté haut la main le siège de secrétaire général du syndicat des pompiers. C'est un signe que des secteurs de la classe ouvrière organisée se préparent à affronter l'offensive néolibérale.

Respect doit également s'adresser une nouvelle fois aux secteurs de la gauche qui ne l'ont pas encore rejoint. En adoptant ainsi une attitude ouverte Respect peut espérer devenir la principale force de la gauche.

A propos du succès de Respect

Dans le quotidien Independent, le prof. John Curtice de l'Université de Strathclyde écrit que les résultats globaux de Respect représentent " certainement la meilleure performance réalisée par un parti d'extrême gauche dans l'histoire électorale britannique ».

Le secrétaire national de Respect, John Rees, a dit pour sa part : " La victoire de George Galloway est spectaculaire et elle a été largement commentée dans les médias. Nous sommes également enchantés par notre performance générale — en particulier à Newham et à Birmingham Sparkbrook, où nous arrivons en seconde position, et à Poplar, où le redécoupage électoral à venir avant les prochaines élections nous met en situation de principal challenger du New Labour. Ces résultats ont également impressionné le coordinateur électoral des Verts et nous faisons bon accueil à son appel pour davantage de discussions sur la manière de continuer à construire un électorat à la gauche du Parti travailliste. »

George Galloway a ajouté : " On abuse souvent du qualificatif "historique", mais là nous avons vraiment une performance historique de Respect, qui n'a que 16 mois et qui affrontait pour la première fois les législatives. C'est la première fois depuis 1945 qu'un siège est remporté par ceux qui sont à gauche du Parti travailliste. C'est le seul "petit parti" qui arrive en seconde position dans quelque circonscription que ce soit et nous le faisons à Birmingham Sparkbrook et à Small Heath, à East Ham et à West Ham. Nous avons établi une base solide dans l'ancienne circonscription de Berni Grant à Tottenham et nous nous sommes étendus vers des villes comme Slough. La crise de Tony Blair que cette élection a mise en lumière est une crise finale. La performance de Respect signifie que la gauche radicale est un facteur significatif dans le débat sur l'avenir du mouvement ouvrier après Blair. »

(D'après le site web de Respect www.respectcoalition.org/?ite=773 en date du 9 mai 2005.)

traducteur
J.M. (de l'anglais)