Les prévisions se sont finalement réalisées et le Parti de la liberté d’Autriche (FPÖ) a clairement remporté les élections législatives du dimanche 29 septembre 2024, devenant la première force du pays avec 28,85% des voix, soit une augmentation de plus de 12 points par rapport aux dernières élections.
Avec ces résultats, le FPÖ a réussi pour la première fois de son histoire à dépasser le Parti populaire autrichien (ÖVP), qui a obtenu 26,27%, soit une baisse significative de 11 points de pourcentage dans les urnes. Bien que le Parti social-démocrate d’Autriche (SPÖ) n’ait pas réussi à améliorer ses résultats – 21,14% – il n’a pas non plus enregistré de pertes significatives, mais la progression du FPÖ le relègue à une inconfortable troisième place Il est suivi par le parti libéral NEOS avec 9,14% (+1,1) et les Verts avec 8,24% (-5,6). Ni le parti communiste autrichien (KPÖ: 2,3%), ni le parti satirique de la bière (BIER :2%) n’ont réussi à franchir le seuil nécessaire pour entrer au parlement et la question reste de savoir s’ils l’auraient fait si l’autre s’était retiré, ainsi que la mesure dans laquelle le SPÖ a capitalisé sur le vote utile de la gauche1. [Le taux de participation fut de 77,3%, donc plus élevé qu’en 2019 : 75,6% ; voir le graphique ci-dessous ayant trait à la répartition des sièges]
Répartition des 183 sièges au Parlement
Les résultats de ces élections sont sans précédent et l’avenir politique de l’Autriche est incertain. Certaines voix internationales ont déjà exprimé leur inquiétude: le ministre italien des affaires étrangères, Antonio Tajani de Forza Italia, affirme : «Je pense que l’Autriche a besoin d’un gouvernement de coalition qui exclut le FPÖ, les combats politiques se gagnent toujours au centre afin que les partis d’extrême gauche et d’extrême droite ne puissent pas causer de dommages». Le président de la Israelitische Kultusgemeinde Wien et Ariel Muzicant et de l’European Jewish Congress, a déclaré au quotidien italien La Stampa, le 30 septembre: «Kickl se réclame des slogans de Göbbels, je vais écrire au Président [Alexander Van der Bellen, élu au suffrage universel en janvier 2017] qu’il lui fasse obstacle [pour un rôle gouvernemental]»
Le fait que les «bleus» – nom donné à l’extrême droite en Autriche – aient remporté ces élections ne signifie pas automatiquement qu’ils gouverneront. Ce lundi 30 septembre, le quotidien Der Standard a rappelé qu’en 2019, il fallait 100 jours pour former un exécutif. Si le FPÖ a déjà préparé son équipe de négociation et ne veut pas attendre trop longtemps pour s’asseoir à la table des négociations, plusieurs obstacles se dressent sur son chemin à Ballhausplatz 2, le siège de la chancellerie fédérale autrichienne. Le président du pays, Alexander van der Bellen, pourrait par exemple, dans l’exercice de ses fonctions, ne pas confier à Herbert Kickl, le candidat du FPÖ, le soin de former un gouvernement en faisant appel aux piliers démocratiques de la constitution de la IIe République, bien que cette éventualité semble peu probable.
Les conservateurs décisifs
Si le FPÖ fait la une des journaux, c’est l’ÖVP qui détient la clé du gouvernement. Malgré son net recul – le Parti populaire autrichien n’a bénéficié ni de la baisse de l’inflation en août, ni de la stabilité supposée que les électeurs recherchent après des catastrophes naturelles telles que les récentes inondations en Europe centrale, ni de ses équilibres de politique étrangère avec la Russie sur la base de la neutralité historique du pays – les 52 députés conservateurs seront déterminants pour la formation d’un exécutif.
La première option de l’ÖVP serait d’entrer dans un gouvernement de coalition avec le FPÖ comme partenaire minoritaire. Cette option a ses partisans et ses détracteurs au sein du parti. Parmi les premiers – y compris, selon des interviews données il y a quelques semaines, le chancelier Karl Nehammer lui-même (ÖVP) – il y a ceux qui optent pour quelque chose de plus machiavélique: un cordon sanitaire non pas contre le FPÖ, mais contre Herbert Kickl, dans l’espoir de précipiter une crise interne dans le parti qui lui permettrait, au moins, de gagner de l’oxygène même s’il gouverne avec eux et de regagner ainsi le terrain perdu. Dans cette constellation politique, l’ÖVP utiliserait sûrement ses 52 sièges dans les négociations pour revendiquer des portefeuilles clés tels que les Finances, l’Intérieur et la Justice qui lui permettraient de se présenter à l’électorat comme le partenaire fiable de la coalition.
