La lutte continue en Inde contre l’offensive génocidaire d’Israël

par Achin Vanaik

L’assassinat d’Ismaël Haniyeh ne fait que confirmer qu’Israël n’a aucun intérêt à mettre fin à son entreprise génocidaire et terroriste contre les habitant·es de Gaza en particulier et des Palestinien·nes en général. Plus de 500 Palestinien·nes ont été tué·es en Cisjordanie alors que les colons illégaux, soutenus par l’armée et la police israéliennes, ont étendu leur emprise sur un territoire de plus en plus vaste.

Il devrait être clair comme de l’eau de roche que cette offensive meurtrière d’Israël contre Gaza n’est pas une réaction « déséquilibrée » ou « disproportionnée » à l’attaque du Hamas du 7 octobre 2023, ainsi que les apologistes libéraux et de droite de l’Israël sioniste, qu’ils soient occidentaux ou indiens, ont tenté de le faire croire. Cette action du Hamas a constitué le prétexte très attendu à Tel-Aviv pour mettre en œuvre ses propres ambitions anciennes visant à donner à Israël le statut de seul État d’apartheid colonial encore en place dans le monde, une situation incontestable mais pourtant discrètement tolérée.

Toutefois, Israël ne peut pas faire ce que certains États coloniaux plus anciens ont fait dans le Nouveau Monde, c’est-à-dire éradiquer physiquement la population indigène jusqu’à ce que sa présence sur le territoire colonisé et sa capacité de résistance deviennent insignifiantes. Ce que souhaitaient les Israéliens dans cette guerre barbare, c’était d’atteindre cet objectif, au moins à Gaza, car il est beaucoup plus difficile d’y parvenir, même à long terme, en Cisjordanie. Il faut donc tuer massivement à Gaza, y compris des enfants et des femmes, de sorte que les capacités de reproduction future soient considérablement réduites. D’ores et déjà, si l’on compte le nombre de tué·es, de blessé·es et de disparu·es, dont la plupart sont mort·es car enseveli·es sous les décombres, on atteint un total de plus de 8 % de la population de Gaza. En Inde, le chiffre équivalent serait de plus de 100 millions de morts et de blessés ! Le deuxième volet de ce projet de nettoyage ethnique consiste à expulser le plus grand nombre possible de Gazaouis vers les pays voisins et ailleurs en stimulant impitoyablement les « évacuations humanitaires », puis en empêchant, comme lors de la Nakba de 1948, tout retour futur des personnes déplacées.

Le refus de l’Égypte d’ouvrir la frontière de Rafah et celui des habitants de Gaza de se tourner vers une évacuation à l’échelle souhaitée par Israël signifient que ce dernier et les États-Unis auront encore à organiser une forme de sortie de crise avantageuse une fois que cette « seconde Nakba » aura pris fin. Nous ne pouvons pas encore dire quand cela se produira. Les dirigeants du Hamas ont été échaudés précédemment, lorsqu’un cessez-le-feu temporaire et une restitution partielle des otages n’ont pas permis de créer une dynamique de paix. Sans surprise, le Hamas veut maintenant un cessez-le-feu permanent garanti par la communauté internationale. Seuls les États-Unis peuvent le garantir, mais ils ont jusqu’à présent permis à Israël de poursuivre sa campagne génocidaire. Malgré la récente attaque israélienne visant Beyrouth et le tir qui a frappé Haniyeh en violation de la souveraineté iranienne, ni le Liban, ni le Hezbollah, ni l’Iran ne semblent disposés à pousser sérieusement le conflit militaire au-delà des seuils déjà atteints.

