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Syrie : la centralisation autoritaire de Sharaa trébuche à Soueïda

par Joseph Daher
© Getty

De violents affrontements et des tensions persistent à Soueïda depuis que le président autoproclamé de la Syrie, Ahmed al-Charaa, a annoncé le transfert de la responsabilité du maintien de la sécurité dans la province aux factions armées locales et aux dignitaires religieux druzes. La décision de 17 juillet intervient au lendemain d’un accord conclu entre les autorités syriennes dirigées par Hayat Tahrir al-Cham (HTC) et les dignitaires religieux druzes à Soueïda.

Actuellement, les forces de sécurité se préparent à rentrer à Soueïda, le ministère syrien de l’Intérieur affirmant vouloir mettre fin aux combats entre Druzes et bédouins.

Tout cela fait suite à des attaques menées en avril et mai par des groupes armés soutenant le gouvernement actuel à Soueïda et près de Damas, qui ont fait plus de 100 morts.

En réalité, la récente initiative d’al-Charaa est clairement une tentative de consolider son pouvoir sur une Syrie fragmentée, de saper l’autonomie de Souweida et de briser la dynamique démocratique qui se développe à la base.

Contrôler Soueïda

Soueïda, dont la population est majoritairement druze, a acquis un certain degré d’autonomie politique pendant le soulèvement syrien. Après la chute du régime d’Assad, la plupart des forces armées locales druzes et des dignitaires religieux ont poursuivi les discussions avec les nouvelles autorités au pouvoir à Damas. Ils ont toutefois refusé de déposer les armes, en raison de l’absence d’une transition politique démocratique et inclusive et de garanties pour Soueïda.

Cependant, le 13 juillet, la région a été transformée en zone de guerre et attaquée à un poste de contrôle par des factions armées bédouines. Cela a entraîné une montée des tensions et des combats entre les combattants druzes et bédouins. En réponse, les dirigeants intérimaires ont envoyé des véhicules blindés depuis Damas pour tenter de contrôler la province.

En cinq jours, le Réseau syrien pour les droits humains (SNHR) a documenté plus de 200 morts (dont des civils druzes et bédouins) et plusieurs centaines de blessés.

Les maisons et les commerces ont été pillés et détruits, et la haine raciale s’est répandue, comme en témoigne une vidéo montrant des habitants druzes contraints par des combattants de se faire couper ou raser la moustache afin de les humilier.

Bien qu’elles n’aient pas atteint le même niveau de cruauté, les actions des forces armées soutenant le gouvernement à Soueïda ont rappelé à beaucoup le massacre qui avait eu lieu dans les zones côtières de la Syrie contre les Alaouites.

Ces opérations armées contre Soueïda doivent être considérées dans le cadre de la stratégie plus large du gouvernement syrien visant à consolider son pouvoir sur un pays fragmenté.

Alors qu’au départ, les autorités dirigées par le HTS poursuivaient une stratégie fondée sur l’obtention d’une reconnaissance et d’une légitimité externes afin de renforcer leur domination sur la Syrie, elles ont progressivement pris le contrôle des institutions étatiques, de l’armée et des acteurs sociaux. Le communautarisme a été instrumentalisé afin de permettre aux dirigeants de contrôler la population.

Le confessionnalisme en Syrie

Pour être clair, les tensions confessionnelles en Syrie ne sont pas dues à d’anciennes divisions religieuses, ni à quelque chose d’intrinsèque au peuple de la région, contrairement à ce qui est souvent présenté dans les médias occidentaux. Elles ont des racines politiques profondes en Syrie.

La montée de la rhétorique confessionnelle et de la violence de la part des nouvelles autorités au pouvoir et des forces armées qui les soutiennent s’est d’abord dirigée contre les populations alaouites, puis progressivement contre les communautés druzes du pays.

Le discours sur la « Mazlumiya Sunniya » (victimisation des sunnites) a été largement instrumentalisé pour tenter de rallier une grande partie de la communauté arabe sunnite au gouvernement d’al-Charaa, malgré les nombreuses différences politiques, sociales et régionales qui existent en son sein.

