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Le chancelier d'extrême droite Kickl est à nos portes !

par Wilfried Hanser
Kickl le 11 décembre 2021 à Vienne. © C.Stadler/Bwag– CC BY-SA 4.0

En ce moment, une mauvaise nouvelle politique en chasse une autre, pire encore. Lors des élections nationales du 29 septembre, le parti d'extrême droite FPÖ, dirigé par le virulent Kickl, a obtenu le score incroyable de 28,8% des voix, devenant ainsi le parti le plus important. Kickl n'est pas un loup qui se déguise en agneau, il va franchement à la confrontation, courtise les identitaires en les qualifiant d'"ONG de droite tout à fait intéressante" et le mot "remigration", qu'il a utilisé bien avant Alice Weidel de l'AfD, figure dans son programme, sans aucune gêne. Viktor Orban en Hongrie est son modèle.

Le nouveau président du Conseil national, le membre du FPÖ Walter Rosenkranz, qui a été élu après les élections nationales avec les voix de l'ÖVP, a par conséquent invité ce même Viktor Orban au Parlement en tant que premier invité d'Etat. Seuls les membres du FPÖ étaient conviés à la réception, ils considèrent apparemment le Parlement autrichien comme un nouveau lieu pour leurs "fêtes de parti". C'est en tant que ministre de l'Intérieur d'un gouvernement de coalition conduit par le chef du parti de l'époque, Sebastian Kurz, que Kickl a commencé à faire parler de lui en organisant, en violation de la loi, une descente de police contre le siège du service de renseignement intérieur BVT.

Après les élections au Conseil national : L'ÖVP, deuxième, se retrouve en pôle position stratégique

Avec 26,2%, l'ÖVP n'est certes arrivé qu'en deuxième position, mais la décision des sociaux-démocrates (21,3%), sous la direction de leur chef de parti Andreas Babler, de n'envisager en aucun cas une coalition avec le FPÖ, a placé l'ÖVP dans la situation stratégique la plus favorable, puisque la formation d'un gouvernement ne pourra pas se faire sans lui. L'ÖVP avait donc le choix de former une coalition gouvernementale avec le FPÖ ou avec les sociaux-démocrates. Toutefois, Kickl, le dirigeant du FPÖ, a posé l'exigence non négociable qu'il ne serait prêt à former une coalition gouvernementale avec l'ÖVP que si ce dernier lui accordait le poste de chancelier.

Dans un premier temps, l'actuel chancelier et dirigeant de l'ÖVP, Nehammer, s'est engagé à ne pas "mettre le pied à l'étrier de Kickl pour qu'il accède à la chancellerie", car cela aurait bien évidemment fait perdre à l'ÖVP la place de chancelier. Kickl, bien que responsable du parti ayant obtenu le plus de voix, n'a donc pas trouvé de partenaire de coalition, ni au SPÖ, ni à l'ÖVP. Sur cette base, Nehammer (ÖVP) a été chargé par le président fédéral de former un gouvernement, c'est-à-dire de négocier avec la social-démocratie. Comme une majorité parlementaire de l'ÖVP et du SPÖ n'était assurée que par un seul mandat supplémentaire, le parti néolibéral NEOS a été appelé à participer aux négociations. Les Verts ont été exclus par l'ÖVP sans que les médias ne mettent jamais en lumière cette décision.

