
Donald Trump a obtenu une victoire nette lors l’élection présidentielle et cela a pris de court les nombreux observateurs qui s’attendaient à une victoire de Kamala Harris – ou du moins à un écart plus serré. Le résultat a démontré une fois de plus la rupture qui existe entre l’establishment médiatique des éditorialistes et le vote d’un électorat de plus en plus en colère.
Entetien de Laura Camargo avec Miguel Urbán Crespo
Par cette nouvelle victoire, Trump est devenu le deuxième président de l’histoire des États-Unis depuis 1892 à être réélu après avoir perdu la précédente élection. De plus, contrairement à 2016, il a remporté le vote populaire, une situation qui ne s’était pas produite depuis plus de vingt ans du côté républicain.
L’un des éléments clés du succès de Trump a été sa capacité à se présenter comme un non-politicien, comme un entrepreneur à succès, un gestionnaire, reflétant les aspirations sociales de l’Américain moyen. Son refus ostensible du « politiquement correct » a été l’un des éléments clés pour pouvoir se présenter comme un outsider vis-à-vis l’establishment partidaire nord-américain, attirant et mobilisant un vote de protestation transversal parmi les classes populaires et moyennes, principalement blanches.
En effet, une partie du succès de l’extrême droite et, en particulier, de Trump, repose sur sa capacité à amplifier un discours contestataire. Un modèle de communication que Laura Camargo Fernández a appelé « discours trumpiste » 1 et qu’elle développe largement dans son récent livre Trumpismo discursivo. Origen y expansión del discurso de la ola reaccionaria global. Dans cet ouvrage, Laura Camargo propose une analyse approfondie du style de communication de l’extrême droite contemporaine, en accordant une attention particulière à la figure de Donald Trump. Tout cela en passant en revue les différents discours fascistes, de la première moitié du 19e siècle jusqu’aux stratégies de communication actuelles à l’ère numérique.
À quoi fais-tu référence lorsque tu parles de « discours trumpiste » ?
J’ai créé le terme « discours trumpiste » pour ce livre, mais surtout pour définir le style de communication de la vague réactionnaire mondiale, dans laquelle la façon de parler et de communiquer de Donald Trump a évidemment joué un rôle clé. Pas seulement pendant sa première campagne électorale, en 2016, mais pendant toute sa première mandature. En fait, nombre des stratégies qu’il utilise sont intéressantes non seulement pour le cas des États-Unis, mais aussi pour toutes les forces d’extrême droite au niveau mondial. Des stratégies qui sont copiées par les différents dirigeants de cette internationale réactionnaire.
Donc, en résumé, c’est le type de communication politique de la vague réactionnaire mondiale, dans laquelle le rôle de Donald Trump a été et continue d’être fondamental.
Quelles innovations Donald Trump apporte-t-il par rapport, par exemple, au mouvement néoconservateur nord-américain des « faucons » de Bush ou au Tea Party ?
En vérité, on peut souligner quelques similitudes. Par exemple, l’ultranationalisme et le discours suprémaciste affichant les États-Unis comme puissance indispensable sur la scène internationale. Souvenons-nous de ces fameux « faucons » tels que Paul Wolfowitz, Dick Cheney ou, surtout, l’un des principaux responsables de l’invasion de l’Irak, Donald Rumsfeld. C’est quelque chose qui saute aux yeux dans leurs discours.
Je pense que les différences résident dans le fait que, dans le cas de Trump, les visées suprémacistes mondiales des États-Unis, y compris dans leurs aspects militaires, sont davantage centrées sur des mesures protectionnistes. En ce qui concerne la politique étrangère, nous voyons maintenant un Trump très agressif, un nouveau Trump très menaçant, avec un discours très brutal, qui concrétise des idées déjà mises en avant auparavant, comme le repli identitaire, l’isolationnisme ou l’autarcie. Il y a donc une différence avec les « faucons » à cet égard.
De plus, je pense que Trump se distingue par sa rhétorique plus populiste par rapport à celle, plus élitiste – on pourrait même dire proche de l’establishment, que Trump critique tant – des « faucons ». Trump, comme nous le savons, a cette façon de communiquer, de baratineur télévisuel, qui le fait apparaître comme un Américain ordinaire en s’opposant aux « élites mondialistes ». Et, d’une certaine manière, les « faucons » pourraient aujourd’hui faire partie de ce que Trump critique comme représentant l’establishment.
John Bolton incarne un fil conducteur dans tout cela. John Bolton était l’un des secrétaires à la sécurité lors de la première mandature de Trump, et un des « faucons » de Bush. Et il vient d’être licencié par Trump. En fait, il y a quelques jours, il s’est même vu retirer la protection rapprochée que lui avait attribuée le gouvernement. Alors, pourquoi cette rupture ? Parce que Trump est, en ce moment, certainement bien plus obsédé par les ennemis intérieurs que par cette menace extérieure sur laquelle les « faucons » de l’administration Bush s’étaient surtout concentrés.