La deuxième option, une grande coalition avec les sociaux-démocrates étant exclue – l’empreinte que le président de gauche du parti [depuis juin 2023], Andreas Babler, a imprimée au parti est considérée comme «instable» par une grande partie de l’opinion publique – consiste pour l’ÖVP à diriger un gouvernement tripartite avec d’autres partis, les libéraux étant le «parti charnière», selon le modèle allemand.
La perte de voix dans les circonscriptions industrielles est particulièrement inquiétante pour les sociaux-démocrates. La direction du SPÖ a exprimé sa volonté d’entamer un cycle de négociations avec les autres partis, et bien que Michael Ludwig, maire de Vienne et l’un des poids lourds du parti, ait déclaré aux médias qu’un débat sur les noms au sein du parti n’était pas envisagé, la démission de Babler pourrait bien être le prix à payer pour la signature d’une coalition avec les conservateurs s’il finit par être considéré comme le principal obstacle à la formation de cette coalition. Comme le note Barbara Tóth dans Der Falter, «la campagne électorale est terminée et les luttes de pouvoir commencent».
En attendant les discussions entre les partis, la société civile s’est déjà mobilisée et une première manifestation a déjà été convoquée pour le jeudi 3 octobre devant le Parlement, exigeant que les partis politiques ne pactisent pas avec le FPÖ.
Le FPÖ conquiert l’hégémonie
Même si le FPÖ reste en dehors du gouvernement, il ne faut pas oublier qu’il a gagné quelque chose d’encore plus important: l’hégémonie politique. En tant que première force parlementaire, il pourrait suivre l’exemple du Rassemblement national (RN) de Marine Le Pen et, à partir de là, s’efforcer de miner l’exécutif – inévitablement présenté comme une «coalition de perdants» – puis, à un moment plus propice, s’attaquer à la Chancellerie fédérale. Entre-temps, et surtout à travers les apparitions médiatiques de ses élus et les médias sociaux, le FPÖ normalise son discours auprès de l’opinion publique.
La confirmation dans les urnes de ce que les sondages ont montré ces derniers mois et qui révèle que, contrairement à ce qui se passait il y a quelques années, de moins en moins d’électeurs n’hésitent pas à exprimer ouvertement leur sympathie pour le FPÖ, est une indication du chemin parcouru par l’extrême droite autrichienne dans ce domaine. Interrogée par l’agence de presse APA sur les résultats des élections, la dramaturge et prix Nobel de littérature 2004 Elfriede Jelinek – ancienne critique du FPÖ et l’une des voix les plus connues contre le parti – a répondu laconiquement: «Rien, tout a été dit, sauf que les catastrophes annoncées se produisent».
Le FPÖ a donc des raisons de se réjouir des résultats de ces élections, car même sans gouverner, il pourra influencer l’agenda du prochain gouvernement. Kickl pourrait, depuis son siège de député, devenir l’un des hommes forts de l’extrême droite en Europe centrale. La figure de proue de cette tendance, Viktor Orbán, est déjà au pouvoir en Hongrie depuis des années, et lors des récentes élections régionales en République tchèque – qui se sont déroulées en même temps que les élections sénatoriales – le parti d’Andrej Babiš, l’ANO, a été le parti le plus voté. Si ces résultats se confirment, Andrej Babiš détrônerait Petr Fiala au poste de premier ministre lors des élections législatives prévues en octobre 2025, si elles ne sont pas anticipées. Babiš est l’un des fondateurs, avec Kickl et Orbán, des «Patriotes pour l’Europe», la troisième force au Parlement européen, dont Vox [dans l’Etat espagnol] est également membre.
Aucun des scénarios n’augure de «stabilité» et tous confirment un glissement vers la droite en Europe.
Article publié sur le site de Sin Permiso, le 30 septembre 2024; traduction-édition rédaction A l’Encontre.
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