Revue et site sous la responsabilité du Bureau exécutif de la IVe Internationale.

Le grand gagnant des élections

par Thadeus Pato
Berlin, salle plénière du Budenstag. © Thomasrichter71

Thadeus Pato, membre de la direction du RSB — Revolutionõr Sozialistische Bund (Ligue socialiste révolutionnaire, une des deux fractions publiques de la section allemande de la IV<sup>e</sup> Internationale) est membre du Bureau exécutif de la IV<sup>e</sup> Internationale. La position présentée ici est minoritaire au sein de la direction du RSB (la position de la majorité a été présentée dans <i>Inprecor</i> n° 509 de septembre 2005, par l'article de B.B. Herbst, Opposition extraparlementaire ou Parti de gauche).

Presque tous les partis ont massivement perdu des voix en comparaison avec les élections fédérales de 2002. Les seuls qui progressent sont le FDP (néolibéraux extrémistes), qui progresse de près de 3 % et Die Linke-PDS, qui avec 8,7 % des suffrages double son score et réintègre le Bundestag, après avoir échoué en 2002 (1).

Surprises

La grande surprise c'est qu'aucun des sondages préélectoraux n'a été capable d'annoncer ces résultats. Tous prévoyaient une claire victoire des chrétiens-démocrates conservateurs (CDU/CSU). Finalement l'écart entre les sociaux-démocrates et les conservateurs est inférieur à 1 %. En comparaison avec 2002, les conservateurs ont massivement perdu des voix (surtout en faveur du FDP), les sociaux-démocrates en ont perdu plus encore (essentiellement en faveur du Die Linke-PDS), et les Verts en ont perdu près de 0,5 %. Cela complique la situation car ni la coalition annoncée entre les chrétiens-démocrates et les libéraux (CDU-CSU-FDP), ni la coalition gouvernementale sortante " rouge-verte » (SPD-Grünen), ne disposent de majorité au parlement.

A en croire les sondages, pour la première fois dans l'histoire électorale allemande une partie très significative de l'électorat — jusqu'à 20 % — n'avait pas fait son choix jusqu'aux derniers jours précédant le scrutin. La raison principale en était la similitude des programmes des principaux partis, tout comme celle de leurs politiques au cours de ces dernières années : tous avaient annoncé de nouvelles contre-réformes néolibérales — plus radicales pour les uns, moins en ce qui concerne les autres — et tout le monde savait que les plus importantes mesures néolibérales du gouvernement Schröder-Fischer (coupes dans les retraites, réformes des impôts, de la santé, réduction des allocations de chômage, etc.) avaient été approuvées par tous les partis parlementaires et qu'il n'y avait pas d'opposition au sein du Bundestag (seuls les libéraux avaient demandé des mesures plus brutales encore).

Ainsi la décision d'un grand nombre d'électeurs irrésolus a été largement influencée par la personnalisation des campagnes (Gerhard Schröder contre Angela Merkel) et sur ce terrain le chancelier social-démocrate sortant était mieux placé.

Par ailleurs, les sociaux-démocrates ont réussi à regagner une partie significative de leur électorat ouvrier traditionnel, en particulier dans la région industrielle de la Rhénanie-Westphalie, où ils avaient perdu beaucoup de voix lors de l'élection régionale de mai 2005. Les chrétiens-démocrates ont ainsi payé très cher l'erreur d'annoncer au cours de leur campagne électorale une réforme très impopulaire des impôts et l'augmentation de la TVA. Ayant peur de nouvelles mesures d'austérité cette fraction de l'électorat a bien voulu croire les mensonges du gouvernement Schröder qui prétendait lui faire éviter cela.

De plus les chrétiens-démocrates ont perdu beaucoup d'électeurs au profit du FDP, car ceux qui étaient favorables à une politique néolibérale plus brutale ont choisi le FDP pour éviter une possible coalition entre les deux grands partis.

Finalement, si aucun des deux blocs n'a obtenu la majorité, chacun a prétendu être le gagnant tout en perdant beaucoup de voix… Et le résultat le plus probable sera une coalition gouvernementale entre les chrétiens-démocrates et les sociaux-démocrates, car les libéraux du FDP ont annoncé leur ferme refus de gouverner avec le SPD. Même si une coalition dite " noire-jaune-verte » (CDU/CSU-FDP-Grünen) est arithmétiquement possible, c'est une formule gouvernementale de " grande coalition » (CDU/CSU-SPD), qui est la plus probable.

