D’abord, elles et ils ont éloignés des machines. Ont accroché sur la porte de l’usine un drap avec une grande inscription : « Pour un salaire décent » et ont commencé une grève illimitée. Après deux jours, elles et ils ont bloqué les routes d’accès à l’entreprise. L'entreprise s’est arrêtée. Ce n’est qu’alors que le maire, le staroste [équivalent du sous-préfet] et le voivode [équivalent du préfet]sont entrés dans la partie. Le résultat : il y aura des augmentations de salaire.
« Nous retournons aux postes du travail » – ont annoncé les syndicalistes de WZZ Sierpień'80 Valeo Chrzanów. C’était lundi soir, le 24 novembre 2025. Leur grève – la première de l’histoire de la ville – a duré cinq jours. Et elle s’est terminée par un « cessez-le-feu ». Les syndicalistes passent à la table de négociations menées sous la supervision du voïvode de Małopolska [Petite Pologne]. Ces discussions doivent s'achever au plus tard le 23 décembre.
Deux mille cinq cents personnes travaillant pour l’entreprise française Valeo vont attendre un mois pour savoir si 2026 sera la première année où l’augmentation ne sera pas seulement le résultat d’une augmentation du salaire minimum, et s'ils recevront plus de 3 500 PLN nets pour un mois de travail. Tout d’abord, l’entreprise s’est engagée à verser mille zlotys dans le cadre d’un bon de Noël.
Ils ont mis des drapeaux rouges et blancs et ont retroussé leurs manches
Valeo fabrique des pièces automobiles. Il possède une douzaine d’usines en Pologne. À Skawina, elle produit des systèmes de refroidissement et des essuie-glaces, à Czechowice-Dziedzice, elle produit des démarreurs et des systèmes de tension pour les voitures électriques, à Varsovie, elle possède une usine distribuant des pièces automobiles dans toute l’Europe centrale et orientale, et à Chrzanów, elle produit des lampes. Sur le site web de Valeo, on peut lire que la succursale de Chrzanów est la plus jeune et « la plus grande usine de Valeo en Pologne, employant plus de 2500 personnes ». Chaque jour 1 500 d’entre eux travaillent sur des machines.
Et c’est là que jeudi 20 novembre une grève illimitée a éclaté. À partir de six heures du matin, c’est-à-dire le soi-disant quart de travail « A », les travailleurs de Chrzanów et de Trzebinia, situés à trois kilomètres de là, ont quitté les machines, sont sortis des usines et ont exigé ainsi des salaires décents. C’était notre dernier recours – raconte à OKO.pressKatarzyna Jamróz du Syndicat libre "Août '80" [WZZ Sierpień '80]. « En janvier, nous sommes entrés dans un conflit collectif. Rien. Entre le 12 et le 14 novembre, nous avons quitté les machines pendant deux heures sur tous les quarts. C’était notre protestation, notre grève. Nous voulions montrer à la direction que nous étions déterminés à nous battre et qu’ils ne se débarrasseraient pas de nous aussi facilement. Encore rien » – rapporte la présidente du syndicat. Alors les syndicalistes ont organisé un référendum. Ils ont demandé dans les usines si les salariés voulaient faire grève. « 98,55 % des électrices et électeurs ont dit "oui". Il était temps » – ajoute-t-elle.
Le portefeuille est vide dès le 15 du mois
« Tout est venu de la pauvreté, de la pauvreté économique » – Zbigniew Smykla du syndicat Kontra, qui regroupe entre autres les mineurs ayant soutenu les grévistes, baisse les bras. « Le coût de la vie augmente, l’inflation fait des ravages. Personne ne cherche le luxe ici. C’est une lutte pour le pain. Et le deuxième problème, ce sont les conditions de travail. Ça va mal chez Valeo depuis des années. Ici beaucoup ne survivent pas à la période d’essai, quittent le travail parce qu’elles sont traitées comme des esclaves, comme des humains de la catégorie inférieure. Et ceux qui ont serré les dents et sont restés se détruisent de l’intérieur. Les plus faibles pleurent, les apparemment plus durs répriment tout en eux-mêmes. Et une telle rage, une telle colère engendre la violence ».