Pour ce qui est d’un programme d’après-guerre pour Gaza, il n’est pas difficile d’en anticiper les caractéristiques essentielles. Premièrement, Israël prendra, au nom de la sécurité, le contrôle armé direct d’une grande partie du territoire de Gaza, ce qui rendra son caractère de camp de prisonniers encore plus terrible puisqu’il sera plus concentré et beaucoup plus densément peuplé. Deuxièmement, la nouvelle structure de gouvernement aura pour rôle de faciliter la normalisation des relations entre Israël et ses voisins arabes, en particulier, mais pas seulement, l’Arabie saoudite (AS). Compte tenu de leurs grandes ambitions régionales, c’est ce que souhaitent les États-Unis, plus encore que l’actuel gouvernement israélien. L’idée américaine serait d’avoir une autorité dirigeante qui inclurait une représentation de certains régimes voisins (les Émirats arabes unis sont certainement ouverts à une telle participation), mais qui nécessiterait également la feuille de vigne d’une représentation palestinienne, à l’exclusion du Hamas. Cette représentation pourrait être assurée par une Autorité palestinienne (AP) dirigée par Abbas. Si c’est l’UE qui fournit le plus gros volume de fonds à l’AP, ce sont les États-Unis qui sont le principal bailleur de fonds de l’appareil de sécurité de l’AP et des dizaines de milliers de familles en Cisjordanie qui dépendent de ces rentrées d’argent. C’est ce qui permet au président Mahmoud Abbas et au Fatah d’être la force dominante en Cisjordanie, malgré son impopularité profonde et croissante, étant donné son rôle de fidèle sous-traitant de l’occupation israélienne de la Cisjordanie.

L’accord conclu par l’intermédiaire de la Chine

Les États-Unis sont troublés par la percée politique de la Chine dans la région, mais y demeurent la puissance extérieure dominante. Pékin a certes facilité la détente des relations entre l’Arabie saoudite et l’Iran, mais la concurrence que l’Arabie saoudite et de nombreux États du Golfe livrent à l’Iran pour l’influence régionale reste un foyer de tension persistant et ces États se sont toujours beaucoup plus appuyés sur les États-Unis pour faire contrepoids à l’Iran. De même, il ne faut pas accorder trop d’importance à l’accord obtenu par le biais de la Chine pour rapprocher le Hamas et le Fatah et pour que le Hamas et 14 autres factions (y compris l’Initiative nationale palestinienne de Mustafa Barghouti et le Jihad islamique) rejoignent l’OLP, le principal organe représentatif des Palestiniens partout dans le monde. Il en est ressorti un accord visant à établir un gouvernement d’unité nationale afin d’empêcher Israël de contrôler totalement la bande de Gaza à l’avenir ; une direction unifiée avant les élections promises à l’AP (les dernières ont eu lieu en 2006), actuellement dominée par le Fatah et Abbas. Mais il ne s’agit là que d’une énième tentative de rapprochement parmi une série de tentatives avortées, dont celle de la Russie en février de cette année.

La déclaration d’accord est essentiellement une déclaration d’intention. Elle ne comporte aucun calendrier pour la mise en œuvre des mesures proposées et aucun mécanisme de mise en œuvre n’a été défini. De fait, son application a été subordonnée à la signature d’un décret par le président Abbas, qui n’était pas à la tête du groupe de négociateurs du Fatah. Abbas a toujours été plus préoccupé par le maintien de sa position dominante en Cisjordanie et, ensuite, si possible, par l’extension de son pouvoir à Gaza, ce qui dépend à son tour du maintien de la coordination de la sécurité avec Israël et de son acceptation par les États-Unis. L’AP, et plus encore Abbas, sont profondément et de plus en plus impopulaires parmi les Palestiniens des territoires occupés, contrairement au Hamas qui, malgré ses perspectives socio-culturelles et son programme réactionnaires, est perçu comme une force de résistance à Israël plus digne de ce nom. Alors que le Fatah et le Hamas partagent une préoccupation commune, à savoir fermer la porte à tout acteur arabe non palestinien, tel que les Émirats arabes unis, afin qu’il ne soit pas intégré dans la structure gouvernementale des territoires occupés ; d’où cet accord. Pour Abbas, la motivation la plus importante était de renforcer sa popularité et celle de l’Autorité palestinienne, dominée par le Fatah, qui est en chute libre. Dans un récent sondage réalisé en mai-juin dans les territoires occupés par le Palestinian Center for Policy and Survey Research, 89 % des personnes interrogées souhaitaient la démission d’Abbas et plus de 60 % voulaient la dissolution de l’AP et qu’il soit mis fin à son rôle de sous-traitant répressif et corrompu.

