Alors qu’à Belém, les engagements creux se répètent, une pluralité de mouvements sociaux, indigènes et écologistes impulsent, depuis divers espaces de rencontre, un programme internationaliste contre l’extractivisme et pour la justice climatique.
Ca bouge à Belém. D’un côté, au sommet officiel qui s’est ouvert hier et au cours duquel, pendant deux semaines, les délégations des différents pays débattront de la possibilité d’avancer en matière d’atténuation, de financement et de mécanismes pour une transition juste. De l’autre, dans les différents forums et espaces de rencontre où des organisations et des collectifs sociaux venus du monde entier, et notamment d’Amérique latine, tentent ces jours-ci de revitaliser les alliances internationalistes pour faire face à l’offensive extractiviste mondiale.
En réalité, il ne faut pas attendre grand-chose du premier. Depuis trop longtemps, les COP sont devenues un rituel où défilent les principaux dirigeants du monde — et cette fois-ci, ceux des pays les plus polluants (Chine, États-Unis, Inde, Russie) n’y ont pas même participé — pour faire de solennelles déclarations d’intention et promouvoir de nouveaux mécanismes qui, une fois le rideau retombé, n’ont aucune traduction concrète ni en calendriers ni en en budgets.
« Nous ne voulons pas d’une superette vendant des produits idéologiques, nous voulons quelque chose de très sérieux et que les décisions soient mises en œuvre », a déclaré le président brésilien, reconnaissant l’inefficacité des sommets qui oscillent entre le « greenwashing » et le « business as usual ».
Dans le contresommet, cependant, il est permis de retrouver un regain d’espoir. Parallèlement à la COP 30 — on pourrait dire aussi en opposition au sommet officiel —, une multitude d’organisations et de mouvements indigènes, écologistes, syndicaux, féministes et anticapitalistes se sont réunis à Belém pour repenser leurs stratégies et relancer des instances internationales afin de renforcer les processus de lutte et de résistance. Après l’expérience du Forum social mondial et dans le but de surmonter les contradictions des gouvernements progressistes, l’objectif est de promouvoir des processus d’auto-organisation communautaires qui reconstruisent le tissu social et regardent au-delà des obligations permanentes envers l’État.
Les sommets des peuples
Les Sommets des peuples se tiennent depuis trente ans en marge des sommets sur le climat organisés par les Nations unies. Cette année, après trois éditions de la COP organisées dans des pays caractérisés par la criminalisation du droit de manifester et la persécution des militants et des organisations critiques à l’égard des gouvernements, les collectifs sociaux ont manifesté un regain d’intérêt pour ce forum. Le Cúpula dos Povos, à Belém, accueillera des représentants de plus de 1 200 organisations du monde entier, rassemblées autour d’un objectif : « Renforcer la mobilisation populaire et aller vers une convergence de programmes unifiés : socio-environnementaux, anti-patriarcaux, anticapitalistes, anticolonialistes, antiracistes et fondés sur les droits humains », peut-on lire dans le manifeste.
Le Sommet des peuples débutera demain, 12 novembre, par une marche fluviale de plus de 200 bateaux transportant environ 5 000 personnes. Avec cette caravane nautique, les mouvements qui participent à ce sommet alternatif « s’unissent pour faire résonner, à travers les eaux, un cri de dénonciation des décisions de la COP qui perpétuent ce modèle d’exploitation territoriale ». Comme l’a déclaré l’un des porte-paroles de l’initiative, « les eaux de l’Amazonie portent les voix que le monde a besoin d’entendre : celles de celles et ceux qui défendent la vie, les territoires et le climat ».
Les dizaines de conférences, d’ateliers et d’assemblées qui se dérouleront pendant quatre jours dans le cadre du Sommet des peuples culmineront le samedi 15 novembre dans une grande manifestation, qui s’accompagnera d’actions décentralisées dans de nombreux autres pays. Le dimanche 16, les revendications du Sommet des peuples seront présentées lors de la session plénière de la COP.
Lors de cet événement, le plus important de tous ceux qui rassembleront des militants et des organisations sociales autour de la COP 30, l’un des thèmes qui fera sans aucun doute l’objet de débats est celui des relations entre les mouvements et les gouvernements progressistes. Il y a trois semaines, sans aller plus loin, la compagnie publique Petrobras a reçu l’aval du gouvernement Lula pour exploiter du pétrole en eaux profondes à 500 km de l’embouchure du fleuve Amazone. Dans une ville décorée pour l’occasion de milliers d’affiches publicitaires colorées soulignant l’importance de la protection de l’Amazonie, le fossé entre le discours habituel du capitalisme vert et l’urgence maintes fois reportée de transformation du modèle exportateur primaire sera à nouveau mis en évidence.