Katarzyna Jamróz (Août '80) : « Quand il y a un an nous avons enfin reçu en tant que syndicat la liste des montants des salaires, on a été sous le choc. En fait, tout le monde qui travaille sur une machine touche le salaire minimum. Ou deux ou trois cents zlotys de plus. Et pourtant on parle de personnes qui travaillent ici depuis dix ou douze ans ! Ce salaire est une blague. Il peut suffire à un étudiant vivant avec ses parents qui n’a pas à payer les factures ou à acheter de la nourriture. Mais pas à quelqu’un vivant déjà seul, ayant une famille, des enfants…
« À Valeo, les gens se battaient pour des heures supplémentaires. Tout le monde voulait gagner de l’argent supplémentaire parce que le qquinze du mois le portefeuille devenait vide. Ils en avaient assez. Dans leurs têtes, ils se demandaient s’ils devaient acheter les chaussures pour enfants pour l’hiver ou laisser l’argent pour du bois de chauffage. Et sur Facebook ils ont regardé leurs patrons partir en vacances pour la deuxième fois le même mois. Une fois à l’étranger, une autre, quelque part en Pologne » – nous dit la syndicaliste.
La lutte pour mille zlotys
Le jeudi 20 novembre, l’équipe du matin, comme d’habitude, est arrivée au travail, a estampillé ses cartes de travail et... est sortie devant l’usine de Chrzanów. Ceux qui avaient déjà terminé leur quart de travail ou devaient commencer dans huit heures l’ ont rapidement rejointe. Ensemble, ils ont accroché des drapeaux blancs et rouges sur la porte. Ils ont étalé un grand drap avec l’inscription « Pour un salaire décent ». Il ne restait que quelques personnes sur la chaîne de production.
Katarzyna Jamróz : « C’était un acte de courage. Constamment on nous faisait peur que l’entreprise n’avait pas d’argent. Que si l’usine s'arrête, aucune de nous n’aura de travail. Que Valeo fermera ses usines en Pologne et déménagera en Roumanie. Je l’ai perçu comme un chantage : est-il préférable d’avoir un emploi, même faiblement rémunéré, ou de ne pas en avoir du tout ? »
Les grévistes ont trois revendications :
• mille de zlotys d'augmentation,
• instauration d’une prime d'ancienneté,
• augmentations de la prime pour le travail dans le système à quatre brigades. Aujourd’hui, c’est 280 zlotys, les grévistes veulent 600 zlotus brut.
Les grévistes de Chrzanów ont reçu le soutien des syndicalistes de Valeo de France. Ils ont écrit : « Votre lutte met en lumière l’exploitation systémique dont le monde du travail est victime dans le groupe Valeo. Et ce malgré des résultats financiers solides. Le Groupe Valeo continue d’obtenir d’excellents résultats, générés par le travail et l’engagement de tous ses salariés, y compris vous [...] Les menaces et le chantage à la délocalisation vers des pays où les coûts de main-d’œuvre sont faibles sont un scandale social et humain que nous ne pouvons tolérer ».
Tout le monde se réchauffe dans la lueur des manifestants. Même Braun
La grève s’est poursuivie jeudi et vendredi. La neige est tombée, la température est descendue en dessous de zéro. Les habitants de Chrzanów ont apporté des couvertures. Un « petit café » a été installé à un arrêt de bus à proximité où ils ont servi du café et du thé gratuits. Le maire de Trzebinia a apporté des fours à coke et a appelé la direction de Valeo pour qu'elle négocie. Il a amené de la soupe. Et les gens dans leur tête comptaient de combien de zlotys leur salaire serait inférieur, parce qu’il n’y a pas de paiement pour les jours de grève. Ils ont lancé une collecte de fonds en ligne. Ils ont collecté 43 000 zlotys.
Là, ils ont écrit : « Une proportion importante des travailleurs de la production, y compris ceux avec de nombreuses années – même 10 ans – d’expérience, reçoivent des salaires légèrement supérieurs au niveau minimum national. Ces salaires ne suffisent pas à tenir au-delà du 10 de chaque mois. On commence alors à manquer d’argent. Nous devons chercher un boulot supplémentaire ! L’entreprise n’a pas de prime d’ancienneté, souvent les primes mensuelles ne sont pas payées en totalité et le système des sanctions disciplinaires est utilisé de manière qui suscite des controverses. Il y a une externalisation accrue du travail vers la soi-disant main-d’œuvre bon marché d’Afrique et d’Asie, ce qui, selon nous, est une tentative de réduire définitivement les normes salariales dans l’usine et de faire travailler pour le proverbial BOL DE RIZ !!! À la fin de l’année, pour avoir atteint les objectifs, le management avait de l’argent pour ses primes élevées, mais pas pour nous ! »
« Nous avons quitté les chaines et l’entreprise a commencé à faire venir des employés de bureau chez nous. D’autres succursales, par exemple de Skawina. Alors, quel genre de grève est-ce lorsque vous remplacez certains salariés par d’autres ? » – dit à OKO.press Katarzyna Jamróz. Donc, les grévistes ont commencé à bloquer l’entrée de l’entreprise. Ils ont arrêté la chaîne d’approvisionnement.
