Nous nous réunissons à un moment de profonde offensive du capital contre la vie, dans le cadre des actions que les peuples organisons face à la COP 30. Cette rencontre nous a permis, une fois de plus, de réaffirmer que tant la montée de l’extrême droite que les fausses solutions proposées par des gouvernements qui se disent progressistes, mais qui, aussitôt, n’hésitent pas à privatiser les biens communs ou à faciliter des agressions contre les peuples et les leaders qui affrontent quotidiennement les conséquences de la logique de croissance infinie du capital sur leurs territoires, nous poussent à lutter pour un monde dans lequel les systèmes de vie soient au centre de toutes nos constructions politiques et à rejeter énergiquement toute tentative d’intimidation.
Nous avons eu un exemple de ce qui arrive lorsque, au lieu de renforcer la lutte des peuples qui défendent leurs territoires au péril de leur propre vie, les défenseurs du néolibéralisme progressiste se mettent au service du capital et de l’extractivisme prédateur. Les menaces politiques subies par notre camarade indigène Auricelia Arapiun, lors de son intervention dans notre table ronde d’analyse de la conjoncture, montrent clairement un secteur qui agit à l’intérieur des communautés pour y installer la peur et la fragmentation. Cependant, nous — tout comme Auricelia l’a exprimé dans sa réponse à la menace — ne nous taisons pas et ne concilions pas.
L’offensive de l’extrême droite, nous le savons, se traduit également dans nos territoires par des tentatives de violation de notresouveraineté, reproduisant les mêmes logiques de soumission et de domination qui ont existé par le passé et perdurent aujourd’hui. Face à cette offensive impérialiste, nous, écosocialistes, défendons un front uni pour résister et nous défendre.
L’écosocialisme, en tant qu’outil pour construire un autre monde, devient nécessaire et urgent. L’accélération de la destruction massive des capacités de reproduction des écosystèmes et le caractèrenéocolonial et impérialiste des prétendues alternatives proposées par le même système qui a engendré la situation actuelle d’urgence climatique représentent une menace pour notre continuité en tant qu’espèce et nous conduisent à un point de non-retour.
Face à ce défi, la seule issue possible est l’organisation coordonnée de nos luttes afin de dépasser le système capitaliste. La lutte
organisée des peuples, leur résistance face aux systèmes de domination et leur avancée dans la construction d’autres mondes fondés sur la solidarité, la complémentarité et la réciprocité — en respectant les savoirs et les cosmovisions des différents peuples ainsi que leur droit légitime à l’autodéfense et à l’autodétermination — constitue la base fondamentale de notre stratégie.
Ces jours de débat ont réuni des représentant·es de peuples en lutte de diverses latitudes d’Abya Yala et d’autres continents, qui, au niveau mondial, ont élevé leur voix pour dénoncer le fait que les extractivismes capitalistes et impérialistes provoquent la destruction environnementale et humaine dans de nombreux territoires. Il est nécessaire de renforcer les articulations entre les peuples enrésistance pour combattre cette destruction, tout en consolidant les formes de production de la vie développées historiquement par les peuples et aujourd’hui menacées par la contamination et l’appropriation de l’eau, de la terre et de l’air par les entreprises transnationales et les gouvernements.
Les voix des peuples autochtones ont été protagonistes de cette rencontre, identifiant un contexte commun de colonialisme, d’invasion, de dépossession, d’extractivisme et de fausses solutions, accompagné d’une politique d’anéantissement et de génocide, où l’on ne se contente pas de tuer, mais où l’on invisibilise également ces peuples, en les criminalisant et en les persécutant. À ce stade, nous voyons la relation entre corps et territoire comme un tissu où, bien que résident des violences structurelles, réside aussi la lutte pour la vie. Cette lutte se manifeste dans les résistances alternatives, à travers la valorisation et l’articulation des savoirs, des cosmologies oùancestralité et nature sont indissociables, ainsi que par l’autodéfense, l’autodétermination, la vie communautaire et l’importance de l’espérance et de l’unité des différents territoires.
Ces luttes pour la vie se retrouvent également dans les écoféminismes, mettant en lumière la lutte des femmes et des corps féminisés de différents territoires d’Abya Yala, qui affrontent la relation étroite et historique entre capitalisme et violences exercées à la fois sur la terre, les territoires et les femmes.