Des négociations difficiles pour former une coalition

Les négociations se sont avérées très difficiles, car la combinaison de la récession économique ( pour la troisième année consécutive) et d'un trou budgétaire de 18 à 24 milliards (le chiffre reste controversé) exigeait des coupes massives, de nouveaux impôts ou une augmentation de ces derniers (ou une combinaison des deux) afin de respecter les critères de Maastricht, à savoir un réendettement maximal de 3%. Les sociaux-démocrates ont exigé très en douceur et dans une optique de compromis une "participation équitable des riches et des super-riches" à l'assainissement du budget. En revanche, l'ÖVP et les Neos ont martelé qu'il n'était pas question de réintroduire un impôt sur les successions (à partir d'un million) ou toute autre forme d'impôt sur la fortune. Ils n'étaient même pas prêts à instaurer un prélèvement sur les banques, bien que celles-ci aient réalisé 34 milliards de bénéfices. Avec son "dossier bleu", Kickl a fait un travail de lobbying efficace en direction des milieux d'affaires liés au l'ÖVP et aux NEOS. Dans ce dossier, il n'y avait manifestement rien de plus que le programme économique de l'ÖVP. C'était l'appât pour obtenir un accord : Le FPÖ vous aide à mettre en œuvre un changement structurel néolibéral massif, en contrepartie vous devez faire de Kickl le chancelier. Sous la pression de ce secteure économique, Nehammer n'a pu faire aucune concession à la social-démocratie, et même la présidente du NEOS, Meinl-Reisinger, n'aurait eu aucune chance d'obtenir la majorité des deux-tiers requise au sein de la direction du parti pour un accord de coalition comportant un nouvel impôt sur le capital. Afin d'anticiper un tel rejet par le comité directeur de son parti, Meinl-Reisinger (Neos) a annoncé la fin des négociations au bout de 44 jours. Elle a ainsi déclenché une avalanche : Le lendemain, le chef du parti ÖVP Nehammer lui emboîtait le pas - et démissionnait en même temps de son poste de chef de parti et de chancelier. Les sociaux-démocrates sont restés seuls à la table des négociations - malgré leurs importantes concessions.

Kickl chargé de former un gouvernement, l'ÖVP dans une impasse stratégique

Les choses se sont alors précipitées : l'ÖVP a désigné - provisoirement - l'actuel porte-parole du parti, Stocker, comme président et son ministre des Affaires étrangères, Schallenberg, a été temporairement chargé par le président fédéral de continuer à assurer le fonctionnement du gouvernement en tant que chancelier fédéral. Parallèlement, le chef du FPÖ, Kickl, a été chargé de constituer un gouvernement. Depuis, des discussions sont en cours entre le FPÖ et l'ÖVP pour former une coalition.

Le non-respect flagrant de ses engagements par l'ÖVP, qui s'était clairement prononcé contre la nomination de Kickl au poste de chancelier tant pendant la campagne électorale qu'après les élections, vient de lui coûter une nouvelle fois la confiance de ses électeurs. Dans le récent sondage du 10 janvier, il perd encore 9% et tombe à 17% ( !), tandis que le FPÖ progresse encore de 10,1% ( !!!) depuis les élections et atteint un record historique de 39%. En rompant les négociations gouvernementales et en reniant l'une de ses principales promesses électorales, l'ÖVP s'est placé dans une impasse stratégique qui semble désormais sans issue. Elle s'est totalement livrée au bon vouloir du FPÖ. Selon les sondages, une tentative de s'entirer par de nouvelles élections se solderait par un désastre encore plus grand, d'ampleur historique, pour elle.

Kickl a désormais les mains largement libres : dans cette situation, il peut exiger la chancellerie ainsi que d'importants ministères clés, au moins les ministères de l'Intérieur et de la Défense, des nominations décisives pour des postes au sein de la haute fonction publique et de la Cour suprême, ainsi qu'un quasi-démantèlement ou en tout cas une suppression de l'indépendance de la radio-télévision publique ORF et de l'indépendance de la presse écrite, déjà très malmenée sous le gouvernement de Sebastian Kurz. En outre, la Arbeiter:innenkammer (chambre des travailleurs et travailleuses) pourrait être supprimée ou considérablement affaiblie par une suppression ou une forte réduction des cotisations obligatoires. Des étapes décisives de l'orbanisation de l'Autriche semblent programmées. Ce serait une erreur de sous-estimer Kickl. Certes, il n'est pas un bon orateur et sa voix trémulante est désagréablement stridente. Mais il est un politicien d'extrême droite expérimenté, ainsi il a écrit les discours et conçu le texte d'affiches de Jörg Haider. Il est hautement motivé, avide de pouvoir et décidé à tout.

L'Autriche est-elle en train de devenir un deuxième Orbanland ?

