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L’attaque militaire d’Israël contre l’Iran: un abîme terrifiant pour le peuple iranien et la région

par Houshang Sépéhr
Ceux qui en ont les moyens tentent de quitter Téhéran.

L’assaut militaire d’Israël contre l’Iran, commencée le vendredi 13 Juin, suivi par les bombardements de villes israéliennes par la République islamique, a plongé l’Iran et la région dans une crise sans précédent. Les fumées qui s’élèvent des bombardements de Téhéran, les débris des maisons détruites et les corps des victimes, ainsi que les files interminables de personnes fuyant leurs foyers pour chercher refuge, dépeignent un avenir sombre pour la société iranienne: un avenir encore plus sombre que le présent.

Ce conflit meurtrier et complexe risque de détruire le tissu social et civil de la société iranienne. Le gouvernement israélien revendique la volonté d’un «changement de régime», plus exactement d’aboutir à une «chute» de la République islamique et/ou à une dislocation des structures étatiques. Une telle «chute» ou dislocation pourrait profiter principalement à des factions armées fascistes, chauvines et ethniques, que l’on voit déjà émerger, y compris en dehors du régime actuel. Ces groupes rêvent de tirer profit de cette situation tragique, ils ne voient que leurs intérêts égoïstes, au détriment de la population. Ces groupes, ainsi que des centaines de milices issues de la fragmentation potentielle des forces armées du régime islamique, pourraient se livrer une guerre acharnée les uns contre les autres, utilisant missiles et drones pour détruire les villes et les logements de la population. Cette guerre menée par Israël et son allié étatsunien, bien que destructrice pour le régime de la République islamique, ne servirait alors qu’à renforcer des factions militarisées, chauvines et séparatistes. Un tel scénario pourrait plonger l’Iran dans un chaos semblable à celui de l’Irak post-Saddam Hussein ou de la Libye post-Mouammar Kadhafi.

Un conflit aux enjeux géopolitiques complexes

L’attaque militaire d’Israël ne porte pas uniquement sur la question nucléaire iranienne. Cette justification rappelle, au-delà des nuances, les mensonges sur les «armes de destruction massive» ayant servi à légitimer l’invasion de l’Irak. Il s’agit ici d’une lutte pour l’influence entre puissances impérialistes mondiales et puissances régionales, où les États-Unis cherchent à maintenir leur domination déclinante à travers des démonstrations de force militaires.

Israël, quelle que soit son autonomie revendiquée, reste le bras armé des États-Unis au Moyen-Orient. Il joue dès lors un rôle central dans cette stratégie. Les bombardements réguliers de Gaza ne visent pas seulement à massacrer le peuple palestinien. Ils servent également à rappeler au monde entier la portée de la puissance militaire israélienne et de son allié états-unien.

L’attaque militaire d’Israël contre l’Iran, menée sans aucun doute, dès le début, avec le soutien des États-Unis, a stupéfié le monde entier par l’utilisation avancée et combinée de technologies sophistiquées. Cette opération a une fois de plus démontré la supériorité militaire d’Israël et des États-Unis, envoyant de ce fait un message clair à leurs rivaux géopolitiques. L’un des objectifs de cette attaque était précisément de mettre en avant leur domination technologique et militaire.

En Ukraine, la capacité de «dissuasion» de la Russie limite une intervention directe. Dans des régions/pays comme Gaza et la Cisjordanie, la Syrie, le Liban et désormais l’Iran, cette démonstration de force est mise en œuvre sans obstacle. Si les frappes contre le Hezbollah au Liban n’ont pas suscité une peur massive au plan régional, l’attaque contre la République islamique d’Iran, notamment par l’utilisation de robots et de l’intelligence artificielle, génère une terreur bien plus importante, en particulier étant donné son insertion dans cet ensemble géographique spécifique.

La République islamique, l’autre protagoniste de cette guerre, est un régime cherchant à assurer sa prépondérance dans la répartition du pouvoir au Moyen-Orient. Son opposition à Israël, qui agit en accord avec les politiques mises en œuvre par les États-Unis dans la région, est en réalité une tentative de revendiquer une position dominante dans l’équilibre des pouvoirs régionaux.

L’affaiblissement de l’influence régionale de la République islamique, suite aux sanctions économiques – qui ne dédouanent pas le régime et sa kleptocratie néolibérale de leur gestion désastreuse de l’économie –, à la neutralisation de ses proxies islamiques, à la chute du régime de Bachar al-Assad et des menaces de soulèvements populaires, avait contraint Téhéran à entrer dans des négociations sur le nucléaire pour parvenir à un compromis et préserver sa place sur l’échiquier régional.