Des différents extractivismes découle une violence qui s’exprime par la contamination et la destruction de la terre ; la prédation et le vol de nos biens communs ; la fragmentation des perspectives culturelles ; et sur les corps féminisés, appauvris et racialisés de milliers de femmes du Sud global.
Cette analyse, en plus d’identifier le capitalisme comme l’origine structurelle de toutes les violences territoriales, propose également des solutions capables de surmonter ces contradictions, telles que la gestion communautaire de l’eau, l’autonomie alimentaire, l’autogouvernement, la justice communautaire et une conceptionsubversive du soin — c’est-à-dire issue d’une critique structurelle de la néolibéralisation du discours du care, qui continue de soutenir la logique du capital. À l’inverse, nous nous positionnons en faveur de soins collectifs et communautaires, pour une transformation radicale.La lutte écosyndicale est un élément fondamental de la lutte écosocialiste. La lutte pour davantage et de meilleures conditions de travail, combinée à la conscience que l’exploitation de la classe travailleuse et la dépossession de nos biens communs sont au service du capital et se complètent, crée les conditions nécessaires pour mobiliser et avancer sur les causes structurelles des oppressions que nous subissons dans le système capitaliste. En ce sens, rejeter la pratique du fracking en Colombie, en Amérique latine, dans les Caraïbes et dans le monde est une tâche que nous assumons avec responsabilité, afin de contribuer à la construction de territoires libres. Nous savons que cela ne sera possible que si les organisations syndicales s’articulent avec les processus sociaux, populaires, indigènes et paysans de chaque pays, tout en maintenant leurs autonomies dans la défense des territoires, de la vie et de sa reproduction. Par la solidarité internationaliste, nous nous engageons à promouvoir des espaces de dénonciation des violations des droits du travail, humains et naturels.
C’est depuis ce tissu que nous sommes que nous crions, à l’unanimité : Palestine Libre, du fleuve à la mer ; cessez-le-feu à Gaza ; et condamnation de l’État génocidaire d’Israël pour le massacre du peuple palestinien. Un peuple qui résiste, qui sème, qui conserve la conviction de rester debout — et que nous embrassons depuis la solidaritéinternationaliste, en multipliant les actions globales de soutien, comme le BDS et la Flottille, exemples de résistance par le bas que l’État d’Israël considère comme des menaces.
Nous exigeons également des gouvernements de la région qu’ils rompent leurs relations avec Israël, comme dans le cas des accords avec Mekorot, l’entreprise nationale de l’eau d’Israël, qui est devenue un instrument de domination coloniale. L’eau est un bien commun et, en Palestine, elle est utilisée comme arme politique et économique : Israël contrôle les sources, empêche les Palestiniens de forer des puits, de collecter l’eau de pluie ou d’entretenir des citernes, créant ainsi une dépendance totale et un système d’apartheid hydrique. La Palestine est unlaboratoire de domination dont les techniques se répandent dans d’autres territoires, et la résistance et la solidarité avec le peuplepalestinien doivent être globales. Nous, écosocialistes du monde entier, accompagnons et construisons une solidarité active avec le peuple palestinien et son droit à exister.
À quelques jours du début de la COP 30, nous observons une fois de plus que cet espace n’est pas capable de répondre aux besoins des territoires ; au contraire, il s’impose comme un mécanisme de financiarisation de la nature. C’est pourquoi nous réaffirmons notre dénonciation et notre rejet du paiement des dettes odieuses et illégitimes, et plaidons pour la fermeture des mécanismes internationaux qui les impulsent et les légitiment. Ces mécanismes hypothèquent notre avenir en échange de la livraison des biens stratégiques dont le capital a besoin pour sa reproduction illimitée. Il est essentiel de démanteler le système de la dette, qui subordonne et limite les capacités de sortie planifiée du système.
Nous n’attendons rien de ces espaces qui proposent des projets tels que les crédits carbone qui, tout comme le TFFF, adoptent le récit selon lequel le problème serait que les biens communs ne sont pas encore complètement marchandisés et qu’il existerait donc une « défaillance du marché » à surmonter. Nous dénonçons également les gouvernements complices de projets écocides, comme c’est le cas du gouvernement brésilien qui, quelques jours avant le début de la COP 30 à Belém — territoire amazonien — a approuvé l’exploitation pétrolière àl’embouchure de l’Amazone et qui, en outre, pendant la COP 30, a approuvé l’enregistrement de 30 nouveaux pesticides.
