Cet article a été publié par le quotidien polonais Gazeta Wyborcza le 19 novembre 2025 Sa traduction en polonais. Il relate la situation dans l’usine Valéo de Chrzanów, près de Cracovie à le veille de la grève qui y débutera jeudi 20 novembre 2025, décidée par 90% du personnel.
« Je tourne en rond à la maison et je me demande quoi vendre pour pouvoir acheter du pain », nous confie une employée de l’usine Valeo de Chrzanów, géant français de l’automobile. D’autres parlent d’humiliation, de puanteur et d’angoisse. Une grève générale est prévue jeudi. « Nous n’avons plus rien à perdre », déclarent les ouvriers. Les usines de Chrzanów, Trzebinia et Mysłowice seront à l’arrêt.
« Après huit ans de travail, je gagne cent zlotys [23,60€] de plus que le salaire minimum », explique Anita. Ce nom a été changé, car cette femme, comme nos autres interlocuteurs, a demandé à rester anonyme. « Chez nous, les employés sont punis s’ils disent la vérité », explique-t-elle avant d’ajouter : « Les gens sont épuisés mentalement. Une de mes amies n’a pas supporté la pression et s’est retrouvée dans un service fermé à l’hôpital, elle souffrait déjà d’anxiété auparavant. »
Valeo est l’un des plus grands employeurs du secteur automobile dans notre pays. Il emploie au total près de 7 500 personnes dans plusieurs usines polonaises. La plus grande usine Valeo en Pologne est l’usine de production de systèmes d’éclairage située à Chrzanów, dans la région de Petite-Pologne, qui a été mise en service en 2004. Elle produit notamment des feux arrière et avant pour les voitures particulières. Plus de 2 500 personnes travaillent dans l’usine de Chrzanów et ont annoncé une grève générale pour le jeudi 20 novembre. Ils ont l’intention d’arrêter les machines.
À Valeo, les gens s’évanouissent sur les machines
Anita travaille comme opératrice de production. Pendant une journée de travail de huit heures, elle a droit à une pause d’une demi-heure, et le reste du temps, elle débout, à la machine. « Tu n’arrives même pas à t’asseoir, et les managers ne cessent de nous presser. » On entend toujours : « plus vite, plus vite » et le mot magique « la norme », dit Anita.
Les employés nous parlent de l’une des managers qui a apporté une table et une chaise dans le hall et s’est assise toute la journée à regarder les ouvriers travailler, en comptant leur temps. « C’était humiliant pour nous », admettent-ils. Paweł [Paul], un salarié avec sept ans d’expérience, admet que le pire c’est en été, lorsqu’il fait plus de 30 degrés dans la halle. Théoriquement, les employés ont alors droit à une pause de récupération supplémentaire de 10 minutes. « En pratique, les syndicalistes courent dans la salle avec un thermomètre pour prouver qu’il fait chaud. Nous devons constamment demander une pause. Les gens s’évanouissent sur le machines », dit Paweł.
« La halle devient agréablement fraiche lorsqu’un client entre pour un audit. Alors, la climatisation fonctionne à plein régime. Mais c’est juste une façon de frimer, de repeindre l’herbe en vert », dit ironiquement Anita.
Le travail dans la puanteur et les infiltrations 90% du personnelqui vous ruissellent sur la tête
Les salariés parlent également de l’odeur insupportable des produits chimiques qu’ils doivent inhaler toute la journée et qui leur donne mal à la tête.
« Les dispositifs d’extraction et d’aération sont hors service depuis de nombreux mois dans la halle », explique Katarzyna Jamróz, présidente du syndicat WZZ Sierpień 80 [Syndicat libre Août ‘80] à Valeo, Chrzanów. L’inspection sanitaire a ordonné leur réparation en donnant à l’entreprise jusqu’à la fin du mois de février de cette année. Ils ont fait appel auprès de l’inspecteur provincial et ce dernier a confirmé la décision de première instance. Cependant, au lieu de réparer, l’entreprise a fait appel de la décision auprès du tribunal administratif.
Halina (à Valeo depuis huit ans) : « Quand il pleut, ça nous coule sur la tête parce que le toit fuit. Nous rigolons que nous ne devons même pas quitter le poste de travail pour savoir quel temps il fait… Mais ce n’est pas drôle parce des machines électriques sont en marche partout. Nous l’avons signalé, mais apparemment il n’y a pas d’argent pour refaire le toit. Et des outils de base pour le travail manquent, même des vis. »
Des salaires de famine à Valeo
Halina raconte qu’elle a travaillé chez Valeo il y a des années puis en est partie… Mais est rapidement elle a dû y revenir la tête basse.
« Il n’y a pas de travail dans la région. Si quelqu’un n’a pas de diplôme ou de relations, il ne trouvera pas d’emploi, et je n’ai pas de voiture pour accéder ailleurs », dit Halina. Elle est divorcée, et un salaire de famine devra lui suffire. « C’est à peine suffisant du 10 au 10 chaque mois. Parfois, je dois emprunter à mon père », admet la femme.
Paweł emprunte aussi constamment de l’argent. « J’ai deux enfants à charge, et il est difficile de survivre avec le salaire minimum », dit-il. Des primes ? « Il y en a, mais elles sont plus faciles à perdre qu’à obtenir. Nous sommes punis pour les plus petites infractions, souvent pour n’importe quoi. Par exemple, pour être venu au travail en portant un T-shirt sans le logo de Valeo », dit Mariusz.