Cependant, les États-Unis et Israël ont finalement jugé qu’une solution militaire serait plus efficace pour forcer la République islamique à se soumettre à «l’ordre» qu’ils souhaitent imposer et pour affirmer leur supériorité aux yeux du monde.

Les souffrances des peuples d’Iran

Pour les peuples d’Iran, cette guerre ne fait qu’aggraver des conditions déjà désastreuses: la pauvreté, les inégalités, la dictature et la répression brutale, l’emprisonnement, la torture, les exécutions quotidiennes, la répression des femmes, l’imposition du voile obligatoire, l’Etat religieux, ainsi que l’oppression des minorités religieuses et ethniques.

Une guerre prolongée risque de détruire les infrastructures économiques et sociales de l’Iran, en le plongeant dans un chaos similaire à celui de la Syrie ou de l’Afghanistan. Cela pourrait faire reculer la société iranienne, voire la plonger dans le chaos et un scénario sombre de désintégration étatique.

Bien que la République islamique riposte en bombardant des villes israéliennes, ces attaques touchent également des civils innocents. Pourtant, dans les pays arabes, ces actes sont perçus par beaucoup comme une revanche contre des décennies d’occupation et d’humiliations diverses infligées par Israël. Le régime iranien, pour autant qu’il sorte plus ou moins indemne de la guerre présente, pourra-t-il mettre à son profit cet acquiescement de secteurs de la population arabe pour reconstruire un réseau d’influence régional? C’est une hypothèse débattue.

Par contre, le refus de la plupart des dirigeants arabes de condamner les bombardements israéliens trouve un écho parmi des segments de la population iranienne influencés par l’opposition de droite et ses médias, qui se réjouissent des attaques militaires d’Israël contre l’Iran tout en ignorant ou en minimisant le génocide israélien à Gaza.

Les défis pour l’opposition iranienne

La situation économique et politique désastreuse de la République islamique a placé le régime dans une position de vulnérabilité, rendant possible son effondrement sous des frappes militaires massives. Ces frappes, menées par Israël, visent à détruire les infrastructures économiques essentielles de l’Iran, notamment la production de gaz et de pétrole, ainsi que ses ports stratégiques.

Dans ce contexte, certaines factions de l’opposition de droite, ainsi que des groupes marginaux tels que les Moudjahidines, le groupe kurde du Komala d’Abdullah Mohtadi allié aux monarchistes et d’autres mouvements nationalistes ethniques, voient dans ce scénario une opportunité à exploiter. Ces groupes d’opposition réactionnaires ont exprimé leur satisfaction face aux frappes militaires israéliennes et encouragent son escalade, espérant en tirer parti pour mobiliser la population contre le régime. Cependant, leur stratégie risque d’exacerber les souffrances de la population.

Alors que les citoyens et citoyennes ordinaires cherchent désespérément à se protéger des bombardements, ces factions appellent à un affrontement «final» avec le régime. Une telle stratégie, dans les conditions actuelles, ne pourrait que déboucher sur un bain de sang, un désespoir total et une aggravation des souffrances du peuple iranien. Cette situation rend la lutte pour le renversement de la République islamique encore plus complexe et périlleuse pour le mouvement populaire.

La préparation du peuple à affronter le régime islamique repose sur la préservation des acquis des luttes précédentes, sur l’organisation contre la guerre avec les conditions difficiles qu’elle impose. À l’heure actuelle, il ne s’agit pas d’attaquer, mais de résister et de s’organiser. Bien que la République islamique ne soit pas militairement capable de rivaliser avec Israël et les États-Unis, elle exploite la situation de guerre pour réprimer les soulèvements populaires avec une brutalité accrue et perpétuer la répression de tout opposant.

Pousser immédiatement le peuple à affronter directement le régime dans ces circonstances est une action criminelle, encouragée uniquement par des forces et des groupes réactionnaires et irresponsables, l’extrême-droite et les monarchistes.

Les gauches et les progressistes, quant à eux, insistent sur l’importance de la solidarité et de l’organisation face aux défis de la guerre. Ils appellent à des actions humanitaires et solidaires, à une mobilisation pour un cessez-le-feu immédiat et à la lutte contre les discours nationalistes et bellicistes. Face aux souffrances de la guerre, ils avancent des revendications telles que:

  • Fournir des moyens et des équipements essentiels aux citoyen·nes contraint·es de fuir leurs maisons et leurs villes;
  • Garantir le versement intégral des droits et indemnités pour ces personnes déplacées;
  • Assurer les besoins fondamentaux en matière de subsistance, de santé et de conditions de vie;
  • Mettre en place une aide immédiate pour la population en cas de bombardement;
  • Lutter pour un arrêt immédiat de la guerre, en exerçant une pression sur le régime pour un cessez-le-feu et une fin rapide du conflit.