Nous réaffirmons l’agroécologie comme l’un des chemins qui construisent notre stratégie écosocialiste. La production d’aliments agroécologiques, de base paysanne et indigène, n’est pas seulement une alternative au système agroalimentaire dominant, dont l’agronegocio et la production de commodités sont les principaux protagonistes ; c’est aussi une manière de restaurer et reconstruire les écosystèmes, et de rompre l’aliénation entre campagne et ville, étant donc essentielle dans la lutte contre le changement climatique. Il est indispensable de comprendre qu’il n’y a pas d’agroécologie possible au sein d’un capitalisme vert, car elle implique, en tant que pratique politique, une transformation structurelle des relations de production et de vie actuelles.
Reconnaissant que l’écosocialisme œuvre depuis des années à laconstruction de manifestes et programmes qui définissent cettestratégie, nous avons débattu des prochaines étapes qui nous permettent de conclure qu’il n’y a pas d’écosocialisme possible sans territoires libres. Nous n’avons aucun doute que les luttes éco-territoriales et la construction d’un monde vivable sont le chemin que nous devons suivre, en renforçant solidairement nos initiatives, en rendant visibles et en construisant des espaces où nous puissions avancer dans la construction d’un écosocialisme depuis et pour les peuples.
Pour atteindre cet objectif, il est nécessaire d’accumuler des victoires qui nous montrent la voie. Réaliser des mobilisations et campagnes entre les différents collectifs engagés dans la construction de ce projet écosocialiste est fondamental pour consolider un processus intégral et internationaliste de résistance coordonnée et de stratégie commune.La continuité de cette articulation de lutte, de construction du programme écosocialiste dont nous avons besoin, et l’internationalisation du mouvement écosocialiste, sont des tâches que nous avons entreprises il y a dix ans dans ces rencontres, et qui se sont consolidées avec la formation du Réseau Internationaliste des Rencontres Écosocialistes en 2024, à la suite de la rencontre de Buenos Aires.
Parmi les nouvelles initiatives, nous annonçons la tenue du Septième Rencontre Écosocialiste Internationaliste, en Belgique, en mai 2026 ; le Séminaire Écosocialiste International, qui se tiendra au Brésil dans le cadre de la Première Conférence Internationale Antifasciste ; et la Troisième Rencontre Écosocialiste Latino-Américaine et Caribéenne, en 2027, en Colombie. Nous sommes convaincu·es que ces rencontres doivent dépasser les frontières et générer des actions de lutte communes permettant de frapper simultanément les pouvoirs concentrés del’extractivisme capitaliste dans chaque territoire où nous nous trouvons.Cependant, les seules Rencontres Écosocialistes ne suffisent pas pour faire avancer la construction d’un programme véritablement enraciné dans les luttes concrètes. C’est pourquoi nous proposons la création d’actions et campagnes conjointes sur la Palestine, les combustibles fossiles, l’exploitation minière, la dette et les traités de libre-échange ; la défense de l’eau ; la lutte contre l’agronegocio ; et la restauration des forêts. Nous proposons également de cartographier quelles entreprises sont alignées avec des projets écocides dans les pays d’Amérique latine et des Caraïbes, afin de réaliser des dénonciations et communiqués communs. De plus, nous proposonsd’organiser des rencontres écosocialistes territoriales préalables à celle de Colombie, afin que les débats reflètent des formulations et propositions éco-territorialisées.
Enfin, nous voulons que notre espace de construction soit vivant et divers, capable de générer des débats profonds entre les collectifs qui le composent, de manière à penser et problématiser notre compréhension de l’écosocialisme, en réaffirmant que l’écosocialisme n’est pas un socialisme teint en vert, mais une proposition de transformation profonde de nos relations — tant entre nous que avec la nature. C’est une autre façon de faire de la politique, capable de construire un monde nouveau, digne et beau à vivre, pour les êtres humains comme pour tous les autres êtres vivants.
Le 19 novembre 2025