« Première lutte d’importance à Valeo »
L’homme a l’intention de rejoindre la protestation jeudi. « J’ai peur d’être licencié, mais je n’ai pas d’autre choix que de me battre pour moi-même, pour ma famille », dit-il. Anita a également l’intention de faire grève : « Je viendrai au travail, je tamponnerai ma carte, mais je ne ferais pas mes tâches » previent-elle et elle ajoute : « Je n’ai plus rien à perdre, tout au plus vais-je devoir chercher un autre emploi. C’est le moment de lutter, il n’y en aura pas d’autre. »
Anita appelle la grève prévue pour jeudi « la première lutte d’importance à Valeo ». Cependant, elle craint que certaines personnes pourraient ne pas lutter.
« Nous entendons déjà que l’employeur essaie de soudoyer un groupe d’employés en offrant 200 pour cent de leur salaire pour ce jeudi. J’espère qu’ils ne se laisseront pas prendre par cela et agiront avec la classe. Ils doivent comprendre que peut-être un jour ils auront un salaire plus élevé mais qu’ensuite la même pauvreté continuera » – dit Anita.
Grève d’avertissement de deux heures
Les 12, 13 et 14 novembre, dans les usines de Chrzanów, Trzebinia et Mysłowice, les salariés ont quitté leur poste de travail pendant deux heures. La grève d’avertissement a été organisée par le syndicat WZZ Sierpień 80.
Au total, environ 1 000 personnes ont participé à cette grève. Et devant la porte de l’usine de Chrzanów des militants syndicaux de toute la Pologne se sont rassemblés. Entre autres, des mineurs de Silésie et une équipe de l’entreprise Jeremias de Gniezno. En juillet de cette année, après une grève de 41 jours, les salariés de cette dernière ont obtenu des augmentations de salaire et amélioré leurs conditions de travail.
Piotr Ikonowicz, un activiste social bien connu, est également venu à Chrzanów apporter son soutien. « C’est un scandale, on ne peut pas survivre avec ça » a-t-il dit en faisant référence aux bas salaires versés aux employés du géant français. Ils dépassent rarement le salaire minimum polonais, qui est actuellement d’un peu plus de 3 500 zlotys net [830€].
Les grévistes exigent des augmentations de salaire et une amélioration des conditions de travail
« Nous avons donné à l’employeur jusqu’au 19 novembre pour commencer les discussions. Si elles n’ont pas lieu, une grève générale commencera le jeudi 20 novembre » – annonce Katarzyna Jamróz. Plus de 90 % des travailleurs/euses de Valeo qui ont participé au référendum sur la grève ont voté en sa faveur.
Les grévistes demandent :
• augmentation de salaire de base de 1 000 zlotys [236€],
• une allocation pour stage,
• augmentation du montant de l’indemnité pour le travail dans le système dit de 4 brigades [24h sur 24 et 7 jours sur 7], de 280 zlotys [66€] à 600 zlotys [1421€],
• amélioration les conditions de travail,
• avantages dont bénéficient les salariés des autres usines Valeo (transport jusqu’à l’usine, réduction sur les repas),
• le respect des salariés.
Qu’en dit l’employeur ? « Il insiste sur sa position, affirmant qu’il a déjà signé un accord salarial cette année et qu’il n’y aura plus d’augmentations de salaire » dit Katarzyna Jamróz à Gazeta Wyborcza. Et elle explique que l’accord a été signé avec le syndicat Solidarność local, que les gens ont reçu une augmentation de 366 zlotys [86,60€], mais qu’après des protestations du personnel, Solidarność a résilié l’accord.
Valeo assure qu’il respecte les salariés
« Chez Valeo, nous nous efforçons de créer des emplois basés sur l’éthique, la transparence, l’autonomie, le professionnalisme et le travail d’équipe », déclare l’entreprise sur son site internet.
Elle assure que les employés et leur bien-être sont la base de son activité. Plus loin il est questions du respect, des valeurs et du développement.
« Lors de l’une des réunions, le président du conseil d’administration, Michał Odyniec, a explicitement déclaré qu’il attirerait des employés d’Afrique et d’Asie qui accepteraient de travailler au salaire minimum », affirme Katarzyna Jamróz.
Il est impossible d’entrer en contact avec Valeo. Il n’y a pas de numéro de téléphone sur le site web. Il n’y a qu’un formulaire de contact pour les médias, que nous n’avons pas pu envoyer efficacement tout au long de la journée. Nous avons appelé la hotline. Après avoir attendu quelques minutes, la consultante nous a donné le numéro de téléphone de la succursale de Chrzanów. Cependant, il s’est avéré que ce numéro n’existait pas.
L’entreprise a publié une déclaration, signée par Maria Langier, directrice des ressources humaines de Valeo Polska : « Suite aux récents événements autour du référendum sur la grève et de la grève organisée par le syndicat Sierpień ‘80, Valeo souhaite souligner avec force son engagement en faveur de la loi et du respect des droits des travailleurs.
« Malgré la situation difficile dans le secteur automobile, à l’usine de Chrzanów, comme dans toutes les usines Valeo en Pologne, des augmentations salariales ont eu lieu en 2025.
«Valeo opère en pleine conformité avec toutes les dispositions légales applicables. Elle se conforme constamment au Code du travail et aux règlements internes, ce qui prouve qu’elle est une entreprise socialement responsable qui respecte profondément les droits des travailleurs.
« La priorité absolue de Valeo est la sécurité des employés et la continuité des opérations. Nous sommes responsables d’assurer la sécurité de l’approvisionnement pour nos clients, et nous prenons toutes les décisions en gardant à l’esprit la stabilité et l’avenir de l’usine. »
Le 19 novembre 2025
Cet article, traduit du polonais pour le blog NPAA-auto-critique, a été publié par le quotidien polonais Gazeta.