Que peuvent retirer les autres parties de cet accord dont les chances de mise en œuvre satisfaisante ou significative sont si faibles ? Le Hamas obtient une reconnaissance internationale en tant qu’entité ayant un droit de participation légitime aux initiatives futures visant à « résoudre » la question palestinienne. La Chine, qui ne cesse de parler d’une solution à deux États – la position diplomatique habituelle de tant de gouvernements pour dissimuler leur refus de prendre des mesures de sanctions matérielles qui pourraient réellement nuire à Israël – bénéficie désormais d’une plus grande ouverture géopolitique dans la région. Cela peut favoriser son programme de « Route de la soie », améliorer sa position auprès des pays dont elle a besoin pour ses importations de pétrole, et lui permettre de renforcer sa puissance de projection, ce qui est susceptible de contrarier les États-Unis. Par ailleurs, la Chine reste le deuxième pays qui importe le plus d’Israël (les États-Unis sont les premiers) et le premier pays qui exporte le plus vers Israël (les États-Unis sont les deuxièmes). Voilà pour les espoirs de voir la Chine prendre des sanctions sérieuses, et a fortiori préjudiciables, à l’encontre d’Israël.

Principaux enseignements

Deux leçons essentielles devraient maintenant se dégager. Premièrement, peu, voire aucun des gouvernements des principaux pays ne se préoccupe sérieusement des souffrances, présentes et passées, du peuple palestinien. Ce qui est en général et systématiquement prioritaire, c’est la manière dont ils peuvent gérer au mieux leurs relations avec Israël, l’État sioniste d’apartheid, dans leur souci respectif de l’« intérêt national ». Ces pays incluent l’Inde, dont les relations actuelles avec Israël seront évoquées plus loin. En ce qui concerne le monde arabe, il y a une forte discordance entre les discours hypocrites de leurs gouvernements et les sentiments de leurs opinions publiques qui sont fortement propalestiniennes mais incapables d’influencer sérieusement leurs élites dirigeantes pour les amener à se comporter en conséquence. Aucun des quatre pays – EAU, Bahreïn, Maroc, Soudan – qui ont signé les accords d’Abraham, normalisant ainsi les relations avec Israël, n’a annulé ces traités de paix bilatéraux. Les pays exportateurs de pétrole de la région n’ont pas non plus cherché à utiliser le pétrole comme arme pour exercer une pression économique sur les bailleurs de fonds occidentaux d’Israël.

En second lieu, la tragédie de la Palestine réside dans le fait qu’un peuple remarquable et courageux, à l’exception de très courtes périodes, n’a jamais eu le type de dirigeants qu’il méritait vraiment ! Le Fatah est aujourd’hui un véritable naufrage et les accords d’Oslo une trahison, les dirigeants palestiniens ayant renoncé à leur principal atout politico-diplomatique – la reconnaissance formelle d’Israël – pour la simple reconnaissance de l’OLP en tant qu’unique représentant du peuple palestinien. Israël n’a jamais reconnu le droit des Palestinien·nes à un État indépendant et pleinement souverain. Il n’y a pas eu de délimitation des frontières de cet État, pas d’engagement, et encore moins de démantèlement des colonies illégales existantes, pas de négociations sur l’exercice du droit au retour des Palestiniens déplacés lors de la Nakba de 1947-1948 ou sur l’indemnisation de ceux qui ne reviendraient pas. En fait, tout ce que les dirigeants d’Arafat ont obtenu, c’est un accord de création d’un bantoustan, l’Autorité palestinienne nouvellement créée disposant d’un certain degré de pouvoirs municipaux et bénéficiant d’une aide financière de l’ONU, de l’Union européenne et des États-Unis. Il s’agit d’un robinet qui peut être fermé ou réduit, c’est-à-dire utilisé périodiquement comme arme de chantage.

