
Après avoir subi une défaite publique retentissante avec le projet de loi connu sous le nom de “PL Antiaborto por Estupro” (projet de loi anti-avortement en cas de viol), les députés de l’extrême droite conservatrice brésilienne ont réajusté leur stratégie : désormais, la cible est le professionnel de santé qui pratique l’avortement légal, et non plus la femme victime de viol. L’objectif est de faire avancer cette régression par des moyens détournés, en criminalisant les médecins et en créant un climat de peur et de persécution institutionnalisée à l’encontre de ceux qui défendent la santé publique et les droits des femmes.
Photo : Rovena Rosa/Agência Brasil
Le texte original du projet de loi 1904/24 assimilait l’avortement après 22 semaines, même en cas de viol, au crime d’homicide, tant pour la femme enceinte que pour le professionnel de santé. Le projet a même bénéficié d’une procédure d’urgence en juin 2024, mais son impopularité a été immédiate : 66 % des Brésiliens s’y sont opposés, selon un sondage Datafolha. Face à cette impopularité, la proposition n’a pas été votée en séance plénière à la Chambre des députés.
Aujourd’hui, les partisans de la cause anti-avortement – parmi lesquels le député Sóstenes Cavalcante (PL-RJ), lié au bloc parlementaire évangélique – préparent une nouvelle offensive : modifier le texte afin de supprimer la peine encourue par les femmes victimes de viol tout en maintenant la criminalisation des médecins qui pratiquent l’intervention. Cette manœuvre, considérée comme plus « présentable » vise à « faire passer la pilule » petit à petit, en s’attaquant aux fondements de l’avortement légal sans affronter le rejet social que suscite la punition directe des victimes.
« Mais tout ce que nous pouvons faire pour soulager la mère, nous pouvons l’examiner en séance plénière, il suffit que le président Hugo Motta [Republicanos-PB] inscrive le sujet à l’ordre du jour », a déclaré Sóstenes, révélant le calcul politique derrière ce recul partiel.
Ce changement de cap n’est pas un cas isolé. Il s’inscrit dans une stratégie plus large de l’aile conservatrice, qui tente de saper les droits reproductifs avec des projets ponctuels, en particulier ceux qui traitent de cas extrêmes et médiatisés, comme ceux de filles violées auxquelles on a refusé l’avortement – des épisodes qui ont choqué les esprits dans des États comme Espírito Santo, Santa Catarina et Goiás.
Le sénateur Eduardo Girão (Novo-CE), autre figure de proue de la croisade anti-avortement, a quant à lui présenté le projet de loi 1301/25, qui alourdit la peine encourue par les médecins pratiquant des avortements après la 22e semaine, même lorsque ceux-ci sont autorisés par la loi. Girão, qui a présenté son projet lors du Congrès Vie et Famille – un événement très médiatisé par les groupes ultraconservateurs –, propose également une peine maximale pour les médecins qui utilisent les méthodes recommandées par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), comme l’asystolie fœtale. Cette procédure, considérée comme la norme internationale pour éviter toute souffrance physique et psychologique aux patientes, est désormais diabolisée par certains secteurs religieux et politiques qui la qualifient de « méthode cruelle ».
Dans la pratique, cette proposition de loi criminalise toute prise en charge médicale des femmes ayant recours à l’avortement légal après 22 semaines, ce qui, dans la plupart des cas, concerne des mineures victimes de viol ou de négligence de la part du système de santé. Plus qu’il ne s’agit de légiférer, il s’agit d’intimider.
Bien que son adoption soit peu probable à l’heure actuelle – le projet n’a même pas été transmis aux commissions –, l’offensive de l’extrême droite ne se limite pas au pouvoir législatif. Le Conseil fédéral de médecine (CFM) a récemment interdit le traitement hormonal pour les enfants et les adolescents transgenres, menaçant de sanctionner les professionnels qui respectent l’identité de genre de leurs patients. En matière d’avortement, le CFM et le Cremesp s’en prennent aux médecins qui pratiquent des interventions légales à l’hôpital municipal Vila Nova Cachoeirinha, à São Paulo, une référence nationale en matière de santé sexuelle et reproductive. Des médecins ont été condamnées par le conseil de São Paulo, mais les procédures ont été suspendues par décision de la Cour suprême fédérale.
La stratégie est claire : utiliser l’administration publique pour intimider les professionnels, restreindre l’accès aux services et faire reculer les acquis historiques en matière de droits humains. Au nom d’une prétendue moralité chrétienne, ces mesures visent à transformer le Brésil en un pays où la violence sexuelle est banalisée et le droit aux soins criminalisé, tandis que les filles violées et les médecins qui s’occupent d’elles deviennent la cible d’une rage moralisatrice.
Le 23 avril 2025
Traduit pour ESSF par Pierre Vandevoorde avec l’aide de DeepLpro