Petit frémissement sur la « question du statut » à la faveur du congrès des élu·e·s de Martinique. Risques de durcissement de la situation en Kanaky, voire en Guyane. Perspectives d'évolution du statut de la Corse. Débats (quoique poussifs et timorés) entre conseillers régionaux et départementaux de Guadeloupe... Ce contexte n'échappe pas aux observateurs·trices de la vie politique.
Dans ce cadre, on assiste à la tentation de raviver la rivalité entre autonomistes et indépendantistes. Pendant longtemps, chacun de ces deux camps voyait dans l'autre, les origines de ses propres problèmes.
Les modalités d'expression de ce conflit ont longtemps fait le jeu du pouvoir colonial. Or, en ce temps-là, le pouvoir disposait avec la droite, d'une représentation politique locale aussi agressive que pauvre en propositions. Aujourd'hui, ce personnel politique assimilationniste a fondu ou en tout cas perdu sa voix, (même si les bases objectives de son influence n'ont pas disparu).
Le retour de la vieille polémique (autonomistes contre indépendantistes), au moment où une offensive anticolonialiste bénéficierait de conditions plus favorables, serait pire qu'une simple perte de temps. Il est nécessaire et possible de l'éviter. Nécessaire, parce que les dangers qui pèsent sur le peuple martiniquais et sur ceux des dernières colonies, sont indiscutables. Possible, parce que des signes positifs existent.
En Martinique, des camarades (Combat Ouvrier) qui croyaient indispensable de se démarquer de l'indépendance, ne le font guère plus. Une organisation comme PÉYIA se déclare simplement « souverainiste », partisane de la-dépendance. Le MIM lui-même, toujours indépendantiste, s'est jadis illustré par une « déclaration de Basse-Terre », bien en-deçà de l'autonomisme historique. Le « mouvement social et politique » RESPÉ, lui, se déclare clairement ouvert aux autonomistes comme aux indépendantistes. De son côté, le Palima vient de contester la thèse présentant l'autonomie comme un « rempart contre l'indépendance ».
En Guyane, le clivage indépendantistes/autonomistes a cessé de bloquer le mouvement. La fluidité entre les députés des dernières colonies pourrait faciliter une action commune avec les mouvements populaires. Il y a moins de place pour l'ultra-sectarisme, et c'est heureux, vu la complexité de la tâche. Il serait en effet naïf de sous-estimer les spécificités de la question nationale dans les « vieilles colonies » de la France, de croire que nos piétinements seraient dus à la seule perversité de tel ou telle, ou à l'ignorance des masses.
Les analyses et débats évoqués ici, ne passionnent, il est vrai, qu'une petite partie de la population. Beaucoup de gens n'y voient qu'une agitation de politiciens. Cela ne doit pourtant pas conduire à tenir le mouvement ouvrier à l'écart du débat. Au contraire, le mouvement ouvrier et populaire doit développer sa propre compréhension pour défendre aussi bien ses besoins immédiats que ses intérêts historiques.
Le mouvement national martiniquais ne gagnera pas sans les masses. Celles-ci s'impliqueront, lorsque leurs aspirations formeront le cœur d'un programme élaboré avec elles, par elles, à partir de leur vécu. Méfions-nous du vèglaj obscurantiste opposant les questions du salaire, de la vie chère, de l'emploi, de l'eau, des transports, de la corruption, à celle des institutions, c'est-à-dire, à terme, du pouvoir tout simplement. Laisser le débat politique aux politicien·nes serait une erreur pour la classe ouvrière, un abandon des intérêts du plus grand nombre. C'est au nom de ces intérêts, sous leur éclairage, qu'il faut analyser les débats institutionnels.
Nous serons toujours des autonomistes critiques, des indépendantistes critiques, des communistes critiques. Cela signifie qu’à notre avis, ni l'autonomie, ni l'indépendance, ni même le communisme dans un seul pays, ne nous sauveront de la misère, des frustrations, du manque et des difficultés. Dire le contraire, c'est mentir au peuple. Tous les pas en avant possibles vers la décolonisation, doivent être faits, résolument.
Mais aucun de ces pas ne doit nous détourner de la défense des intérêts de ceux et celles d'en-bas, de l'exigence écologiste de la population, de la cause légitime des femmes, de l'antiracisme le plus ferme, de la démocratie comme méthode de tous les instants et du combat international pour l'émancipation.
La radicalité n'est pas dans la proclamation répétée du but final. Elle est dans l'aptitude à faire que chaque pas en avant soit en conformité avec celui-ci, et nous y conduise en prenant en compte le rapport de force.
L'émancipation humaine passe par l'éradication, à l'échelle de la planète, du colonialisme et du capitalisme et par le dépassement conscient de « tout ce qui est ».
Cela signifie un travail collectif important à deux niveaux. Le premier concerne la définition, avec les masses les plus larges possibles, des revendications, des tâches, des stratégies, des propositions pour faire face aux questions urgentes du moment. Le second concerne le travail sur le modèle de socialisme émancipateur qu'il faudra réinventer, en partant des leçons positives et négatives du passé et du présent.
Osons chasser les peurs et les routines paralysantes, et marchons ensemble, sans transiger. Penser la durée et agir sur le champ !
Publié le 10 novembre 2025 dans Révolution socialiste n°420.