Le Hamas a démontré qu’il ne valait guère mieux. Son programme social est anti-laïque, patriarcal, culturellement excluant et, à l’origine, antisémite. Bien qu’en tant que force combattant une force d’occupation brutale et illégale, il ait le droit de recourir à la résistance armée, ses actions ont comporté des attaques illégitimes contre des civils israéliens. Bien entendu, Israël a un bilan mille fois pire en ce qui concerne les Palestiniens ordinaires dans les territoires occupés et dans les camps de réfugiés en Jordanie et au Liban. En outre, contrairement à ce que certains prétendent, Israël ne peut, au nom du « droit à l’autodéfense », maintenir ses occupations illégales par des moyens pacifiques ou armés, et encore moins mener sa campagne génocidaire actuelle. Le Hamas a le droit de mener une résistance armée, mais en faire une stratégie offensive pour libérer le peuple palestinien est une approche profondément erronée. Certes, il peut chercher à se défendre physiquement par les armes contre les assauts militaires israéliens sur un peuple occupé lorsque ceux-ci ont lieu. Mais il doit comprendre qu’il ne peut pas vaincre militairement Israël ni le mettre fin à son occupation. L’appel au « martyre » religieux peut bien permettre de renouveler régulièrement les rangs des combattants, ce n’est pas pour autant la voie à suivre pour parvenir à une issue juste et définitive de la lutte des Palestiniens pour la liberté et la dignité.

Quelle est la voie à suivre ?

Si, d’un côté, Israël a atteint un nouveau sommet de brutalité dans sa façon de traiter les Palestiniens, de l’autre, l’opinion publique mondiale reconnaît désormais plus largement et plus profondément que le sionisme est une idéologie raciste et excluante et que la thèse de la « victimisation perpétuelle » défendue par Israël est un mythe et une escroquerie. L’ironie veut qu’il en soit ainsi surtout aux États-Unis et dans une grande partie de l’Europe occidentale, dont les gouvernements ont apporté le plus grand soutien à Israël et ont cherché à assimiler l’antisionisme à de l’antisémitisme. Grâce à cette sympathie qualitativement plus large pour la cause palestinienne, en particulier dans les pays avancés, la diaspora palestinienne peut désormais jouer un rôle politique plus important et exercer une plus grande influence dans les territoires occupés, sur l’OLP et sur les gouvernements et les opinions publiques de leurs pays d’origine.

La prise de conscience généralisée et croissante du fait que le prétendu dilemme israélo-palestinien n’est en réalité qu’une simple situation binaire dans laquelle l’un est le méchant et le bourreau et l’autre la victime innocente est une condition nécessaire mais non suffisante pour parvenir à une résolution juste et digne de ce conflit. L’autre grand atout de la cause est la détermination inébranlable des Palestiniens, toutes générations confondues, que ce soit dans les territoires occupés, dans les camps de réfugiés avoisinants ou dans la diaspora au sens large, à continuer de revendiquer leur libération et de se battre pour elle. La question clé est donc de savoir comment infléchir le rapport de forces régional et mondial existant en défaveur d’Israël. Comment isoler politiquement et moralement Israël aux yeux d’un nombre croissant de gouvernements ? C’est là qu’intervient l’exemple et l’expérience de la manière dont l’apartheid sud-africain a été renversé. Une lutte de longue haleine pour atteindre l’objectif souhaité sera grandement facilitée par la poursuite réussie de certains objectifs déterminants.