Depuis des mois, le parti Razem ["Ensemble", un parti de gauche] soutient les travailleurs de Valeo qui écrivent des lettres et négocient avec leur employeur. Cependant, de nombreux autres politiciens sont venus dans « la ville de Valeo », comme les grévistes eux-mêmes nomment le site de lutte. Ils ont enregistré un direct, crié dans le microphone. Grzegorz Braun [extrême droite] est venu à Chrzanów pendant quinze minutes, considérant la grève comme un scandale international et souhaitant aux travailleurs qu’ils puissent élever leurs enfants en polonais et en tant que Polonais. Et pour qu’ils se sentent polonais en Pologne. Cependant, le conseil d’administration de Valeo à Chrzanów est polonais. Et comme le dit Katarzyna Jamróz : « Ici, ce sont les Polonais qui préparent un tel destin aux Polonais ».
Convocation du voïevode [préfet]
Pendant le week-end, les employés de Valeo ont bloqué le passage piéton. Ils ont continué à bloquer l'entrée de l'usine. Le samedi 22 novembre, le président du conseil d'administration, Michał Odyniec, a adressé un message aux employés, leur indiquant que si la grève ne prenait pas fin, Valeo serait contraint de licencier. Il a également ajouté que les grévistes seraient tenus responsables.
« L'employeur n'aura d'autre choix que de réduire ses effectifs, de porter plainte auprès du parquet contre toute personne bloquant l'usine, de licencier les participants au blocage pour motif disciplinaire et de poursuivre chaque participant en dommages-intérêts. Les syndicats ne protégeront personne contre cela. »
Lorsque, lundi, la plupart des employés ne se sont à nouveau pas présentés à leur chaîne de production et que les camions transportant le matériel de Valeo n'ont pas pu entrer ni sortir, les gens ont commencé à perdre patience. Des altercations et des insultes ont éclaté entre les grévistes et ceux qui venaient consciencieusement travailler. Entre les salariés et leurs supérieurs, les cadres dirigeants.
Le voïvode de Petite-Pologne, Krzysztof Klęczar (PSL), a alors convoqué à Cracovie les syndicalistes et les représentants de l'entreprise. En urgence. Pendant quatre heures, derrière des portes closes, les parties en conflit ont discuté avec le préfet, le maire de Chrzanów, le député Jerzy Meysztowicz (Coalition civique) et le vice-voïevode Ryszard Śmiałek (Gauche).
Ils ont convenu que les employés reprendraient le travail et que, à partir du 8 décembre, en présence des représentants locaux, ils reprendraient les négociations, qui devront aboutir avant le 23 décembre. Valeo a promis une prime de Noël de mille zlotys, versée au plus tard le 10 décembre. L'entreprise a également déclaré officiellement qu'elle ne poursuivrait ni les syndicalistes ni les grévistes. Il n'y aura pas de poursuites judiciaires, de sanctions financières ou disciplinaires. Valeo a également accepté de créer une équipe sociale qui supervisera le respect des règles de santé et de sécurité et du droit du travail dans l'entreprise. Cette équipe devra rendre compte chaque mois au gouverneur régional si Valeo enfreint ces droits.
Travailleurs : nous partons pour la France
Nous avons interrogé la société Valeo au sujet de la grève. Nous voulions savoir si elle était prête à verser les augmentations salariales et combien elle avait perdu à cause de la grève. En réponse, elle nous a envoyé une déclaration confirmant que le blocage de l'entrée du site de Chrzanów avait pris fin.
« L'accord signé signifie le rétablissement immédiat de la libre circulation à l'intérieur et à l'extérieur du site de Chrzanów, ce qui permettra la reprise complète des activités opérationnelles. Les accords conclus ne mettent pas fin à la grève. Ils créent toutefois les conditions nécessaires à la poursuite d'un dialogue constructif, et de nouvelles discussions doivent avoir lieu dans les semaines à venir », peut-on lire dans le communiqué.
« L'objectif de Valeo reste de trouver des solutions qui seront avantageuses pour le personnel tout en garantissant le fonctionnement stable et l'avenir de l'usine de Chrzanów. »
Les grévistes n'ont toutefois pas l'intention de déposer les armes. Mercredi 26 novembre, ils se rendront au siège parisien de la société Valeo où ils comptent dénoncer les conditions de travail en Pologne. Ils ont déjà obtenu le soutien des syndicats locaux.