Simultanément, ils s’opposent au nationalisme qui cherche à rallier le peuple au soutien du régime, ainsi qu’aux groupes bellicistes et aux nationalistes de toutes sortes qui se réjouissent de la guerre, de la destruction de la société et des bombardements, sous prétexte de «renverser» le régime.

C’est ainsi qu’avec des travailleurs et travailleuses et des citoyens et citoyennes les plus conscients, il est possible de jouer un rôle effectif dans toutes les éventualités à court et à long terme. Ces éventualités incluent:

  • Exploiter l’affaiblissement ou la défaite de la République islamique dans la guerre jusqu’à son effondrement total;
  • Éloigner la société des scénarios sombres de chaos et de désordre généralisé;
  • Préparer les masses à intervenir face à d’éventuels coups d’État internes, et accompagner l’effondrement complet du régime.

Dans de telles circonstances, la politique des forces se réclamant de la gauche devrait consister à:

  • Organiser la population pour qu’elle prenne en charge la gestion de la société.
  • Armer les travailleurs/euses et les citoyen·nes pour assurer leur auto-défense contre le régime, ainsi que contre toutes les factions criminelles présentes et futures.

Cette approche vise à garantir que la société reste solidaire et prête à surmonter les défis, tout en construisant un avenir basé sur la justice sociale et la participation démocratique.

L’opposition de droite en Iran ne se contente pas d’attendre un renversement de la République islamique par une intervention militaire ou un coup d’État. Elle envisage également qu’un soulèvement populaire, s’inscrivant dans une perspective de droite, puisse compléter et accélérer sa politique de «changement de régime».

Dans cette optique, l’opposition de droite cherche à capitaliser le mécontentement populaire, non pas pour instaurer une société plus juste et égalitaire, mais pour servir des intérêts étroits alignés sur des agendas extérieurs ou élitistes. Cela met en lumière le risque que les aspirations légitimes du peuple soient détournées au profit de projets contraires à ses intérêts fondamentaux.

Au cours des trois dernières décennies, la quasi-totalité des changements de régime dans le monde se sont réalisés avec la participation massive des populations, souvent à travers des soulèvements populaires. L’appel de Reza Pahlavi, le fils du dernier Shah, et d’autres courants de droite à des grèves et des soulèvements n’est ni une simple posture ni un mensonge, mais une stratégie visant à diffuser leur propre vision politique au sein des aspirations générales du peuple. L’intervention militaire israélienne et le désespoir croissant de la population donnent à cette vision davantage de poids pour influencer les événements.

Seuls les «populistes» qui suivent aveuglément ces courants de droite dissimulent cette réalité, cherchant à masquer leurs objectifs sous le prétexte de luttes «populaires».

Dans une telle conjoncture, le rôle des courants de gauche, et notamment ceux se réclamant du socialisme est de neutraliser ces tentatives, de combattre la propagation de la vision de droite au sein de la société et de ses solutions, et d’isoler ces forces dans le cadre de la lutte pour le renversement du régime islamiste. Ils doivent pour cela s’appuyer prioritairement sur la force du mouvement ouvrier progressiste, qui a la capacité de rassembler le peuple autour de lui. Leur objectif doit être de protéger la société des scénarios catastrophiques et des changements de régime orchestrés par des agendas extérieurs, tout en stimulant des secteurs populaires en direction d’une alternative véritablement émancipatrice reposant notamment sur la justice sociale.

Une lutte pour la paix

Les peuples iraniens aspirent à la paix, et non à la guerre. Ils veulent un avenir libéré des dictatures et des interventions étrangères. Un cessez-le-feu immédiat de la guerre et des bombardements des villes en Iran et en Israël est essentiel pour éviter une catastrophe encore plus grande et pour créer les conditions d’une transformation démocratique et révolutionnaire. La lutte pour faire triompher cette orientation peut éloigner la société iranienne de l’abîme noir et effroyable de la guerre et créer les conditions nécessaires pour une offensive contre le régime. C’est dans un tel processus que le renversement révolutionnaire de la République islamique pourra se concrétiser.

En fin de compte, la chute de la République islamique, si elle doit se produire, ne doit en aucun cas être le fruit d’une intervention étrangère, mais d’un soulèvement populaire organisé et mené par le peuple lui-même. (Le 18 juin 2025)

Le 20 juin 2025, publié par A l’encontre