Pour commencer, il faut qu’émerge une nouvelle direction palestinienne qui reconnaisse qu’il est primordial d’adopter une stratégie de lutte fondamentalement non violente contre l’apartheid israélien. Cela signifie que les revendications et les luttes des Palestiniens à l’intérieur et à l’extérieur des territoires occupés doivent être centrées sur l’égalité des droits et la justice. Cela s’applique à ceux et celles qui sont dans les territoires occupés, à ceux et celles qui sont dans l’Israël des frontières d’avant 1967, à ceux et celles qui sont réfugié·es dans les dictatures arabes voisines ainsi qu’à ceux et celles qui participent aux actions de solidarité, citoyen·nes d’origine palestinienne, notamment, particulièrement n Amérique du Nord et en Europe, mais pas uniquement. De par sa nature même, ce type de revendication devient, dans sa formulation générale, une revendication commune et unificatrice qui peut permettre de promouvoir des types d’actions de solidarité collective inédits et géographiquement plus étendus. En mai-juin 2021, par exemple, il y a eu pour la première fois à une telle échelle une « Intifada de l’unité » en Israël, en Cisjordanie et à Gaza contre les expulsions de Palestiniens de leurs maisons à Jérusalem-Est. C’est ce mode d’action qu’il convient de promouvoir sans relâche.

Le recours à la désobéissance civile non violente dans la lutte pour les droits humains fondamentaux et l’égalité des droits politiques et civiques contre le racisme légalisé, c’est-à-dire l’apartheid, devient beaucoup plus difficile à ignorer, même pour les gouvernements pro-israéliens, et a fortiori pour leurs opinions publiques, et ce à deux titres. Une lutte contre l’apartheid ne peut être qualifiée d’antisémite. En outre, l’agitation non violente ne peut être indûment présentée comme une menace pour l’« existence » d’Israël et les représailles de ce dernier dans de tels cas ne peuvent être considérées comme de la "légitime défense". Bien sûr, Israël réagira quelquefois en aillant recours à la brutalité militaire, même en cas d’actions non violentes, et les Palestiniens devront chercher dans de tels cas à se protéger par les armes. Mais l’abandon du militarisme comme stratégie offensive et le recours maximal à la non-violence imposeront un coût politique beaucoup plus élevé à la brutalité israélienne.

L’Asie de l’Ouest et l’Afrique du Nord (AOAN), où des dictatures d’un type ou d’un autre ont longtemps prospéré, constituent un autre espace dans lequel des évolutions favorables sont possible. Il en est résulté des soulèvements populaires périodiques qui ont parfois renversé les régimes en place, créant ainsi de véritables ouvertures démocratiques qui ont temporairement modifié les rapports de force géopolitiques, affaiblissant ainsi les États-Unis et inquiétant Israël. Ces occasions - la dernière étant les soulèvements arabes qui ont commencé en 2010 en Tunisie et se sont étendus à de nombreux pays de la Ligue arabe - ont vu les dirigeants renversés en Égypte, au Yémen et en Libye, tandis que la Syrie et le Bahreïn ont connu de graves troubles internes. Il est vrai que ces ouvertures démocratiques ont ensuite été étouffées et que des formes autoritaires de gouvernement ont été rétablies. Mais c’est précisément en raison de son caractère essentiellement non démocratique que cette région reste potentiellement explosive. Après 2018, des éruptions en Algérie, au Soudan, en Irak et au Liban, ainsi que la poursuite des guerres civiles au Yémen et en Syrie, sont autant d’éléments qui laissent présager de futurs soulèvements populaires dans la région. Si un régime démocratique émerge quelque part et parvient à se stabiliser sur une période prolongée, il transformera le contexte politique régional. Selon l’endroit où cela se produit, cela peut avoir un effet d’entraînement sur d’autres pays. S’il se produit dans un pays ayant un poids régional important, comme la Jordanie ou l’Égypte, ou dans l’une des monarchies héréditaires, comme l’Arabie saoudite ou les États du Golfe, les répercussions en seront encore plus importantes.

