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Trump, Netanyahou et la réorganisation du Moyen-Orient

par Gilbert Achcar
Rencontre à la Maison Blanche le 7 juillet 2025. © The White House

Malgré toutes les preuves du contraire, trop de commentateurs dans les médias internationaux continuent de dépeindre Donald Trump comme désireux d’obtenir un règlement pacifique de la guerre en cours dans la bande de Gaza. Ils s’attendent même à ce qu’il fasse pression sur Benyamin Netanyahou pour que celui-ci accepte des conditions allant contre son gré. En vérité, les rapports officieux sur les divergences entre les deux hommes, et sur la volonté du président américain d’imposer la « paix » au Premier ministre israélien sont, au mieux, de fausses rumeurs qui leur conviennent à l’un et à l’autre : le premier pour conforter l’image d’un « artisan de la paix » qu’il vend au segment « isolationniste » de sa base électorale, opposé à ce que les États-Unis s’engagent dans des guerres qu’ils pensent être sans intérêt (sans parler du rêve de Trump de remporter le prix Nobel de la paix, un produit de sa jalousie puérile envers Barack Obama) ; le second, Netanyahou, afin d’invoquer la pression de son patron américain pour faire taire les partenaires extrémistes de sa coalition gouvernementale et le segment le plus extrémiste de sa base électorale, chaque fois qu’il s’écarte de leur désir d’achever sans équivoque le « nettoyage ethnique » de la Nakba de 1948 sur l’ensemble du territoire compris entre le Jourdain et la Méditerranée.

L’une des ironies de la croyance irrationnelle dans les intentions pacifiques de Trump est que les commentateurs illusionnés le dépeignent toujours comme ayant imposé à Netanyahou la « paix » avec l’Iran, malgré sa décision de participer à l’agression contre ce pays, parachevant ainsi la guerre menée par l’État sioniste. La complémentarité des rôles entre Trump et Netanyahou devrait être claire pour tout le monde. Israël avait un besoin urgent du cessez-le-feu qui a suivi la « guerre des Douze Jours » en raison de la réduction des stocks d’armes, de la hausse des coûts et de l’épuisement. De plus, il ne fait aucun doute que ce qui a suivi la guerre n’est rien de plus qu’une trêve au cours de laquelle l’administration Trump continue à faire pression sur la « République islamique » pour qu’elle se soumette aux conditions dictées par Washington. Depuis l’entrée en vigueur de la trêve, Trump a déclaré à maintes reprises que l’Iran avait subi une défaite majeure et n’avait pas d’autre choix que de se rendre. C’est la principale préoccupation derrière la troisième visite de Netanyahou à Washington depuis la réélection de Trump, car il veut s’assurer que la nouvelle administration maintient son insistance à imposer des limites strictes aux activités militaires et nucléaires de Téhéran.

En ce qui concerne la question palestinienne, l’autre préoccupation majeure de la visite de Netanyahou, l’une des bizarreries de la croyance susmentionnée est qu’un grand nombre de commentateurs des médias continuent de dépeindre Trump comme quelqu’un qui va couper les ailes du gouvernement israélien et le forcer à faire la « paix » avec les Palestiniens, alors qu’en fait, c’est Trump qui a permis à ce gouvernement de planifier librement et ouvertement l’expulsion des Palestiniens de la bande de Gaza. Reuters a recensé les déclarations de Trump à ce sujet et a compté au moins douze occasions depuis son retour à la Maison Blanche où il a appelé à l’expulsion des Gazaouis, accompagnant parfois ses propos de menaces voilées à l’Égypte et à la Jordanie pour qu’elles accueillent les déplacés.

Il n’y a pas d’exemple plus frappant de la façon dont certaines personnes se raccrochent au vent et insistent pour projeter leurs désirs sur la réalité que le fait que les dirigeants du Hamas continuent de parier sur Trump, en s’appuyant sur Bishara Bahbah, l’universitaire américano-palestinien qui a fondé le groupe « Arab Americans for Trump » et qui a précédemment servi de conseiller politique à Yasser Arafat et a participé aux négociations consécutives aux accords d’Oslo de 1993. Comme si le Hamas était déterminé à tomber dans le même piège deux fois, sinon plus, il réitère le scénario de la trêve précédente qui a suivi la deuxième investiture de Trump au début de cette année. Israël a rapidement mis fin à cette trêve après sa première phase, qui comprenait un échange de prisonniers avec le mouvement palestinien, et a repris son avancée dans la bande de Gaza pour poursuivre sa destruction et le déplacement de sa population.

