Déclaration sur la guerre et le conflit en Ossétie du Sud

par Mouvement socialiste (Russie)

Nous reproduisons ici la déclaration publiée au début de la guerre par le Mouvement socialiste " Vpieriod » (" En Avant »), qui, lors de son troisième congrès en février 2008 a adopté le statut d'observateur permanent dans les instances de la IV<sup>e</sup> Internationale (cf. <i>Inprecor</i> n° 534/535 de janvier-février 2008). (Traduction par J.M. de l'original en russe disponible sur le site web : <a href="http://www.vpered.org.ru/comment115.html&quot; target="_blank">http://www.vpered.org.ru/comment115.html</a&gt;)

A nouveau la guerre envahit le Caucase. La Russie est de fait une de ses participantes. Cela impose à toutes les organisations politiques russes, y compris le Mouvement socialiste " Vpieriod » (" En avant »), en raison de l'urgente nécessité, de se prononcer sur ces événements.

Dès les premières heures du conflit armé les médias et Internet sont remplis de déclarations tentant d'expliquer la situation. En même temps, nous sommes obligés de constater que seule une infime part des opinions qui ont réussi à trouver leur place dans les médias expriment des positions adéquates à la situation : nous y trouvons surtout des déclarations unilatéralement patriotiques, souvent hystériques ou bien, à l'autre extrême, nous nous heurtons à la volonté d'accuser de tous les péchés mortels le peuple lui-même impliqué dans les opérations militaires.

A la différence de beaucoup, nous n'allons pas choisir entre les deux parties (russe et géorgienne) celle qui a " raison » et celle qui est " coupable ». Nous croyons que les deux parties du conflit — tant la Russie que la Géorgie — s'y sont engagées consciemment. Aucun besoin donc de discuter sur qui a ouvert le feu le premier ni qui a provoqué qui. Les gouvernements des deux pays se sont orientés vers la confrontation, capable de révéler les ressources militaires réelles de leurs pays sur la scène internationale. Cela est confirmé par les déclarations préparées d'avance par la Russie et le Conseil de sécurité de l'ONU, comme par la mobilisation de l'armée géorgienne.

Ce n'est pas la première fois, et sans doute pas la dernière, que les gens simples sont les otages des intérêts impérialistes des deux parties, dont l'une intègre bien évidemment les États-Unis. Aujourd'hui les victimes sont la population de l'Ossétie du Sud, dont le droit à l'autodétermination est devenu une monnaie d'échange dans ce conflit, et la nation géorgienne, la population de Géorgie, qui a déjà subi l'intervention des " pacificateurs » russes.

Il est indéniable que le choix est on ne peut plus clair pour la population de l'Ossétie du Sud : la Russie est perçue par la majorité des Ossètes comme son protecteur contre les nettoyages ethniques et la violence du gouvernement géorgien.

Cette attitude de la population pacifique de l'Ossétie du Sud, périssant sous les coups de l'armée géorgienne, est tout à fait naturelle. Les rapports de force actuels sur la scène internationale, comme la faiblesse du mouvement ouvrier international, y compris géorgien, impliquent que dans le moment présent la population pacifique de l'Ossétie du Sud n'a pas d'autres défenseurs que les troupes de la Russie impérialiste.

Dans cette situation demander le retrait des troupes russes de la zone du conflit, avant le cessez-le-feu et l'élaboration ne serait-ce que des accords de paix préliminaires, signifie abandonner la population de l'Ossétie, ses travailleurs, ses vieillards et ses enfants. De plus une telle position signifierait renoncer publiquement au principe de l'autodétermination des peuples : si les troupes géorgiennes pouvaient accomplir maintenant les tâches qui leur sont assignées, il faudra oublier une fois pour toutes l'autodétermination nationale des Ossètes.

Mais nous pouvons et devons exiger la fin la plus rapide des actions militaires. Nous pouvons et devons exiger que les opération militaires des troupes russes en Ossétie du Sud se limitent à la défense nécessaire sans se transformer en une guerre contre le peuple géorgien, avec les civils innocents de Géorgie qui déjà périssent sous les bombes russes.

Nous déclarons de la manière la plus décidée que notre position n'a rien en commun avec celle des politiciens de droite ou de la pseudo-gauche, qui parlent maintenant sous l'étendard de la lutte pour les " intérêts étatiques de la Fédération de Russie ».

En proclamant notre solidarité totale et absolue avec le peuple ossète, avec les travailleurs ossètes, en exprimant notre soutien total et inconditionnel à la lutte des Ossètes pour leur autodétermination nationale, nous rejetons de manière aussi inconditionnelle toute forme de solidarité avec l'impérialisme russe, tout soutien à son État de Poutine-Medvedev.

" L'intérêt étatique » de la Russie c'est l'intérêt des corporations et de la haute bureaucratie, mais en aucun cas celui de la population travailleuse. Les intérêts de ces deux Russies non seulement ne coïncident pas, mais s'opposent sur de nombreuses questions. Défendre " l'intérêt étatique » aujourd'hui signifie se prononcer en faveur de l'intégration de nouvelles régions dans la sphère de domination de l'impérialisme russe.