Cela signifie-t-il la disparition de la démocratie - bourgeoise - en Autriche ? L'Autriche deviendra-t-elle une deuxième Hongrie comme sous Orban ? On peut le craindre si l'on ne tient pas compte des contradictions internes et externes de la situation : L'ÖVP et le FPÖ sont des ennemis jurés et pour l'ÖVP, le pouvoir qu'il détient depuis des décennies au sein de l'appareil d'Etat et de la fonction publique est en jeu. Ce que Kickl voudrait plus que tout, c'est pouvoir les démanteler pour y installer ses acolytes et prendre le contrôle de l'appareil d'Etat. Les pourparlers de coalition pourraient donc encore -échouer, bien que la probabilité en soit faible. Pour cela, il faudrait que l'ÖVP parvienne à un accord avec les sociaux-démocrates. Une telle volonté est peu envisageable après le putsch perpétré par l'aile économique de l'ÖVP. Dans le même temps, le prix politique et social à payer pour la social-démocratie serait très élevé, c'est pourquoi la direction actuelle avec Andreas Babler n'était pas non plus prête à se soumettre sans condition au diktat de l'ÖVP.

Le probable programme de la coalition bleu-noir

Le programme prévisible de la coalition bleu-noir sera néanmoins directement opposé aux intérêts sociaux et sociétaux de la majeure partie des électeurs des deux partis, en particulier à ceux de la grande majorité des électeurs du FPÖ, les salarié.e.s qui constituent la majorité de la population. 

En effet, ce sont tous les acquis des réformes réalisées depuis le temps du chancelier Kreisky qui sont en jeu. Comparée à l'Allemagne, la situation de l'Autriche est encore relativement bonne. L'Autriche n'a pas encore connu d'"Agenda 2010" comme sous Schröder avec la mise en place de Hartz IV, les "contre-réformes" des retraites et du système de santé, et le système public de sécurité sociale et de santé est encore largement intact, même s'il est fragilisé. Les chemins de fer ainsi que les transports publics sont également beaucoup plus ponctuels et leur réseau est plus étendu, l'administration publique et les équipements publics fonctionnent encore relativement bien par rapport à d'autres pays. En outre, les Verts ont obtenu quelques - très modestes - réformes écologiques : Le "ticket climat", une taxe carbone couplée à un bonus climatique qui est reversé à tout le monde. De même, certaines dispositions en matière de transparence et de lutte contre la corruption ont été introduites dans la législation.

Comment la résistance peut-elle être efficace ?

Tout cela est fortement menacé par les attaques auxquelles il faut s'attendre tout comme par une vague de privatisations, surtout dans le système social et de santé. C'est pourquoi les syndicats et la social-démocratie, ainsi que le KPÖ, qui s'est quelque peu renforcé (les sondages d'opinion le situent actuellement à 3 %), et la gauche radicale - toutefois très faible et fragmentée - sont interpellés. La résistance contre les plans de destruction massifs de l'État social et des acquis démocratiques, contre la haine raciste, misogyne et anti-minorités ainsi que contre les aspirations autoritaires doit être construite dès maintenant.

Établir des alliances larges de manière intelligente et créative et réapprendre à lutter sont les clés pour affronter ce défi et cette menace historiques. Parviendra-t-on à organiser des rencontres des résistances et à développer un large front de défense ? Un nouvel élan social et politique peut-il sortir d'un tel mouvement de défense des acquis sociaux et démocratiques ? Des journalistes, des scientifiques et des artistes critiques s'y joindront-ils ?

Ce combat ne pourra pas être gagné si l'on ne parvient pas à se débarrasser de la placidité bureaucratique, qui bat des records mondiaux du fait des décennies de partenariat social, et surtout si l'on ne parvient pas à surmonter la mentalité autrichienne du " Sudern ", de la lamentation passive et impuissante. Ce n'est qu'en développant une culture de résistance créative, active, internationaliste, süre d'elle-même, capable de faire voler en éclats l'idéologie néolibérale en associant les différents mouvements sociaux, écologiques, féministes, émancipateurs et antiracistes que l'on pourra éviter des défaites dévastatrices et un sombre avenir réactionnaire. Relevons ces défis !

Publié le 16 janvier, traduit pour ESSF par Pierre Vandevoorde 

 

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