Le Hamas s’accroche une fois de plus à ses exigences, y compris les plus importantes : un cessez-le-feu définitif garanti par les États-Unis et l’évacuation de la bande de Gaza par l’armée israélienne. Ces exigences sont dépeintes par l’administration Trump et Netanyahou comme des conditions impossibles destinées à empêcher un accord. En réalité, elles ne sont que le produit de l’illusion des dirigeants du Hamas que l’administration étatsunienne est prête à imposer de telles conditions à Israël. Selon la presse américaine, les négociations entre Netanyahou et Trump et son administration comprennent leur projet commun de rassembler les Gazaouis dans une « cité humanitaire » dans le sud de la bande de Gaza, sur les ruines de Rafah. Cela ouvrirait la voie à la déportation de ceux qui pourraient être transportés en dehors de la bande de Gaza, les autres étant enfermés dans ce qui constituerait un camp de concentration à ciel ouvert, bien pire que celui qui a existé sur toute la bande de Gaza depuis que l’armée israélienne l’a occupée en 1967, et en particulier depuis que le Hamas y a pris le pouvoir en 2007.

À cet égard, une plus grande variété d’options est en cours de négociation non seulement entre les gouvernements américain et israélien, mais aussi avec les alliés de Washington parmi les États arabes du Golfe, ainsi qu’avec l’Égypte et la Jordanie. L’objectif de Trump, partagé par son ami Netanyahou, est de parvenir à un prétendu règlement de la question palestinienne basé sur la création d’une « entité palestinienne » (pour reprendre le terme utilisé par l’ancien président américain Ronald Reagan en 1982), comprenant des enclaves de population palestinienne en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, entourées de bases militaires et de colonies israéliennes, d’une manière similaire à ce qui existe actuellement en Cisjordanie. Parmi les sujets en cours de négociation, il y a la question de savoir quelle « autorité » palestinienne sera chargée de superviser les résidents de ces enclaves : l’Autorité palestinienne actuelle basée à Ramallah ou une version modifiée de celle-ci (comme l’espèrent la plupart des pays arabes), ou une autre formule (qu’Israël aimerait réaliser en coopération avec les Émirats arabes unis et leur client palestinien Mohammed Dahlan) ? Une autre question est de savoir qui contrôlera directement les Gazaouis : l’armée israélienne (une perspective rejetée par une grande partie de son commandement, qui a appris depuis l’Intifada de 1988 à quel point il est difficile de contrôler une population rebelle), ou des forces arabes en mission temporaire jusqu’à ce que les forces locales des agents palestiniens du nouvel ordre régional soient en mesure de s’en charger ? C’est le Moyen-Orient que Trump et Netanyahou envisagent, avec le royaume saoudien – et même le nouveau gouvernement syrien – rejoignant le processus de « normalisation » de façon à réaliser la grande alliance régionale sous hégémonie étatsunienne que Washington a cherché à réaliser depuis sa première guerre contre l’Irak en 1991.

Traduit de ma chronique hebdomadaire dans le quotidien de langue arabe, Al-Quds al-Arabi, basé à Londres. Cet article est d'abord paru en ligne le 8 juillet. Vous pouvez librement le reproduire en indiquant la source avec le lien correspondant.

 

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المؤلف - Auteur·es

Gilbert Achcar

Gilbert Achcar est professeur d'études du développement et des relations internationales à la SOAS, Université de Londres. Il est l'auteur, entre autres, de : le Marxisme d'Ernest Mandel (dir.) (PUF, Actuel Marx, Paris 1999), l'Orient incandescent : le Moyen-Orient au miroir marxiste (éditions Page Deux, Lausanne 2003), le Choc des barbaries : terrorismes et désordre mondial (2002 ; 3e édition, Syllepse, Paris 2017), les Arabes et la Shoah. La guerre israélo-arabe des récits (Sindbad, Actes Sud, Arles 2009), Le peuple veut. Une exploration radicale du soulèvement arabe (Sinbad, Actes Sud, Arles 2013), Marxisme, orientalisme, cosmopolitisme (Sinbad, Actes Sud, Arles 2015), Symptômes morbides, la rechute du soulèvement arabe (Sinbad, Actes Sud, Arles 2017).