Historiquement, les luttes des Palestiniens ont souvent servi de catalyseur aux luttes démocratiques ailleurs dans la région. Mais comme l’a montré le "printemps arabe", l’inverse est également vrai : les luttes extérieures renforcent la confiance, l’espoir et le soutien politique aux Palestiniens. Il y a une grande part de vérité dans l’affirmation selon laquelle le chemin de la libération de la Palestine passe par Le Caire et Amman. Ou même, qui sait, par Damas ou Riyad ? L’unité qui doit être forgée n’est pas seulement entre les Palestiniens du monde entier, mais avec plus grand ensemble dans cette région, qui revendique également les droits démocratiques, l’égalité et la justice. Une transformation politique progressiste de la région provoquera des divisions au sein de l’alliance de l’OTAN quant aux orientations de la politique étrangère à l’égard d’Israël, ainsi qu’une sérieuse remise en question aux États-Unis, précisément parce qu’Israël deviendra davantage un handicap qu’un atout dans le cadre des efforts déployés par Washington pour conserver son influence dans la région. Cela peut également stimuler l’émergence d’un électorat de gauche et de gauche-libérale dans un Israël plus isolé.


Autodétermination palestinienne

Ce que nous décrivons ici est un ensemble de développements possibles en faveur desquels il faut œuvrer, car ils ne favoriseront pas seulement une unité palestinienne plus profonde et plus large établie sur la base de revendications anti-apartheid, mais aussi des solidarités mutuelles qui permettront des percées démocratiques dans le monde arabe ainsi que la transformation des relations et des équilibres de pouvoir existants d’une manière qui rendra l’autodétermination politique palestinienne beaucoup plus réalisable. C’est au peuple palestinien, et non à la gauche en Inde ou ailleurs, de décider de la forme que cela prendra - deux États ou un État. Mais la probabilité de parvenir à terme à un État palestinien pleinement souverain et indépendant, doté d’un lien territorial entre la Cisjordanie et Gaza, avec Jérusalem-Est pour capitale, et séparé d’un Israël confiné dans ses frontières d’avant 1967, est plus éloignée que jamais. Dans l’état actuel des choses, Israël a délibérément détruit la continuité territoriale pour les Palestiniens résidant en Cisjordanie et voudra conserver le contrôle de la très importante vallée du Jourdain, tandis qu’aucun gouvernement israélien ne procédera au déracinement complet des plus de 700 000 colons illégaux : essayer de le faire reviendrait à créer une situation de type guerre civile. Les États-Unis ou d’autres puissances n’imposeront pas non plus un tel déplacement. Le maximum qui pourrait être accordé à un État palestinien serait une version plus tronquée, divisée et misérable du bantoustan proposé à Oslo, qui, même si elle était honteusement acceptée par les dirigeants palestiniens, ne mettrait jamais fin au conflit.

C’est pourquoi il est beaucoup plus réaliste de parler et de lutter pour le remplacement d’un "État juif" sioniste par un État unique ou binational suffisamment laïque pour garantir des droits de citoyenneté politiquement égaux, indépendamment de tout lien ou origine ethnique ou religieuse. Il s’agit là de la logique fondamentale d’une lutte visant à démanteler complètement la structure de l’apartheid. De ce point de vue, de plus en plus de Palestiniens sont favorables à un tel projet et à un tel objectif, qui est également soutenu par la plupart des juifs antisionistes. La tâche principale consiste à faire en sorte qu’une majorité de l’opinion publique israélienne évolue vers l’acceptation de cet objectif.

Qu’en est-il de l’Inde et du rôle que pourrait y jouer la gauche ?

C’est un gouvernement du Congrès qui, en 1992, a établi des relations diplomatiques pleines et entières avec Israël. Arafat a accepté ce changement de cap de l’Inde parce qu’il était lui-même en train de cheminer politiquement vers Oslo. Ainsi, les gouvernements suivants de Narasimha Rao, Deve Gowda et Inder Kumal Gujral, puis ceux de l’United Progressive Alliance I et II (Alliance progressiste unie (UPA) coalition autour du parti du Congrès 2004-2008/2008-2014 ndt)., ont tous eu fondamentalement pour politique de renforcer graduellement leurs liens économiques, militaires, technologiques et politiques avec Israël qui, en fin de compte, était aussi un important vecteur de renforcement de l’alignement politique de l’après-guerre froide sur les États-Unis. Alors même qu’Israël violait systématiquement et de manière cumulative les accords d’Oslo, faisait de Gaza la plus grande prison à ciel ouvert du monde et y conduisait des assauts aériens et terrestres réguliers (ce que Tel-Aviv appelle "tondre la pelouse"), l’attitude indienne à l’égard de la Palestine et de l’OLP consistait désormais à se contenter de donner de l’argent et un soutien politique de pure forme à la cause palestinienne.