Les tensions confessionnelles servent également à briser le potentiel des espaces démocratiques ou des mouvements populaires. Il n’est donc pas surprenant que Soueïda ait été prise pour cible par le gouvernement, étant donné qu’elle a été (et continue d’être) pendant de nombreuses années un symbole de la résistance populaire contre le régime d’Assad. Sous l’ancienne dictature, les manifestations et les marches se sont poursuivies, la société civile locale était dynamique et des tentatives ont été faites pour créer des syndicats et des associations professionnelles alternatifs.

Il est clair jusqu’à présent que les nouvelles autorités au pouvoir ont rapidement compris que le confessionnalisme est un outil politique utile pour consolider leur domination sur tous les territoires où existe une résistance à leur leadership.

Israël exploite la situation

Pour ajouter aux horribles tragédies de ces derniers mois et aux divisions qui se creusent, Israël exploite également les tensions actuelles.

Les violations des droits humains commises par les forces armées pro-gouvernementales contre les populations druzes sont utilisées par Israël pour attiser les tensions confessionnelles.

Le gouvernement israélien tente de se présenter comme le défenseur des Druzes du sud de la Syrie et menace d’intervenir militairement pour les « protéger ».

Mis à part les appels lancés au gouvernement israélien par le dignitaire religieux druze Hikmat al-Hijri, une grande partie de la population druze de Souweida et d’ailleurs a rejeté massivement toute intervention israélienne et réaffirmé sa loyauté envers la Syrie et l’unité du pays.

En fin de compte, Israël n’a aucun intérêt à aider les Druzes, il profite simplement de l’occasion pour accroître les divisions au sein de la société syrienne et, surtout, pour envoyer un message au gouvernement dirigé par le HTS, à savoir qu’il ne tolérera aucune présence militaire dans le sud de la Syrie, y compris dans les provinces de Kuneitra, Deraa et Soueïda.

C’était précisément l’objectif des récentes frappes des forces d’occupation israéliennes sur Damas et ailleurs.

Par ses attaques, le gouvernement israélien cherche à obtenir davantage de concessions de la part de l’État syrien, qui a déjà montré sa volonté de normaliser ses relations avec l’occupant. Le gouvernement d’al-Charaa a confirmé que des négociations et des discussions avec des responsables israéliens avaient déjà eu lieu. Et ce, malgré les attaques continues d’Israël contre le territoire syrien (en particulier dans les territoires syriens occupés) et la destruction de terres agricoles et d’infrastructures civiles.

C’est également la raison pour laquelle Damas n’a pas condamné les frappes israéliennes en Iran. Le gouvernement syrien est favorable à l’affaiblissement de l’Iran, ainsi que du Hezbollah au Liban. Cette position n’est pas seulement liée au rôle de l’Iran dans le soutien au régime d’Assad pendant les soulèvements, mais aussi à la volonté d’el-Charaa d’ancrer le pays dans un axe dirigé par les États-Unis afin de consolider son pouvoir à l’intérieur du pays.

En effet, qu’il s’agisse de rechercher de bonnes relations avec les puissances occidentales et leurs alliés régionaux ou d’envisager une normalisation avec Israël, le gouvernement syrien gouverne avec un seul objectif en tête : consolider le pouvoir du HTC sur le pays. Les intérêts des masses et leurs aspirations démocratiques sont ignorés et bafoués dans ce processus.

Les derniers événements à Soueïda démontrent donc, une fois de plus, que la Syrie ne connaît pas une transition politique démocratique et inclusive. Au contraire, on assiste à une tentative – loin d’être achevée – de mettre en place un nouveau régime autoritaire dirigé par le HTS, qui s’établit sous le couvert d’une légitimité institutionnelle et internationale.

Publié The New Arab le 18 juillet 2025

 

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المؤلف - Auteur·es

Joseph Daher

Joseph Daher militant de la IVe Internationale. Il enseigne à l’Université de Lausanne, en Suisse, et est professeur affilié à l’Institut universitaire européen de Florence, en Italie. Il est l’auteur de nombreux rapports, articles et livres.