Dans le nord de la Suède (à Boden) s’ouvre en 2021 une toute nouvelle aciérie alimentée à l’hydrogène, la première construite en Europe en 50 ans. Ce projet à 6 milliards de dollars est porté par Stegra et Northvolt, deux entreprises fondées par le même fonds d’investissement suédois, Vargas Holding, avec l’objectif de décarboner des industries lourdes (batteries pour Northvolt, acier vert pour Stegra). Elles ont toutes deux bénéficié de financements massifs (capitaux privés, fonds de pension et subventions publiques, Northvolt a fait faillite en 2024. Stegra est menacée : ses besoins en capital ont triplé en quelques mois, l’État suédois refuse tout nouveau financement… [PV]
Les signaux d’alerte envoyés actuellement par la société Stegra ressemblent à ceux que nous avons entendus de la part de Northvolt l’été dernier. Les projets sont trop ambitieux et le financement insuffisant. Croire que la transition verte sera menée à bien par des investisseurs en capital-risque est et reste une illusion. « Vert » et « capitalisme » sont deux mots qui ne vont pas bien ensemble.
Lorsque Stegra a été inauguré à Boden par Stefan Löfvén1 à l’automne 2021, les espoirs étaient grands. La société, qui s’appelait alors H2 Green Steel, était dirigée par Harald Mix, un capital-risqueur qui était également impliqué dans Northvolt à Skellefteå.
Tout comme Northvolt, Stegra a attiré d’importants capitaux provenant de fonds de pension, de l’UE, de l’État et des collectivités locales. Si l’on veut être méchant, on pourrait presque dire que leur concept commercial se résume à obtenir des fonds publics. Tout comme Northvolt, leur objectif ne semble pas être de produire quoi que ce soit, ni des batteries ni de l’acier.
L’argent de tout le monde
Alors, combien Stegra a-t-elle réussi à puiser dans notre caisse commune ? Eh bien, entre autres, voici :
• Le 2e fonds AP, qui gère nos fonds de pension, a investi 742 millions de couronnes.
• Le 4e fonds AP, qui sert de tampon et atténue les fluctuations importantes du système de retraite, a investi 612 millions de couronnes.
• AMF, qui appartient au syndicat LO et à la Confédération des entreprises suédoises et qui est chargé de gérer les retraites professionnelles des membres de LO, a investi pas moins de 1,95 milliard de couronnes. Stegra devrait être considéré comme un projet à haut risque et il convient d’être prudent avec l’argent des retraites des membres. Mais lorsque Stefan Löfvén a donné son feu vert à Stegra lors de son lancement en 2021, la direction de LO a perdu sa capacité de réflexion critique. Il convient de mentionner dans ce contexte que l’AMF a déjà perdu 2 milliards dans Northvolt et que si l’argent investi dans Stegra est perdu, LO aura gaspillé l’équivalent de 3 000 couronnes par membre.
• L’entreprise a réussi à obtenir 1,2 milliard de couronnes de l’UE et s’est vu promettre 1,8 milliard supplémentaire.
• L’Agence suédoise de l’énergie, dont la mission est d’assurer la consommation énergétique à long terme de la Suède, a débloqué 1,2 milliard de couronnes supplémentaires.
• La commune de Boden a pris en charge l’achat des terrains et les infrastructures, ce qui lui a valu une dette communale de 1,5 à 1,6 milliard de couronnes. La question est de savoir si elle récupérera une partie de cette somme. Les terrains communaux que la commune a cédés à Stegra ne seront pas restitués en cas de faillite. Il s’agira d’un actif de la société qu’un futur liquidateur pourra vendre pour couvrir les dettes prioritaires, telles que les dettes fiscales.
• À Luleå également, des fonds ont été investis pour adapter le port de Luleå. Les plans pour le nouveau port de Luleå comprennent de nouveaux quais, des zones terminales, des terminaux tout temps, un nouveau réseau ferroviaire, etc., et leur coût est estimé à environ 7 à 10 milliards de couronnes. La municipalité a accordé une garantie de 4,5 milliards à la société portuaire, Luleå Hamn AB, qui sera responsable de l’extension. On ne sait pas exactement combien d’argent a déjà été dépensé.
• Les fonds de pension danois ont investi 3,5 milliards de couronnes.
Voilà à quoi ressemble le nouveau « capitalisme à risque ». Tout va très bien jusqu’à ce qu’on ait épuisé l’argent des autres. Le « risque » pris dans ce « projet de capital-risque » est l’UE, l’État, deux communes du nord de la Suède et les fonds de pension des travailleurs suédois et danois.
« Plus de Xi Jinping »
Le journal Arbetet (l’ancien journal du syndicat LO) clame que nous avons « besoin de plus de Xi Jinping et de moins de Harald Mix ». Nous devrions nous garder de souhaiter un dirigeant communiste chinois en Suède. La personne qui pourrait endosser ce titre est Magdalena Andersson, du journal Arbetet. Oui, bien sûr... il y a suffisamment de traits autoritaires dans la social-démocratie pour que cela fonctionne, mais ce n’est probablement pas la voie que nous devons suivre.
Harald Mix, le capital-risqueur et architecte derrière Stegra et Northvolt, n’est bien sûr pas nécessaire. Outre diverses sociétés de capital-risque, il gère depuis 2012 une auberge de jeunesse de 12 chambres à Östermalm, dans la banlieue de Stockholm. C’est en fait sa seule expérience pratique dans la gestion d’une entreprise. Il devrait peut-être s’en tenir à cela.
Mais je comprends le point de vue du syndicat LO : la transition écologique doit avoir lieu et l’État doit prendre les commandes. Mais nous pouvons le faire sans Xi Jinping. Nous pouvons faire comme nous l’avons fait par le passé lors de grandes transitions : lorsque la Suède s’est dotée d’un réseau ferroviaire, la SJ a été créée ; lorsque la Suède s’est électrifiée, la Statens Vattenfallsverk (aujourd’hui Vattenfall) a été créée ; et lorsque la Suède s’est dotée d’un réseau routier et de voies navigables avec des écluses, des ports, etc., la tâche a été confiée à la Kungliga väg- och vattenbyggnadsstyrelsen (Agence royale des routes et des travaux publics). Et la liste est longue.
La planification et le contrôle par l’État sont bien sûr des objets de haine pour les néolibéraux. Mais ils ont été présents à chaque grande transition de l’histoire. La transition verte n’a pas besoin de « capitalisme vert », elle a besoin de planification et de contrôle par l’État, comme nous l’avons toujours fait.
Traduit pour ESSF par Pierre Vandevoorde avec l’aide de Deeplpro, publié par Internationalen, le 26 octobre 2025.
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Ancien président du syndicat des métallurgistes, puis dirigeant du parti social-démocrate, àl’époque premier ministre.