Nous avons le droit politique et moral de soutenir les Ossètes contre l'oppression qu'ils subissent du régime nationaliste bourgeois de Saakashvili uniquement parce que nous sommes prêts à soutenir et parce que nous soutenons tous les peuples opprimés par l'impérialisme russe.

Nous soutenons de manière inconditionnelle le droit de l'Ossétie du Sud à l'autodétermination, jusqu'à la séparation avec la Géorgie et la création d'un État indépendant ou la réunification avec l'Ossétie du Nord au sein de la Fédération de Russie.

Mais nous sommes persuadés que malgré toute la rhétorique " humanitaire » et " pacificatrice » du pouvoir russe, sa classe dominante sera le principal obstacle sur la voie de l'autodétermination du peuple de l'Ossétie du Sud.

Premièrement, son intégration au sein de la Russie serait en contradiction directe avec le refus conséquent de la mise en cause du principe de " l'intégrité territoriale » des États, que la Russie réaffirme sans cesse tant en ce qui concerne la Tchétchénie que, récemment, en ce qui concerne la déclaration de l'indépendance du Kosovo. Deuxièmement, une décision souveraine de la population ossète méridionale concernant son propre avenir créerait un dangereux précédent, remettant en cause le système vertical du pouvoir et la soumission inconditionnelle des régions au centre. La réunification de l'Ossétie au sein de la Fédération de Russie mettrait sérieusement en cause les principes mêmes et les règles sur lesquels elle fut construite.

Tenant compte de la loi des probabilités il est possible de supposer quelle sera la suite des événements : il est peu probable que le conflit dégénère en une guerre totale et son stade aigu s'achèvera sans doute dans un proche avenir. Néanmoins il y a des raisons pour croire que la tension militaire et politique continuera encore longtemps, même si les actions militaires ouvertes laisseront la place à des actes de sabotage et aux provocations mutuelles combinées avec les accusations réciproques de violation des normes du droit international et l'échange de notes diplomatiques. La Russie continuera à mener le jeu dans la région : elle y maintiendra ses troupes, va sans doute y accroître son contingent et soumettra l'Ossétie à son contrôle absolu. La Géorgie pourra sans doute obtenir son intégration dans l'OTAN (cette question continue à faire l'objet de sérieux conflits politiques) et obtiendra une aide supplémentaire du Département d'État des États-Unis. Ces derniers continueront à renforcer leur présence dans le Caucase. S'ils laissent la main libre aux agissements de la Fédération de Russie dans la région et acceptent de tolérer l'indépendance de fait envers la Géorgie de l'Ossétie du Sud, ce sera en échange du soutien russe à leurs priorités stratégiques, comme la pression sur l'Iran. Dans le cadre d'un tel partage l'Union européenne pourra obtenir en échange de son silence des garanties concernant sa sécurité énergétique. Une telle issue signifierait une victoire absolue de la politique étrangère russe, conduisant à l'amélioration des ses rapports avec l'Occident et l'affirmation de son statut de membre à part entière du club restreint des puissances impérialistes. Dans un tel cas la Russie ne mettra sans doute pas en cause au niveau international l'intégrité de la Géorgie, tout en continuant à exploiter la population ossète en tant qu'otage de ses propres intérêts.

Les grands perdants seront donc, comme auparavant, l'Ossétie du Sud et sa population.

Celle-ci n'accédera pas aux droits civiques des citoyens russes et va continuer à vivre dans la crainte constante d'un retour de la domination géorgienne, de la violence et de la répression qui pourraient l'accompagner. Les réfugiés de l'Ossétie du Sud, précipités déjà dans les régions méridionales de la Russie, mèneront une existence pitoyable, devenant l'objet du racisme et de l'oppression.

Nous exigeons le cessez-le-feu immédiat et l'octroi au peuple ossète du droit véritable de décider de son avenir sans diktat extérieur d'où qu'il vienne. La résolution de la question ossète méridionale ne sera pas possible si elle ne tient pas compte de l'opinion des dizaines de milliers de Géorgiens qui y vivent : des villages entiers, ainsi que les campagnes, peuplés de Géorgiens sont devenus des otages encore plus misérables que les Ossètes de la politique impérialiste. Nous appelons les peuples de Russie, de l'Ossétie du Sud et de la Géorgie à s'opposer à la politique de leurs gouvernements qui les a déjà conduit et les conduira encore plus d'une fois dans des guerres incessantes. Nous pensons qu'il est nécessaire que chacun de ces peuples demande des comptes à ses dirigeants qui, étant les serviteurs des élites et du business, sont responsables du carnage et du malheur des citoyens ordinaires.

Nous nous prononçons :

— pour que la Russie devienne une véritable fédération volontaire de peuples égaux en droits !

— contre le chauvinisme et la caucasophobie, pour garantir l'ensemble des droits individuels, politiques, sociaux et de travail à tous les habitants de l'Ossétie du Sud et d'Abkhazie s'ils voulaient devenir des citoyens de la Russie !

— pour la paix entre les peuples et la solidarité au sein de la classe de ceux qui vendent leur force de travail !

Moscou, le 11 août 2008