En 2008, le gouvernement de Manmohan Singh a obtenu un soutien matériel israélien permettant à l’Inde de passer de la surveillance ciblée à des capacités de surveillance de masse. En février 2014, un accord de collaboration a été signé entre le ministère israélien de la Sécurité publique et le ministère indien de l’Intérieur afin d’obtenir, entre autres, la formation par Israël de la police et du personnel de sécurité indiens pour la gestion des frontières, le « contre-terrorisme » et le contrôle des foules. Ces dispositions ont été mises en œuvre pour la première fois lorsque le gouvernement Modi a pris le pouvoir après les élections de mai 2014 et elles ont été développées et étendues par la suite. Les gouvernements de Vajpayee et de Modi, dirigés par le BJP, ont ajouté une dimension affective et idéologique aux contours prétendument stratégiques de cette relation bilatérale, en raison de la parenté entre l’hindutva et le sionisme en tant que systèmes de croyance. Mais alors qu’Israël est depuis le début une nation et un État « juifs », le Sangh Parivar et le BJP n’ont pas encore atteint leur objectif d’établir une nation et un État "hindous" à proprement parler. En outre, alors qu’Israël s’est imposé comme la force militaire et nucléaire dominante dans la région de l’AMAO, l’Inde n’a pas été en mesure de faire de même en Asie du Sud en raison de la présence du Pakistan et de la Chine. La manière dont Israël a confiné les Palestiniens dans les territoires occupés est considérée comme une référence pour ce que le gouvernement Modi devrait faire au Cachemire.

Il n’est donc pas surprenant que les liens entre l’Inde et Israël se soient approfondis qualitativement sous le régime du BJP, en particulier au cours des dix dernières années pendant lesquelles Modi a été au pouvoir. Même le soutien de pure forme de l’Inde à la Palestine a parfois été absent, tandis que l’approbation politico-diplomatique du comportement d’Israël est plus fréquemment et plus ouvertement déclarée. Lors de la dernière guerre contre Gaza, le gouvernement Modi n’a jamais critiqué directement, et encore moins condamné Israël pour son comportement ou dénoncé le génocide dont il s’est rendu coupable. Tout au plus New Delhi appelle-t-elle occasionnellement à un "cessez-le-feu humanitaire" et répète-t-elle des affirmations dénuées de sens sur le soutien à une "solution à deux États". Pendant ce temps, des entreprises indiennes publiques et privées fournissent des explosifs, des munitions et des drones à Israël et des travailleurs migrants indiens sont recrutés pour remplacer les travailleurs palestiniens bannis d’Israël.

Les chaînes de télévision indiennes, pour la plupart, sont tellement contrôlées et influencées par le gouvernement que leurs émissions, lorsqu’il s’agit de rendre compte de ce qui se passe à Gaza et en Cisjordanie, sont bien pires que celles des médias électroniques publics aux États-Unis. Dans la précédente Lok Sabha, avant les dernières élections, 37 partis étaient représentés. Parmi eux, 29 n’ont rien dit sur la question israélo-palestinienne, alors même que se déroulait cette horrible tragédie à Gaza. Ces partis ont estimé que rester silencieux ne nuisait pas à leur réputation et à leur popularité au niveau national, alors que s’exprimer risquait de leur nuire en les exposant à l’accusation de "complaisance envers les musulmans", bien que ce conflit ne soit pas une question "musulmane". Néanmoins, l’abstention aussi généralisée de tant de partis politiques montre à quel point la politique et la société indiennes sont aujourd’hui communautarisées.