En plus de ce néoconservatisme nord-américain, évidemment avec les ruptures que tu mentionnes, de quelles autres sources s’inspire ce « discours trumpiste » selon toi ?
Il s’inspire surtout du discours populiste utilisé par l’extrême droite et recoupe, dans une certaine mesure, ce que je montre dans le deuxième chapitre du livre, le discours du fascisme de l’entre-deux-guerres. Il y a cette rhétorique qui met en avant l’opposition entre le peuple et les élites, une opposition qui est à la base de la rhétorique populiste. Mais nous pouvons également mettre en évidence d’autres éléments, tels que la nécessité d’un leader charismatique comme sauveur de la situation pour sortir d’une crise très forte.
Les éléments dominants sont ceux d’un langage très simplificateur, polarisant, offensant, insultant et – dans le cas de Trump – même vulgaire, dirigé contre les soi-disant « ennemis du peuple ». Ce sont des éléments que l’on peut retrouver dans le discours du fascisme de l’entre-deux-guerres, mais la ligne commune est le discours populiste, qui ne résonne pas seulement chez ces dirigeants, mais qui est actuellement surtout utilisé par les forces d’extrême droite.
Si tu devais me citer trois grandes caractéristiques du « discours trumpiste », quelles seraient-elles ?
Il n’est pas facile d’en choisir seulement trois, mais je dirais que l’agressivité verbale en fait partie. Bien sûr, les mensonges seraient le deuxième, parmi lesquels on peut trouver différentes formes d’agressivité et diverses façons d’utiliser ce qu’on appelle les fake news. Et enfin, ce discours prétendument anti-establishment, qui, je pense, est utilisé par toutes les forces d’extrême droite, et qui a été fondamental dans le cas de Trump : la posture d’opposition aux élites. Alors que, évidemment, Trump et son équipe d’oligarques technologiques appartiennent pleinement aux élites du capitalisme étatsunien. Par conséquent, ces trois axes – agressivité verbale, utilisation de mensonges et discours prétendument anti-establishment – sont trois aspects clés que nous pouvons souligner, bien que ce ne soit pas facile de choisir.
Au fil des ans, nous avons vu comment le « discours trumpiste » a non seulement colonisé l’extrême droite internationale, mais aussi la droite de la démocratie chrétienne, qui en adopte le modèle discursif. J’aimerais que tu abordes cette idée que tu développes dans ton livre.
C’est l’un des principaux éléments que j’analyse et que je définis comme un processus de radicalisation de la droite, qui n’affecte pas seulement la droite démocrate-chrétienne, mais toutes les droites. Il existe un effet d’entraînement, par lequel le discours plus technocratique, froid et centré sur les chiffres, typique de la droite – et que l’on observe également dans l’État espagnol, où la droite a tenté pendant un certain temps d’incarner une sorte de centre, une image qui s’est largement éventée – a été remplacé par un discours plus radical.
Ce processus de radicalisation affecte la droite dans sa lutte pour un espace politique que lui conteste l’extrême droite. Cela a conduit à ce que, sur le plan discursif, je considère par exemple Isabel Díaz Ayuso, présidente de la Communauté de Madrid, comme l’un des meilleurs exemples de trumpisme à l’intérieur des frontières de l’État espagnol, utilisant des stratégies très similaires. Cela ne se voit pas seulement ici, nous l’observons également maintenant dans la campagne des élections allemandes, et cela s’est vu dans le fait que la droite étatsunienne, c’est-à-dire le Parti démocrate, bien qu’elle n’ait pas adopté le style abrasif et intimidant de Trump, n’a pas su ni pu se différencier politiquement de lui. Je pense que c’est aussi l’une des clés de la défaite du projet de Kamala Harris.
Par conséquent, nous assistons à ce processus de radicalisation – non seulement en termes d’idéologie, mais aussi dans le discours – de la droite, dans le cadre de la compétition, tout sauf vertueuse, qu’elle entretient avec l’extrême droite.
Et si on devait chercher un précédent au « discours trumpiste » dans l’État espagnol, quel serait-il ?
Le grand précurseur n’est pas espagnol, mais italien, et c’est Silvio Berlusconi. Je pense que nous pouvons mesurer, et c’est quelque chose que tu as toi-même souligné à plusieurs reprises, à quel point Berlusconi a ouvert la voie à ce que nous allions voir ensuite chez beaucoup de ces dirigeants, en particulier chez Trump. Le lien avec les médias, le fait d’avoir eu des problèmes avec la justice, le traitement proche et familier des personnes sur lesquelles ils veulent exercer une influence et, au final, le traitement profondément agressif et destructeur de leurs rivaux politiques.