En attendant nous assistons à une mise en scène et aux enchères qui précèdent les négociations pour la formation du gouvernement. Mais la forme de la future coalition n'aura qu'une importance secondaire, car les partis qui la constitueront ne divergent pas sur l'essentiel de l'orientation politique générale.

Le gagnant…

Le véritable gagnant de ces élections c'est le nouveau parti de gauche — qui n'est pas encore constitué en réalité. Du fait de la législation allemande il n'était pas possible que la WASG (Alternative électorale pour la justice sociale, le nouveau parti fondé surtout en Allemagne de l'Ouest par des dirigeants syndicaux et des sociaux-démocrates en rupture du SPD) et le PDS (filiation de l'ex-parti dominant de l'Allemagne de l'Est) forment une liste commune. De même l'unification des deux partis avant les élections n'était pas possible faute de temps. Ainsi un accord a été trouvé : le PDS a changé son nom, devenant " Die Linke PDS » (La Gauche PDS) et a ouvert ses listes aux candidatures de la WASG. Cette tactique fut couronnée de succès : à l'échelle nationale il a obtenu 8,7 % des suffrages exprimés (alors qu'en 2002 le PDS n'avait que 4 %).

La majorité de ces suffrages provient de la classe ouvrière. Selon une analyse sérieuse réalisée après les élections, 12 % des ouvriers et 25 % des chômeurs ont voté en faveur de Die Linke — autrement dit environ un million de voix sur les quatre millions collectées par le nouveau parti provient des rangs des chômeurs.

Entre l'ancienne R.D.A. et l'ancienne R.F.A. une différence très grande subsiste cependant. A l'Est les résultats de Die Linke oscillent entre 23 % et 27 ë des suffrages, alors qu'à l'Ouest ils varient entre 3,5 % et 7,9 %, avec une concentration dans les grandes villes et les régions industrielles. Mais en comparaison aux résultats du PDS de 2002, c'est une croissance qui dépasse les 100 % dans certaines régions.

Généralement il s'agit de votes de rejet du néolibéralisme — mais pas de votes en faveur du socialisme. Die Linke PDS a fait une campagne centrée contre les mesures néolibérales, contre la participation de l'armée allemande dans les conflits en Afghanistan et en ex-Yougoslavie et en faveur d'une réforme des impôts alternative. Oskar Lafontaine, ex-président du SPD, candidat social-démocrate au poste de chancelier dans les années 1990, qui a rejoint la WASG et a été élu maintenant au Bundestag, représente une orientation pour l'essentielle néo-keynesienne. Et sa présence sur les listes de Die Linke est sans aucun doute une des raisons de la percée du nouveau parti en Allemagne de l'Ouest.

Perspectives

C'est la première fois depuis les années 1950 que nous aurons au Parlement une véritable opposition de gauche. Pour le moment il n'y a pas de danger que les principaux dirigeants du PDS (qui, dans certaines régions gouverne déjà en coalition avec le SPD) aient l'occasion d'entrer dans le gouvernement fédéral. Les membres du PDS continuent à être traités comme des lépreux. Personne ne leur parle et ils sont ouvertement et unanimement traités par les autres partis en tant que " non démocrates ». Mais la présence de cette force ouvre un espace pour un débat public sur les perspectives de société, une discussion qui a été oubliée au cours des vingt dernières années.

Au cours de leur première conférence de presse, les dirigeants de la WASG et du PDS ont annoncé que le processus d'unification des deux partis prendra entre un et deux ans. Il s'agira là du processus le plus important pour toute la gauche allemande. De son déroulement va dépendre si la nouvelle formation politique sera simplement une renaissance de la " bonne vieille social-démocratie » (ce qui est apparemment la ligne des ailes droites autour de Lafontaine au sein de la WASG et de Bisky et Gysi dans le PDS), ou bien si nous verrons la naissance d'un parti socialiste pluraliste, qui travaille en vue d'un modèle de société alternatif et qui est engagé dans les luttes extraparlementaires qui vont certainement se développer au cours des prochaines années, en réponse à la poursuite de la déréglementation. Ce sera une tâche de la gauche radicale au sein du nouveau parti de gauche de le lier aux mouvements sociaux et de lutter dans ce processus d'unification pour un programme capable d'ouvrir des portes d'un avenir meilleur.

notes
1. On trouvera une présentation plus détaillée des résultats des élections du 18 septembre 2005 dans l'article de Manuel Kellner.

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