Mais ce forum n’est pas le seul à se tenir à Belém en marge des initiatives parrainées par le gouvernement brésilien. Du 8 au 11 novembre, les deuxièmes Rencontres écosocialistes latino-américaines et caribéennes ont réuni deux cents militants de base de nombreux pays afin de réfléchir, partant de l’expérience des luttes contre la spoliation des terres, aux stratégies permettant de renforcer un front commun internationaliste capable de faire face à la crise socio-écologique. Parallèlement, du 7 au 12 novembre, s’est tenue la quatrième Rencontre internationale des personnes touchées par les barrages, fruit d’un processus de coordination internationale des luttes communautaires
Parallèlement, du 7 au 12 novembre s’est tenue la IVe Rencontre internationale des personnes touchées par les barrages, fruit d’un processus de coordination internationale des luttes communautaires contre les grandes centrales électriques qui existe depuis déjà trois décennies.
Les peuples contre l’extractivisme
Sur une planète en proie à l’urgence climatique et aux inégalités extrêmes générées par le capitalocène (et par des politiques qui repeignent le capitalisme en vert), les voix de diverses résistances contre le modèle extractiviste se sont jointes à la coalition Peuples contre l’extractivisme. Cet espace a été créé à Belém le 9 novembre dernier afin d’unir et coordonner les mouvements, les communautés et les organisations qui luttent contre la spoliation et misent sur une transformation profonde du système qui menace la vie et les territoires.
Ce réseau international rassemble principalement des expériences d’Amérique latine et d’Europe, mais s’engage aussi à étendre sa présence au continent africain. La coalition est composée de mouvements de base, de peuples autochtones, d’afro-descendants et de paysans, ainsi que de diverses organisations sociales de masse. Tous luttent, sur différents fronts, contre un même ennemi : le modèle extractiviste qui perpétue la surexploitation continue des biens communs et l’expansion des frontières productives vers des territoires considérés « improductifs ». Ce réseau ne se limite pas à l’exploitation minière ou pétrolière ; il englobe également les monocultures, l’agro-industrie, les biocarburants et les mégaprojets énergétiques qui consolident un modèle dépendant et génèrent une « reprimarisation » des économies périphériques.
Pour ce réseau, l’extractivisme n’est pas seulement une pratique économique, mais aussi une forme d’organisation du pouvoir au sein des démocraties libérales et un mécanisme de domination qui conditionne la vie des communautés. Dans cette nouvelle phase d’accumulation capitaliste, le dépouillement des peuples et de leurs territoires – cyniquement transformés en zones de sacrifice – est désormais justifié au nom de la transition énergétique. Dans le capitalisme vert militaire, l’Union européenne, les États-Unis et la Chine se disputent le contrôle des minerais essentiels au maintien du métabolisme économique du pôle capitaliste central. Dans cette course effrénée pour s’assurer l’accès aux matières premières critiques, qui ne représente aucun progrès réel dans la transition écosociale, l’exploitation minière s’impose actuellement comme l’expression la plus violente de l’extractivisme : militarisation, déplacements forcés, racisme, criminalisation et même assassinats de ceux qui défendent les biens communs.
L’alliance Pueblos contra el Extractivismo (Peuples contre l’extractivisme) défend l’idée que la protection des habitats et des écosystèmes est indissociable de la lutte contre l’offensive extractiviste néocoloniale.
Cet internationalisme se tisse, pour commencer, à travers la dénonciation et le soutien aux peuples de l’Équateur, du Panama et du Pérou, où la répression étatique s’est intensifiée ces derniers mois avec des arrestations arbitraires, la militarisation des communautés et la persécution judiciaire des leaders environnementaux et sociaux. Et en même temps, face à l’extension de l’emprise extractive, il repose sur la construction d’alternatives à partir de la base.
Les résistances territoriales s’organisent pour défendre l’eau, la terre, les territoires et ceux qui les habitent, en articulant différentes luttes et revendications. En Équateur, les communautés amazoniennes ont freiné des projets pétroliers ; au Panama, le mouvement populaire a réussi à faire annuler une concession minière après des semaines de mobilisation ; au Pérou, les rondas campesinas maintiennent vivante la défense collective des biens communs. Ces processus replacent le droit de résister comme une pratique partagée contre le néocolonialisme extractiviste.
La planète et les communautés ne peuvent plus continuer à attendre la bonne volonté des gouvernements qui encouragent la fièvre extractiviste. Face à la spoliation des territoires, à la militarisation et à l’impunité des entreprises, ce réseau internationaliste se propose de renforcer la défense du territoire en tant que corps vivant, car le territoire n’est pas une ressource : il est la base matérielle de la vie des communautés et de la nature qui l’habite et, dans le cas des peuples autochtones, la base spirituelle de la vie. Il s’agit également du droit à la résistance, à l’autodéfense.
Il en va de même pour le droit à la résistance, à l’autodéfense et à l’autodétermination des peuples, piliers de la justice environnementale et sociale. Et la construction d’alternatives communautaires, telles que les économies solidaires, l’autogestion, les réseaux féministes et agroécologiques et bien d’autres pratiques promues par les organisations de base.
Le renforcement des réseaux transnationaux contre-hégémoniques est essentiel pour faire face au pouvoir des entreprises et avancer vers un horizon de vie digne et de justice climatique. Comme le répète Pueblos contra el Extractivismo dans son argumentaire : nos territoires ne se négocient pas, ils se défendent !
Publié le 11 novembre 2025 par El Salto, traduit par Gilbert Guilhem