Une exigence supplémentaire

Du moins, certaines organisations de la société civile et les principaux partis de gauche ont exprimé leur condamnation à l’égard d’Israël et ont organisé des actions de solidarité en faveur du peuple palestinien et des habitants de Gaza en particulier. Certains dirigeants du Congrès ont exprimé leur colère face aux agissements d’Israël, mais le parti lui-même, à l’exception du Kerala où il doit affronter le Front de gauche et convaincre les milieux musulmans, n’a pas cherché à organiser des manifestations de masse ou à coopérer avec d’autres forces politiques dans le cadre d’actions communes de solidarité. Dans le Karnataka, gouverné par le Congrès, en octobre 2023 et en juin 2024, la police de Bengaluru a interrompu des actions publiques de solidarité en faveur de la Palestine. Il est à noter que seuls les mouvements pro-palestiniens et les partis de gauche (et non le Congrès ou d’autres partis bourgeois) ont soutenu la campagne de boycott, de désinvestissement et de sanctions (BDS) contre Israël, qui a remporté un succès notable dans de nombreuses régions du monde, ce qui a entraîné une certaine gêne matérielle pour Israël. Mais l’impact le plus important du BDS a été son succès relatif dans l’affaiblissement de la crédibilité et de la légitimité politiques d’Israël. L’arme du boycott a été importante pour discréditer l’apartheid sud-africain, elle l’est également dans le contexte actuel.

Compte tenu de la parenté idéologique entre le sionisme et l’hindutva, plus le sionisme sera exposé et condamné pour son caractère intrinsèquement raciste et discriminatoire, plus la lutte pour discréditer l’hindutva et ses divers défenseurs politiques sera efficace. C’est pourquoi la gauche indienne doit donner la priorité à la solidarité avec la cause palestinienne. Le dernier appel lancé par le CPI(M), le CPI, le CPI-ML (Libération), l’AIFB et le RSP au gouvernement indien à propos d’Israël a mis l’accent sur la nécessité d’empêcher les livraisons d’armes et de munitions militaires indiennes à Israël, de mettre fin aux exportations d’armes indiennes en direction d’Israël et de mettre fin à toutes les formes de complicité de l’Inde avec l’occupation illégale et le génocide commis par Israël.

La gauche indienne devrait avoir une exigence supplémentaire. Elle devrait demander au gouvernement indien de rompre toutes les relations politiques, diplomatiques, économiques, technologiques, socioculturelles, académiques et militaires avec Israël, point final. Les citoyens indiens en Israël devraient alors être rappelés, à l’exception de ceux qui veulent et peuvent obtenir la citoyenneté israélienne. C’est ainsi une Inde ancienne a traité le régime d’apartheid de l’Afrique du Sud. C’est ainsi qu’elle devrait traiter un Israël dont le régime d’apartheid a été, dans la mise en oeuvre de politiques de type "bantoustan", plus cruel et plus vicieux que ne l’a jamais été l’Afrique du Sud.

Bien sûr, le gouvernement indien ne le fera pas. Mais cela ne devrait pas empêcher la gauche indienne de l’exiger. Ce faisant, elle adoptera une position morale et politique témoignant d’une intégrité bien plus grande que celle affichée par la Russie ou la Chine dans leurs relations avec Israël. Ces deux grandes puissances sont mentionnées ici parce que, contrairement à ce qu’il en est pour le comportement criminel des États-Unis, leurs crimes sont parfois passés sous silence par différentes composantes de la gauche indienne. Mais surtout, une telle position serait conforme aux meilleures traditions de l’internationalisme socialiste révolutionnaire !

 

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Auteur·es

Achin Vanaik

Achin Vanaik est écrivain et militant des mouvements sociaux, ancien professeur à l'université de Delhi et membre de l'Institut transnational d'Amsterdam basé à Delhi. Il est l'auteur de The Painful Transition : Bourgeois Democracy in India et The Rise of Hindu Authoritarianism.