Donc, Berlusconi est le grand précédent, qui a ouvert la voie au « discours trumpiste ». Dans l’État espagnol, comme tu le demandais, je vois deux personnalités que l’on pourrait rapprocher de tout ça : Jesús Gil et Ruiz Mateos. Jesús Gil, lié à l’immobilier, à l’urbanisme, avec divers problèmes de justice, et Ruiz Mateos, avec un profil très semblable. Tous deux sont des exemples de cette façon de mettre de la familiarité, de la grossiereté dans le discours politique, à des fins manipulatrices, et sont, comme je l’ai dit, agressifs verbalement et profondément hostiles envers ceux qu’ils veulent éliminer. Donc, en résumé, le grand précédent est Berlusconi, et en Espagne, Gil et Ruiz Mateos.
Pour finir, j’aimerais que tu nous recommandes un livre, en plus du tien, qui nous permettrait d’approfondir un peu plus les dynamiques de ce « discours trumpiste ».
Je viens de terminer de lire Las redes son nuestras, de Marta G. Franco, qui, je pense, propose une idée intéressante en rapport avec l’un des sujets du moment. C’est : que faisons-nous avec les réseaux sociaux ? Dans lesquels restons-nous ? Que faisons-nous avec X ? Que faisons-nous de ce grand haut-parleur que sont actuellement les réseaux sociaux pour l’extrême droite, et comment pouvons-nous construire nos propres réseaux ?
Et puis, il y a aussi le débat sur la question de savoir si ce dont nous avons vraiment besoin, comme le suggère mon propre livre, ce ne serait pas d’un peu plus d’activistes sociaux et d’un peu moins de community managers…
Et un documentaire ?
Comme le livre fait aussi très souvent référence au génocide qui se déroule actuellement à Gaza, il y a un documentaire qui m’a semblé très intéressant sur l’extrême droite israélienne, qui s’appelle The Bibi files2 . Cela n’a pas exactement à voir avec la question du « discours trumpiste », mais je pense que c’est aussi très intéressant de voir comment ces figures de l’extrême droite utilisent des questions terribles, comme le génocide, que nous pensions ne plus jamais revoir, pour masquer leurs propres problèmes avec la justice. The Bibi files documente très bien tout cela.
Il y a un documentaire qui a beaucoup à voir avec mon livre, intitulé The Brink 3 , qui est un documentaire sur Steve Bannon et sur la première campagne de Trump en 2016. Je pense que c’est un documentaire plus que recommandable pour mieux comprendre l’influence de Bannon, non seulement sur la vague réactionnaire américaine, mais aussi sur tout ce qu’il a essayé de faire avec The Movement4par la suite.
Et pour finir, un film ?
Il y en a peu. Ces derniers jours, j’ai vu The Apprentice, qui est très lié au sujet. Ce film parle justement de l’époque où Trump était jeune, quand il commençait dans l’immobilier avec sa famille, quand il a épousé Ivanka et quand, plus tard, il est devenu présentateur de télé-réalité. C’est à ce moment-là, je crois, et c’est l’une des hypothèses du livre, qu’il adopte une grande partie de ce qui deviendra plus tard le style de communication, disons, unique de Donald Trump.
Il met très bien en évidence l’influence qu’un jeune avocat5, en plus homosexuel, a à cette époque sur sa façon d’aborder la politique et de formuler son discours, dans lequel attaquer, attaquer, attaquer est l’une des caractéristiques fondamentales ; où tout nier en est une autre, c’est-à-dire mentir chaque fois que c’est nécessaire. Et où il faut s’entourer de gens qui disent « oui » à tout. Je pense que l’on voit vraiment aujourd’hui l’influence de ces trois éléments qui apparaissent dans The Apprentice.
Le 22 février 2025
Laura Camargo est sociolinguiste et membre du Conseil consultatif de Viento sur, membre d’Anticapitalistas, section espagnole de
la IV e Internationale. Miguel Urbán Crespo, ancien député européen, est également membre d’Anticapitalistas. Publié par Viento sur et traduit par William Donaura. Disponible également en vidéo.
- 1
Nous avons choisi de traduire « Trumpismo discursivo » par « discours trumpiste » et de le laisser entre guillemets pour rendre compte du fait que l’analyse de l’autrice porte sur un type discursif que Trump a popularisé et développé plus que sur le discours de Trump lui-même. Nous l’avons préféré à « discours de type trumpiste », trop lourd ; à « rhétorique trumpiste », trop réduit aux seuls artifices argumentaires de forme et à « trumpisme discursif » trop centré, en français, sur Trump lui-même et peu compréhensible au final. NDT.
- 2
Le film est visible sur la plateforme Filmin, avec le titre Expediente Netanyahu. À la date de parution de cet article, le film n’est pas disponible en France en VOD. NDLR
- 3
Traduit en français par Steve Bannon, le Grand Manipulateur, disponible en VOD. NDLR
- 4
The Movement est une organisation politique européenne créée par Steve Bannon en 2017, après qu’il a été exclu de l’administration Trump, dans le but de rassembler des mouvements européens de droite ou conservateurs juste avant les élections européennes de 2019. NDLR
- 5
Il s’agit de Roy Cohn, qui fut conseiller juridique de Donald Trump et de son père, NDLR.